FIER, INDÉPENDANT ET LIBRE?



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Transcription:

POINT FORT 5 KOSOVO Cinq ans après la proclamation de son indépendance, où en est le Kosovo? Comment vit la population de ce pays qui a connu la répression du régime de Milosevic dans les années 1990 et qui est aujourd hui, quatorze ans après la fin de la guerre, en quête de reconnaissance internationale? Voici le portrait d un pays étroitement lié à la Suisse par une importante diaspora et pour le développement duquel Solidar Suisse s engage depuis quatorze ans. Photo: Brigit Ruprecht

6 FIER, INDÉPENDANT ET LIBRE? Cinq ans après l enthousiasme provoqué par l indépendance, le Kosovo déchante. Des réformes durables impliquent une meilleure intégration de la population civile. Texte et photos: Cyrill Rogger Suite à la proclamation de l indépendance du pays par le parlement kosovar le 17 février 2008, neuf ans après la guerre du Kosovo, le Premier ministre Hashim Thaci déclarait «à partir d aujourd hui, le Kosovo est fier, indépendant et libre». A cette occasion, des dizaines de milliers d hommes et de femmes brandissant des drapeaux s étaient réunies dans les rues de Pristina. Les Kosovar-e-s de Suisse s étaient eux aussi rassemblé-e-s spontanément pour manifester leur joie. De grands espoirs La réaction de la Serbie ne se fit pas attendre. Belgrade ne reconnaîtra jamais l indépendance du Kosovo. La Russie considère elle aussi que la déclaration d indépendance du pays est illégale. Les réactions positives sont en revanche venues de ceux qui misent gros sur cet état désormais multiethnique et démocratique. Ce fut notamment le cas de Micheline Calmy-Rey, conseillère fédérale suisse: elle a évoqué le devoir qui incombe à la population kosovare de saisir la chance qui lui est donnée de faire de son pays un modèle pour l Europe et le monde entier. Ce sont les Albanais-e-s kosovar-e-s qui ont fondé les plus grands espoirs sur cette indépendance attendue et rêvée pendant des années. Pour eux, ce changement était le gage d un avenir meilleur, notamment grâce à l entrée du pays dans l Union européenne (UE), qu ils espéraient rapide. L objectif politique majeur fixé par le gouvernement de Pristina était de devenir un membre à part entière de l UE. Cette dernière a, quant à elle, envoyé environ 2000 policières, juges et douaniers au Kosovo dans le cadre de la mission «Etat de droit» EULEX, afin d aider ce jeune pays à structurer ses services administratifs. Après l euphorie, la désillusion Un peu plus de cinq ans après la déclaration d indépendance, l euphorie a laissé place à la désillusion. Plus d un tiers de la population vit encore et toujours sous le

POINT FORT 7 Les problèmes sont toujours les mêmes: en 2008, les manifestant-e-s réclamaient l instauration d un dialogue social, un Etat de droit et un salaire minimum suffisant pour vivre. seuil de pauvreté et le taux de chômage s élève à 45%. A ce jour, près de la moitié des Etats membres de l ONU, parmi lesquels certains Etats membres de l UE, notamment l Espagne et la Grèce, n ont toujours pas reconnu la république du Kosovo. En ce qui concerne l intégration à l Union européenne, le Kosovo est très en retard par rapport aux Etats voisins comme la Serbie ou la Macédoine. Contrairement aux habitant-e-s de tous les pays des Balkans occidentaux, les Kosovar-e-s ont par exemple toujours besoin d un visa pour se rendre dans l espace Schengen. Même l accord conclu entre la Serbie et le Kosovo ce 19 avril n a pas suscité l enthousiasme des Kosovar-e-s. Bien au contraire: si la Serbie a accepté, par cet accord, que le nord du Kosovo, où réside une importante minorité serbe, soit dirigé par le Gouvernement kosovar, la population albanaise se montre plutôt sceptique vis-à-vis de l autonomie accordée à cette minorité. Dépendant des aides extérieures La stabilité économique du Kosovo dépend en grande partie de l argent versé par les donateurs internationaux et les émigré-e-s de la diaspora (envois d argent). Selon les estimations de la CIA, l argent versé par les donateurs représente 10% du produit intérieur brut (PIB), et celui envoyé par les émigré-e-s 14%, soit au total près d un quart du PIB. Les fonds envoyés, notamment