Les enjeux de la traduction. L œuvre de Marcel Proust

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Les enjeux de la traduction. L œuvre de Marcel Proust Florina CERCEL Université «Ştefan cel Mare» Suceava, Roumanie florina.cercel@yahoo.fr Abstract: The translation proves itself a matter of an extreme difficulty when it comes about of a work as that of the great novelist of the XX th century, Marcel Proust. His style, with long phrases, a rhythm compared with the author s breath and the words that he uses, puts the translator in a difficult situation of choice. Our article proposes to analyze a few problems of translation and the solutions adopted by the three translators who dared to bend over this novel: Irina Mavrodin, the great Rumanian translator who succeeded in rendering us the entire novel of Marcel Proust in a work that took her 15 years, Vladimir Streinu and Radu Cioculescu whose translation was continued by his wife, Eugenia Cioculescu. We also propose ourselves to make a comparative analysis of the three Rumanian versions. Keywords: translation, style, translator, comparative analysis. Nombreuses sont les difficultés auxquelles le traducteur se voit confronté au moment du traduire d une œuvre littéraire. Beaucoup de pages ont été écrites pour envisager l ensemble de ce processus que le traducteur entreprend pour au lecteur un texte dans une langue autre que l originale. Et les polémiques entre les théoriciens et les praticiens de la traduction n ont pas tardé à apparaître. En fait, la traduction est une réalité qui exige une approche interdisciplinaire pour être analysée dans sa totalité. A un premier regard, la tâche du traducteur peut paraître facile. En réalité, il sera toujours partagé entre le désir de mieux transposer le texte original dans sa langue, donc de rester fidèle au texte original en préservant son étrangeté ou, tout au contraire, de trahir ce texte et servir le lecteur du texte d arrivée. Il s agit du binarisme dont parlait Schleiermacher en 1813 1 et repris par Paul Ricœur sous la forme du dilemme fidélité vs. trahison 2. Le dilemme fidélité vs trahison apparaît comme un dilemme pratique parce qu il n y a pas de critère absolu au sujet d une bonne traduction. Ce critère absolu devrait être la préservation du même sens mais une vraie traduction ne peut viser qu une équivalence : 1 «Ou bien le traducteur laisse l écrivain le plus tranquille possible et fait que le lecteur aille à sa rencontre, ou bien il laisse le lecteur le plus tranquille possible et fait que l écrivain aille à sa rencontre.» (Schleiermacher, Des différentes méthodes de traduire, traduit de l allemand par Antoine Berman, Editions du Seuil, 1999, p. 19). 2 Paul Ricœur, Sur la traduction, Editions Bayard, Paris, 2004. «une bonne traduction ne peut viser qu à une équivalence présumée, non fondée dans une identité de sens démontrable. Une équivalence sans identité.» 3 En ce qui concerne la meilleure modalité de traduire, les opinions sont partagées. Schleiermacher affirme que le traducteur doit apporter le lecteur vers l auteur pour que son lecteur soit conscient que l auteur a vécu dans un autre monde et a écrit dans une autre langue, tout en respectant les rythmes de la prose et de la poésie. Antoine Berman conçoit une théorie qui s appuie sur la traduction en tant que traduction de la lettre du texte : «L acte éthique consiste à reconnaître et à recevoir l Autre en tant qu Autre.» 4 ; la traduction est «animée du désir d ouvrir l Etranger en tant qu Etranger à son propre espace de langue.» 5 Les questions que Paul Ricœur se pose dans son étude Sur la traduction sont Qu est-ce qu on sauvegarde? Qu est-ce qu on perd? Il affirme que l acte de la traduction établit une relation entre deux partenaires, l étranger mot qui recouvre l œuvre, l auteur, sa langue et le lecteur de l œuvre traduite. Et entre ces deux il y a le traducteur, celui qui transmet le message d un idiome en autre. Ainsi il y a un pacte de fidélité mais aussi le soupçon d une trahison. 3 Idem, p. 40. 4 Antoine Berman, La traduction et la lettre ou l Auberge du lointain, Editions du Seuil, Paris, 1993, p. 74. 5 Idem, p. 75.

