5 10 15 20 25 30 Lecture analytique n 11 : la demande en mariage de Georges Duroy Il prononça, comme si on lui eût arraché un secret du fond du coeur : " J'ai... j'ai... j'ai que je suis jaloux de lui. " " Vous? -- Oui, moi! Elle s'étonna modérément : -- Tiens. Pourquoi ça? -- Parce que je suis amoureux de vous, et vous le savez bien, méchante! " Alors elle dit d'un ton sévère : " Vous êtes fou, Bel-Ami! " Il reprit : " Je le sais bien que je suis fou. Est-ce que je devrais vous avouer cela, moi, un homme marié, à vous, une jeune flle? Je suis plus que fou, je suis coupable, presque misérable. Je n'ai pas d'espoir possible, et je perds la raison à cette pensée. Et quand j'entends dire que vous allez vous marier, j'ai des accès de fureur à tuer quelqu'un. Il faut me pardonner ça, Suzanne! " Il se tut. Les poissons à qui on ne jetait plus de pain demeuraient immobiles, rangés presque en lignes, pareils à des soldats anglais, et regardant les fgures penchées de ces deux personnes qui ne s'occupaient plus d'eux. La jeune flle murmura, moitié tristement, moitié gaiement : " C'est dommage que vous soyez marié. Que voulez-vous? On n'y peut rien. C'est fni! " Il se retourna brusquement vers elle, et il lui dit, tout près, dans la fgure : " Si j'étais libre, moi, m'épouseriez-vous? " Elle répondit, avec un accent sincère : " Oui, Bel-Ami, je vous épouserais, car vous me plaisez beaucoup plus que tous les autres. " Il se leva, et balbutiant : " Merci..., merci..., je vous en supplie, ne dites " oui " à personne? Attendez encore un peu. Je vous en supplie! Me le promettez-vous? " Elle murmura, un peu troublée et sans comprendre ce qu'il voulait : " Je vous le promets. " Du Roy jeta dans l'eau le gros morceau de pain qu'il tenait encore aux mains, et il s'enfuit, comme s'il eût perdu la tête, sans dire adieu. Tous les poissons se jetèrent avidement sur ce paquet de mie qui fottait n'ayant point été pétri par les doigts, et ils le dépecèrent de leurs bouches voraces. Ils l'entraînaient à l'autre bout du bassin, s'agitaient au-dessous, formant maintenant une grappe mouvante, une espèce de feur animée et tournoyante, une feur vivante, tombée à l'eau la tête en bas. Guy de Maupassant, Bel-Ami (1885), deuxième partie, Chapitre 8.
Idées contenues dans ce texte : Suzanne est amoureuse de Duroy : elle est sincère Georges Duroy est manipulateur, se moque d'elle GD joue la comédie Suzanne tombe dans le piège, elle est abusée La fin du texte est surprenante : il jette le pain, part sans dire adieu. Le narrateur s'intéresse étonnamment aux poissons : ce qui se passe dans le bassin a un rapport avec ce qui se passe en dehors Le narrateur adopte un point de vue externe : il refuse de nous livrer les pensées de GD ; il veut que le lecteur devine par lui-même Problématiques possibles : le narrateur est-il si neutre que cela dans cet extrait? Analysez le sentiment des deux personnages etc. Plan : I. En apparence, neutre... 1. Une scène de théâtre
Discours direct, dialogue Le discours direct occupe une place importante dans cet extrait. Le narrateur veut que nous écoutions les personnages. La scène, à ses yeux, est importante. Le lecteur aime ces passages dans un roman (cf. topos). Ils ont choisi un cadre romantique : le jardin, le bassin. 2. Une scène rythmée, intense dramatiquement Stichomythie + Didascalies Cela accentue la surprise, l'intensité dramatique. Elle n'a pas le temps de réfléchir. Cela accélère le rythme de la scène. Nous sommes au théâtre. On se croirait au théâtre. Le narrateur décrit ce que font les personnages, sans commenter. Ces «didascalies» sont particulièrement nombreuses : c'est sans doute le signe que le narrateur veut orienter le lecteur. Vers : - la sincérité de Suzanne - Suzanne est séduite, mais résiste 3. Le personnage de Duroy semble troublé Points de suspension En apparence, GD semble hésiter, cherche ses mots. Il a vraiment l'air d'être amoureux. Il est troublé. II. Mais oriente le lecteur 1. Georges Duroy joue la comédie Comparaisons Cela montre qu'il joue la comédie. Le narrateur insiste sur le fait qu'il n'éprouve pas véritablement les sentiments qu'il exprime. 