Troubles de la marche et de l équilibre. Chutes chez le sujet âgé. Texte mis en ligne en accès libre



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Collège National des Enseignants en Gériatre en Gériatre Item 62 Troubles de la marche et de l équilibre. bl d l h d l é ilib Chutes chez le sujet âgé Texte mis en ligne en accès libre g avec l autorisation du CNEG et de Masson Chapitre extrait du livre : Collège National des Enseignant en Gériatrie. Vieillissement (2 é ( ndd édition). é ) Paris : Masson ; 2010:272pp. Vous trouverez dans l ouvrage les autres chapitres et les dossiers cliniques

Item 62 - Troubles de la marche et de l équilibre. Chutes chez le sujet âgé Objectifs pédagogiques MASSON. La photocopie non autorisée est un délit. Nationaux Diagnostiquer les troubles de la marche et de l équilibre chez le sujet âgé. Argumenter le caractère de gravité des chutes et décrire la prise en charge. CNEG Décrire les effets du vieillissement sur la posture, l équilibre statique, la coordination et la marche. Décrire les divers troubles de la marche, notamment d origine mécanique et neurologique. Décrire les différents temps de l examen clinique d une personne ayant des troubles de l équilibre statique et de la marche. Définir et décrire le syndrome postchute. Citer les facteurs iatrogènes favorisant les troubles de la marche et de chutes. Citer les principaux facteurs de chute liés à l environnement. Énoncer les mesures essentielles préventives des chutes chez la personne âgée. Décrire le bilan étiologique à mettre en œuvre chez un patient âgé qui vient de chuter. Décrire les principales étapes de la rééducation et de la réadaptation d un sujet âgé victime d une chute. On estime qu un tiers des sujets âgés de plus de 65 ans et la moitié de ceux âgés de plus de 85 ans font une ou plusieurs chutes par an. En France, les chutes seraient responsables à court terme de 12 000 décès par an. Elles représentent aussi un facteur d entrée dans la dépendanceþ; en effet, 40þ% des sujets âgés hospitalisés pour chute sont orientés ensuite vers une institution. La chute peut avoir des significations diverses chez le sujet âgéþ: signe essentiel d une étiologie unique (chute symptôme), élément sémiologique d un syndrome (syndrome de régression psychomotrice), événement dont la signification est sociale ou psychique (chute symbole), enfin événement brutal lié à un facteur intercurrent. Il existe encore trop souvent une différence de comportement médical face à la chute selon qu elle est ou non précédée de malaise ou perte de connaissance. La première, teintée de gravité, fait l objet d une exploration active. La seconde, dite «þmécaniqueþ», est souvent négligée. Or les chutes sont rarement fortuites chez le sujet âgé. Qu elle soit la conséquence d une perte progressive des mécanismes d adaptation à l équilibre, d une affection aiguë, d un effet indésirable d un médicament ou la manifestation d un appel à l aide, chaque chute est susceptible de provoquer la peur d une nouvelle chute, le corollaire étant la crainte et la limitation spontanée de la marche et la spirale de la dépendance. Toute chute chez un sujet âgé, quelles qu en soient les circonstances, doit ainsi être prise en charge non comme un simple accident, mais comme une affection potentiellement grave. 145

CONNAISSANCES I. MARCHE ET ÉQUILIBRE A. Généralités La marche est une modalité particulière du mouvement nécessitant l intégrité des voies motrices, cérébelleuses, vestibulaires, des afférences proprioceptives et des effecteurs. Les voies motrices comprennent les systèmes pyramidal et extrapyramidal. Les voies cérébelleuses sont impliquées dans les réactions d équilibre statique et dynamique. Les voies vestibulaires participent au tonus postural et à l information sur la direction et la vitesse du mouvement. Les afférences proprioceptives informent de la position des articulations et des membres dans l espace. Les afférences prenant leurs origines de la face plantaire sont particulièrement importantes pour la marche. Cette voie chemine par les cordons postérieurs de la moelle. Les effecteursþ: muscles et articulations. La marche est une activité alternée des membres inférieurs qui permet le déplacement du corps tout en assurant le maintien de son équilibre en orthostatisme. C est une activité motrice automatique qui demande un apprentissage dès l enfance (automatisme acquis). On décrit plusieurs systèmes impliqués dans la marcheþ: le système anti-gravitaire sert au maintien de l attitude érigée en s opposant à l effet de la pesanteur. Il est sous la dépendance du tonus des muscles antigravitaires qui sont, chez l homme, les muscles extenseurs des membres inférieurs et les muscles paravertébraux. Les afférences de ce système proprioceptif proviennent de la plante des pieds, du labyrinthe de l oreille interne, des récepteurs musculo-tendineuxþ; le système d équilibre et d adaptation posturale vise au maintien de la posture, notamment en position debout. Ce système est complexe et intègre les informations de 4 modes de perceptionþ: la vue, le système vestibulaire, les voies sensitives afférentes proprioceptives, les voies sensitives afférentes tactiles épicritiques. Ce système est statique (tonus postural) et dynamique (marche). La réaction d équilibration se définit comme l ensemble des mouvements compensatoires automatiques qui permet l adaptation posturale pour des débattements posturaux (mouvement oscillatoire du centre de gravité). La marche peut être décrite comme une suite de ruptures d équilibre conduisant à une instabilité suivie d une réaction visant à restaurer la stabilité d un des membres inférieurs en alternance. La production du pas est donc une activité rythmique au cours de laquelle le poids du corps alterne d un membre inférieur à l autre, par l intermédiaire d un appui unipodal. 146