C est pour cela que la démarche du traducteur ne va pas du mot à la phrase, au texte, à l ensemble culturel mais en sens inverse: il s empreigne des vastes lectures d une culture et descend au texte, à la phrase et au mot. Le spectre de l intraduisible menace la fidélité car les traducteurs restent parfois impuissants devant la richesse et la profondeur du texte source. Paul Ricœur affirme que le traducteur ou l interprète doit comprendre parfaitement le sens et l esprit de son auteur. Il doit connaître en profondeur la langue de l original mais aussi sa propre langue. Il doit respecter avec fidélité le sens de l énoncé et non pas l ordre des mots. Le traducteur doit avoir comme but la réalisation d une version dans une langue claire. George Steiner 6 affirme que la fidélité ne signifie pas littéralité mais le traducteur doit être fidèle au texte, établir l équilibre des forces qu il a changé par son appropriation du texte. Car le traducteur interprète crée la condition de l échange significatif et les traits du sens, du profil culturel et psychologique meuvent dans les deux directions. Le problème de la fidélité a été aussi analysé par Irina Mavrodin, traductrice de l œuvre de Marcel Proust. Selon Irina Mavrodin, le traducteur a l immense liberté d un auteur mais, en même temps il est soumis à un terrible état de captivité. Car il doit toujours être attentif aux mots, aux associations, aux correspondances, et si dans le cas de certains auteurs la traduction est soumise à des règles strictes, il y a des œuvres qui ne se prêtent pas aux théories déjà connues. C est pour cela qu Irina Mavrodin croit que toute pratique de la traduction est différente d un auteur à l autre et qu on doit s adapter d un texte à l autre. L énumération des opinions issues d une pratique de la traduction pourrait continuer à l infini. Notre but n est pas d établir une liste avec les théoriciens pour ou contre une traduction littérale mais de montrer les difficultés du traducteur. Les enjeux d une traduction sont multiples : elle doit être fidèle au texte original, tout en évitant de trahir la langue et la culture d arrivée. Le traducteur devient responsable du texte qu il traduit, du message que l auteur désire transmettre et qui peut être déformé par une mauvaise traduction, responsable devant le lecteur du texte cible. Notre article se propose en fait de mettre en évidence ce que signifie le processus de traduction et aussi la tâche du traducteur par un 6 George Steiner, După Babel - Aspecte ale limbii şi ale traducerii, Editura Univers, Bucureşti, 1983. travail sur l œuvre du romancier Marcel Proust, travail précédé par quelques remarques théoriques et une présentation de l auteur et de son écriture. Nous avons donc choisi une œuvre monumentale du XX e siècle qui a demandé beaucoup d efforts pour pouvoir être traduite en roumain : A la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Marcel Proust est l auteur d un livre innovateur, À La Recherche du Temps Perdu, qui est en fait une somme monumentale à laquelle l auteur a consacré sa vie entière d écrivain. Des critiques ont écrit que le roman moderne commençait avec Marcel Proust. En rompant avec la notion d intrigue, l écrivain devient celui qui cherche à rendre la vérité de l âme. La composition de La Recherche en témoigne : les thèmes tournent selon un plan musical et un jeu de correspondances qui s apparentent à la poésie. Proust voulait saisir la vie en mouvement, sans autre ordre que celui des fluctuations de la mémoire affective. Il nous laisse des portraits uniques, des lieux inoubliables, une réflexion sur l amour et la jalousie, une image de la vie, du vide de l'existence, et de l art. Ce que la littérature universelle du XX e et du XXI e a hérité de son œuvre, c est surtout un style composé de phrases (parfois) longues issues d un être qui écrit de la même manière qu il vit. À La Recherche du Temps Perdu est une somme de réflexions débutant aux premières pages de l œuvre, lorsque le narrateur évoque que depuis l enfance, il souhaitait devenir écrivain, mais ne possédait pas le génie suffisant pour trouver un sujet. La Recherche devient le récit de sa vie, récit et l histoire de la genèse du livre, du souffle qui donne naissance au livre. La narration est conçue en «je» autobiographique, un «je» qui revit son passé tout en le narrant. L expérience est donc revécue plutôt que vécue, cette introspection permet donc l insertion de nombreuses dimensions (réflexions, rapprochements) qui se mêlent aux souvenirs. Donc, au centre du récit se trouve une conscience morale, celle de l auteur, qui permet au lecteur de voir et sentir tout ce qui vit le narrateur, et cela par ses propres yeux; le lecteur ne connaît rien d autre que ce que le narrateur connaît. Seule, la conscience forge une réalité qu elle la ressent en solitude par ses perceptions et ses désirs : «Seule la perception erronée place tout dans l objet, quand tout est dans l esprit», note Proust. Proust est aussi le traducteur de l'esthète anglais John Ruskin. La mère joue un rôle direct dans cette entreprise de Proust comme