par la dias pora kosovare vivant en Suisse et composée d environ 180 000 personnes, sont principalement destinés à la consommation et sont finalement peu investis dans les entreprises locales. Un sondage réalisé auprès des Kosovar-e-s vivant en Suisse a démontré que le climat d investissement défavorable avait tendance à décourager les membres de la diaspora. La bureaucratie et les impôts trop élevés s avèrent être les obstacles majeurs à un climat propice aux investissements. La crise financière et économique mondiale qui a débuté à l été 2007, mais surtout la crise de la zone euro de 2009 n ont pas permis aux nombreux programmes de développement économique soutenus par les donateurs internationaux d attirer des investissements internationaux directs. Manque d éducation, de soins de santé et de participation Le manque de main-d œuvre qualifiée représente un autre obstacle au développement économique du Kosovo. Cela Plus d un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. semble incompréhensible, mais, en dépit du taux de chômage élevé, les entreprises kosovares peinent à trouver de la main-d œuvre compétente. Durant la répression imposée par le régime de Milosevic dans les années 1990, le système éducatif kosovar a été fortement fragilisé et aujourd hui encore, les classes sont souvent assurées par roulement. Le gouvernement fait pourtant des efforts pour réformer l enseignement, et plus particulièrement la formation professionnelle, sans que l on puisse pour autant constater des progrès notables. Il en va de même pour le système de santé publique: le gouvernement s efforce d entreprendre des réformes plus qu indis pensables. Certes, les soins de santé primaires à proprement parler sont gratuits. Mais en cas de réelle maladie, peu de choses le sont. En général, les pa tient-e-s doivent tout d abord se procurer les médicaments et le matériel médical euxmêmes afin de pouvoir suivre un traitement (voir p. 8). La médiocrité des services de santé publique fait d ailleurs partie des principales préoccupations de la population. Pourtant, les citoyen-ne-s ne sont pas informé-e-s des initiatives du gouvernement pour faire face à ce problème. Très peu de personnes savaient que la mise en place d une caisse maladie obligatoire était prévue au début de l année 2013 (elle a depuis été reportée). Alors que la Banque mondiale et d autres bailleurs de fonds sont largement impliqués dans la réforme du secteur de la santé, la société civile en est tenue à l écart, comme ce fut le cas lors de nombreuses autres tentatives de développement de ce nouvel Etat. Pour que la population kosovare puisse faire de son pays un modèle pour l Europe et le monde entier, il faudrait qu elle soit tenue informée des projets du gouvernement et des bailleurs de fonds internationaux. C est la seule façon pour les Kosovar-e-s de contribuer à des réformes satisfaisantes. Grâce à des projets ciblés, Solidar Suisse soutient cet engagement de la société civile kosovare.

8 DES SOINS DE SANTÉ À PRIX D OR Le système des soins de santé au Kosovo est en piteux état: un manque d hygiène certain, des frais médicaux exorbitants et aucune assurancemaladie. Le projet Solidar Kosana a pour but de remédier à tout cela. Texte et photo: Christof Hotz Pristina. La capitale du Kosovo compte environ 200 000 habitant-e-s. Nous sommes dans une ville dans la ville. A gauche et à droite se trouvent de grands bâtiments hospitaliers et, au milieu, quelques bâtiments plus petits. L hôpital universitaire. Des personnes patientent sur les trottoirs et dans l entrée. D autres marchent en petits groupes, la plupart d entre elles ont des papiers à la main. «Beaucoup de personnes attendent toute la journée avant d être enfin examinées», déclare Syzane Baja, coordinatrice de Solidar au Kosovo. «Parfois, elles ne sont examinées que le lendemain, ou le surlendemain. Tout est une question de relations.» Aucune règle sanitaire Des agents de sécurité surveillent l entrée lugubre du bâtiment qui abrite le service d obstétrique. Nous gravissons les marches d un escalier délabré. Une fois arrivé-e-s à l étage, nous sommes accueilli-e-s par Mynevere Hoxha. Cette médecin a 30 ans d expérience à son actif et dirige le service d obstétrique. Chaque année, ce sont Beaucoup de personnes attendent toute la journée avant d être enfin examinées. 