ITEM 62 TROUBLES DE LA MARCHE ET DE L ÉQUILIBRE. CHUTES CHEZ LE SUJET ÂGÉ 9 B. Effets du vieillissement sur la marche et l équilibre Les réactions posturales se maintiennent efficacement au cours du vieillissement, mais la vitesse des réactions et les capacités d adaptation aux situations extrêmes sont moindres. Par rapport aux sujets plus jeunes, on décrit chez les personnes âgéesþ: une augmentation des oscillations à la station deboutþ; une diminution de la vitesse de la marche, à petits pasþ; une réduction de la longueur et de la hauteur du pasþ; une diminution des mouvements de balanciers des bras. II. MÉCANISMES DES CHUTES CHEZ LES PERSONNES ÂGÉES Le mécanisme des chutes est souvent difficile à déterminer en pratique clinique. Parmi les facteurs de risque associés aux chutes, certains semblent impliqués directement dans le mécanisme des chutes, alors que d autres représentent seulement un marqueur du risque de chute. On classe ces facteurs en deux catégoriesþ: les facteurs de vulnérabilité, habituellement chroniques, et les facteurs précipitants sources de déséquilibre qui interviennent de façon plus ponctuelle. A. Facteurs de vulnérabilité MASSON. La photocopie non autorisée est un délit. Le grand âge est un important facteur de vulnérabilité. Un âge supérieur à 80 ans est associé à une forte augmentation du risque de chute. Le sexe féminin est associé à une augmentation du risque de chute. Les autres facteurs de vulnérabilité sont nombreuxþ: neurologiques, neuromusculaires, ostéoarticulaires, visuels et psychiatriques. Il est fréquent de retrouver plusieurs facteurs de risque chez la même personne. Parmi les affections neurologiques, on trouve les séquelles de maladies cérébrovasculaires, les démences, notamment la démence à corps de Lewy, la maladie de Parkinson et les autres syndromes parkinsoniens, l hydrocéphalie chronique. Les atteintes musculaires chez le sujet âgé doivent évoquer en priorité une étiologie endocrinienne, en particulier l hyperthyroïdie. La dénutrition protéino-énergétique est une cause fréquente de sarcopénie et de faiblesse musculaire chez les personnes âgées. Les autres pathologies musculaires comportent les myopathies médicamenteuses, la myasthénie et les myosites. Les atteintes ostéoarticulaires sont dominées par la limitation d amplitude des articulations coxofémorales qui ne peuvent assurer leur fonction d adaptation de l équilibre en situation extrême. L efficacité des traitements chirurgicaux (prothèse totale de hanche) réalisés avant l apparition d une amyotrophie en font un diagnostic prioritaire. Des travaux récents ont insisté sur l importance de la limitation de la dorsiflexion de la cheville comme facteur prédictif de chute. Les pieds doivent faire l objet d une attention particulière et peuvent justifier un examen podologique spécialisé. 147