traducteur. Marcel Proust maîtrisant mal l'anglais, elle se livre à une première traduction mot à mot du texte anglais, à partir de ce déchiffrage, Proust peut alors «écrire en excellent français, du Ruskin», comme le nota un critique à la parution de sa première traduction, La Bible d'amiens (1904). Si ce travail, ainsi que la deuxième traduction, Sésame et les lys (1906), est salué par la critique, dont Henri Bergson, le choix des œuvres traduites ne se révèle pas heureux et l'ensemble est un échec éditorial. C'est pourtant pour le futur écrivain un moment charnière où s'affirme sa personnalité. En effet, il accompagne ses traductions de notes abondantes et de préfaces longues et riches qui occupent une place presque aussi longue que le texte traduit. Surtout, tout en traduisant Ruskin, Proust prend progressivement ses distances envers lui, jusqu'à critiquer ses positions esthétiques. Cela est particulièrement perceptible dans le dernier chapitre de sa préface à La Bible d'amiens qui tranche avec l'admiration parfois aveugle des trois premiers. Selon Proust l écrivain est un «interprète», un «traducteur» de la vérité qui se trouve dans les profondeurs de la conscience. À l appui de cette affirmation de Proust, de l écrivain comme traducteur on cite une lettre que Proust a écrit à son ami le prince Bibesco et que Philip Kolb date du 20 décembre 1902 : «Tout ce que je fais n est pas du vrai travail, mais seulement de la traduction. Cela suffit à réveiller ma soif de réalisation, sans naturellement l assouvir en rien. Du moment que depuis cette longue torpeur j ai pour la première fois tourné mon regard à l intérieur, vers ma pensée, je sens tout le néant, cent personnages de roman, mille idées me demandent de leur donner un corps, comme ces ombres qui demandent dans Odyssée à Ulysse de leur faire boire un peu de sang pour les mener à la vie et que le héros écarte de son épée» 7. Ce qui fait de Proust un géant du roman d introspection et de la littérature en général c est son style, sa manière de transposer en œuvre littéraire des pensées des idées, une vie. C est un écrivain passionné par les mots (chaque mot compte) ; il cherche un style «écrit», un «beau style». La forme est à peine moins importante que le fond. C est ce style, cette manière de rendre ses pensées, ses idées qui font de son roman une mission si difficile pour le traducteur. Et c est pour cela que la culture roumaine a dû attendre 7 Correspondances, éd. Philip Kolb, Plon, tome III, 1976, p. 196. si longtemps jusqu à ce qu un traducteur réussisse à en donner une version intégrale de cette œuvre. Rares sont les écrivains qui ont possédé des vocabulaires aussi prodigieux que notre auteur. Proust affectionne beaucoup les vieux mots, les mots rares ou techniques. Il utilise aussi des effets de rhétorique comme : hyperboles, répétitions et gradations voulues, doubles négations, équilibres et antithèses. Ce qui est important de mentionner c est le goût de Proust pour les formules, très profondes et qui respirent un désenchantement tendre, un pessimisme serein : «Ce n est qu à force de mentir aux autres, mais aussi de se mentir à soimême, qu on cesse de s apercevoir qu on ment» 8 ; «L être aimé est successivement le mal et le remède qui suspend et aggrave le mal» 9. Comme du point de vue du fond, il y a chez notre auteur des rythmes intérieurs, nous trouvons des effets poétiques de rythme. Il n emploie guère des «mots-choc», de phrases détonation. Il n utilise pas un style robuste mais une façon subtile de déplacer un mot, de le situer à un endroit inattendu. Pour Proust il le dit nettement dans le Temps Retrouvé - «Le style (...) aussi bien que la couleur pour le peintre, est une question non de technique mais de vision. Il est la révélation, qui serait impossible par des moyens directs et conscients, de la différence qualitative qu il y a dans la façon dont nous apparaît le monde, différence qui, s il n y avait pas l art, resterait le secret éternel de chacun» 10. Une autre caractéristique du style de Proust qui pose beaucoup de problèmes aux traducteurs c est la longueur des phrases qui remplissent parfois une page entière, des paragraphes qui se prolongent pendant plusieurs pages. Ces longueurs sont nécessaires, car la phrase reflète le rythme même de la vie. La phrase épouse une mentalité car, en fait, le style n est qu une modalité de s exprimer soimême. Une notion capitale de la stylistique proustienne est la métaphore, c est-à-dire une juxtaposition d impressions, d un amalgame de l abstrait et du concret. L œuvre de Proust n est qu une suite de métaphores développées qui correspondent à sa vie intérieure, très riche en références culturelles. Proust établit délibérément des correspondances entre les sons : il parle d un 8 Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, op. cit., p. 1440. 9 Idem, p. 1384. 10 Marcel Proust, Le temps retrouvé, op. cit., p. 2285.

