Myélome multiple des os P r Philippe Moreau Hématologie clinique, centre hospitalier universitaire, Nantes Cedex

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ref7_moreau 3/04/06 11:34 Page 763 I-10-Q166 I-00-Q000 P r Philippe Moreau Hématologie clinique, centre hospitalier universitaire, 44093 Nantes Cedex philippe.moreau@chu-nantes.fr Le myélome multiple est une prolifération clonale de plasmocytes tumoraux qui s accumulent au sein de la moelle osseuse. Il produit une immunoglobuline (Ig) monoclonale, le plus souvent IgG ou IgA, véritable marqueur tumoral (fig. 1). Il est important de connaître les circonstances de découverte et les éléments du diagnostic positif du myélome multiple. ÉPIDÉMIOLOGIE Le myélome multiple est la deuxième hémopathie maligne en nombre après les lymphomes non hodgkiniens. Il est responsable de 1 à 2 % de la mortalité par cancer en Europe et en Amérique du Nord. Son incidence moyenne annuelle est plus élevée chez les hommes que chez les femmes, 4,7 pour 100 000 et 3,2 pour 100 000 respectivement. Il est deux fois plus fréquent chez les Noirs américains. Cette hémopathie s observe rarement avant 40 ans (moins de 2 % des cas) et son incidence augmente progressivement avec l âge, quels que soient le sexe et la race. L âge moyen au diagnostic est de 70 ans. Le myélome multiple est plus rare chez les Asiatiques. Cette incidence semble relativement stable depuis 1945 dans les pays très médicalisés. En 2005, le pronostic des patients atteints de myélome multiple reste médiocre avec une médiane de survie de l ordre de 5 ans. Les cas de guérison restent exceptionnels. Moins de 5 % des patients vivent plus de 12 ans. Objectifs Diagnostiquer un myélome multiple des os. Facteurs génétiques Plusieurs cas familiaux de myélome multiple ont été décrits, mais leur fréquence est beaucoup plus faible que pour d autres lymphopathies chroniques comme la leucémie lymphoïde chronique ou la maladie de Waldenström. De même, plusieurs cas de myélome multiple ont été décrits chez des jumeaux homozygotes. Aucune association significative n a été retrouvée avec les groupes sanguins du système ABO. Il semblerait qu il existe un risque accru de myélome multiple chez les individus HLAB5 (risque relatif de 1,7) et peut-être chez les individus HLACw2, tant chez les Blancs que chez les Noirs américains. Enfin, une fréquence anormale de HLACw5 est notée dans le myélome multiple chez les Noirs américains. Pic monoclonal FACTEURS DE RISQUE Facteurs environnementaux professionnels et non professionnels L exposition aux radiations ionisantes est un facteur de risque établi. Concernant les activités professionnelles, deux facteurs de risque ont été décrits, l un lié à l agriculture, principalement à l activité de fermage ainsi qu à l utilisation des pesticides, l autre, plus discuté, est l exposition au benzène. Figure 1 Albumine Gammaglobulines Protidogramme : électrophorèse des protides sanguins. 763

ref7_moreau 3/04/06 11:34 Page 764 I-10-Q166 PHYSIOPATHOLOGIE Le myélome multiple (MM) est la conséquence d événements oncogéniques touchant la lignée lymphocytaire B au stade de plasmocyte. Parmi ces événements à l origine de la cancérisation cellulaire, certains sont des translocations impliquant, sur le chromosome 14 des plasmocytes, le gène codant la synthèse des chaînes lourdes d immunoglobulines. Ce gène transloqué peut alors être «mis en contact» avec d autres oncogènes (MM-set FGFR-3 sur le chromosome 4 translocation t[4;14] et cycline D1 sur le chromosome 11 translocation t[11;14]), induisant la malignité. L événement oncogénique à l origine de la cancérisation peut être unique «one shot», ou résulter d une succession d accidents oncogéniques «multi step». La particularité du myélome multiple