11 000 enfants qui voient le jour dans son service, soit 30 naissances par jour. La D r Hoxha est fière de nous montrer les incubateurs modernes qui permettent de sauver des nourrissons prématurés ou malades. Les appareils onéreux du service ont été offerts notamment par une association au sein de laquelle la médecin est bénévole. Les couveuses qui se trouvent dans la pièce voisine ne sont plus vraiment fiables: sur l une d entre elles, il est difficile de régler la température précisément et, sur une autre, le tuyau respiratoire abîmé est «réparé» à l aide de ruban adhésif. «Nous l avons rafistolé, déclare la médecin, mais maintenant, cette couveuse n est plus vraiment hygiénique. Mais que peut-on y faire? C est tout ce dont nous disposons!» Le bébé qui se trouve dedans ignore tout cela. Il a le teint pâle, mais respire calmement. La médecin nous explique qu elle a pris l initiative d établir des règles sanitaires et des procédures au sein de son service. Aucune directive nationale n existe et aucun contrôle n est effectué. Le matériel médical à la charge des patient-e-s De retour dans la rue, je remarque les nombreuses pharmacies. C est là que les

POINT FORT 9 patient-e-s viennent acheter les médicaments, seringues et pansements dont ils ont besoin pour leur traitement. En effet, l hôpital ne leur fournit pas ce genre de matériel. Selon la maladie à traiter, le prix de tout le matériel nécessaire peut rapidement atteindre 600 à 800 euros, soit environ deux salaires mensuels moyens. Des sommes beaucoup trop élevées pour les Koso - var-e-s, surtout pour le tiers de la population qui vit sous le seuil de pau vreté. Il est donc quasiment impossible de réunir de telles sommes d argent sans l aide de proches vivant au Kosovo ou à l étranger. En dehors de l hôpital universitaire de Pristina, le Kosovo compte sept hôpitaux régionaux, un grand nombre de cliniques et de cabinets privés, ainsi que 426 centres de médecine familiale, qui sont les premiers centres d accueil pour les personnes souffrant de maladies courantes. Dessin humoristique caricaturant la situation du service de santé publique par la dessinatrice kosovare Luljeta Goranci. «Sek. Publik Da Pagesë» = secteur public gratuit Les traitements de base sont gratuits, en revanche, les temps d attente sont longs et, ici aussi, les médicaments et le matériel médical sont à la charge des patien - t-e-s. Depuis la guerre, le secteur de la santé est en piteux état. Le personnel de santé est parfois mal formé et très mal payé. Les médecins conseillent aux patient-e-s de venir les voir en dehors des horaires de consultation pour une consultation complète privée, mais cela a un coût. Une nouvelle loi sur la santé Afin de remédier à cette situation, le Ministère de la santé envisage d adopter une nouvelle loi sur la santé qui devrait permettre de réglementer les activités privées des médecins et de mettre en place un système d assurance-maladie obligatoire. Mais la mission s annonce complexe: comment peut-on empêcher les médecins de se focaliser sur les consultations privées au détriment des soins de base gratuits? A l heure actuelle, leur salaire mensuel de 500 euros seulement les rend dépendants des patient-e-s privé-e-s. Et à quoi ressemblera le système d assurance-maladie? Quel type d organisation du remboursement des prestations fournies par les hôpitaux pourrait permettre d améliorer la qualité du système de santé? Prendre en compte les besoins des patient-e-s C est dans ce contexte que Solidar Suisse a lancé le programme Kosana. Nous avons consulté les Kosovar-e-s afin de savoir où le bât blesse selon eux et dans quelle mesure ils seraient disposés à payer pour une assurance-maladie. Jusqu à présent, les besoins des patient-e-s n avaient aucunement été pris en compte. Il est ressorti de cette enquête que les Kosovar-e-s sont tout à fait prêts à payer pour une assurance-maladie, selon leurs moyens financiers évidemment. Cette enquête a également montré que la population espère avant tout une amélioration des soins de santé. Ces constats doivent désormais être pris en compte lors des