son «aveuglant» comme le soleil 11, compare l odeur des aubépines à la musique 12. Proust pense absolument que le style n est pas application systématique d une rhétorique figés, mais une formulation vivante, et pour tout dire aléatoire, c est-à-dire qui naît en même temps que le récit. Écoutons-le une fois de plus : «Il en est ainsi pour tous les grands écrivains, la beauté de leurs phrases est imprévisible, comme est celle d une femme qu on ne connaît pas encore ; elle est création puisqu elle s applique à un objet extérieur auquel ils pensent» 13. Cette phrase de Proust nous aide à comprendre aussi les difficultés qu un traducteur de son œuvre a à vaincre à cause de cette «beauté» des phrases qui est «imprévisible». En lisant ces phrases qui remplissent souvent des pages entières, ces rythmes qui s accordent au rythme de la conscience, il n est pas difficile de comprendre pourquoi il a fallu 15 ans à Irina Mavrodin pour traduire cette monumentale construction romanesque. En analysant les particularités du style de Marcel Proust, le traducteur est obligé à mettre l accent non seulement sur le sens, le contenu de son œuvre mais aussi sur la forme qui y prend une importance vitale. L œuvre de Proust se plie très bien à cette complémentarité de la forme et du contenu dont parlait Mikhaïl Bakhtine : «Le contenu représente ici l indispensable élément constitutif de l objet esthétique, auquel est corrélative la forme artistique qui, hors de cette corrélation, n a aucun sens» 14 ; «la forme est sous-tendue par une intention émotionnelle et volitive, sa capacité inhérente d exprimer la relation de valorisation de l artiste et du spectateur à quelques chose qui se trouve audelà du matériau.» 15 Donc, contenu, forme (le rythme, l harmonie, la symétrie) et artiste sont dans une relation d interdépendance dont la traduction erronée d un des composants mènerait à une trahison du texte original, de l écrivain mais aussi du lecteur. Telles sont les enjeux auxquels se livre le traducteur une fois commencé son travail. La première étape de la recherche proustienne en Roumanie est une vraie période de tâtonnements et de jugements souvent contradictoires, ce qui s explique aussi par l absence d une version roumaine des tomes de La recherche du temps perdu. Quand, en 1946, 11 Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, op.cit., p. 1540. 12 Marcel Proust, Du côté de chez Swann, op.cit, p. 122. 13 Marcel Proust, À l ombre des jeunes filles en fleurs, op. cit., p. 486. 14 Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, traduit du russe par Daria Olivier, Editions Gallimard, 1978, p. 46. 15 Idem, p. 30. Radu Cioculescu traduit le premier volume du cycle de La recherche du temps perdu, les auspices étaient peu favorables à la publication du roman de Proust. La culture roumaine abandonne cette difficile entreprise dans une période dans laquelle les anciennes institutions (la revue Fundaţiile Regale, les éditions Fundaţiile Regale) s écrouleront sous les coups de la classe travailleuse. Radu Cioculescu, le premier traducteur de Proust en roumain sera emprisonné pour des raisons politiques. Le premier signe de la renaissance de Proust dans la culture roumaine peut être considéré la parution, en Avril 1965, du numéro spécial de la revue Secolul XX, numéro dédié à Marcel Proust. Dans ce numéro on doit mentionner, à côté des études sur Proust, les traductions de quelques fragments de Jean Santeuil et Contre Sainte Beuve, et aussi quelques fragments de la version en roumain de Vladimir Streinu du premier volume de La recherche du temps perdu. En 1968 deux éditions, Meridiane et Minerva dans le cadre de la célèbre collection Biblioteca pentru toţi publient parallèlement une série d auteur sur Proust. Les éditions Meridiane ont publié seulement le premier volume de Proust, À coté du chez Swann, traduit en roumain