est l existence dans 30 à 50 % des cas d un état prénéoplasique appelé gammapathie monoclonale apparemment bénigne ou plus logiquement de signification indéterminée (GMSI, ou MGUS, monoclonal gammapathy of undetermined significance dans la terminologie anglosaxonne). C est le suivi épidémiologique sur plus de 30 ans de patients porteurs d un pic monoclonal isolé sans autre anomalie clinique et biologique qui a montré à la fois que l incidence des MGUS augmente significativement avec l âge, et l existence d un lien étroit entre MGUS et myélome multiple. Un pourcentage significatif d individus ayant une MGUS développent un syndrome immunoprolifératif malin de type myélome multiple avec un risque de transformation maligne d environ 1 % par an. Il n existe pas, à l heure actuelle, de paramètres biocliniques permettant de distinguer les MGUS qui évolueront vers un myélome et celles qui resteront stables. Néanmoins, compte tenu du risque de transformation maligne qui persiste même 30 ans après la découverte de la MGUS, les individus qui en sont atteints doivent être surveillés toute leur vie. Tableau 1 Atteintes organiques ou tissulaires du myélome multiple Calcémie supérieure d au moins 0,25 mmol/l à la limite supérieure de la normale ou > 2,75 mmol/l Insuffisance rénale : créatinine sérique > 173 mmol/l Anémie : hémoglobine inférieure d au moins 2 g/dl à la limite inférieure de la normale ou < 10 g/dl Lésions osseuses : lésions lytiques, déminéralisation, fractures Autres : syndrome d hyperviscosité, amylose, infections bactériennes récidivantes (plus de 2 épisodes en 1 an) Dans le myélome multiple, la cellule reconnue comme cytologiquement tumorale, le plasmocyte, s accumule dans la moelle osseuse. Seul un petit compartiment de plasmocytes est en phase de synthèse d ADN (acide désoxyribonucléique) [< 2 %] responsable de la progression tumorale. L importance de ce compartiment proliférant a une grande signification pronostique. Dans 99 % des cas, le myélome multiple se présente sous forme disséminée dès le diagnostic. Les plasmocytes malins expriment tous à la surface la même chaîne lourde et/ou la même chaîne légère, et sécrètent dans le sérum une immunoglobuline toujours identique qui donne l aspect de pic monoclonal sur l électrophorèse sanguine. Ainsi, plus de 80 % des myélomes multiples produisent une immunoglobuline de type G ou A monoclonale complète, avec cependant un excès fréquent de chaînes QU EST-CE QUI PEUT TOMBER À L EXAMEN? Voici une série de questions qui, à partir d un exemple de cas clinique, pourrait concerner l item. Cette question se prête très bien à la «transversalité» recherchée dans les dossiers de l examen classant. En effet, au moment du diagnostic de myélome multiple, le patient peut avoir des manifestations variées : anémie (signes cliniques en rapport) ; manifestations infectieuses de type pneumonie à pneumocoque ou méningite à pneumocoque (signes cliniques en rapport) ; hypercalcémie (signes cliniques en rapport) ; complications osseuses, voire neurologiques de type compression médullaire (sémiologie à connaître). De plus, les éléments du diagnostic nécessitent des examens assez nombreux : hématologiques (hémogramme, myélogramme) ; biochimiques, sanguins et urinaires ; radiologiques osseux. Exemple de cas clinique Un homme de 62 ans consulte pour des douleurs rachidiennes évoluant depuis un mois. Il signale une asthénie, sans anorexie ni fièvre, et une fatigabilité à l effort. L examen retrouve une pâleur, des douleurs dorsales provoquées à la palpation des épineuses de T7 et T10. Il n y a pas d organomégalie. Quelles causes évoquez-vous? Quels examens biologiques simples prescrivez-vous pour préciser votre diagnostic? Un pic monoclonal est décelé ; quels examens complémentaires permettent de porter le diagnostic de myélome? Quelles sont les complications évolutives de cette pathologie? 764

