DOSSIEr ENQUêTE : Cédric Cousseau tourisme médical Greffe du foie en Thaïlande, chirurgie mammaire en Inde, correction de la vision en Tunisie... Se refaire une santé ou un corps parfait tout en voyageant est une combinaison qui peut étonner. Pourtant, de plus en plus de Français se laissent tenter par des coûts médicaux moins élevés à l étranger. Une nouvelle forme de tourisme est ainsi apparue : le «tourisme médical». Quels en sont les dangers et les risques? Chirurgie à prix réduits et soins de qualité sont-ils compatibles? À qui accorder sa confiance? Quels avantages réels peut-on tirer du tourisme médical? Enquête sur une activité lucrative pas tout à fait comme les autres. Le site de Séjour dentaire ressemble à tous les sites de commerce en ligne... à peu de choses près. Arguments marketing accrocheurs en page d accueil, un «60 % d économie» en gros caractères orange barrant la moitié de l écran et même des promotions occasionnelles. «5 % de réduction minimum pour tous vos soins dentaires en Hongrie pour les mois de juillet et août!!» Le terme «soins» ne s est pas glissé par erreur. Pas question effectivement d acheter sur ce site une veste griffée ou le dernier baladeur MP3 à la mode. Le site de Séjour dentaire propose des produits radicalement diffé- rents : des couronnes, des bridges et des implants à se faire poser en Hongrie ou en Turquie. Ainsi, se refaire un joli sourire à Budapest et profiter de son séjour en pays magyar pour se balader sur les rives du Danube ou effectuer une greffe de cheveux à Maurice avant de se prélasser sur la plage sont des formules auxquelles les Français sont de plus en plus attentifs. Un paradoxe. Car la France est réputée pour avoir l un des meilleurs systèmes de santé au monde. Un comble aussi, certains n hésitant pas à faire chemin inverse depuis les quatre coins de la planète pour se faire soigner chez nous! Un système français critiqué Le tourisme médical est un phénomène encore marginal mais il prend de l ampleur d année en année. Un nombre grandissant de Français ont donc décidé de tourner le dos à leurs spécialistes. Leur raison est simple : ils trouvent ailleurs des tarifs attractifs comme le site de Séjour dentaire en affiche. «En France, le coût des soins dentaires excluent une trop grande partie de la population», explique Matthieu Picaud, jeune chef d entreprise de 26 ans, gérant et fondateur de Séjour dentaire. Le rôle de ce type de société, également appelé medical voir mâcher à nouveau ; d autres veulent retrouver une esthétique après un accident de moto ou bien encore corriger un problème survenu pendant la croissance.» «Des personnes viennent aussi parce qu elles n ont pas le temps de sacrifier une fin d après-midi chaque semaine pendant des mois pour se faire poser leurs couronnes. En allant en Hongrie, on peut tout faire en une semaine», ajoute Sébastien Valverde, 33 ans, ancien ingénieur en chimie fine, aujourd hui gérant d Ypsée. En plus de soins dentaires, cet autre medical planner propose en Tunisie et au Maroc de la chirurgie esthétique ainsi que de la cor- L E S L I M I T E S D E L A CHIRURGIE ESTHéTIQUE Lifting complet du visage pour 3 000 en Bolivie vol compris, injections anti-rides à 650 l unité en Thaïlande, abdominoplastie pour 2 500 à Cuba, et même changement de sexe pour 8 000 en Tunisie... Les prix affichés à l étranger en tentent plus d un. Mais pour Jean-Luc Roffé, président du syndicat national de chirurgie plastique, reconstructive et esthétique, le jeu n en vaut pas forcément la chandelle. «Il n est pas possible de vérifier la qualité des soins à l étranger. Or, en cas de complications, les soins postopératoires peuvent atteindre plusieurs milliers d euros et ne sont pas remboursés par la Sécurité sociale. On ne fait alors aucune économie à partir se faire soigner à l étranger.» Par ailleurs, réduire les coûts implique aussi que l on réduise la durée de son séjour. Pourtant, certaines opérations demandent un long temps de convalescence. C est le cas, par exemple, de l abdominoplastie. «Il faut aussi savoir que prendre l avion dans les jours qui suivent une opération esthétique augmente le risque de phlébite.» Enfin, après certains actes, il vous sera impossible d approcher la piscine et même de vous exposer au soleil. Dur quand son hôtel a vue sur la plage! le tourisme médical est un phénomène marginal qui prend de l ampleur d année en année planner, est de mettre en relation ses clients avec des dentistes à l étranger. L activité est tout à fait légale. Séjour dentaire est, par exemple et comme toute autre société, inscrite à la chambre de commerce et d