comme În partea dinspre Swann 16, était signé par Vladimir Streinu, l un des disciples de E. Lovinescu avec une préface signée toujours par lui. Les éditions Minerva apportaient de nouveau sur la scène culturelle Radu Cioculescu, qui avait été réhabilité, et ont publié son premier volume qui reprend la préface de Tudor Vianu, la célèbre préface de l édition de 1946. La traduction de l œuvre va être continuée et finalisée des décennies plus tard par sa femme, Eugenia Cioculescu. Vladimir Streinu est resté dans la culture roumaine comme un des plus importants critiques littéraires qui a donné une théorie originale sur la versification moderne, historien de la littérature, esthéticien, traducteur (il a traduit Shakespeare et Proust), directeur de la revue Kalende, député, membre post-mortem de l Académie Roumaine, en 2006. Une autre vague de la réception de Proust sera couronnée par l activité infatigable de la traductrice Irina Mavrodin, celle qui en 1987 commence a publié la traduction intégrale de La recherche du temps perdu, traduction finie en 2000. Jusqu à Irina Mavrodin personne n a plus osé reprendre la difficile opération. 16 Marcel Proust, În partea dinspre Swann, in În căutarea timpului pierdut, traducere şi prefaţă de Vladimir Streinu, Editura pentru Literatură Universală, Bucureşti, 1968.

Auteur de nombreux volumes de poésies et d essais, Irina Mavrodin a signé aussi beaucoup de traductions d écrivains comme : Mme de Staël, Mme de Sévigné, Camus, Gide, Ponge, Genette, Flaubert, Proust, Cioran, Cohen, Cocteau etc. Elle a présenté ses réflexions sur la traduction et le traducteur dans des livres comme : Modernii, precursori ai clasicilor (Les Modernes précurseurs des classiques), Mîna care scrie (La Main qui écrit) ou Cvadratura cercului (La quadrature du cercle), Despre traducere literal şi în toate sensurile (Sur la traduction littéralement et dans tous les sens). Dans la préface du premier volume du cycle À la recherche du temps perdu 17 intitulée O mereu sporita uimire (Un étonnement toujours renouvellé), la traductrice parle des difficultés qu elle a dû affronter pour trouver un équivalent roumain pour les nuances du texte proustien : «La phrase de Proust ne me semble pas comparable à un instrument fin, même efféminé comme on a souvent dit mais plutôt à une machinerie forte et lourde qui halète de toutes ses articulations, lancée obsessivement, avec toute sa force, vers les moindres particules d inconnu, qui se soustraient, qu elle perçoit mais qui lui échappent de nouveau, en se retirant dans des lieux plus profonds ou plus à surface, et qu elle perçoit encore une fois» (c est nous qui traduisons) 18. Dans cette préface, Irina Mavrodin décrit la traduction de l œuvre de Proust (et la traduction en général) comme une aventure dans l inconnu, inconnu que le traducteur doit découvrir pas à pas et qui suppose beaucoup d efforts, de souffrances et de tortures, mais qui, une fois découvert, offre une grande satisfaction : «Quand on traduit un chef-d œuvre, on entre dans une autre type de connaissance, immédiate, globale, et violemment sensorielle. On sent la résistance du matériel, des quelques seuils successifs, et la certitude qu on en a passé le dernier ne peut être donnée par aucun règle et par aucune science apprise, ni même par cette intuition obscure qui parfois confère tant de confiance et d autres fois est si hésitante, intuition appelée sens de la langue. [ ] On accorde la respiration à un autre rythme, celui d une phrase [ ] on voit comment le désespoir change dans le bonheur d arriver sur la petite prairie très verte du point par lequel on passe vers la souffrance et l extase promises par la phrase suivante» 19 (c est nous qui traduisons). La traductrice de La Recherche met l accent sur le fait que, dans le cas du roman proustien le traducteur n a le droit d omettre aucun