La valorisation des archives de la Première Guerre mondiale aux Archives de l Etat I. Introduction En Belgique comme ailleurs, l intérêt pour la Première Guerre mondiale a le vent en poupe. Quotidiennement, les touristes de guerre envahissent les musées, les cimetières militaires, les monuments et les champs de bataille. Dans le même temps, les publications et travaux historiques à caractère général ou plus spécifique (les combats, les combattants, les destructions, les civils, les réfugiés, les hommes, les femmes, les enfants dans la guerre, ) font florès et les sites internet et autres espaces de discussion spécialement dédiés au sujet prospèrent comme jamais auparavant. Bien plus, les descendants (petits-enfants et arrière-petits-enfants) des soldats, des réfugiés ou des déportés se lancent à la récolte d informations sur les aventures et mésaventures de leur(s) ancêtre(s) durant la Grande Guerre. La commémoration du long centenaire de la Première Guerre mondiale (août 2014- novembre 2018) avec son flot presque ininterrompu d expositions, de cérémonies commémoratives, de colloques, de publications de circonstance, de documentaires et de films constitue une réelle opportunité pour les services d archives. II. Cadre Indépendamment des effets de mode et des anniversaires à célébrer ou à commémorer, la Première Guerre mondiale constitue assurément l une des périodes clés de l histoire de la Belgique et de l Europe. Depuis la fin des années 1990, les historiens français, allemands et anglo-saxons alimentent l historiographie de la Grande Guerre par des travaux novateurs autour de la notion de «culture de guerre». La Première Guerre mondiale est une guerre totale qui a mobilisé des sociétés entières. Si l histoire culturelle et des mentalités amène une nouvelle lecture de l expérience de guerre au front, l on se penche aussi enfin sur l expérience de guerre, tant matérielle qu émotionnelle, de la société de l arrière. A cet égard, les spécificités du cas belge, par rapport aux autres pays européens, sont toutefois nombreuses : violation de la neutralité du pays, absence de buts de guerre en août 1914, exil de la population, invasion brutale et occupation du territoire, déportation pour travail obligatoire à partir de 1916, politiques spécifiques des autorités allemandes (Flamenpolitik, etc.), collaboration d une partie de la population (activisme, collaboration économique), foisonnement des réseaux de renseignements, etc. Tous sujets sur lesquels les archives foisonnent. 1
III. Qu en est-il de la situation aux Archives de l Etat? Ayant la chance d avoir pu sauvegarder une masse impressionnante de fonds d archives concernant la Première Guerre mondiale, via le travail précurseur de la Commission des Archives de la Guerre, les Archives générales du Royaume ont pris la décision, à la fin des années 1990, d enfin valoriser ce patrimoine exceptionnel qui totalise près de 4.000 mètres linéaires (3.852 m). Cet ensemble représente 6 % du total des archives contemporaines (1794-2010). Les fonds d archives proviennent à la fois d organismes publics belges et étrangers mais aussi de nombreux particuliers et associations. Ils ne concernent que les seuls aspects politiques, sociaux et économiques car les archives à caractère militaire (produites par la Défense nationale) sont conservées au Musée royal de l Armée. La politique de valorisation des AGR s est organisée autour des cinq axes suivants : 1. Premier Axe : Résorber le retard en matière d ouverture à la recherche Après une première phase d inventoriage durant l entre-deux-guerres, ces archives ont été oubliées pendant près de 50 ans. Il a fallut attendre les années 1990 pour qu elles retrouvent une forme d intérêt pour nos services. C est pourquoi plus de 200 inventaires concernant des fonds d archives directement liés à la Première Guerre mondiale ont été publiés au cours des 15 dernières années. 2. Deuxième axe : Rédiger un Guide des sources de la Première Guerre mondiale en Belgique Face aux attentes et aux questions précises et pressantes des chercheurs et du grand public, les archivistes se trouvaient quelque peu démunis. En effet, si les sources relatives à l histoire des Belges et de la Belgique durant la Première Guerre mondiale sont innombrables, elles étaient malheureusement mal connues et éparpillées entre un grand nombre d institutions. Il devenait dès lors urgent de répertorier ce patrimoine. La piste choisie en 2006 fut celle de la réalisation d un guide rassemblant et structurant les informations éparses en les présentant par producteur d archives de manière à pouvoir offrir un instrument répondant aux vœux des chercheurs patentés ou occasionnels et des archivistes. Il devait permettre aux premiers d obtenir une information de première main sans devoir effectuer de trop fastidieuses recherches et, aux seconds, de répondre plus facilement aux demandes de plus en plus nombreuses émanant des particuliers et des familles en quête d informations sur leurs proches. Le guide, tout récemment publié, rassemble toutes les informations disponibles au sujet des fonds d archives et autres sources conservés par les principales 2