ref7_moreau 3/04/06 11:34 Page 765 légères kappa ou lambda qui peuvent être excrétées dans les urines. Dans 14 % des cas, seules les chaînes légères sont excrétées et passent dans les urines, la chaîne lourde est alors soit produite mais non assemblée, soit non produite. Dans moins de 5 % des cas, le myélome multiple a un type immunochimique inhabituel, IgD, IgM, IgE, biclonal ou non excrétant. La croissance des plasmocytes malins est sous la dépendance de plusieurs facteurs de croissance dont principalement l interleukine 6 (IL6), qui agit par l intermédiaire d un récepteur de surface glycoprotéique (hétérodimère, association de la gp80 et de la gp130). L IL6 est sécrétée par les cellules du micro-environnement médullaire. La prolifération plasmocytaire s accompagne : d une inhibition de la lymphopoïèse B normale, avec diminution des immunoglobulines normales et donc une susceptibilité accrue vis-à-vis des infections bactériennes ; d une inhibition de l hématopoïèse normale, principalement l érythropoïèse, par un mécanisme qui vient d être élucidé (le contact entre les érythroblastes immatures et les plasmocytes tumoraux par l intermédiaire des récepteurs Fas et TRAIL entraîne une cytotoxicité sur ces précurseurs érythrocytaires et une inhibition de leur maturation) ; d une augmentation de la résorption osseuse responsable de fractures, douleurs et parfois d une hypercalcémie. Un des mécanismes de cette résorption osseuse accrue vient d être expliqué. Les plasmocytes tumoraux sont capables de stimuler, par l intermédiaire des interleukines 6 et 7, les lymphocytes T pour qu ils induisent la production d une protéine appelée RANKL (receptor activator de NF-KB ligand) qui stimule la croissance et la différenciation des précurseurs ostéoclastiques de la moelle pour les transformer en ostéoclastes à l origine de la destruction osseuse. à retenir POINTS FORTS Les circonstances de découverte sont variées et concernent surtout les patients âgés : complications osseuses, syndrome anémique, complications infectieuses à répétition, hypercalcémie, insuffisance rénale. Le diagnostic positif nécessite des examens biochimiques sanguins et urinaires (électrophorèse des protides avec pic monoclonal), hématologiques (hémogramme, myélogramme avec plasmocytose médullaire), et osseux (ostéolyse maligne). Certains patients peuvent être asymptomatiques, et la découverte est fortuite (vitesse de sédimentation accélérée, pic monoclonal). CIRCONSTANCES DE DÉCOUVERTE Le plus souvent, le myélome multiple est découvert (tableau 1) à l occasion de manifestations osseuses : douleurs rebelles non mécaniques, fractures spontanées ou tassements vertébraux, ou plus rarement une complication ostéo-neurologique (compression médullaire, véritable urgence thérapeutique). Le myélome multiple doit être évoqué devant un aspect radiologique de déminéralisation osseuse ou de lyse localisée sans reconstruction (fig. 2). Le syndrome anémique (asthénie, pâleur, tachycardie, dyspnée d effort ) peut être au premier plan et entraîner la consultation. L anémie est presque constante en phase avancée de la maladie. Une complication infectieuse, liée à la diminution de la lymphopoïèse B normale, surtout si elle est à répétition, doit attirer l attention. Le myélome multiple n est pas, classiquement, une maladie R Q 166 Figure 2 Myélome. Géode et lacunes crâniennes. 765

