Journée d'étude "Droit au logement, aujourd'hui et demain" dans le cadre de la Semaine Européenne de la démocratie locale 2011. La Lutte contre les marchands de sommeil. Contribution de Nouzha El Aroussi, assistante sociale à la Cellule Logement du C.P.A.S. de Molenbeek-saint-Jean et Jean-Claude DUPONT, Origine & Habitat Cellule de Lutte contre l'exclusion sociale. 14 octobre 2011 1
A. INTRODUCTION : La lutte contre les marchands de sommeil..? "Marchand de sommeil" est un concept largement galvaudé qui recouvre dans l'analyse sociale des situations très diverses allant de pratiques de petits propriétaires, paradoxalement parfois eux-mêmes en situation précaire, qui tentent en "sur-louant" leur bien de couvrir leurs engagements financiers (et habitent parfois eux-mêmes l'immeuble) à l activité, à grande échelle, punissable pénalement, de réseaux d'exploitation. Il est clair que «loger» une vieille dame dans une cave obscure et humide ou mettre en danger de mort des primo-arrivants en les exposant au monoxyde de carbone sont des actes quasi criminels mais ne font pas pour autant de leurs auteurs des "marchands de sommeil". Vous parler de la lutte contre les MS dans le temps qui nous est imparti est irréaliste. Le sujet mérite des colloques entiers et impliquerait de manière coordonnée de nombreux acteurs : le politique, la justice, la police, l administration, l associatif,. à tous les niveaux : communal, intercommunal, régional, fédéral et supranational. Notre intervention se limitera au témoignage de travailleurs de première ligne sur base de notre expérience et, concrètement, des constats que nous avons faits à l'occasion d'un travail réalisé en 2011 sur 14 immeubles suspectés (*) d être utilisés par des marchands de sommeil. *** Le travail sur le terrain a fait l objet d un rapport détaillé au CPAS qui reste provisoire car il se prolonge au quotidien par la gestion des situations individuelles et collectives rencontrées et les multiples évolutions des dossiers (fermeture, expulsion, relogement) et par un travail de sensibilisation des acteurs de terrain. (*) Aparté (cela veut dire entre-nous) : on ne qualifie pas par écrit, sauf avis autorisé, Mr X de marchand de sommeil sous peine de poursuites pénales (calomnie ) ni son bien d'insalubre sous peine de poursuites au civil (valeur du bien ). 2
Qu est ce qu un marchand de sommeil? Que caractérise aux yeux de la loi et sur le terrain les actes d un marchand de sommeil par rapport à une situation classique de petits propriétaires qui abusent de locataires? QUE PRÉVOIT LA LOI DU 10 AOÛT 2005? Les dispositions légales qui prévoient la répression des marchands de sommeil se trouvent à présent dans le Code pénal. En effet, la loi du 10 août 2005 a introduit dans le Code pénal un nouveau chapitre III quater intitulé «De l abus de la vulnérabilité d autrui en vendant, louant ou mettant à disposition des biens en vue de réaliser un profit anormal», et l article 433decies punit «quiconque aura abusé, soit directement, soit par un intermédiaire, de la position particulièrement vulnérable dans laquelle se trouve un personne en raison de sa situation administrative illégale ou précaire ou de sa situation sociale précaire, en vendant, louant ou mettant à disposition, dans l intention de réaliser un profit anormal, un bien meuble, une partie de celui-ci, un bien immeuble, une chambre ou un autre espace visé à l article 479 du Code pénal dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine, de manière telle que la personne n a en fait pas d autre choix véritable et acceptable que de se soumettre à cet abus». (*) 1. La location d'un logement à un public en situation sociale précaire et qui par le fait de cette précarité n'a d'autres choix que de se soumettre et d'accepter le bien proposé. 2. Une situation juridique précaire de location : 3. La mise en location d un logement non conforme à la dignité humaine 4. Pour le propriétaire, la réalisation d un profit anormal Et nous ajoutons : la réalisation d un profit anormal à une échelle importante. C'est-à-dire : il ne s agit pas d un seul immeuble, mais nous soulignons le cas de multiple immeubles et souvent dans de multiple communes. (*) sources : Quartier des libertés (collectif d avocats) : www.quartierdeslibertes.be 3
