SECURITE ALIMENTAIRE ET IMPLICATIONS HUMANITAIRES EN AFRIQUE DE L OUEST ET AU SAHEL Avril 2012 L'Essentiel Au Mali, la situation alimentaire, déjà critique avant la prise du Nord par la rébellion, reste très incertaine Risque de détérioration en insécurité alimentaire extrême au Tchad et en Mauritanie d ici juin si aucune réponse adéquate et suffisante n y est apportée Les prix des céréales sont en hausse au Burkina Faso, au Mali, au Niger et au Tchad La situation pastorale continue à se détériorer dans la plupart des pays du Sahel C onfirmation de la sévérité de la crise agropastorale sahélienne La réunion du Réseau de Prévention des Crises Alimentaires (RPCA) organisée par le CILSS et l OCDE à Paris les 12 et 13 avril 2012, a réitéré les difficultés auxquelles font face les pays sahéliens cette année¹: productions céréalières fortement en baisse en Gambie (baisse de 56% par rapport à 2010 2011 et de 40% par rapport à 2006 2010), au Tchad (49%/22%), au Sénégal (36%/21%), au Niger (31%/14%), en Mauritanie (34%/10%) et au Burkina Faso (20%/5%), mais aussi situation pastorale très précaire dans beaucoup de régions en raison de la rareté du tapis herbacé et du faible niveau de remplissage des points d eau. Figure 1 : Insécurité alimentaire en Afrique de l Ouest : situation courante en mars et projection pour juin 2012 Les membres du RPCA ont également avalisé les résultats de l analyse régionale de la sécurité alimentaire dans les pays du Sahel (figure 1) faite à Niamey du 2 au 6 avril 2012 par la cellule d analyse du Cadre Harmonisé (CILSS, FAO, FEWS NET, IPC-GSU², PAM, ACF, OXFAM et Save the Children). Cette analyse consensuelle prévoit l apparition de situations d insécurité alimentaire extrême localisées (phase 4) au Tchad, au Mali et en Mauritanie d ici juin si aucune réponse adéquate et suffisante n y est apportée. Les conflits actuels au Mali expliquent en grande partie les difficultés extrêmes rencontrées par les ménages (voir page 2), et au nord du Tchad les ménages doivent faire face à des baisses de revenus importantes, à une absence de réserves alimentaires et à une situation pastorale très compromise. En Mauritanie, les zones menacées d insécurité alimentaire extrême subissent la pression de l afflux des réfugiés 1 : http://food-security.net//medias/file/rpca_communique_finamars2012_fr.pdf 2 : IPC Global Support Unit Sources : CILSS, FAO, FEWS NET, IPC-GSU, PAM, ACF, OXFAM et Save the Children Objectif : Dans le cadre des réunions mensuelles du Groupe Régional de Travail Sécurité Alimentaire et Nutrition pour l Afrique de l Ouest, dans une perspective humanitaire, le PAM et la FAO informent grâce à ce document le groupe sur les faits saillants de la sécurité alimentaire du mois écoulé. 1
C onfirmation de la sévérité de la crise agropastorale sahélienne Sahel (suite) maliens et de leurs animaux dans un environnement sécuritaire instable. D ici juin, des situations d insécurité alimentaire critique (Phase 3) sont prévues dans tous les pays du Sahel. Concernant la situation acridienne, les éclosions de deuxième génération ont commencé fin mars et début avril dans le sudouest de la Libye et le sud-est de l Algérie, où une résurgence du criquet pèlerin est en cours. Cela peut entraîner une augmentation significative des effectifs acridiens des deux côtés de la frontière et conduire à une situation potentiellement dangereuse durant laquelle des essaims pourraient se former et envahir le nord du Sahel de l Afrique de l Ouest (Mali et Niger) au début de l été et affecter cultures et pâturages. CRISE MALIENNE plus de 280 000 personnes déplacées situation alimentaire critique Le conflit au Mali se poursuit et le Nord du pays est sous contrôle des groupes armés anti-gouvernementaux depuis la prise des villes de Kidal, Gao et Tombouctou. La situation alimentaire du nord du pays était déjà jugée préoccupante avant la prise des trois capitales régionales par les rebelles. Des pillages à grande échelle des stocks de vivres publiques, privées et humanitaires y ont été rapportés mais peu d informations précisent si les possibles mécanismes de redistribution solidaires ont été mis en œuvre par les nouvelles autorités. Des rapports provenant de sources locales à Kidal, indiquent que la vie quotidienne devient de plus en plus difficile pour les populations. Les saccages et