mot car il joue dans l économie de la phrase le même rôle que joue chaque mot dans l économie d un vers : «on doit essayer la performance de garder la longueur, le rythme, les biais compliqués, et, dans la mesure dans laquelle la langue roumaine la permet, la topique, parce que, pareil à un vers ou à une strophe, la phrase proustienne comme unité prosodique - ne commence pas accidentellement avec un certain mot et finit avec un certain autre, il énonce dans un ordre qu a son importance, les autres, des mots repères et leitmotivs qui, eux aussi, doivent être laissés à leurs places, d où ils se répondent et correspondent, à l intérieur de la phrase, mais aussi au-delà d elle» 20. (c est nous qui traduisons) Dans un autre article intitulé Familiarité vs. dépaysement : un test pour le traducteur de littérature 21, Irina Mavrodin touche un autre problème du traducteur, problème rencontré aussi dans le texte proustien : le traducteur se trouve dans la situation de choisir entre deux solutions : apporter le texte traduit vers le lecteur ou apporter le lecteur vers le texte traduit. Apporter le texte vers le lecteur signifie une sorte de modulation, de changement vers une familiarité (le lecteur doit trouver dans le texte traduit des repères qui lui sont familiers). Cette chose conduit le traducteur à éviter les néologismes, les mots rares, un registre plutôt désuet étant préféré, registre qui parait plus roumain. C est ce qu Irina Mavrodin a eu à reprocher à la traduction de Radu et Eugenia Cioculescu, mais c est une option qui peut être expliquée par le fait qu à ce temps-là on considérait plus adéquate une adaptation du texte original aux exigences du public. L autre solution du traducteur, adoptée par Irina Mavrodin dans sa traduction, est le dépaysement la traductrice essaye d apporter le lecteur vers le texte traduit pour protéger le texte des connotations qui feraient référence à l espace culturel d origine. La traductrice de Proust explique son choix par la nature-même du texte proustien qui oblige la phrase roumaine à une topique étrange, difficile à comprendre pour le lecteur roumain et 17 Marcel Proust, Swann, in În căutarea timpului pierdut, traducere, prefaţă, note şi comentarii de Irina Mavrodin, Ed. Univers, Bucureşti, 1987. 18 Irina Mavrodin, O mereu sporită uimire, in Swann, În căutarea timpului pierdut, op.cit., p. 8. 19 Idem, p. 7. 20 Idem, p. 9. 21 Irina Mavrodin, Familiaritate vs. Depeizare: un test pentru traducătorul de literatură in Despre traducere literal şi în toate sensurile, Ed. Scrisul Românesc, Craiova, 2006.

même pour le lecteur français. Car l écrivain français avait choqué son public par la violence de la syntaxe, syntaxe que le traducteur doit garder de la même façon dans la langue roumaine, sans essayer de la simplifier pour que le lecteur puisse plus facilement la comprendre. C est ce que la traduction faite par Radu et Eugenia Cioculescu a essayé. En ce qui concerne la version de Vladimir Streinu du premier volume, traduction faite avant Radu Cioculescu, on peut dire qu à notre époque il serait difficile pour le lecteur de comprendre tous les mots qu il a utilisés. Le langage qu il utilise est devenu désuet car la langue évolue sans cesse, raison qui détermine les traducteurs de traduire et de re-traduire pour le public contemporain. À l appui de cette affirmation nous donnerons quelques exemples des différentes traductions du roman proustien. Le premier exemple que nous mentionnons dès le début c est la traduction du titre du premier volume, Du coté de chez Swann (d ailleurs le seul traduit par Vladimir Streinu). Tandis que Vladimir Streinu a préféré de donner une traduction littérale, În partea dinspre Swann, Radu Cioculescu et Irina Mavrodin ont traduit simplement par Swann. Streinu donne ainsi de l ampleur au titre qui semble vouloir avertir le lecteur sur le style sophistiqué de l œuvre entière. Les autres deux traducteurs ont préféré ne pas calquer la structure française et de rendre le titre seulement par Swann. D autres exemples s imposent dès les premières pages du volume. Le roman commence par la phrase suivante : «Longtemps, je me suis couché de bonne heure.» 