Détaillons : 1. (La location d'un logement à un public en situation sociale précaire et qui par le fait de cette précarité n'a d'autres choix que de se soumettre et d'accepter le bien proposé. ) : Nous avons rencontrés +/- 200 personnes Qu avons-nous constatés sur le terrain? * Les locataires sont pour la plupart des primo arrivants avec tout ce que cela implique en terme de fragilité sociale. Molenbeek accueillerait 15% des primo arrivants de la Région de bruxelles-capitale * un public amenés par des circuits, sur base religieuse, sur base ethnique, nationales.. ou par circuits de relations informelles (et tout ce que l on peut suspecter au-delà de ce qui est présenté comme informel : l existence de véritables réseaux organisés, voire de traite des être humains. * nous avons également constaté que les logements sont rendus économiquement attractifs pour le public visé : loyers relativement abordables (300-400 à partager) toutes charges comprises (eau, électricité, chauffage), ce qui évite la présentation de documents auprès des fournisseurs. * la garantie est souvent négociable, il y a possibilité d étalement voire de remplacement par une garantie morale du réseau * Il y a souvent possibilité de cuisine collective * Le propriétaire offre des services divers : petit boulots, infos administratives, filons en tout genre, * Le bailleur se présente et est souvent perçu comme un propriétaire bienveillant et protecteur. En fin de compte, rares sont les plaintes et encore plus rares sont les plaignants. 4
2. La situation juridique précaire de la location La règle générale est le «bail d un an non renouvelable». ce qui met le locataire en situation d insécurité la première année et lui fait accroire à un vide juridique ensuite. Nous avons souvent entendu «je n ai plus de bail» Nous avons constaté la pratique de la signature de "nouveaux contrats" Souvent, la subtilisation +/- forcée des anciens contrats Nous avons constaté : - des expulsions arbitraires, forcées, - des déménagements internes forcés - des changements du bien loué durant le bail 5
Par ailleurs, Le loyer «tout en un» permet tous les abus en terme d augmentation : indexation du loyer? augmentation des charges? comptabilisation des charges, répartition En terme de protection de la vie privée, nous constatons maints abus : - des visites impromptues du propriétaire «qui estime être chez lui» - la surveillance du locataire, des entrées et venues - surveillance du courrier (voire sa violation) Plus problématique pour le locataire : la location du même bien à une personne "fantôme" à l'insu du locataire, la location de boîtes aux lettres (dans nos pérégrinations, nous avons rencontrés jusqu'à 14 adultes «isolés» dans une maison ouvrière de 4 pièces habitables) Au niveau régional, on témoigne de : - la domiciliation, on ne sait où dans l'immeuble, du propriétaire ou d'un membre de sa famille, ce qui évite les fermetures. - la multiplication d'asbl éphémères qui se substituent au bailleur - la multiplication de faux bailleurs insaisissables, eux-mêmes locataires, qui perçoivent garanties locatives et loyers. 6
3. La mise en location d un logement non conforme à la dignité humaine et pour en juger on se réfèrera par exemple aux critères de sécurité et de salubrité du Code du Logement. La plupart des immeubles ont fait l'objet au moins en partie d'arrêtés communaux ou de l'inspection Régionale du Logement. L'infraction urbanistique est la règle : divisions d'étages, aménagements de caves, d'annexes, greniers, cour, jardin Nombreuses sont les infractions constatées au niveau de la salubrité et la sécurité : - Fractionnement, - Moyens d'aération déficients, - Eclairage naturel insuffisant - Risque d intoxication au monoxyde de carbone, - Risque d incendie - Humidité - installations électriques et gaz non conformes et dangereuses, - équipements non fonctionnels ou dangereux - problèmes de chauffage Plus gravement, l'état des bâtiments et la surpopulation multiplient le risque d'incendie et accroissent la létalité potentielle des accidents (évacuation, accès pompiers ). 7