discussions à propos de la nouvelle loi. En outre, Kosana aide les organisations de la société civile à formuler leurs besoins et ainsi à faire entendre qu elles seront bientôt officiellement reconnues et prises en compte par la nouvelle loi. Qu est-ce qui pousse Mynevere Hoxha à participer au projet Kosana? «Ce projet est l initiative idéale, au moment idéal. Nous voulons aborder les questions de santé afin que nos enfants puissent espérer un avenir meilleur!» Kosana Le projet Kosana a pour but d améliorer les soins de santé au Kosovo. La réforme de la santé visée par le gouvernement progresse lentement et ne prend pas en compte les besoins des pa -tient-e-s et du personnel de santé. Grâce à des actions de lobbying, les organisations de patient-e-s et les professionnel-le-s de la santé soutiennent la revendication des besoins de la population afin que la réforme en tienne compte. www.solidar.ch/kosovo_projets

10 POINT FORT Donika Nila contrôle la qualité du lait des vaches de Salih Abazi: une meilleure qualité permet de vendre plus de produits laitiers kosovars. PLEIN ESSOR GRÂCE À LA QUALITÉ Les agriculteurs et agricultrices et les laiteries font front commun afin de développer le potentiel inexploité de l industrie laitière au Kosovo. Texte: Christoph Baumann. Photos: Brigit Ruprecht et Christof Hotz Salih Abazi ouvre l imposante porte de sa ferme pour nous faire entrer. Nous arrivons dans une grande cour. Un tracteur et d autres engins sont rangés sous un abri, le long du mur. La grande maison en briques n est pas crépie, comme la majorité des bâtiments d ailleurs. Nous sommes ici pour voir la laiterie où le lait issu du système de traite est gardé au frais. Nous suivons la contrôleuse laitière, Donika Nila, qui, sans prévenir, vient contrôler la qualité du lait de la ferme. L amélioration de la qualité du lait fait partie des principales mesures mises en place pour développer la filière du lait au Kosovo, d autant plus que ce secteur d activité peut offrir des perspectives d emploi aux populations rurales. La guerre a tout détruit Après la guerre, en 1999, l industrie laitière au Kosovo était anéantie: une seule laiterie dans tout le pays était encore en activité et la plupart des agriculteurs et agricultrices devaient repartir de zéro. L aide humanitaire a permis de ramener des milliers de vaches au Kosovo, de reconstruire de nombreuses petites étables et de soutenir les laiteries dans leurs projets de reconstruction. Mais cela n a pas suffi à relancer l économie laitière. En effet, l industrie laitière kosovare souffre des importations massives de produits laitiers et les produits locaux sont souvent vendus sur le marché noir. Jusqu à présent, le secteur laitier manquait cruellement de soutien de la part de l Etat, mais également d agricultrices et agriculteurs qualifiés, ainsi que de spécialistes des technologies de l in dustrie laitière. La qualité du lait étant mauvaise, la réputation des produits locaux l est également, et les Kosovar-e-s préfèrent acheter des produits étrangers. Une belle réussite Les produits de Salih Abazi, eux, sont de bonne qualité. Chaque jour, 600 litres de lait, conservés à quatre degrés comme le veut la réglementation, attendent d être achetés. Le fils de Salih Abazi observe Donika Nila prélever un échantillon de lait et signe le procès-verbal, pendant que l agriculteur nous raconte en allemand: «Avant la guerre, j ai passé deux

CHRONIQUE PAKISTAN 7 ans en Suisse et trois ans en Allemagne. C est là que j ai appris le métier d agriculteur. Une fois la guerre terminée, j ai reconstruit cette ferme avec ma famille.» Pour Salih Abazi, ce contrôle de qualité indépendant est une bonne chose. Son lait répond aux exigences de haute qualité. L histoire de Salih Abazi témoigne du succès du dialogue instauré Les subventions favorisent l amélioration de la qualité. dans le secteur laitier (voir l encadré). Ici, des mesures concrètes ont été adoptées afin d améliorer les conditions générales de la production laitière. Une vision commune pour une reprise durable Le chemin était pourtant semé d embûches: lorsqu en 2009 Solidar avait rencontré les associations de producteurs et de productrices de lait et les associations de laiteries, les