CONNAISSANCES Les troubles de la vision sont aussi une cause de chute chez les personnes âgéesþ: cataracte, dégénérescence maculaire liée à l âge, baisse de l acuité visuelle et/ou altérations périphériques du champ visuel liées à d autres pathologies oculaires. Le syndrome dépressif par l inhibition motrice et psychique qu il entraîne et par la prescription de psychotropes est un facteur fréquent prédisposant aux chutes. De nombreuses affections peuvent réduire l adaptation à l effort et les mouvements compensatoires d adaptation posturale. B. Facteurs précipitants Les facteurs précipitants sont ceux qui peuvent déclencher la chuteþ; ils sont souvent multiples et associés entre eux. Ils peuvent être mineurs lorsque les facteurs de vulnérabilité sont majeurs. Tout événement pathologique peut favoriser la chute. L ensemble des étiologies des malaises et pertes de connaissance doit être recherché. Les causes cardiovasculaires. Elles sont nombreuses et doivent être recherchées par l examen clinique et l électrocardiogramme (ECG)þ: troubles du rythme supraventriculairesþ; troubles de conductionþ; infarctus du myocardeþ; embolie pulmonaireþ; rétrécissement aortique serréþ; hypotension orthostatique, très fréquente. Elle est souvent multifactorielle (hypovolémie, insuffisance veineuse des membres inférieurs, dysfonctionnement du système nerveux autonome, désadaptation à l effort et hypotension post-prandiale), mais les causes iatrogènes dominentþ; malaises neuro-circulatoiresþ: malaise vagal, syndrome du sinus carotidien, syncopes mictionnelles. Les causes neurologiquesþ: les accidents vasculaires cérébraux aigusþ; la confusion mentale, en altérant la vigilanceþ; les crises épileptiques. Les maladies infectieuses. Les causes vestibulaires. Enfin, les causes métaboliquesþ: la déshydratationþ; les hypo et les hyperkaliémies responsables de troubles paroxystiques du rythmeþ; les hypoglycémies le plus souvent d origine iatrogèneþ; l hypercalcémieþ; les médicamentsþ: la polymédication (> 4 spécialités) et certaines classesþ: psychotropes, médicaments anticholinergiques et médicaments cardiovasculaires. Les causes comportementales et environnementalesþ: comportement à risque de la personneþ: intoxication alcoolique, montée sur un escabeau ou un tabouret instable, par exemple. port de chaussures inadaptées, trop lâches, maintenant mal le pied, à semelle usée ou glissante, chaises bancalesþ; 148

ITEM 62 TROUBLES DE LA MARCHE ET DE L ÉQUILIBRE. CHUTES CHEZ LE SUJET ÂGÉ 9 vêtements trop longsþ; lit trop basþ; fauteuil ou lit trop haut ou trop basþ; W.-C. trop basþ; tapis mal fixés, fils électriques mal situésþ; objets mal rangés ou traînant au solþ; animaux domestiquesþ; sol mouillé, glissant ou irrégulier. III. LES CONSÉQUENCES DE LA CHUTE A. Les conséquences traumatiques Les chutes peuvent entraîner divers types de traumatismesþ: contusions, hématomes, plaies, luxations, fractures. Leur diagnostic est le plus souvent facile. Certaines complications traumatiques sont plus difficiles à reconnaîtreþ: fractures par insuffisance osseuseþ; fractures engrenées du col fémoralþ; hématomes intracrâniens. Certaines complications peuvent survenir chez les personnes restées au sol de façon prolongée après la chuteþ: rhabdomyolyse, hypothermie, déshydratation, escarres. B. Les conséquences psychologiques MASSON. La photocopie non autorisée est un délit. Les conséquences psychologiques sont fréquentes notamment en cas de station prolongée au sol après la chute avec une intensité plus importante. Elles comportentþ: la peur de tomberþ; l anxiété majeure qui peut conduire à un refus de toute verticalisation associé à une perte de confiance en soi, un sentiment d insécurité et de dévalorisationþ; la dépression, le repli sur soi, la démotivation. À terme, ces conséquences entraînent une restriction des activités motrices et une perte d indépendance fonctionnelle pour les actes de la vie quotidienne. Un cercle vicieux peut s installerþ: restriction de la marche fonte musculaire et instabilité posturale majoration de la peur de tomber et/ou nouvelle(s) chute(s) restriction de la marche. C. Le syndrome postchute Ce syndrome réunitþ: un trouble postural en position assise ou debout, la rétropulsion, rendant souvent la station debout impossible sans aide humaineþ; 149