4. Réalisation d un profit «anormal» Juridiquement louer un bien frappé administrativement "d'insalubrité" ou "d'inhabitabilité" est en soit un profit anormal. Et dans les autres cas, on comparera le profit réalisé à celui d un bien similaire en un lieu semblable. Le caractère anormal du profit doit également être mis en perspective et tenir compte de l ampleur des locations. et très concrètement tenir compte de l'étendue des biens aux mains du propriétaire profiteur. Ce critère déterminera l'attitude de la justice qui prendra ou non le dossier au sérieux. "Monsieur X et sa famille seraient propriétaires d autres biens dans le quartier Maritime. Au fil ne nos recherches et de nos contacts ont été cités, en plus de l'avenue Dubrucq, des immeubles rue Vandenboogaerden (2 maisons), rue de l Escaut (4 maisons), rue de l intendant, rue Le Lorrain, Laekenveld, Belgica, voire dans d'autres communes. La situation dans le cas précis dépasse nos compétences, si l'étendue des possessions de la famille se confirme (8 bâtiments, dans notre commune), l'activité devrait concerner des dizaines de locations. Elle demande une action ciblée et coordonnée." Au sujet de la division d'étage, Il est intéressant relever le témoignage d'un locataire au deuxième étage. En prime état, l'étage, unifié à l origine, comprend 4 pièces pour une superficie de 40 m². Il a été divisé en deux logements de 2 pièces : 22 m² à l'avant et 18 m² à l'arrière, loués respectivement 490 uros et 390 uros = ~ 900 uros Nous apprenons du locataire que le logement a été visité par la commune, et que suite à cette visite le propriétaire envisagerait de rouvrir l'étage et de louer le tout, cette fois pour 600 uros. Ce qui représente déjà une perte conséquente, d'autant plus de cette partie est la plus acceptable de l'immeuble. Hypothèse catastrophe pour le propriétaire, notre champion de la calculette : il est obligé de rouvrir les étages habitables et de fermer grenier et annexes illégales. Restent quatre loyers. Les rentrées annuelles passeraient de 60.000 uros à +/- 20.000 uros 8
B. Actions individuelles et collectives réalisées Sortie de l'immeuble pour certains et relogement Information situation juridique bail d' "un an non renouvelable" clauses manifestement abusives protection domicile privé protection vie privée devoirs des locataires (paiement, usage du bien) enregistrement du bail protection du bail au cpas (copie) Rapport avec le proprio : Palabres, courrier, recommandé, citation, plaintes Accès aux services d aide juridique ouverture compteurs énergie, charges communes Information logement pistes de sorties : privé, importance de l'inscription (même illusoire au logement social), Commune, AIS, autres communes info services disponibles : aide juridique, juge de paix, médiation, services logement, associations, C.P.A.S., D.I.R.L Feed-back vers le service social du CPAS et sensibilisation 9
C : Besoins, Perspectives, pistes de travail Les besoins rencontrés sont nombreux : Mise en commun d'informations sur les propriétaires et immeubles suspects (où il y a déjà eu problème) perspective d'une réunion régulière (?) avec cellule logement communale et la DIRL localisation précise des locataires par services sociaux & commune (inscription à l adresse) coordination des visites et échange d informations par immeuble au niveau C.P.A.S. coordination avec l associatif prévention : sensibilisation des travailleurs sociaux aux aspects juridiques de la location et boîte de premiers secours outils de travail collectif (informations collectives, informations délocalisées ou ciblées, brochures, coordination des actions pour éviter double pénalisation Prévention? Des outils juridiques existent à disposition des communes, des administrations, des services qui permettent d agir directement contre le bailleur profiteur/abuseur *** Nouzha El Aroussi, assistante sociale à la Cellule Logement du C.P.A.S. de Molenbeek Jean-Claude DUPONT service Origine & Habitat de la Cellule de Lutte contre l'exclusion Sociale. 10
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Cellule logement du C.P.A.S. rue Vandenpeereboom, 14 1080 Bruxelles 02 421 32 81 Origine & Habitat Cellule de Lutte contre l'exclusion Sociale Rue Comte de Flandre 15 1080 Bruxelles 02 422 06 71 0475 20 63 17 12