industrie. «Des personnes viennent nous voir parce que leur dentiste leur a fait un devis correspondant à une année de salaires. On a vraiment tous les cas de figure : des personnes âgées de 35 à 75 ans qui veulent retrouver un confort et pourection de vision au laser. «Il n y a pas de contre-indication médicale à poser toute une série de couronnes en quelques jours. En France, avec des professionnels de santé payés par la Sécurité sociale, le système fait que les dentistes ont tout intérêt certains sont même obligés de diviser les soins par étapes pour encaisser le plus de consultations possible. Le système veut aussi que les dentistes soient libres de fixer le prix pour les couronnes et les brid- 104 petit futé mag / nov-décembre 2009
ges. Ils se rattrapent donc ainsi...» En disant cela, Sébastien Valverde sait qu il ne se fait pas que des amis dans la profession... mais il se fait des clients. Christian Couzinou, président du conseil national de l ordre des chirurgiens-dentistes, ne dément pas ces dérives et regrette lui aussi ce système : «Revoyons-le! Il n y aura peut-être plus ces effets de rattrapage. N oublions pas, en attendant, qu un cabinet dentaire est une entreprise avec des charges et des salariés qu il faut payer... Revoyons peut-être aussi les taux de remboursement des prothèses qui datent de 1978!» Le choix d une médecine «low-cost» Pour concurrencer nos praticiens français, des pays n ont pas hésité justement à revoir leur réglementation. Certains pays ont fait de la santé l outil de leur politique de développement économique. «En Tunisie, par exemple, les cliniques qui reçoivent des patients étrangers sont exonérées de taxes pendant plusieurs années et il n y a pas de frais de douane en ce qui concerne l importation de matériel médical», explique Sébastien Valverde. L objectif est clair : par ces mesures, les pays font le maximum afin de capter des devises. L avantage pour les praticiens est aussi d être payés avec des monnaies fortes, ce qui est très rentable pour eux. À ces dispositions s ajoutent encore des coûts et des niveaux de vie plus faibles qu en France. «Un praticien qualifié gagne en moyenne 600 par mois en Hongrie, indique Sébastien Valverde. Il faut multiplier ce chiffre au moins par trois en France.» Au final, le tourisme médical rapporterait aujourd hui plusieurs centaines de millions de dollars à un pays comme la Thaïlande ; les sommes générées pourraient approcher le milliard d euros en Inde en 2012. Et il ne suffit pas de partir loin pour profiter du tourisme médical. Le tourisme transfrontalier qui consiste à acheter moins cher ses lunettes en Belgique ou à consulter un médecin en Allemagne poursuit lui aussi son développement. Une région comme l Algarve, dans le sud du Portugal, surfe ainsi sur une directive européenne facilitant les soins entre pays voisins pour investir en infrastructures hospitalières et hôtelières. À une heure de Paris, on peut donc aussi faire de sérieuses économies. Toujours estil que pour les medical planners, ces coûts réduits n influent en rien cliniques privées et les sites francophones hébergés en France mais pilotés par des entreprises établies à des milliers de kilomètres de là. Les noms de ces entreprises se ressemblent à peu près tous au point certains pays ont fait de la santé l outil de leur politique de développement économique sur la qualité des prestations. Ces organisations assurent sélectionner des médecins formés, compétents, assurés : «Ils appliquent les mêmes conditions sanitaires qu en France et utilisent des matériaux aux normes internationales», s accordent-elles à dire. Des offres pléthoriques Des sociétés telles que Séjour dentaire ou Ypsée, il en pousse comme des champignons sur Internet. Il suffit de taper «medical tourism» ou «global medicine» sur un moteur de recherche pour que des centaines de pages vous proposent les services d une myriade de prestataires. Difficile de savoir à qui l on s adresse entre les medical planners, les associations de dentistes qui consultent en France mais qui réalisent les soins à l étranger, les parfois de se confondre. Ces sites sont souvent très bien faits, rassurants, avec des photos d établissements de santé flambant neufs et des équipes médicales toutes très souriantes. Des sociétés font même appel à des communicants pour faire de leur site une vitrine. Mais qui se cache réellement derrière ces façades? Autant vous le dire : le meilleur comme le pire! «On peut trouver d excellents praticiens qui travaillent avec éthique ou qui ont fait leurs études en France, mais on peut aussi tomber sur de mauvais», déclare Laurence