Mappe du monde nouveau Hommage à Edgar Morin



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Professeur de Sociologie de la connaissance Dipartimento di Studi Politici e Sociali Università degli Studi di Parma - Italia Mappe du monde nouveau Au bout de cette phrase, la pluie commencera. Au bord de la pluie, une voile. Doucement, la voile perdra de vue les îles; dans une brume, la fois dans les ports s en ira d une race entière. La guerre de dix ans est finie. La chevelure d Hélène, un gris nuage. Troie, un blanc amas de cendre chez la mer pleuvinant. Synergies Monde n 4-2008 pp. 193-197 Les gouttes se tendent comme les cordes d une harpe. Un homme aux yeux nuageux ramasse la pluie et pince le premier vers de l Odyssée. 1. Chaque fois que je lis ce poème de Derek Walcott, intitulé Map of the new world (Archipelagos), je pense à Edgar Morin. Et je lui rend grâce dans mon coeur, car ses idées surprenantes et courageuses font partie, en profondeur, de l étonnement que j éprouve à chaque lecture. Chacune d elles, en effet, nourrit les brèches imprévues que ce poème sait ouvrir dans les bastions de nos idées les plus habituelles et prévisibles. (C est sans doute cet étonnement qui m amène, moi Italien, au geste imprudent de traduire des vers anglais en français, comme je viens de le faire). Il y a surtout deux images qui émergent du courant visionnaire du poème, dont je rends grâce à cet infatigable ramasseur de pluie qu est mon Maître et Ami Edgar. La première, c est l image du nouveau commencement: le sentiment prophétique de résistance nécessaire et de rédemption toujours possible qu Edgar sait transmettre, contagieux, même face aux événements les plus terribles et tragiques de notre vie et de notre histoire la foi dans les ports d une race entière perdue dans le brouillard. Qui n a pas ressenti, au long de ces dernières décennies, un dépaysement généré par la perte de tout point fixe? Qui, de plus, ne s est pas senti plongé dans la fausse alternative, paralysant le goût de re-partir, entre la tentation hyper-moderniste de garder la primauté de 193

Synergies Monde n 4-2008 pp. 193-197 quelque port indubitable (idéologique, scientifique, étatique, économique), et la tentation post-moderniste d abandonner toute ambition d aventure grande, tout projet de mappe d un monde nouveau? La deuxième, c est l image de l âge planétaire comme condition humaine qu il s agit de réaliser en pariant sur la connaissance inconnue, la connaissance que nous ne connaissons pas l Odyssée dont personne n a encore pincé le premier vers. Non pas, donc, en adorant la connaissance que nous allons cumuler, telle qu elle apparaît aux yeux des plus raisonnables, comme fondement prouvé sur lequel appuyer nos prévisions et nos programmes d action. Privé de la vision irraisonnable que seulement des yeux nuageux peuvent concevoir, ce fondement prouvé ne serait-il qu un résidu de matière inerte un blanc amas de cendre. Nous devrons apprendre à chanter, poétiquement le monde nouveau, un vers après l autre, au jour le jour, pour avoir la chance d en tracer en même temps, prosaïquement, quelque mappe, et de l habiter, ce monde, avec sagesse: prosaïquement et poétiquement nous habiterons la Terre (Morin, 1997). 2. Ces deux images, d ailleurs, ne sont que les deux faces de la même médaille, une étrange médaille à plusieurs faces interconnectées: la vision morinienne de complexité. La complexité, donc (v. les 6 tomes de La méthode), non seulement comme réseau cohérent de critères analytiques pour mieux décrire le monde dans lequel nous vivons, comme trop souvent on l a interprétée de façon encore réductrice, encore confiante dans les vertus du pilotage unilatéral de la nature et de la société seulement plus flexible, en vertu d une mathématisation plus sophistiquée; mais la complexité aussi (sans oublier, naturellement, l indispensable travail analytique et méthodique), comme mission poétique, comme aventure de la pensée humaine en cette époque de planétarisation. La complexité comme action vers et dans ce monde en métamorphose incessante qui a commencé à exister géo-politiquement en 1492, par la découverte de l Amérique bien que, à partir d un noyau d idées anticipatrices nées bien avant, elle soit déjà apparue au coeur de la Méditerranée. La complexité comme action réflexive et écologique, qui se reconnaît partie créatrice de ce monde d interactions toujours plus grand et surprenant, enracinée dans les communautés de nerfs et de cerveaux, dans les réseaux d habitudes, de passions et d institutions, dans les relations sociales, les mythes, les rites et les autres mystères que nous sommes, pour le bien et pour le mal (Morin, 1972). Pour le mal aussi, faut-il insister? Il est trop facile, en effet, de maudire les prix inacceptables que nous imposent les processus de planétarisation, en les connotant comme des prix entièrement évitables, dont la responsabilité devrait être chargée sur les épaules de quelque mauvaise super-puissance externe à nos corps, à nos âmes, à nos intentions toujours bonnes: les épaules du capitalisme, du colonialisme, de l étatisme, du patriarcat machiste, de l universalisme qui supprimeraient les différences etc. Trop facile, et simpliste. Pire: collusif avec notre part maudite, avec notre besoin vital d un bouc émissaire à sacrifier. 194