22 Vladimir Streinu : Mult timp, eu m- am culcat de cu seara. 23 Radu Cioculescu : Timp îndelungat, m-am culcat devreme 24. Irina Mavrodin : Ani de-a rândul, m-am culcat devreme 25. Les trois traducteurs ont préservé la structure de la phrase avec des différences en ce qui concerne quelques mots. Tenant compte que «longtemps» ne peut pas être traduit par un seul mot, même en français il est un adverbe composé, les trois traducteurs ont donné chacun leur version. Streinu a employé correctement Mult timp, de même Cioculescu avec Timp îndelungat mais Mavrodin a modifié un peu le sens : l auteur ne donne pas un adverbe de durée précise pendant que la traductrice dit Ani de-a rândul. Le verbe reste le même dans les trois traductions mais une autre différence apparait à la traduction de l autre adverbe de la phrase : «de bonne heure» que seul Streinu le traduit par un calque du mot français : de cu seara. La variante de Cioculescu et de Mavrodin est plus appropriée pour le roumain : devreme Un autre exemple serait la phrase : «Ou bien en dormant j avais rejoint sans effort un âge à jamais révolu de ma vie primitive, retrouvé telle de mes terreurs enfantines comme celle que mon grand-oncle me tirât par mes boucles et qu avait dissipée le jour date pour moi d une ère nouvelle où on les avait coupées» 26. Vladimir Streinu : Sau altădată, dormind, ajunsesem din nou fără nici o sforţare la vârsta încheiată pentru totdeauna a vieţii mele primitive, îmi regăsisem una din spaimele mele copilăreşti, cum era aceea când fratele bunicului mă trăgea de zulufi, spaimă pe care o risipise ziua când mi s-a tăiat moţul, soroc al unei ere noi pentru mine 27. Radu Cioculescu : Sau retrăiam din nou, în somn, fără trudă, o vârstă pentru totdeauna încheiată, a vieţii mele primitive, regăseam vreuna din spaimele copilăreşti, ca aceea când unchiul meu mă trăgea de cârlionţi, spaimă care se risipise în ziua pentru mine dată fixa a unei ere noi în care aceşti cârlionţi îmi fuseseră tunşi 28. Irina Mavrodin : Sau, dormind, întâlnisem fără efort o vârstă pentru totdeauna trecută din viaţa mea cea dintâi, regăsisem cine ştie ce spaimă copilărească, asemenea gândului că unchiul meu mă va trage de bucle, teamă care se risipise în ziua când dată marcând pentru mine începutul unei ere noi mi-au fost tăiate 29. Chez Streinu nous pouvons observer premièrement le calque de la structure française car il garde presque toujours la structure syntaxique du français. L exception est représentée par le syntagme soroc al unei ere noi pentru mine qui apparait en français intercalé à d autres syntagmes et non pas à la fin de la phrase. Deuxièmement, Streinu emploie quelques mots appartenant au siècle passé, par exemple : sforţare, zulufi, moţ ou soroc. Mais nous devons prendre en considération le fait que cette version est la première traduction roumaine du roman proustien et que la langue 22 Marcel Proust, Du coté de chez Swann in À la recherche du temps perdu, Ed. Gallimard, 1999, pour la présente édition en un volume, p. 13. 23 Marcel Proust, În partea dinspre Swann, op. cit., p. 31. 24 Marcel Proust, Swann in În căutarea timpului trecut, traducere de Radu Cioculescu, Ed. Leda, 2005, p. 17. 25 Marcel Proust, Swann, traducere de Irina Mavrodin, op.cit., p. 35. 26 Marcel Proust, Du coté de chez Swann, op.cit., p. 30. 27 Marcel Proust, În partea dinspre Swann, traducere de Vladimir Streinu, op. cit., p. 33. 28 Marcel Proust, Swann, traducere de R. Cioculescu, op. cit., p. 18. 29 Marcel Proust, Swann, traducere de Irina Mavrodin, op. cit., p. 36.