CONNAISSANCES une composante anxieuse majeure déclenchée en position debout, parfois qualifiée de phobie de la marcheþ; la marche avec aide humaine met en évidenceþ: petits pas glissés, en appui talonnier sans déroulement du pas au sol avec possible élargissement du polygone de sustentation. Il existe un retard de l initiation de la marche ou freezingþ; des troubles neurologiques avec hypertonie oppositionnelle, altération des réactions d adaptation posturale et des réactions parachutesþ; une composante anxieuse majeure déclenchée par toute tentative de marche avec quelquefois une phobie de la verticalisation. Ces signes ne sont pas expliqués par des lésions traumatiques ou neurologiques de la chute. Ce syndrome a un mauvais pronostic avec un risque évolutif important vers la perte fonctionnelle de la marche et une perte d indépendance pour les gestes de la vie quotidienne. Il représente une urgence gériatrique et impose une hospitalisation avec la mise en œuvre rapide d une prise en charge pluridisciplinaire incluant notamment une rééducation fonctionnelle et une psychothérapie. IV. L ÉVALUATION DE LA PERSONNE ÂGÉE APRÈS UNE CHUTE L évaluation du patient après une chute a plusieurs objectifs, elle rechercheþ: les conséquences traumatiques et les signes de gravité immédiatsþ; les facteurs de vulnérabilité et/ou précipitants modifiablesþ; le risque de récidive des chutes et le risque de fracture. A. Recherche des conséquences traumatiques et des signes de gravité L évaluation est basée sur l examen clinique et si besoin des examens complémentaires. L entretien avec le patient précise le temps passé au sol, évalue l orientation temporo-spatiale et la vigilance. Il recherche aussi des symptômes en rapport avec une affection médicale nécessitant une prise en charge immédiate et pouvant être à l origine des chutes (infection, maladie cardiaque, neurologique, trouble métabolique). L examen clinique doit être completþ: constantes (pression artérielle, fréquence cardiaque, température, fréquence respiratoire)þ; recherche d une hypotension orthostatiqueþ; inspection de la peau et des membresþ; palpation des grands trochanters, ailes iliaques et côtesþ; examen neurologique et articulaireþ; enfin, en l absence de suspicion de fracture des membres inférieurs ou du bassin, évaluer la station debout et la marche. En cas de déformation, de douleur spontanée ou provoquée, la réalisation des radiographies des os et articulations concernés s impose. L indication de la radiographie du bassin doit être large. En cas de troubles neurologiques, 150

ITEM 62 TROUBLES DE LA MARCHE ET DE L ÉQUILIBRE. CHUTES CHEZ LE SUJET ÂGÉ 9 il faut réaliser une imagerie cérébrale (scanner cérébral sans injection). En cas de station au sol supérieure à une heure, un ionogramme sanguin, créatininémie et de créatine phosphokinase (CPK). En cas de suspicion d infection, une numération-formule sanguine (NFS), des hémocultures, un examen cytobactériologique des urines (ECBU) et d autres examens orientés en fonction du contexte seront réalisés. Si le patient est diabétique, il faut mesurer la glycémie capillaire. Il faut réaliser un ECG en cas de syncope ou de symptômes cardiovasculaires. D autres examens biologiques peuvent être utiles et sont prescrits en fonction des données cliniques. B. Recherche des facteurs de vulnérabilité et/ou précipitants modifiables Compte tenu de la multiplicité des organes et fonctions impliqués dans l équilibre et la marche, l évaluation d un patient âgé ayant chuté doit être globale (Tableau 9.I). La recherche des facteurs de vulnérabilité et des facteurs déclenchant est basée surþ: l interrogatoire du patient et de témoins de la chute le cas échantþ; l examen cliniqueþ; l évaluation gériatrique standardiséeþ: comportant une évaluation cognitive, la recherche de symptômes dépressifs et la recherche d une dénutrition protéino-énergétiqueþ; l ECGþ; un bilan biologique comportantþ: ionogramme sanguin, glycémie, calcémie, dosage de la vitamine D (25OHD3). D autres examens biologiques peuvent être nécessaires en fonction des données de cette première approche, notamment HbA1C chez les sujets diabétiques. C. Évaluation du risque de récidive des chutes et du risque de fracture MASSON. La photocopie non autorisée est un délit. Les facteurs de vulnérabilité et précipitants non curables représentent des facteurs évidents de risque de récidive de chute. Plus ils sont nombreux et associés, plus le risque est élevé. D autres éléments sont des marqueurs du risque de récidive des chutes (Tableau 9.I)þ: le caractère répétitif des chutes ( þ2 au cours des 12þderniers mois)þ; augmentation de la fréquence des chutes au cours des derniers mois ou semainesþ; séjour au sol prolongé après la chute (>þ1 heure) témoigne d une insuffisance des aptitudes posturales de l individu et d un certain isolementþ; station unipodale < 5 secondesþ; timed up and go test >þ20 secondesþ; marche en situation de double tâche anormaleþ: les individus atteints d une fragilité posturale arrêtent de marcher lorsqu ils effectuent une tâche cognitive.þ 151