intérêts et les objectifs de chacune étaient loin de converger. Les organisations avaient pourtant réussi à établir une vision commune de laquelle était née une stratégie soutenue par les actrices et acteurs des deux organisations. Elle avait même permis d impliquer le gouvernement dans ce projet. L élément capital de cette stratégie était la mise en place d un contrôle de qualité du lait cru, indépendant et transparent à l échelle nationale, comme le pratique actuellement Donika Nila. Pour être soumises à ce contrôle, les exploitations laitières devaient être en registrées et la vente du lait réglée contractuellement. Cela a eu pour effet positif de diminuer la vente informelle et non contrôlée du lait. Résultat: les agriculteurs et agricultrices ont un volume de vente garanti, leur lait est certifié de qualité et le lait kosovar bénéficie d une meilleure réputation. Ce système est profitable pour les grandes autant que pour les petites fermes. Des subventions pour une meilleure qualité Début 2013, le secteur laitier a connu un nouveau tournant: le gouvernement a accueilli avec intérêt la proposition des associations d introduire des subventions. Les agriculteurs et agricultrices produisant du lait de haute qualité ont alors bénéficié d une subvention qui les incite à améliorer la qualité du lait. L industrie laitière kosovare est ainsi parvenue à faire concurrence aux industries laitières fortement subventionnées des autres pays européens. Salih Abazi n est pas le dernier à s en réjouir: «Le ministère de l agriculture me verse sept centimes par litre de lait. Grâce à cet argent, je peux agrandir les étables pour que mes vaches aient plus de place.» La prochaine étape consiste à mettre en place des programmes de formation axés sur la pratique pour les agriculteurs et agricultrices et les spécialistes des technologies de l industrie laitière. Grâce à des partenariats avec des centres de formation étrangers, un nombre croissant de producteurs et productrices de lait et d employé-e-s de laiteries pourront gagner un salaire adéquat. Un succès basé sur le dialogue Le dialogue instauré par Solidar Suisse entre les agriculteurs et agricultrices, les laiteries et les services administratifs au Kosovo a permis aux associations de producteurs et productrices de lait et de laiteries de développer une stratégie sectorielle solide dans le cadre d un processus de trois ans. La mise en place d un contrôle de qualité indépendant et l introduction des subventions furent les mesures fortes de cette stratégie. www.solidar.ch/lait Hans-Jürg Fehr Président de Solidar Suisse et conseiller national Faire un exemple Au Bangladesh, une usine de vêtements s est effondrée et a fait plus d un millier de morts. Elle s est écroulée car elle avait été mal construite. Aux yeux des maîtres d ouvrage, les faibles coûts avaient plus d importance que la vie des employé-e-s. Cette violation des droits fondamentaux des travailleurs et travailleuses n est pas rare dans les pays où les salaires sont bas et où les multinationales occidentales ont implanté leurs sites de production de masse. Les entreprises et les administrations ne sont pas les seules à faire fi de la vie humaine. Les dirigeants des multinationales aux Etats-Unis et en Europe ne sont pas en reste. Ils pourraient garantir des salaires convenables et des emplois stables avec très peu d argent (15 centimes par T-shirt!), mais ils ne le font pas de leur propre initiative, nous devons les y contraindre. La catastrophe du Bangladesh démontre à nouveau que c est l application du droit du travail qui devrait être un indice de développement et non la croissance du produit intérieur brut. Pour cela, l accord de libre-échange entre la Suisse et la Chine doit répon dre à des exigences autres que la simple réduction des entraves commerciales. Il doit constituer une base pour l amélioration des conditions de travail en Chine, pour la lutte contre le travail forcé et pour la liberté syndicale. Il existe un règlement au niveau international qui précise la voie à suivre: les grandes conventions de l Organisation internationale du travail. Si l accord de libre-échange ne répond pas à ces normes, nous devons lutter pour que cela change.