se trouve dans un changement continu ce qui rend explicable les choix du traducteur. Nous observons aussi le fait que le traducteur utilise deux noms différents pour la traduction du «boucles» : zulufi et moţ. Il préfère de remplacer le pronom complément d objet direct «les» du syntagme «on les avait coupées» en reprenant cette fois-ci le nom «boucles» par moţ. En échange, Radu Cioculescu renverse la topique de la phrase de l original. Ainsi, dans la première phrase principale «Ou bien en dormant j avais rejoint sans effort un âge à jamais révolu de ma vie primitive», le traducteur recourt-il à une transposition en remplaçant le verbe au gérondif «en dormant» avec le nom somn et met-il sur la première place le verbe «j avais rejoint» au plus-que-parfait traduit par un verbe à l imparfait, retrăiam. Nous trouvons le même changement du temps verbaux quant au verbe «j avais trouvé»/ regăseam et le remplacement du verbe au passé simple tirât toujours par l imparfait, mă trăgea pendant que les autres verbes de la phrase qui se trouvent au plus-que-parfait sont laissés au même temps verbaux. Ce changement des temps verbaux influence le mode de perception de l action, le traducteur intervenant ainsi dans le déroulement de l action. Les faits sont perçus en roumain comme étant plus proches du présent qu ils ne le sont pas dans le texte français. En ce qui concerne la traduction de Mavrodin nous mentionnons qu elle a gardé la structure syntaxique de la phrase française, le temps verbaux n ont pas été changés, excepté le verbe tirât qui apparait en roumain au future simple, mă va trage. Nous ne pouvons pas décider quelle est la meilleure traduction des trois que nous venons d analyser. Notre but n est pas de choisir entre une bonne ou une mauvaise traduction mais de montrer les méthodes et les solutions adoptées par les traducteurs face à un texte d une telle ampleur. Les exemples pourraient être multipliés mais, malheureusement l espace d un article ne nous permet pas d analyser toutes les difficultés que pose la traduction de l œuvre de Marcel Proust. Nous avons seulement essayé d esquisser quelques uns des enjeux de la traduction, une traduction qui doit être toujours renouvelée au fur et à mesure que les transformations linguistiques l imposent. Bibliographie Berman, Antoine, La traduction et la lettre ou l Auberge du lointain, Editions du Seuil, Paris, 1993. Constantinescu, Muguraş, Traduction entre pratique et théorie, Editura Universităţii, Suceava, 2005. Correspondances, éd. Philip Kolb, Plon, tome III, 1976. Cornea, Paul, Traduceri şi traducători în prima jumătate a sec. al XIX-lea in De la Alecsandri la Eminescu, Ed. pentru Literaturã, Bucureşti, 1966. Lowery, Bruce, Marcel Proust et Henry James, Plon, Paris, 1964. Mavrodin, Irina, Despre traducere literal şi în toate sensurile, Editura Scrisul Românesc, Craiova, 2006. Mavrodin, Irina, Uimire şi Poiesis, Scrisul Românesc, Craiova, 1999. Mavrodin, Irina, Modernii, precursori ai clasicilor, Dacia, 1981. Proust, Marcel, À la recherche du temps perdu, texte établi sous la direction de Jean-Yves Tadié, Gallimard, Paris, 1999. Proust, Marcel, Swann in În căutarea timpului trecut, traducere de Radu Cioculescu, Editura Leda, Bucureşti 2005. Proust, Marcel, În partea dinspre Swann, in În căutarea timpului pierdut, traducere şi prefaţă de Vladimir Streinu, Editura pentru Literatură Universală, Bucureşti, 1968. Proust, Marcel, Swann, in În căutarea timpului pierdut, traducere, prefaţă, note şi comentarii de Irina Mavrodin, Editura Univers, Bucureşti, 1987. Ricoeur, Paul, Sur la traduction, Editions Bayard, Paris, 2004. Rousset, Jean, Forme et signification, José Corti, Paris, 1962. Schleiermacher, F. D. E., Des différentes méthodes de traduire, traduit de l allemand par Antoine Berman, Editions du Seuil, 1999. Steiner, George, După Babel - Aspecte ale traducerii, Editura Univers, Bucuresti, 1983. Florina CERCEL Doctorante à l Université «Ştefan cel Mare» de Suceava, domaine Philologie, Titre de la thèse de doctorat : Traduire l identité multiple. Le cas d Amin Maalouf, le coordinateur scientifique: prof. univ. dr. Muguraş CONSTANTINESCU.