CONNAISSANCES Tableau 9.I. Marqueurs cliniques des principaux facteurs de vulnérabilité et facteurs précipitants de chute chez les personnes âgées. Marqueurs cliniques Commentaire FACTEURS DE VULNÉRABILITÉ Âge > 80 ans Sexe féminin Polymédication Médicaments psychotropes ou anticholinergiques > 4 spécialités différentes Neuroleptiques, antidépresseurs, hypnotiques, anxiolytiques, neuroleptiques cachés, oxybutirine, antihistaminiques Médicaments cardiovasculaires Diurétiques, digoxine, anti-arythmiques de classe 1 Troubles de la marche et de l équilibre Faiblesse musculaire des membres inférieurs Dénutrition protéino-énergétique Pathologie articulaire des membres inférieurs et/ou du rachis Troubles de la sensibilité superficielle et/ou proprioceptive des membres inférieurs Baisse de l acuité visuelle Symptômes dépressifs Déclin cognitif Timed up and go test > 20 sec Appui unipodal < 5 sec Incapacité de se lever d une chaise sans les mains Amaigrissement, IMC > 21 kg/m 2, score anormal au test MNA Raideur, douleur, déformation des articulations Position des orteils, filament, diapason Scores anormaux aux échelles de Parinaud et Monoyer Entretien orienté ou score anormal à la GDS Score anormal à un test d évaluation cognitive (MMSE, test de l horloge, Codex, test des 5 mots) FACTEURS PRÉCIPITANTS Facteurs liés au patient Cardiovasculaires Neurologiques Vestibulaires Maladies infectieuses Métaboliques Facteurs liés à l environnement Syncope, malaise, perte de connaissance, souffle systolique, recherche d hypotension orthostatique, ECG anormal Déficit sensitivomoteur transitoire ou constitué, confusion mentale, crise épileptique Vertige, nystagmus Fièvre, hypovolémie, déshydratation, signe en rapport avec le siège de l infection Hyponatrémie, hypoglycémie, intoxication alcoolique Lit trop haut ou trop bas, mobilier inadapté, W.-C. trop bas, habits trop longs, mauvais état du sol, chaussage inadapté, obstacles MNAþ: Mini-Nutritional Assessmentþ; GDSþ: Geriatric Depression Scaleþ; MMSEþ: Mini-Mental State Examination 152

ITEM 62 TROUBLES DE LA MARCHE ET DE L ÉQUILIBRE. CHUTES CHEZ LE SUJET ÂGÉ 9 Station unipodaleþ: ce test consiste à demander à la personne de se tenir debout sur un pied (de son choix). L impossibilité de tenir plus de 5 secondes est associée à un risque de chute traumatisante. Timed up and go testþ: on demande à la personne de se lever d une chaise à accoudoirs, de marcher 3þmètres en ligne droite, de faire demi-tour, et retourner s asseoir. La personne porte ses chaussures habituelles et le cas échéant l aide technique qu elle utilise habituellement. Un temps de réalisation >þ20þsecondes est prédictif d un risque de nouvelle chute. Un temps supérieur à 12þsecondes indique l existence de troubles de la marche ou de l équilibre. Ce test permet aussi une analyse qualitative de la stabilité du patient au cours des différentes phases du test. Les personnes âgées faisant des chutes répétées ont un risque élevé de fracture. Il faut rechercher les facteurs de risque d ostéoporose et de fracture (cf.þitemþ56 «þostéoporoseþ»). L indication d une ostéodensitométrie osseuse doit être large. V. PRISE EN CHARGE DES PERSONNES ÂGÉES APRÈS UNE CHUTE MASSON. La photocopie non autorisée est un délit. Les investigations et thérapeutiques nécessaires pour gérer les conséquences traumatiques et/ou les facteurs précipitants devant être traités immédiatement requièrent souvent une consultation au service d accueil des urgences et parfois une hospitalisation. En dehors de la gestion des conséquences traumatiques, la prise en charge vise à éviter ou à diminuer le risque de récidive de chutes. Elle repose sur les éléments suivantsþ: Dans tous les casþ: révision si possible de la prescription des médicaments, si la personne prend un médicament associé au risque de chute et/ou si la personne est polymédicamentéeþ; correction ou traitement des facteurs de vulnérabilité ou précipitants modifiables (incluant les facteurs environnementaux de risque de chute)þ; port des chaussures à talons larges et bas (2 à 3þcm), à semelles fines et fermes avec une tige remontant hautþ; pratique régulière de la marche et/ou de toute autre activité physiqueþ; apport calcique alimentaire compris entre 1,2 et 1,5 g/jþ; correction d une éventuelle carence en vitamine D par une dose de charge puis par un apport journalier d au moins 800 UI/j. En cas de trouble de la marche ou de l équilibreþ: kinésithérapie motriceþ: travail de l équilibre postural statique et dynamique, renforcement musculaire des membres inférieurs, travail de relevé du solþ; poursuite des exercices en autorééducation entre les séances encadrées par un professionnelþ; aménagement de l environnementþ; utilisation si nécessaire d une aide technique à la marche adaptée au trouble locomoteur identifié. En cas d ostéoporose avéréeþ: entreprendre un traitement de l ostéoporose pour prévenir les fractures. 153