pillages se poursuivent. Par ailleurs, les stocks de nourriture présents dans les villes (parmi lesquels ceux de la communauté humanitaire et du gouvernement qui ont été pillées) se réduisent progressivement. De plus, il y a un manque de personnel médical et hospitalier pour assister les populations. Les banques restent fermées, limitant fortement l'accès aux liquidités. Des rapports similaires émanent de Gao. La situation des populations touchées dans le Nord est de plus en plus préoccupante et l'accès par la communauté humanitaire aux populations les plus vulnérables est absolument essentiel. La situation risque de se dégrader rapidement dans les zones qui souffriront pendant plusieurs semaines d absence d approvisionnement. On rapporte déjà une situation de pénurie de certaines denrées essentielles sur les marchés de Gao et Tombouctou. A Tombouctou, des manifestations ont été organisées le 20 avril contre la détérioration des conditions de vie. Dans la région de Kidal, l approvisionnement en denrées alimentaires se poursuit tant bien que mal à partir de l Algérie. La situation est différente à Mopti où les autorités locales sont de retour et où les banques commencent à rouvrir. Selon le CICR, les populations au Nord ont aussi de grandes difficultés à accéder à l eau ce qui augmente les craintes d une détérioration importante des conditions de santé des populations. Pour ce qui est des éleveurs du Nord, les conditions générales de l élevage sont moyennes dans l ensemble. Tout comme le circuit des marchés, le mouvement des troupeaux se trouve perturbé par les hostilités dans les régions nord du pays où les populations n ont plus le choix des zones de pâture. Selon OCHA, le nombre de personnes déplacées par le conflit a atteint au moins 283 000 personnes (au 23 avril) dont plus de 160 000 hors du pays, pour l essentiel en Mauritanie (environ 700 arrivants par jour), au Burkina Faso et au Niger où les réfugiés arrivent dans des régions qui figuraient déjà parmi les plus exposées à l insécurité alimentaire. A l intérieur du Mali, les chiffres officiels donnés le 12 mars ont perdu tout sens après l offensive éclair de la rébellion fin mars qui a poussé nombre de personnes à fuir le Nord. Selon l Assemblée nationale du Mali le 13 avril, le chiffre de déplacés internes s élèverait à 200 000 personnes, chiffre utilisé par le PAM pour sa planification. De sources humanitaires (ONG), on rapporte qu une partie de la population de Gao s est réfugiée dans les villages alentours où l accessibilité alimentaire des populations reste inconnue. Avril 2012 - Note Conjointe FAO-PAM 2
Jan-06 Oct-06 Jul-07 Apr-08 Jan-09 Oct-09 Jul-10 Apr-11 Jan-12 FCFA/100kg S tabilité de l'indice FAO des prix des produits alimentaires en mars L Indice FAO des prix des aliments (figure 2) a atteint 216 points en moyenne en mars 2012, valeur pratiquement identique à celle de février (215). Parmi les différents groupes de produits, seules les huiles affichent des prix vigoureux, qui compensent ainsi la baisse des cours des produits laitiers. Les prix des céréales, du sucre et de la viande se sont globalement maintenus par rapport au mois précédent. Les prix du blé n ont guère varié, les approvisionnements restant abondants. Après plusieurs mois de baisse, on observe une certaine reprise des cours du riz en mars, soutenue par d importants achats de la part de la Chine et du Nigéria. Figure 2 : Indice FAO des prix des produits alimentaires Source : FAO P rix des céréales au Sahel : hausses au Burkina Faso, Mali, Niger et Tchad S agissant de l évolution du marché des produits agroalimentaires, la réunion du RPCA a indiqué que les prix restent à un niveau élevé ne permettant pas aux populations vulnérables d accéder aux aliments. Les principaux flux céréaliers sont entravés par les tracasseries routières qui se sont multipliées suite au renforcement des contrôles aux frontières. Aussi, les troubles sociaux et politiques dans la bande sahélienne, notamment au Mali, et leurs conséquences continuent de perturber le fonctionnement des marchés (figure 3). Courant avril 2012, les prix des céréales sèches, déjà à un niveau élevé comparé au mois passé, connaissent une hausse dans trois pays du Sahel : Burkina Faso, Niger et Mali. A titre illustratif, la figure 4 montre une tendance à la hausse du prix du mil dans ces