3. On peut voir à l oeuvre cette tentation d expulser de soi le mal même de la planétarisation à l intérieur du mouvement no-global de nos jours, qui représente d ailleurs une formidable source de planétarisation et de globalisation à la fois. De nos jours, même littéralement, car je suis en train d écrire ces lignes pendant qu on essaye de tirer le bilan des complexes événements de Gênes à l occasion du G8: le rituel démonstratif des Huit Grands de la planète et la contre-démonstration du mouvement no-global un mouvement bien plus ample, et même plus capable d universalité, je crois, que celui de Seattle (un seul indicateur de cette différence: la prise de parole de Jean Paul II). Les deux démonstrations, donc, et ensuite, d un coup, l explosion de violence apocalyptique (justifiée, comme toujours, par la prétendue bonne intention de dé-masquer la violence cachée des super-puissants: v. Morin, 1981), avec la contre-explosion chilienne de quelques secteurs de l appareil policier italien, déchaînée par un mélange inattendu d actions intentionnelles et inintentionnelles: erreurs stratégiques (l obsession de garantir le travail des Huit plus que l expression des opposants); réactions paniques d agents laissés sans orientation (comme dans l épisode où Carlo Giuliani a perdu sa jeune vie); ressentiments fascistes, réveillés après un long sommeil par la récente prise du gouvernement italien par des forces politiques de droite animées par un fort sentiment de revanche sur le plan national, par une faible sensibilité européiste, et par l ouverte adhésion idéologique aux tendances globalistes les plus néolibérales ce qui, d évidence, a favorisé les erreurs stratégiques en matière d ordre public. Les réflexions sur ce tourbillon qui a incendié Gênes, la belle ville où est né le découvreur de l Amérique, n en sont qu à leur début, du moins faut-il l espérer, et avec elles les enquêtes sur les responsabilités politiques et judiciaires des explosions de violence. Souhaitons-nous être en mesure de voir notre état d aveuglement face à la super-puissance diabolique des cercles vicieux de la violence, bien plus forts que l idiotie inacceptable des épisodes emergeant à la surface de la chronique? Si nous nous laissons aveugler par la tentation réductrice qui nous suggère de charger sur les épaules de quelque mauvaise intention ennemie ( apocalyptique ou policière ) la responsabilité de toute violence; en d autre termes, si nous ne sommes pas capables d intérioriser le mal de ce complexe tourbillon socio-culturel, de nous y reconnaître, d en admettre la superpuissance, tout en gardant en même temps irraisonnablement la promesse civilisatrice de n en être jamais plus possédés, nous ne serons pas capables non plus d interrompre le cercle banal des violences, des revanches et des boucs émissaires, comme Dostoievski, homme aux yeux nuageux, si cher à Edgar, nous l a déjà montré il y a bien longtemps. 4. Si nous ne sommes pas capables d intérioriser le mal de la planétarisation, nous n en saurons pas reconnaître le bien. Nous n en saurons pas reconnaître, nous apprend Edgar, l ambivalence radicale: d une part la mise en communication des fragments de l humanité qui s ignorent les uns les autres et leur ouverture 195