2. Ce qui se passe dans le bassin reflète ce qui se passe en dehors Mise en abyme + champ lexical de la violence + verbes d'action Il est suspect que le narrateur insiste autant sur le bassin et les poissons : l'extrait se termine, non sur le départ de GD, mais sur les poissons. GD = poissons Suzanne = pain dévoré Elle vient de se faire dévorer. Une fois qu'il a obtenu l'aveu de S., il ne joue plus au romantique, il reprend son vrai rôle : il jette la totalité du pain. 3. Un narrateur curieusement en retrait, absent Point de vue externe/point de vue interne III. Pour lui montrer que GD est un comédien, manipulateur 1. Il maîtrise l'échange Tirade 2. Il est un fin orateur Antithèse + gradation + hyperbole + question oratoire 3. La violence dans le bassin annonciatrice de ce qui attend Suzanne Verbes d'actions + gradation + anaphore Axe Relevé Outils Interprétation comme si on lui eût arraché un secret du fond du coeur comme s'il eût perdu la tête comparaisons Cela montre qu'il joue la comédie. Le narrateur insiste sur le fait qu'il n'éprouve pas véritablement les sentiments qu'il exprime.
pareils à des soldats anglais Comparaison (le rouge est la couleur d'apparat de l'armée britannique) Cette comparaison fait apparaître la voracité des poissons et le danger qu'ils représentent. Mise en abyme : GD, lui, n'est pas inoffensif. " J'ai... j'ai... j'ai que je suis jaloux de lui. " " Merci..., merci..., je vous en supplie + balbutiant Points de suspension En apparence, GD semble hésiter, cherche ses mots. Il a vraiment l'air d'être amoureux. Il est troublé. " J'ai... j'ai... j'ai que je suis jaloux de lui. " " Vous? -- Oui, moi! -- Tiens. Pourquoi ça? -- Parce que je suis amoureux de vous, et vous le savez bien, méchante! " etc. Discours direct Dialogue Le discours direct occupe une place importante dans cet extrait. Le narrateur veut que nous écoutions les personnages. La scène, à ses yeux, est importante. Le lecteur aime ces passages dans un roman (cf. topos). Ils ont choisi un cadre romantique : le jardin, le bassin. " Vous? -- Oui, moi! -- Tiens. Pourquoi ça? stichomythie Cela accentue la surprise, l'intensité dramatique. Elle n'a pas le temps de réfléchir. Cela accélère le rythme de la scène. Nous sommes au théâtre. Elle s'étonna modérément : Alors elle dit d'un ton sévère : La jeune flle murmura, Compléments circonstanciels de manière Didascalies On se croirait au théâtre. Le narrateur décrit ce que font les personnages, sans commenter. Ces «didascalies» sont particulièrement nombreuses : c'est sans doute le signe que le narrateur veut orienter le lecteur. Vers :
moitié tristement, moitié gaiement : Il se retourna brusquement vers elle, et il lui dit, tout près, dans la fgure : Elle répondit, avec un accent sincère : Elle murmura, un peu troublée et sans comprendre ce qu'il voulait : " Je le sais bien que je suis fou. Est-ce que je devrais vous avouer cela, moi, un homme marié, à vous, une jeune flle? Je suis plus que fou, je suis coupable, presque misérable. Je n'ai pas d'espoir possible, et je perds la raison à cette pensée. Et quand j'entends dire que vous allez vous marier, j'ai des accès de fureur à tuer quelqu'un. Il faut me pardonner ça, Suzanne! " Est-ce que je devrais vous avouer cela, moi, un homme marié, à vous, une jeune flle? " Si j'étais libre, moi, m'épouseriez-vous? " Tirade Question oratoire Question - la sincérité de Suzanne - Suzanne est séduite, mais résiste GD argumente pour essayer de la convaincre. Il ne lui laisse pas le temps de parler. Il domine l'échange. Il ne parle que de lui. Il a sans doute préparé son discours. Sa tirade est construite : - les objections d'abord (marié, jeune fille) - son désir ensuite Il utilise des procédés rhétoriques : il veut la faire réfléchir. Est-ce que je devrais vous avouer cela, moi, un homme marié, à vous, une jeune flle? Antithèse Il en rajoute, il accentue, pour la convaincre : il rappelle leur situation respective. Il sait qu'elle est jeune (vierge) et qu'il est marié (= obstacle). Je suis plus que fou, je suis coupable, presque misérable. Gradation Il se fait passer pour une victime. Il insiste sur sa situation. Mais là encore, c'est un articfice oratoire : c'est le maître de la parole. j'ai des accès de fureur à tuer quelqu'un. Hyperbole idem