Danand, attachée de presse au ministère de la Santé. «C est pourquoi, nous ne pouvons qu appeler à la vigilance et conseiller aux personnes de prendre une assurance privée avant de partir», complète Vanessa Honvo de la Caisse primaire d assurance maladie (C.P.A.M.). «On peut toutefois dire que tous les soins ne sont pas à effectuer loin de chez soi», tient à préciser le docteur André Deseur, conseiller national à l ordre des médecins et président de la section exercice professionnel. «Dès lors qu il y a un suivi au long cours, partir n est peut-être pas le choix le plus pragmatique. La médecine repose en effet sur un échange rapproché entre le patient et son médecin.» Un travail d enquête! Quelle que soit votre décision, il n est vraiment pas conseillé de se lancer seul dans les préparations de son voyage médical. Ne perdez pas pour autant votre temps sur les forums à la recherche de professionnels réputés. Le côté trop aléatoire des informations peut vous mener sur de mauvaises pistes. Et les conséquences peuvent être désastreuses. Si vous comptez partir, n hésitez pas à parler de votre projet autour de vous. Vous aurez peut-être dans votre entourage, sans le savoir, quelqu un qui a franchi le pas. Si le bouche à oreille ne fonctionne pas, sachez que les intermédiaires et les cliniques peuvent vous envoyer des contacts de leurs clients. Vous pourrez donc les joindre par mail ou par téléphone et ainsi leur poser toutes vos questions. Mais évidemment, on ne vous enverra pas vers un patient pour lequel une opération s est mal déroulée. Trouver le bon prestataire nécessite donc de mener l enquête et de prendre le temps de comparer les offres. Si passer par une agence de voyages française vous rassure, sachez que la loi interdit aux voyagistes de proposer des packages combinant organisation de séjours et opérations médicales ou chirurgicales. «Nous avons travaillé en collaboration avec le ministère du Tourisme pour mettre en garde les voyagistes», déclare Laurence Danand, attaché de presse au ministère de la Santé. «Les récalcitrants risquent de perdre leur licence de voyage.» Théoriquement, vous ne devriez donc pas en trouver. Mais tous ne jouent pas le jeu, profitant du flou d Internet pour attirer des clients sur la Toile... et dans la leur! À vous donc d ouvrir l œil. nov-décembre 2009 / petit futé mag 105
DOSSIER Tourisme médical Diagnostic à distance Faute de pouvoir choisir son médecin avant de partir, certains Français décident de partir à l aventure. Ils se rendent à l étranger et s en remettent sur place au plus offrant. Pour les aider à faire leur choix, il n est pas rare de trouver dans certains pays des affiches vantant les mérites ou les tarifs de tel ou tel médecin. Des pration explique quelles sont les différentes marques d implants, on les accompagne dans le calcul de la prise en charge des soins par la Sécurité sociale, on peut également leur conseiller de changer de mutuelle pour profiter de meilleurs remboursements. Nous allons même jusqu à les aider à trouver les meilleurs billets d avion et à réserver un hébergement sur place. les soins payés par les clients aux praticiens. «Elles sont comprises entre 35 % et 45 %», indique-t-on chez Séjour dentaire. On refuse de répondre si de telles commissions existent du côté d Ypsée. Quoi qu il en soit, une fois le devis accepté et vos billets en poche, il ne vous reste plus qu à faire vos bagages. Dans certains cas, un traducteur vous accompagne si le chirurgien choisi n est pas francophone. Sur ce point, plusieurs professionnels de santé français mettent en garde : la barrière de la langue peut altérer la qualité et le cours des soins. Pour ce qui est de la chirurgie esthétique, vous pourrez aussi vous entretenir par téléphone ou par webcam avec votre chirurgien. Il s agit là de vous informer sur le tra ; ils sont maintenant de plus en plus au volant de Mercedes. En une vingtaine d années, le pays est passé du communisme au capitalisme avec les changements de mentalité que cela implique.» «Quelque part, on peut tout de même se réjouir que ces dentistes formés aient les moyens de vivre dans leur pays au lieu qu ils ne le quittent, tempère Sébastien Valverde. Mais il est vrai aussi qu une nouvelle ségrégation par l argent se met en place.» La santé à deux vitesses, une des raisons motivant les Européens à se faire soigner ailleurs, semble donc s être exportée avec eux. Pire, en Thaïlande, en Inde ou en Afrique du Sud, des cliniques ne sont plus ouvertes qu aux seuls étrangers. Dans certaines de ces cliniques, les le tourisme médical fait naître dans certains pays un système de santé