ref7_moreau 3/04/06 11:34 Page 766 I-10-Q166 fébrile et toute fièvre témoignent, a priori, d un état infectieux, dont le traitement est urgent. L infection est présente au diagnostic chez environ 10 % des patients. Les localisations les plus fréquentes sont pulmonaires, urinaires, oto-rhino-laryngées, voire méningées. Ces infections peuvent être septicémiques. Les infections sont surtout bactériennes, Streptococcus pneumoniæ, Staphylococcus aureus, les bacilles à Gram négatif étant des germes fréquemment retrouvés. L hypercalcémie (ou une autre complication métabolique comme l insuffisance rénale) peut être révélatrice : anorexie, constipation initiale, puis nausées, voire vomissements, polyuropolydypsie, asthénie psychique, céphalées, voire troubles de la conscience, et tachycardie avec risque de troubles du rythme. Au diagnostic, environ 20 % des patients ont une créatininémie 20 mg/l, mais la moitié ont une clairance anormale et 5 % doivent recourir à l hémodialyse. L insuffisance rénale, fréquemment associée à une masse tumorale importante, est multifactorielle, l excrétion avec précipitation de chaînes légères (néphropathie tubulointerstitielle) et l hypercalcémie étant les facteurs majeurs (autre causes : hyperuricémie, infection, amylose), celle-ci pouvant être majorée par l anémie ou par un épisode de déshydratation. Les tuméfactions des organes hématopoïétiques sont rares, comme l atteinte d autres organes par une prolifération plasmocytaire tumorale (localisations neuro-méningées, pleurales, cutanéomuqueuses, parfois présentes en phase terminale, ou osseuse isolée [plasmocytomes]). Figure 3 Plasmocytes tumoraux sur frottis de myélogramme. Un syndrome d hyperviscosité par hyperprotidémie est rare, associant troubles de la vigilance, vertiges, acouphènes, phosphènes. L amylose compliquant le myélome multiple est rare. À l inverse, certains patients sont asymptomatiques (20 à 30 % des cas) et la découverte est fortuite, suspectée devant une accélération de la vitesse de sédimentation (examen largement pratiqué en routine) en rapport avec le pic monoclonal sérique, ou la découverte d un pic sur l électrophorèse, une protéinurie liée à l excrétion de chaînes légères par le rein. Tableau 2 Bilan initial Tableau 3 Critères de myélome du groupe SWOG Antécédents, histoire de la maladie, examen clinique Hémogramme :.................................... anémie? Myélogramme avec étude cytogénétique..................... pourcentage de plasmocytes? Créatinine sérique/calcémie Électrophorèse des protéines sériques et immunofixation......................... mise en évidence d un pic monoclonal puis caractérisation de son isotype : G, A ; lambda ou kappa Dosage pondéral des immunoglobulines........................... baisse des Ig normales Électrophorèse des protéines urinaires et immunofixation, protéinurie des 24 heures :...................... mise en évidence des chaînes légères monoclonales, caractérisation de l isotype Dosage des chaînes légères libres dans le sérum, si possible Bilan radiologique de l ensemble du squelette axial et des os longs, parfois complété par une IRM. La scintigraphie osseuse n est pas un bon examen Bêta2-microglobuline sérique (β2-m), albuminémie, protéine C réactive (CRP) et lactico-déshydrogénase (LDH), reflet de la masse tumorale Critères majeurs I : Plasmocytome sur biopsie tissulaire II : Plasmocytose médullaire supérieure à 30 % III : Composant monoclonal supérieur à 35 g/l s il s agit d une IgG supérieur à 20 g/l s il s agit d une IgA supérieur ou égal à 1 g/24 h s il s agit de l excrétion urinaire de chaîne lambda ou kappa en l absence d amylose Critères mineurs a : Plasmocytose médullaire comprise entre 10 et 30 % b : Pic monoclonal présent, mais de niveau inférieur à III c : Lésions osseuses lytiques d : Baisse des autres immunoglobulines : IgM < 0,5g/L, IgA < 1g/L, IgG < 6g/L Le diagnostic est confirmé, si sont associés au moins un critère majeur + un critère mineur, ou 3 critères mineurs dont au moins a + b 1 - I + b, I + d (I + a non suffisant) 2 - II + b, II + c, II + d 3 - III + a, III + c, III + d 4 - a + b + c, a + b + d 766