trois pays courant avril 2012. Cette hausse des prix des céréales sèches s explique par une forte demande et un faible niveau d approvisionnement des marchés par endroits. Figure 3 : Zones à difficulté d approvisionnement en céréales au Sahel Figure 3 : Zones à difficulté d approvisionnement en céréales au Sahel 3 Avril 2012 - Note Conjointe FAO-PAM Figure 4 : Evolution du prix du mil au Burkina Faso (Dori Ouagadougou), Mali (Bamako, Kayes) et Niger (Niamey, Maradi) Source : FAO/GIEWS 30000 25000 20000 15000 10000 5000 0 Niamey Maradi Dori Ouagadougou Bamako Kayes Au Niger, comparé à mars 2012, les hausses les plus significatives s observent à Maradi (mil: +7% et maïs : +5%), à Dosso (+5% pour le sorgho et le maïs) et à Niamey (mil : +7% et sorgho +8%). Le prix du mil à Niamey et à Maradi montre une hausse respective de 28% et 47% comparé à la moyenne quinquennale, et de 7% et 36% comparé à avril 2011. Source : PAM Au Burkina Faso, comparé à mars 2012, les hausses les plus significatives s observent à Bobo Dioulasso pour le mil et le sorgho (respectivement de 20% et 26%) et à Kossi pour le mil et le sorgho (respectivement de 21% et 26%). Le prix du mil à Ouagadougou a également connu une hausse significative de 83% comparé à avril 2011 et de 91% comparé à la moyenne quinquennale. Au Mali, comparé à mars 2012, les hausses les plus significatives s observent surtout pour le mil à Bamako, Sikasso et Ségou respectivement de 23%, 16% et 14%. Le prix du mil à Bamako a connu une hausse de 100% à comparé à avril 2011, et de 104% comparé à la moyenne quinquennale.
P rix des céréales au Sahel : hausses au Burkina Faso, Mali, Niger et au Tchad (suite) Concernant les termes de l échange au Niger, on enregistre courant mars 2012 un niveau de dégradation important (-50%) (bouc/mil) comparé en 2011, mais faible par rapport à la moyenne quinquennale (-9%). Cette dégradation des termes de l échange est surtout liée à la hausse continue des prix du mil sur le marché d Abalak (hausse du prix du mil de 55% par rapport à mars 2011 et de 29% comparé à la moyenne quinquennale). Figure 5 : Termes de l échange bouc/mil sur le marché d Abalak Toutefois, il faut noter que les termes de l échange restent favorables aux éleveurs comparés à 2005 (figure 5). Au Mali, avec l occupation des centres villes des villes du Nord, les marchés à bétail ne sont plus fonctionnels. Il faut ajouter que, courant mars 2012, sur le marché d Agadez, les termes de l échange continuent à être défavorables aux producteurs d oignon qui ont porté beaucoup d espoir sur cette culture. La dégradation des termes de l échange (oignon/mil) est de -62% comparé à mars 2011 contre -51% par rapport à la moyenne quinquennale. A titre illustratif, un producteur qui vend 1 sac de 100 kg d oignon reçoit 79 kg de mil en mars 2012, contre 206 kg à la même période en 2011. En mars 2012, la situation des termes de l échange reste défavorable aux éleveurs tchadiens surtout ceux de la bande sahélienne. A Mao, par exemple, un éleveur reçoit 88 kg de mil en vendant son mouton contre 98 kg en mars 2011. I mpact sur la sécurité alimentaire la soudure déjà installée au Sahel Les résultats de l analyse régionale de la sécurité alimentaire dans les pays du Sahel menée par la cellule d analyse du Cadre Harmonisé (CILSS, FAO, FEWS NET, IPC-GSU, PAM, ACF, OXFAM et Save the Children) a fait ressortir les principaux facteurs contribuant à la sécurité alimentaire des ménages dans chaque pays. Cette analyse est présentée ci-dessous (sauf pour le Mali, voir page 2), complétée par de récents éléments d analyse de nos partenaires : Mauritanie : la baisse de 34% de la production agricole est un facteur important pour considérer la situation alimentaire du pays mais n est pas le plus déterminant. Les conditions pastorales défavorables, la hausse des prix et l arrivée continue de réfugiés maliens (plus de 56 167 au 23 avril) constituent les raisons principales des difficultés alimentaires des ménages. Sénégal : le Gouvernement a lancé un appel d urgence le 17 avril face à la sévérité de la situation dans certaines régions (Matam, Tambacounda, Casamance) où les ménages agropastoraux font face à des pertes de revenus importantes (baisse de production de l arachide et des céréales, baisse des termes de l échange pour les éleveurs). Bien que certains ménages