institutions tant publiques que privées en Belgique comme à l étranger. Il fait le tour des archives produites par l ensemble des acteurs : administrations centrales, provinciales et locales, universités, églises, entreprises, associations caritatives, particuliers, ISADG compatibles, les notices identifient les fonds et présentent leur contenu, leur intérêt pour la recherche, les liens éventuels avec d autres fonds ainsi qu une bibliographie succincte. Le guide mentionne aussi pour chacun des producteurs d archives l existence, le cas échéant, de collections photographiques, cinématographiques, de pièces et objets divers (affiches, tracts, journaux clandestins, etc.). Enfin, afin de faire de ce guide un outil de travail complet, il comprend un index détaillé qui permet les recherches thématiques. Il a été également conçu de manière à pouvoir être placé facilement sur Internet. 3. Troisième axe : Continuer à enrichir la bibliothèque thématique sur la Première Guerre mondiale héritée de la commission des Archives de la Guerre. Le catalogue est accessible sur notre site internet (www.arch.be) et compte aujourd hui près de 30.000 titres. 4. Quatrième axe : Créer et assurer le développement et la visibilité de la série intitulée «Études sur la Première Guerre mondiale». Lancée en 2001, elle a pour objet de permettre aux chercheurs de diffuser les résultats de leurs recherches, mais aussi de mettre en valeur les riches fonds d archives conservés dans les différents dépôts des Archives de l État ou tout autre source importante conservée par des services d archives ou des particuliers. Cette série compte actuellement 18 ouvrages. 5. Cinquième axe : Assurer une visibilité de notre politique globale via l organisation de journées d études, colloques et expositions, la promotion de certains projets spécifiques (numérisation de la collection d affiches de la première Guerre mondiale) et la participation à différents réseaux (archives, recherches, ). IV. Points forts et points faibles de notre politique 1. En matière de points forts : - Soulignons notre politique coordonnée et volontariste. 3
- Expertise réelle qui existe au sein du personnel (quatre historiens/ archivistes spécialistes de la Première Guerre mondiale). - Résultats effectifs : inventaires, guide, publications, organisation et participations à de nombreux événements (colloques, journées d études, expositions). - Acteur incontournable. 2. Pour ce qui est des points faibles : - Disparition d une partie des fonds d archives durant la seconde Guerre mondiale puis durant les années 70 par souci de gagner de la place. - Forte concurrence avec les institutions muséales ou de documentation qui apparaissent plus spécialisées dans ce créneau. - Manque relatif de moyens humains et financiers (départ récent d un des auteurs du guide et perte du financement non structurel lié à la réalisation du guide). - Manque de visibilité sur notre site internet. 3. Menaces : Nous n en n avons guère identifié jusqu à présent si ce n est peut-être la disparition de l Etat central Mais d après nos renseignements de bonnes sources, cette dernière est aussi hypothétique qu une crise bancaire internationale ou des tensions sur l Euro. 4. Défis pour l avenir : - Conserver et développer notre expertise. - Mener des politiques de conservation permettant de préserver les fonds. Ces derniers sont particulièrement vulnérables en raison de la mauvaise qualité du papier de guerre. - Continuer à intéresser le public et les chercheurs lorsque les célébrations du centenaire (2014-2018) seront terminées. - Trouver de nouveaux moyens financiers. - Développer les partenariats. V. Conclusion La valorisation des archives de la Première Guerre mondiale par les Archives de l Etat constitue assurément une belle réussite. Cette opération s est déroulée sur un 4
laps de temps relativement court mais a abouti à des résultats solides et patents. Il est vrai que cette politique a pu bénéficier du soutien total de l institution ainsi que de financements et de partenariats extérieurs. VI. Possibilité de collaboration entre les services d archives européens Dans le prolongement des efforts déjà effectués, il nous semble opportun de songer à la réalisation d un portail «Première Guerre mondiale» relayant sur Internet toutes les initiatives des services d archives en matière de commémoration du centenaire de la Première Guerre mondiale (2014-2021) et renvoyant vers les principaux instruments de recherche disponibles. Pierre-Alain Tallier Chef de la section «Archives contemporaines» 5