à deux vitesses ques marketing qui seraient, en France, sévèrement réprimées par le conseil de l Ordre. D autres préfèrent s en remettre à ces medical planners. «Tout se passe depuis notre site», reprend Sébastien Valverde d Ypsée. Un dossier est à remplir en ligne en y joignant photos et radios. En fonction du nombre de cliniques qui travaillent avec ces intermédiaires, vous recevrez autant de devis. À vous ensuite de n en retenir qu un... et de décrypter un jargon pas toujours compréhensible. «Notre rôle est aussi d aider nos clients à faire le meilleur choix. Secret médical oblige, nous n avons pas accès aux dossiers de nos clients. Mais Pour cela, nous leur proposons les services d un site de réservation avec lequel notre société est partenaire. Mais ceci n est pas un passage obligé et nous n achetons rien pour eux puisque la loi nous l interdit. Nos clients peuvent tout aussi bien s y prendre par leurs propres moyens.» Néanmoins, proposer ce service est un mode de financement pour ces sociétés. En sus des 145 de frais de dossier et d organisation demandés au client, Ypsée perçoit une commission chaque fois que ses clients passent par le fameux site partenaire. Une autre source de rémunération est levée par des commissions perçues directement sur déroulement de l opération. «Le but est de pouvoir partir en toute confiance, reprend Sébastien Valverde. Il s agit aussi pour les chirurgiens d apprécier les motivations des clients que nous leur proposons et de détecter les demandes farfelues. Et il est arrivé que nos chirurgiens refusent d opérer des clients pour ces raisons.» Mais dans d autres cliniques, ces filtres n existent pas. Des patients à la chaîne Il arrive même que l on ne parle plus du tout de tourisme mais d industrie médicale. À Budapest comme dans d autres villes du pays, des cars débarquent régulièrement chargés de touristes. Les agences qui les affrètent réservent un ou plusieurs dentistes pour deux ou trois semaines qu elles font travailler en continu. «Le tourisme médical est devenu un business florissant, admet Matthieu Picaud de Séjour dentaire. De fait, on voit aussi les prix grimper, ce qui écarte progressivement les Hongrois eux-mêmes de certains dentistes devenus trop chers par rapport au niveau de vie moyen. Il n y a qu à regarder le garage des dentistes : ceux-ci roulaient il y a encore très peu de temps en Opel Asmédecins enchaînent les patients les uns après les autres comme Charlie Chaplin enchaînait les boulons dans Les Temps modernes. Avec le résultat que le film montre. «Il nous est nous-mêmes arrivé d arrêter de travailler avec un médecin car, au fur et à mesure que nous lui adressions des clients, il ne prenait plus autant soin d eux, révèle Matthieu Picaud de Séjour dentaire. Les couronnes tombaient trop régulièrement et les implants ne tenaient pas. Il fallait donc repartir faire les soins et cela engendrait trop de coûts pour notre société. Nous avons donc décidé de ne plus collaborer avec lui et de choisir un autre dentiste, plus calme, plus précautionneux. Car oui, à certains égards, la Hongrie est devenue une usine à produire des dents.» Des recours difficiles Comment alors demander réparation lorsque les conséquences d actes mal réalisés surviennent après l opération? «Si vous avez une petite douleur à votre retour ou si votre couronne se décolle, vous pouvez vous contenter d aller chez votre dentiste qui apportera les petits soins nécessaires, poursuit Matthieu Picaud. Si vous 106 petit futé mag / nov-décembre 2009
avez mangé du nougat alors que le dentiste vous l avait déconseillé les jours suivant la pose de votre bridge, ce sera à vous d assumer les frais. En revanche, si la faute revient au dentiste, nous prenons tout en charge.» Pour ce qui serait d une faute grave dont le praticien serait responsable, les recours possibles sont parfois minces. place et se plonger dans la législation nationale n est pas donné à tout le monde. «Il y a surtout un problème de responsabilité», précise le docteur André Deseur, conseiller national à l ordre des médecins. «En France, les médecins sont tenus par la loi de vous informer sur la procédure d une opération, les risques et le prix. Ils en cas d actes mal réalisés par le praticien, les recours sont parfois minces «Le problème du tourisme médical est là, dans le suivi des soins, interpelle Laurence Danand du ministère de la Santé. Si vous avez un problème en France, vous pourrez toujours solliciter la justice et le conseil de l ordre des médecins, chose que vous ne pourrez pas faire en ayant subi une opération à l étranger.» Saisir un tribunal