12 CONCOURS ÉNIGME SUR LE KOSOVO 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 1. Cette part de la population kosovare vit sous le seuil de pauvreté. 2. Elles permettent d améliorer la situation des agriculteurs et agricultrices en Suisse comme au Kosovo. 3. Doit être mieux adapté aux exigences du marché du travail au Kosovo. 4. Est en piteux état au Kosovo. 5. Elle devrait être plus impliquée au Kosovo. 6. Ils représentent 45% de la population kosovare. 7. Doit parfois être rafistolé avec du ruban adhésif dans les hôpitaux du Kosovo. 8. Les habitant-e-s du Kosovo souhaitent en obtenir une, pour que les prix des soins de santé ne soient plus prohibitifs. 9. S il était de meilleur qualité produit sur place, il aurait la préférence des habitant-e-s du Kosovo. 10. Les habitant-e-s du Kosovo doivent les payer eux-mêmes s ils souhaitent suivre un traitement médical. 11. La société kosovare en a besoin. 12. Pourcentage de virements effectués par des migrant-e-s qui contribue au produit intérieur brut du Kosovo. Envoyez la solution à Solidar Suisse sur une carte postale ou par e-mail à l adresse: kontakt@solidar.ch, objet «Enigme». Chaque bonne réponse participera au tirage au sort. Prix Une dose de safran bio en pistils du Kosovo. La date limite d envoi est le 23 septembre 2013. Les noms des gagnant-e-s seront publiés dans Solidarité 4/2013. Le concours ne donne lieu à aucune correspondance, ni à aucune recours. Le personnel de Solidar n a pas le droit d y participer. La solution de l énigme de Solidarité 2/2013 était «perspectives». Les gagnant-e-s ont été tiré-e-s au sort: Evy Merino-Dürr de Bonstetten, Martine Bartel de Bienne et René Chammartin de Rossens ont gagné un pot de chutney. Nous remercions les participants et le projet SalSAH de l entreprise SAH Zürich pour les prix offerts.

POINT DE VUE 13 LE PAYS A BESOIN DE NOUVELLES STRATÉGIES Pour combattre efficacement la pauvreté et le chômage, le Kosovo doit diversifier son économie. Texte: Bashkim Iseni, directeur d Albinfo.ch* Le Kosovo est un Etat jeune. Depuis cinq ans, il s efforce de stabiliser sa situation et de se doter d institutions politiques, administratives et juridiques. Il apprend également à exercer sa souveraineté, tant à l intérieur qu à l extérieur. Pauvreté extrême et chômage élevé Sur le plan économique, des infrastructures routières ont vu le jour ces cinq dernières années, des entreprises de l Etat socialiste ont été privatisées, des immeubles neufs et des centres commerciaux sont sortis de terre un peu partout. Les responsables politiques ne semblent toutefois pas suivre une stratégie efficace pour contrer la pauvreté et le chômage structurel. Selon les données officielles, 29,7% des habitant-e-s vivent dans la pauvreté, disposant en tout et pour tout de 1,72 euro par jour, tandis que 10,2% des gens vivent dans une pauvreté extrême, soit avec moins de 1 euro par jour. Quant au chômage, son taux avoisine 45% de la population en âge de travailler. Le plus urgent est de trouver comment créer des emplois. Les investisseurs étrangers ne courent en effet pas les rues au Kosovo. L absence de grands capitaux étrangers est due notamment au statut international incertain du pays, mais aussi à sa faible compétitivité et à son manque d attrait. Viennent encore s y ajouter la corruption, l opacité des marchés publics, les problèmes d approvisionnement énergétique et l absence de garanties offertes aux investisseurs étrangers. Agriculture et tourisme: un grand potentiel Il importe de revoir les mesures privilégiées jusqu ici pour stimuler le développement socio-économique du pays. En parallèle aux efforts actuels, qui visent à promouvoir les gros investissements, le Gouvernement kosovar doit également poursuivre de nouvelles stratégies et allouer des moyens à d autres modes de développement, qui déboucheront sur des résultats concrets à moyen, voire à court terme. Dans la pratique, il est urgent de créer un marché du travail et d adapter le système de formation aux besoins réels de l économie. De plus, le pays importe la plupart des denrées alimentaires consommées, alors qu on y trouve des exploitations agricoles familiales à foison. Or ce secteur est à même de créer des emplois, car il dispose de débouchés appréciables dans les pays voisins et dans les pays occidentaux abritant une nombreuse diaspora kosovare. Force est toutefois de constater que les produits alimentaires répondant Il importe d allouer des moyens à d autres modes de développement. à la demande de la diaspora proviennent essentiellement des autres pays des Balkans. La même réflexion s applique au tourisme, car ni l Etat ni les communes ne s attachent à promouvoir les beautés de la nature, dont le Kosovo ne manque pourtant pas. L expérience suisse en la matière peut servir d exemple pour diversifier l économie kosovare. Il convient toutefois d associer les Kosovar-e-s de la diaspora à ce processus, car ils peuvent apporter une contribution décisive au développement durable du jeune Etat. * Plateforme de la Suisse albanophone qui diffuse des informations sur l actualité au Kosovo, en Albanie et dans les autres pays des Balkans à minorité albanophone, ainsi qu en Suisse.