Pourquoi je n amènerai plus mes élèves de première à Verdun

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Transcription:

Site académique Aix-Marseille Histoire et Géographie Pourquoi je n amènerai plus mes élèves de première à Verdun Brigitte Manoukian et le groupe «La Durance» Le 19 mars 2008 Professeure au Lycée Vauvenargues AIX-EN-PROVENCE b.manoukian@free.fr Le programme de Première en SES et plus encore en S nous invite à travailler le thème de la mémoire de la Première guerre mondiale : 1 ère ES : «La mémoire collective de l entre-deux guerres, quel que soit le pays concerné, est durablement marquée : deuil collectif, commémoration, pacifisme.» 1 ère S : «Fin 1918, les deux tiers, voire les trois quarts de la population française ont été touchés par les deuils. Les monuments aux morts érigés durant l entre-deux guerres et une foule de plaque commémorative font mémoire des morts par leur liste nominative ; devenant des lieux de commémorations, surtout le 11 novembre (fête nationale à partir de 1922), ils affirment une ambition civique. Monuments et manifestations aident les survivants à surmonter les disparitions, en tissant des harmoniques entre la douleur personnelle et la sacralisation collective.»

Dans une époque où les commémorations se multiplient, où la mémoire est devenue un objet d histoire inséré dans les programmes, où l image est un élément essentiel de notre environnement médiatique, il nous est apparu important de travailler la Grande Guerre sous un angle nouveau. Sur une idée de ma collègue, Sandrine Khaled, nous organisons alors un projet de voyage à Verdun : Dire et montrer la guerre : Verdun entre histoire et mémoires. Un projet qui s articule autour de 3 dimensions : pédagogique, citoyenne et artistique. Un cours et un voyage pour dire l histoire : la guerre et la mémoire de la guerre comme objets historiques Le projet s est déroulé en 4 étapes : Le 11 novembre et la collecte Pour «entrer» dans le projet, j ai invité ma classe de 1 ère à participer à la cérémonie du 11 novembre, à Aix-en-Provence, sur la place des Cardeurs, en présence des anciens combattants (une pléthore d associations!), des élus et des élèves du lycée militaire. Une impression de déjà vu, déjà entendu propre à ce genre de cérémonie. Nous avons pu réfléchir au pourquoi de ce rituel, à l émotion ressentie (la Marseillaise, les drapeaux, les gerbes de fleurs, la solennité du moment), à la présence de toutes ces associations, des anciens combattants pas si anciens Seul moment délicat, et je l ai proposé un peu par la force des choses : la collecte. Ma collègue ayant des contacts avec la délégation de l ONAC (Office National des Anciens Combattants) à Puyricard, elle avait obtenu que la moitié de la collecte réalisée ce jour-là serait pour le projet. Les élèves présents, une douzaine, n ont eu aucune réticence à tendre leur tronc sur le marché aux fleurs de la place de la Mairie et au cimetière! Moi oui, alors j ai pris des photos. Le travail en classe