Synergies Monde n 4-2008 pp. 193-197 sur l universel; d autre part la prédation, la domination et la mort (Morin, 1997). C est cette ambivalence créatrice qui seule nous permet da parier, raisonnablement et irraisonnablement, sur l inversion du cercle vicieux des violences, des revanches et des boucs émissaires. Cette ambivalence n est pas suspendue au processus qu au cours des années 90 nous avons appelé globalisation, qui concerne la mondialisation du système économique libéral après la chute du mur de Berlin, et que nous risquons aujourd hui, en exaltant sa super-puissance (que ce soit pour la célébrer ou pour la condamner), de décrire comme une réalité plus importante que le méta-processus de planétarisation anthropologique dont il fait partie. Le risque que nous courons, en exaltant un mot-clé de pertinence sub-systémique (économique) et de portée temporelle limitée (une décennie), est celui d unidimensionaliser et de resteindre dans le temps le problème historique fondamental auquel sont confrontés tous les Terriens (Morin, ibidem). C est le même risque, d ailleurs, nous devrions bien le savoir, que déjà Marx avait manqué de considérer, et qu aujourd hui, dans un des textes no-global les plus connus, Edgar le fait bien observer (ibidem): le manifeste Pour l humanité et contre le néolibéralisme du sub-comandante Marcos. Cela ne signifie pas, bien entendu, qu on doive annuler la critique de l idéologie néolibérale, ses présuppositions pseudo-naturelles, néo-mythologiques, et ses implications destructrices. Mais seulement qu il ne faut pas oublier de contextualiser le processus de globalisation à l intérieur des grands processus de planétarisation qui depuis plusieurs siècles sont en train de générer le monde nouveau: le seul monde nouveau que nous, Terriens, sommes en train de réaliser, pour le bien et pour le mal. Pour le mal et pour le bien. Le fait que nous vivions, comme Edgar l écrit magistralement, dans l âge de fer du processus de planétarisation, âge de guerres, de massacres et de prédations, ne doit jamais obscurcir le fait que nous sommes quand même activement plongés dans le complexe processus de réalisation de l humanité, processus d unification du monde, de rencontres créatrices parmi des peuples et des individus les plus différents, non plus fermés dans leurs propres identités originaires souvent rendues agressives par leurs dissidences réciproques, mais ouverts chacun vers les autres, chacun se transformant sans cesse, à travers les autres, en quelque chose d autre, en courant créatif d une nouvelle et plus ample communauté de destin, en citoyen de cette petite nouvelle patrie, si belle et fragile qu est le planète Terre du système solaire. 5. Récemment, au cours d un entretien, on a posé à Derek Walcott la question suivante très politically correct: Vous utilisez l anglais, et même de façon superbe; vous n utilisez pas le patois de votre terre. Et l anglais, dans les Caraïbes, c est la langue des colonisateurs. Et voilà la reponse de Walcott: Ça c est un dilemme, presqu une crise, qui enrage les écrivains des nations émergentes: la langue des colonisateurs utilisée par les ex-colonisés. Mais le dilemme et la crise sont les conditions nécessaires parce qu une bonne litérature puisse naître (Walcott, 2001). L entretien se termine par ces mots: Je parle 196

en anglais, j écris en anglais, je pense en anglais. Mais je ne suis pas devenu pour ça un Anglais. Walcott est un homme des Caraïbes qui aime profondément sa terre d origine et qui a obtenu le prix Nobel pour ses poèmes en anglais, la langue, non moins aimée, des colonisateurs (des globalisateurs ). Dans ce paradoxe exemplaire est résumée notre condition d hommes planétaires. Nous sommes déjà tous, qu on le sache ou pas, des créatures-paradoxes. Transformées par toute idée que nous rencontrons (y compris celle des globalisateurs ), et que nous transformons, à notre tour dans la rencontre. Nous sommes partie d un tourbillon de nouveaux commencements qui est en tout cas plus grand et mystérieux que chacune de ses parties (y compris celle des globalisateurs ). Nous sommes appelés à pincer, un vers après l autre, solitaires et solidaires, le premier vers d une Odyssée qui va se composant à travers nos interactions quotidiennes, aux bords de cette nouvelle Méditerranée qui est notre archipel planétaire. Tâche démesurée, que nous ne pourrions pas espérer poursuivre sans le geste irraisonnable, généreux et rigoureux, de quelques ramasseurs de pluie aux yeux nuageux. Comme Derek Walcott. Et comme Edgar Morin, naturellement, à qui j ai eu ici l honneur, et le plaisir, de pouvoir rendre grâce. Bibliographie minimale Morin, E. (1965), Introduction à une politique de l homme, Le Seuil, Paris. Morin, E. (1972), Le paradigme perdu, Le Seuil, Paris. Morin, E. (1981), Pour sortir du XX e siècle, Nathan, Paris. Morin, E: (1987), Penser l Europe, Gallimard, Paris. Morin, E. (1993), Terre-Patrie, Le Seuil, Paris. Morin, E., Naïr, S. (1997), Une politique de civilisation, Arléa, Paris. Walcott, D. (1995), Mappa del nuovo mondo, Adelphi, Milano (avec texte anglais en regard). Walcott, D. (2001), Non piangiamo se muore una lingua, intervue par M. Smargiassi, dans La Repubblica, 8 juillet. 197