ref7_moreau 3/04/06 11:34 Page 767 DIAGNOSTIC POSITIF Tableau 5 Facteurs de mauvais pronostic Devant une suspicion de myélome multiple, un bilan hématologique, osseux et biochimique confirme le diagnostic (tableau 1). Les éléments essentiels du bilan sont présentés dans le tableau 2. Au terme de ce bilan, le diagnostic de myélome multiple est confirmé. Il associe l existence d une plasmocytose médullaire (fig. 3) à une protéine monoclonale dans le sérum et/ou les urines avec ou sans lésions osseuses lytiques. La plupart des équipes utilisent les critères définis par le groupe coopérateur SWOG pour affirmer le diagnostic de myélome multiple (tableau 3). L évaluation de la masse tumorale a été établie par Durie et Salmon en 1975. Ils distinguent trois stades de myélome multiple au potentiel évolutif croissant. Cette classification est largement utilisée sur le plan international (tableau 4). FACTEURS PRONOSTIQUES L appréciation du pronostic est indispensable dès la prise en charge du patient, pour mieux l informer, pour orienter les choix thérapeutiques et pour comparer l efficacité des différents traitements. La recherche de nouveaux facteurs pronostiques révèle aussi l hétérogénéité du myélome multiple, ce qui mène à parler désormais des myélomes plutôt que du myélome ; on identifie Tableau 4 Classification de Durie et Salmon* Stade I - Myélome de faible masse tumorale (< 0,6.10 12 cellules/m 2 ) Tous les critères suivants sont présents : 1 : hémoglobine > 100g/L 2 : calcémie < 120 mg/l (3 mmol/l) 3 : absence de lésion osseuse, ou un plasmocytome osseux 4 : taux d Ig monoclonale faible : IgG < 50g/L IgA < 30g/L BJ urines < 4 g/24 h Stade II - Myélome en masse tumorale intermédiaire (entre 0,6 et 1,2 x 10 12 cellules/m 2 ) Ne répond pas à la définition ni du stade I ni du stade III. Stade III - Myélome de forte masse tumorale (> 1,2 x 10 12 cellules/m 2 ) 1 : hémoglobine < 85g/L 2 : calcémie > 120 mg/l (3 mmol/l) 3 : lésions osseuses multiples 4 : taux élevé d Ig monoclonale : IgG > 70 g/l IgA > 50 g/l BJ urines > 12 g/24h Sous-classification stade A : fonction rénale préservée (créatininémie < 20 mg/l) stade B : insuffisance rénale (créatininémie > 20 mg/l) * : Cancer 1975;36:842. Liés à l hôte Liés à la tumeur masse tumorale malignité intrinsèque Traitement âge élevé β2-m sérique élevée hémoglobine basse*/thrombocytopénie calcémie élevée* lésions lytiques étendues* créatinine sérique élevée* plasmocytose médullaire élevée Anomalies chromosomiques** t(4;14), del(17p), -13/13q-, hypodiploïdie Albumine sérique basse CRP élevée LDH élevée index cinétique de phase S élevé** cytologie plasmablastique = immature** Chimiorésistance * paramètres pris en compte dans la classification historique de Durie et Salmon. ** analyses réservées à des laboratoires spécialisés. diverses entités clinico-biologiques (liant p. ex. un aspect cytologique, une anomalie chromosomique, une présentation clinique et un pronostic). Plusieurs dizaines de facteurs pronostiques ont été décrits, mais assez peu sont utilisés en pratique courante. On distingue les facteurs liés à l hôte et ceux liés à la tumeur (facteurs de masse tumorale et facteurs de malignité intrinsèque [notion de temps différents pour constituer une masse tumorale donnée]). La chimiosensibilité de la tumeur est un facteur pronostique important qui n est pas connu au moment du diagnostic. Les principaux facteurs de mauvais pronostic sont décrits dans le tableau 5. La bêta2-microglobuline (β2m) est un facteur pronostique essentiel, quel que soit le traitement mis en place : son élévation est associée à une masse tumorale importante