Volontairement, nous n avons pas travaillé tous les thèmes du programme de façon détaillé, pour des raisons de disponibilité en temps et pour privilégier la préparation du voyage à Verdun. Ainsi, notre progression sur ce thème fut la suivante : - Une introduction sur la querelle historiographique concernant la Grande Guerre : contrainte ou consentement. Support : article du Monde - Un exercice de repérage fait à la maison sur la chronologie et les cartes (support : cartes du manuel et frise distribuée) - Un dossier documentaire sur le thème de la «guerre totale» - Une double page de manuel de troisième sur «Les souffrances des hommes» à reconstituer en tenant compte des souffrances de toutes et de tous (TP 2 heures) ; les élèves rédigeaient ensuite une justification de leurs choix sur la forme et le fond. - Un questionnaire style prélèvement d infos sur toute la guerre à partir d une exposition que nous avons fait venir, réalisée par l ONAC (Office National des Anciens Combattants), exposition dans la mouvance du CRID 14-18 (Collectif de Recherche International et de Débat sur la guerre). Verdun avril 2007 : 3 jours sur place logés au couvent de Benoîte Vaux à 30 km de Verdun, en pleine campagne. Et bien sûr, un choix classique de circuit, organisé par l office du tourisme de la Meuse : Le fort de Vaux L ossuaire de Douaumont La citadelle de Verdun Les tranchées de la butte de Vauquois Nous avons profité en plus d une magnifique exposition de photographies en relief au Centre mondial de la paix à Verdun, pour coupler avec une séance le premier soir de projection de photographies sur la Grande Guerre (morceau de atelier Durance) Retour et exploitation-production Tout d abord, un gros travail de réflexion et d analyse autour du souvenir, de la mémoire et de l instrumentalisation de cette mémoire est fait en classe. Nous avons utilisé une émission diffusée sur Arte «Le siècle de Verdun», dont les commentaires étaient ceux d Antoine Prost surtout, mais aussi d historiens allemands comme Gerd Krumeich. Les objectifs de cette étape étaient les suivants : Montrer que la construction mémorielle débute pendant le conflit, qu elle a commencé à Verdun Comprendre pourquoi Verdun est devenu un lieu emblématique du conflit (Verdun : un condensé de la guerre) Identifier les supports de cette mémoire : commémorations, monuments, ossuaire, entretiennent une activité mémorielle renforcée par les pouvoirs et associations. Surtout, montrer les différences dans l usage politique qui est fait de Verdun de part et d autre de la frontière, entre la France et l Allemagne : entretenir la cohésion nationale, le souvenir de la victoire ou utiliser une mémoire blessée dans un souci de revanche. Enfin, comprendre comment après 1945, la mémoire de Verdun fût un enjeu remis en question : la disparition des poilus et la «désagrégation mémorielle» (A. Prost), le rôle du témoignage et de la télévision, le travail des historiens qui transforment les héros en victimes, le sens de la poignée de main entre Helmut Kohl et François Mitterand. Les élèves ont aussi exploité leur séjour à Verdun en rédigeant des textes répondant aux questions suivantes : Lors de votre court séjour à Verdun, avez-vous fait un travail de mémoire ou un travail d histoire, justifiez. Etes-vous arrivé à imaginer Verdun à partir de ce que vous avez vu? Expliquez. Ils ont par ailleurs réalisé un diaporama de textes et images : les images sont pour certaines des montages de photographies de 2007 et de photographies d époque. Pour combler les vides

Quand la mémoire prend un peu trop le pas sur l histoire Combien le décalage est grand entre la réalité de Verdun construite par les récits de l histoire, les témoignages de poilus, les images de la guerre même si la plupart sont des images mises en scène, et ce que Verdun nous dit aujourd hui. On voit si peu la guerre à Verdun. Les deux documents distribués aux élèves par le Conseil général de la Meuse donnent le ton. On peut y lire : «C est le travail réalisé avec la volonté d une approche globale de la guerre dans le département que nous félicitons ici. Comme une aide à la visite, ce document incite à la découverte de tous nos sites du souvenir. Il est une porte d entrée sur l émotion et la mémoire qui accompagnent le visiteur sur les lieux chargés de l histoire de la Grande Guerre dans le département». Les mannequins de la Citadelle contribuent même à mettre de la distance, les petits wagonnets qui nous transportent amusent les élèves et quelques-uns malgré tout auront saisi la dysneylandisation du passé. C est une reconstitution de la vie en temps de guerre. Tout est propre, bien rangé, on progresse à l intérieur comme dans une attraction. Cela ne montre pas vraiment les réalités de la guerre. La guerre, c est le désordre, c est le sang et des blessés dans les infirmeries, c est la mort. Les scènes d état-major m ont paru complètement anecdotiques. (Clément) Le fort de Vaux que nous visitons seuls est impressionnant, à moins que ce ne soit le récit de notre guide qui dit la vie dans ces galeries (force anecdotes croustillantes, écrira un élève) qui impressionne, ou bien nos propres images de soldats que nous plaquons sur les planches vides qui servaient de lits. Ici, village de Fleury, dit la pancarte : on est dans la «zone rouge» des terrains dévastés acquis par l Etat après la guerre, celle des 9 villages détruits ; la nature a repris ses droits, les arbres ont repoussé, pas de village bien sûr ; le paysage est superbe, et en plus il fait beau, et l air d une douceur qui accompagne les courbes du relief ; mais ici, une tranchée : on la devine à peine. Là aussi, le récit du guide anime le paysage : oui, chaque année, des visiteurs aventureux découvrent des objets de la guerre, des bouts de grenades et autres, et il y a régulièrement des accidents. Combien de tonnes d obus se sont abattus au m2 sur ce lieu? demande le guide. Douaumont : d abord le musée où sont entreposés les vestiges de guerre ; accumulation de grenades et baïonnettes, de casques et uniformes, les avions suspendus font lever les regards et la reconstitution d une tranchée bouleversée attire les élèves. Dans un coin du musée, quelques panneaux poussiéreux évoquent l effort de l arrière et la contribution des femmes. Puis le mémorial avec son ossuaire et le cimetière : bouffées d émotions. Les croix alignées bien sûr dans un champ si vaste où reposent 15 000 soldats on y déambule respectueusement avant de pousser quelques petits cris à la vue des ossements de 130 000 hommes, entassés et visibles par de petites fenêtres. «Quand nous sommes arrivés à l étage de la chapelle, ce qui m a frappée tout d abord, c est le silence. Un silence qui était pour moi lourd et oppressant. Je ne m attendais pas à ça, des ossements, de la poussière, des toiles d araignée.» (Tiphaine) La butte de Vauquois témoigne des combats, de la guerre des mines pour détruire les tranchées ennemies. On déambule dans les tranchées consolidées aujourd hui par du ciment, bien entretenues : tout autour, la végétation printanière et on devine la guerre avec les entonnoirs creusés par les tirs d obus ou l explosion de mines souterraines. «J ai tenté d imaginer Verdun et l enfer de ce combat mais cela a été difficile. Je m attendais à un ciel plus gris, des traces plus profondes, un paysage boueux, mais il a fait tellement beau que c était difficile de se recréer intérieurement l ambiance. Cependant, j ai été fortement impressionnée par les traces laissées par les obus dans les paysages.» (Eglantine)