profitent des prix élevés des cultures de rente, beaucoup s engagent dans des mécanismes d adaptation de courte durée qui ne pourront pallier au faible soutien dont ont bénéficié les populations vulnérables jusqu à présent. Burkina Faso : à la suite de sa visite au nord du pays le 15 avril, le Premier Ministre a déclaré la situation «hautement préoccupante et urgente». Plus de 46 000 réfugiés ajoutent une pression constante dans la Région Sahel sur les faibles ressources en pâturages et sur les marchés. L accès aux denrées de base est très compromis par des prix de céréales record. Selon Action contre la Faim, dans la Gnagna et la Tapoa les ménages ont déjà recours aux aliments de soudure et ne possèdent plus de stocks alimentaires. Sur certains marchés, un bouc ne fournit même plus un sac de 100 kg de céréales compromettant encore plus l accès des pastoraux à une alimentation adéquate. Niger : l ouest du pays subit les conséquences du conflit malien avec l installation de plus de 39 400 réfugiés dans des communautés déjà vulnérables (OCHA/UNHCR). Malgré une bonne contre-saison dans certaines régions et une reprise du commerce avec le Nigéria, l accès de ménages à une bonne alimentation est difficile : baisse des revenus de l élevage, mauvais approvisionnement de certains marchés, prix élevés, crise de l oignon, baisse du commerce avec les pays voisins, mauvaises conditions du bétail ; tous ces facteurs réduisent les revenus disponibles pour l alimentation. Tchad : la réponse se fait tardive pour aider les ménages vulnérables surtout dans les provinces sahéliennes du pays. Les ménages pastoraux sont les plus affectés par le manque de pâturages. Une contre saison moyenne à bonne permet à certains ménages d avoir accès à des céréales encore très chères sur les marchés. La reprise timide des échanges avec le Nigéria et la perturbation des échanges avec le Soudan ne viennent pas améliorer l approvisionnement sur les marchés. La forte concurrence pour la main d œuvre des travaux journaliers ne permet pas à tous les migrants partis du nord du pays de trouver un travail bien rémunéré. Les termes de l échange sont en baisse et, sans soutien, la soudure a déjà commencé pour une partie importante du pays. Avril 2012 - Note Conjointe FAO-PAM 4
Recommandations au groupe de travail régional sécurité alimentaire et nutrition Mesures Partager et consolider les informations sur la sécurité alimentaire au nord du Mali Mettre en œuvre l analyse des marchés dans le bassin central Mettre à jour l analyse conjointe régionale CILSS/FAO/IPC-GSU/PAM/FEWS/ACF/Oxfam/SCF Avantages Les décideurs du secteur peuvent développer une stratégie de plaidoyer et d intervention pertinente pour les ménages les plus vulnérables Les parties prenantes prennent les décisions adéquates pour faciliter la disponibilité et l accessibilité alimentaire dans le bassin central Les zones les plus affectées sont précisées et les partenaires possèdent les informations nécessaires pour les interventions de soudure Soutenir le Burkina Faso, le Mali et la Mauritanie dans l élaboration de leur appel humanitaire Les parties prenantes sont informés des besoins humanitaires dans les trois pays Conclusions La situation au Mali est très préoccupante et risque de se dégrader rapidement dans certaines zones du Nord faute d approvisionnement. Dans les autres pays, la situation est précaire pour les zones subissant le contre-choc des événements maliens et notamment l afflux de réfugiés. Dans tout le Sahel, les agriculteurs, les pasteurs et les agro-pasteurs de la bande sahélienne restent les populations les plus vulnérables et dans le besoin alors que l aide tarde à venir et à se mettre en place. Les marchés restent très volatiles surtout au Mali et au Burkina Faso avec des prix records pour les céréales. L accès à une alimentation adéquate des ménages les plus vulnérables continuera à se détériorer davantage. @ Informations sur la sécurité alimentaire en Afrique de l Ouest www.wfp.org/food-security Mme Naouar Labidi Naouar.Labidi@wfp.org M. Idrissa Noma Idrissa.Noma@wfp.org M. Cédric Charpentier Cedric.charpentier@wfp.org www.fao.org/emergencies/fr www.fao.org/crisis/sahel/thesahel-crisis/fr/ M. Jose Luis Fernandez Joseluis.Fernandez@fao.org M. Patrick David Patrick.David@fao.org M. Pape Boubacar Soumaré PapaBoubacar.Soumare@fao.org