et à une survie plus courte, qu elle soit considérée comme une variable linéaire ou à différents seuils (les données publiées font état de seuils variables, entre 2,5 et 10 mg/l). La valeur pronostique de la β2m est discriminante dans les deux années suivant le diagnostic. Des modèles pronostiques robustes sont obtenus qui associent la β2m à d autres paramètres tels que l albumine sérique (comme cela est fait dans le récent index pronostique international [IPI]), la protéine C réactive (CRP) ou les anomalies chromosomiques. La classification historique de Durie et Salmon (tableau 4) a une valeur pronostique inférieure à celle de la β2m, des anomalies chromosomiques et de l IPI (tableau 6). La technique d hybridation in situ en fluorescence (FISH, fluorescence in-situ hybridization) permet maintenant de mettre en évidence des anomalies chromosomiques du clone tumoral, fréquentes et souvent complexes, dont l importance pronostique est croissante. La translocation t(4;14) (p16;q32), la délétion 17p R Q 166 767

ref7_moreau 3/04/06 11:34 Page 768 I-10-Q166 Tableau 6 Index pronostique international (IPI) STADE CRITÈRE SURVIE MÉDIANE I β2m < 3,5 mg/l et albumine 35g/L 62 mois II β2m < 3,5 mg/l et albumine < 35g/L 44 mois ou β2m 3,5 mg/l et < 5,5mg/L III β2m 5,5 mg/l 29 mois [del(17p)] et, dans une moindre mesure, la délétion totale ou partielle du chromosome 13 (-13/13q-) ont un impact négatif sur la survie sans progression et sur la survie. À terme, l IPI va remplacer la classification de Durie et Salmon ; il tient compte de deux facteurs sériques facilement mesurables en routine, la β2m et l albumine (tableau 6). L IPI est validé aussi bien pour la chimiothérapie conventionnelle que pour le traitement intensif avec autogreffe de cellules souches hématopoïétiques. Un index de prolifération élevé du clone malin (index de phase S) est également un facteur de mauvais pronostic. Une nouvelle méthode de dosage des chaînes légères libres dans le sérum vient d être mise au point, qui pourrait, dans une certaine mesure, remplacer le dosage de l immunoglobuline monoclonale, avec une sensibilité plus importante ; elle permettrait de suivre de manière plus fiable certains myélomes multiples, en particulier ceux à chaînes légères. Outre les facteurs pronostiques de survie du myélome multiple symptomatique, il faut évoquer les facteurs de progression des myélomes asymptomatiques. À ce jour, 20 à 30 % des patients sont diagnostiqués alors qu ils n ont aucun symptôme ; ils évolueront tous vers une forme symptomatique. Une plasmocytose médullaire et un composant monoclonal plutôt élevés, une anémie, l existence d une lésion osseuse, des anomalies osseuses identifiées par l imagerie par résonance magnétique (IRM) sont, en pratique, les éléments associés à un temps de progression court. MINI TEST DE LECTURE A / VRAI OU FAUX? 1 Le myélome est fréquent avant 50 ans. 1 Une compression médullaire peut être révélatrice d un myélome. 1 Les douleurs rachidiennes du myélome sont de type mécanique. 1 Le myélome expose les patients à un risque d infection pulmonaire à pneumocoque. B / VRAI OU FAUX? 1 Le taux de bêta2-microglobuline est un facteur pronostique important. 1 Le myélogramme est obligatoire pour le diagnostic de myélome. 1 Certains patients ayant un myélome sont asymptomatiques. 1 Le dosage de la calcémie est obligatoire au moment du diagnostic d un myélome. C / QCM Parmi les manifestations suivantes lesquelles peuvent-elles révéler un myélome? 1 Fracture spontanée de l humérus. 2 Hypertension intracrânienne. 3 Hépatosplénomégalie. 4 Syndrome anémique. 5 Infections ORL à répétitions. Réponses : A : F, V, F, V / B : V, V, V, V / C : 1, 4, 5. Retrouvez LA REVUE DU PRATICIEN sur son site internet www.33docpro.com 768