CONNAISSANCES En cas de syndrome postchuteþ: hospitalisationþ; rééducation fonctionnelleþ; soutien psychologiqueþ; prise en charge pluridisciplinaire. 154

Fiche de révision ECN Troubles de la marche et de l équilibre. Chute chez le sujet âgé. Facteurs de vulnérabilité et facteurs précipitantsþ: connaître la liste et leurs marqueurs cliniques (Tableau 9.I). þénumérez les conséquences des chutesþ: þtraumatismesþ: contusions, hématomes, plaies, luxations, fracturesþ; attention aux complications dont le diagnostic est parfois difficileþ: fracture par insuffisance osseuse, fracture engrenée du col fémoral, hématome intra-cranienþ; chez les personnes restées au sol de façon prolongéeþ: rhabdomylolyse, hypothermie, déshydratation, escarres. þconséquences psychologiquesþ: peur de tomberþ; anxiétéþ; dépression et repli sur soiþ; conséquences fréquentesþ: restriction de l activité de marche, et perte d indépendance fonctionnelle. þsyndrome postchute associant troubles moteurs (rétropulsion, anomalies de la marche), anomalies neurologiques (hypertonie oppositionnelle et perte des réactions d adaptation posturale et des réactions parachutes), et anomalies psychologiques (anxiété majeure, phobie de la marche) non expliqués pas des lésions traumatiques ou neurologiques. þévaluation du patient après une chuteþ: þrecherche des conséquences traumatiques et signes de gravitéþ: temps passé au solþ; examen clinique complet recherchant des traumatismes et un facteur précipitant grave nécessitant une prise en charge immédiateþ; les examens sont prescrits en fonction des signes d orientation cliniqueþ: ECG, radiographie des os et articulations, scanner cérébral, ionogramme sanguin, créatininémie, glycémie, CPK, NFS, hémocultures, ECBU. þrecherche des facteurs de vulnérabilité et/ou précipitants modifiablesþ: apprendre le tableau 9.I. þévaluation du risque de récidive des chutes et du risque de fractureþ: facteurs de vulnérabilité ou précipitants non modifiablesþ; caractère répétitif des chutesþ; séjour au sol prolongéþ; station unipodale < 5 secþ; timed up and go test > 20 secþ; rechercher une ostéoporose. þprise en charge des personnes âgées après une chuteþ: Outre la gestion des complications traumatiques et des maladies nécessitant un traitement immédiat, la prise en charge a pour objectif de prévenir la récidive de chutes. þdans tous les cas, il fautþ: Revoir l ordonnance. Corrigerþ: les facteurs de vulnérabilité et précipitants modifiablesþ; une éventuelle carence en vitamine D. Conseillerþ: des chaussures adaptéesþ; la pratique régulière de la marche ou de toute autre activité physiqueþ; des apports en calcium alimentaire > 1,2 g/j. 155

En cas de trouble de la marche et de l équilibreþ: kinésithérapieþ; exercices en autorééducationþ; aménagement de l environnementþ; si besoin, prescription d une aide technique. En cas d ostéoporoseþ: traitement spécifique. En cas de syndrome postchuteþ: hospitalisation et prise en charge pluridisciplinaire incluant rééducation et psychothérapie. 156