Les poissons à qui on ne jetait plus de pain demeuraient immobiles, rangés presque en lignes, pareils à des soldats anglais, et regardant les fgures penchées de ces deux personnes qui ne s'occupaient plus d'eux. Tous les poissons se jetèrent avidement sur ce paquet de mie qui fottait n'ayant point été pétri par les doigts, et ils le dépecèrent de leurs bouches voraces. Ils l'entraînaient à l'autre bout du bassin, s'agitaient au-dessous, formant maintenant une grappe mouvante, une espèce de feur animée et tournoyante, une f eur vivante, tombée à l'eau la tête en bas. Mise en abyme Il est suspect que le narrateur insiste autant sur le bassin et les poissons : l'extrait se termine, non sur le départ de GD, mais sur les poissons. GD = poissons Suzanne = pain dévoré Elle vient de se faire dévorer. Une fois qu'il a obtenu l'aveu de S., il ne joue plus au romantique, il reprend son vrai rôle : il jette la totalité du pain. Soldats avidement dépecèrent voraces. Champ lexical de la violence La violence ne se trouve que dans le bassin : les poissons sont voraces, dévorent le morceau de pain. Quel rapport avec GD? Il a dévoré au sens métaphorique Suzanne : il a obtenu d'elle ce qu'il voulait. Pour le narrateur, ce qu'il fait est violent aussi. La jeune flle murmura, moitié tristement, moitié gaiement : et il lui dit, tout près, dans la fgure : Elle répondit, avec un accent sincère : leva, et balbutiant : Elle murmura, Verbes de paroles Verbes introducteurs de paroles Verbes déclaratifs Les verbes de paroles sont nombreux (on pourrait les supprimer : le dialogue serait compréhensible sans eux). Ils apportent tout de même quelque chose : on voit que Suzanne est sincère, timide, discrète. GD s'attaque à une proie facile. A la fin du texte, la boule de pain est comparée à une fleur mouvante (Suzanne aussi est une fleur...).
Du Roy jeta dans l'eau le gros morceau de pain qu'il tenait encore aux mains, et il s'enfuit, comme s'il eût perdu la tête, sans dire adieu. Pas de nom : viendra compléter un outil Une fois qu'il a obtenu ce qu'il voulait, il ne s'intéresse plus aux poissons : il n'est plus romantique. Elle vient de lui promettre le mariage : il n'a plus à faire d'efforts. Tous les poissons se jetèrent avidement sur ce paquet de mie qui fottait n'ayant point été pétri par les doigts, et ils le dépecèrent de leurs bouches voraces. Ils l'entraînaient à l'autre bout du bassin, s'agitaient au-dessous Verbes d'actions Etonnamment, la scène se termine dans le bassin : le narrateur s'intéresse aux poissons. Ils sont en mouvements, ils agissent. En réalité, ils poursuivent le travail de GD. GD a juste parlé, il n'a pas agi : l'illustration de ce qu'il a fait se trouve dans le bassin. Ils l'entraînaient à l'autre bout du bassin, s'agitaient au-dessous, formant maintenant une grappe mouvante, une espèce de feur animée et tournoyante, une f eur vivante, // tombée à l'eau la tête en bas. Gradation Métaphore chute Fleur = Suzanne Parti pris du narrateur : il n'intervient pas dans le dialogue, mais indirectement il juge ce que GD vient de faire. La mie de pain tombe, à la fin de la scène. Elle murmura, un peu troublée et sans comprendre ce qu'il voulait : Point de vue interne Dans tout le texte, le point de vue est externe : le narrateur n'entre pas dans les pensées des personnages. Une seule fois, il adopte le point de vue de Suzanne, alors que le lecteur le devine sans peine. Il refuse de nous dire ce que GD pense : c'est au lecteur de le deviner... Idées contenues dans ce texte :