Moi aussi, et pourtant, ce n est pas Verdun et ses parcours du souvenir qui m ont dit et montré la guerre mais une exceptionnelle exposition de photographies en relief : «Verdun 1916, la guerre en relief» 1. Ces milliers de plaques de verre produites pour la plupart par les services photographiques des Armées sont des images qui contrôlent la représentation de la guerre, mais certaines sont poignantes de réalisme, celles qui échappèrent au contrôle, conservées par les particuliers souvent. L image atteste plus que tout autre support d une certaine réalité, et ici, avec le relief, on entre dans l histoire, on est dedans tout de suite après avoir chaussé les lunettes ou en rivant ses yeux sur le stéréoscope : le relief donne une dimension nouvelle aux choses et aux hommes, et une proximité, comme si nous étions nous-mêmes les photographes. Même, et ne soyons pas dupes, s il s agit d illusion de la réalité. Cela pouvait être vraiment ainsi. Les élèves n ont pas vu ou mal vu : nous leur avons dit qu après la visite ils avaient quartier libre et ils se sont empressés de traverser le musée. Nous qui pensions que la force des images pouvait se passer de notre accompagnement Nous, les professeurs, sommes restés longtemps dans les photographies, dépassant notre horaire de quartier libre, et, tout pleins d images de Verdun 1916, nous avons regagné le bus. Impression mitigée Notre travail visait avant tout à distinguer histoire et mémoire, travail d histoire et devoir de mémoire. Verdun est un site qui dit avant tout la mémoire : «Ce qui est frappant à Verdun, c est le silence, comme si la vie était figée. Puis on remarque la profusion de monuments aux morts, des cimetières, l ossuaire et le mémorial Sans oublier le sol bosselé encore défiguré du champ de bataille. ( ) Au final, ce qui m a frappé c est à quel point la guerre y est présente cent ans après. La ville et ses alentours sont tout entier un grand mémorial, une cicatrice bien visible où le temps semble s être arrêté afin que tous se rappellent. (Alexandre) Et il faut alors comprendre Audrey qui écrit : «Lors de mon séjour à Verdun, j ai eu vraiment l impression de faire un devoir de mémoire. En apprendre, en voir et en connaître de plus en plus sur la guerre était comme rendre hommage à ces hommes qui se sont battus jusqu au bout. Aussi toutes ces horreurs permettent de comprendre notre passé afin d en savoir plus sur la situation actuelle. et de tout faire pour que cela ne se renouvelle plus.» Enjeu gagné pour Verdun, le souvenir et la paix. Mais aussi, a t-elle saisi, comme Alexandre, la charge symbolique du lieu et les attentes qui y sont liées. Mais peut-être que pour les élèves est-il plus facile de dire les émotions que de dire la raison de l histoire? Et justement l histoire? Entre les quatre murs de ma salle de classe, avec des photographies et une mise à distance, un discours d historien qui s efforce de faire lire les témoignages avec recul, analyser les textes avec effort, de doser le juste ce qu il faut d émotion, jusqu au jour où, fatiguée, j oserai peut-être me mettre sous la table et mimer les tirs de grenades et d obus comme on me l a raconté Pour lire et voir le séjour à Verdun, une production d élèves de premières ES, sur le site du lycée Vauvenargues, dans la rubrique «la vie des lycées» puis «voyages-sorties» http://www.lyc-vauvenargues.ac-aix-marseille.fr/ 1 Verdun 1916, la guerre en relief, Collectif, Edition La Serpenoise, 2006