hongrois, thaïlandais ou cubain ainsi que faire appel à un avocat du pays, se rendre à nouveau sur doivent également être assurés. Or, ces obligations n existent pas partout.» En clair, il n est pas toujours permis d intenter une action de justice à l étranger tout simplement parce que la loi manque sur ce point. Sans texte pour se défendre... impossible de se défendre! «Une uniformisation des lois au niveau de l Europe serait une avancée. Cela fait partie des choses sur lesquelles nous travaillons au conseil de l Ordre.» L E T R A F I C d O R G A N E S EN LIGNE DE MIRE «L attribution des organes doit être dictée par des critères cliniques et éthiques et non pas par des considérations financières ou autres». L Organisation mondiale de la santé a rappelé, il y a quelques semaines, un certain nombre de principes visant à mieux encadrer la transplantation. L O.M.S. s est une nouvelle fois dite préoccupée par le trafic d organes humains et le tourisme médical qui l encourage dans certains pays. De riches étrangers font en effet le voyage là où les cliniques le permettent pour acheter et se faire greffer un organe. Le problème réside dans l origine de ces organes. Ils peuvent en effet provenir d assassinats «Service après-vente» Les choses ne sont pas forcément plus aisées en ayant fait appel à un medical planner. Bien que les sièges de ces organisations soient installés en France, il sera très difficile de les attaquer dans la mesure où elles ne sont pas responsables des actes médicaux. En attendant un cadre plus protecteur pour les patients, Christian Couzinou, président du conseil de l ordre des chirurgiens-dentistes, constate de plus en plus de retours de clients ou de mineurs contraints de vendre une partie de leur corps pour survivre financièrement. Pire, en Afrique du Sud, des arrestations ont permis de révéler la complicité de médecins dont la mission était de retirer des organes sur des patients en état de mort cérébrale. Résultat : les organes se trouvent maintenant un peu partout, à la portée de tous et du plus offrant. Sur le Net, des opérations de transplantation de la cornée, d un rein ou d un poumon sont proposées en échange de plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de milliers de dollars. C est à peu près la peine encourue s il vous venait l idée d encourager ce trafic. ayant subi des soins à l étranger et à qui il faut assurer en France le «service après-vente», selon ses propres termes. «Cela nous pose un problème de responsabilité à nous aussi. Un dentiste peut être attaqué sur les actes d un patient qui viendrait se faire réparer une couronne cassée.» Christian Couzinou pointe également une autre faille : «Il y a plus un problème d examen clinique avant le départ. Le devis des soins est fait sur la base d une radio panoramique envoyée au médecin. 35646 nov-décembre 2009 / petit futé mag 107
DOSSIER Tourisme médical Or, cela ne suffit pas pour avoir un consentement éclairé. Il arrive donc que le dentiste reçoive son client et qu il découvre que d autres soins sont nécessaires. Il revoit alors le devis et le prix de la prestation peut alors augmenter.» Afin de tester le sérieux de votre devis, rien ne vous empêche, par exemple, d en demander un à un professionnel français et de le comparer avec le devis étranger. Soyez attentif, enfin, quant au moyen de régler vos soins : il arrive que des dentistes demandent un paiement en espèces sans délivrer de facture. Impossible alors d intenter le moindre recours contre eux, faute d avoir la preuve que vous avez bien été soigné par eux. Remboursements : merci l Europe! Sans facture, il vous sera également impossible de vous faire rembourser vos soins une fois revenu en France. Car la Sécurité sociale prend en charge un certain nombre de prestations effectuées en Europe. Elles sont remboursées sur la base des tarifs appliqués en France. Il se peut donc que vos remboursements soient supérieurs à ce que vous avez réellement payé. En revanche, vos implants dentaires ne vous seront pas remboursés : ils ne le sont pas en France ; ils ne le seront pas davantage au motif qu ils aient été posés à l étranger. Sachez en tout cas que pour tous les soins ambulatoires qui, par définition, n impliquent pas d hospitalisation, vous n avez pas besoin de prévenir votre assurance maladie avant de partir. Il vous suffira de lui adresser les factures et justificatifs à votre retour. En revanche, une autorisation au préalable vous sera obligatoire pour vous faire rembourser les soins hospitaliers et actes lourds de type scanner ou I.R.M. ; une réponse devra vous être faite au plus tard dans les deux semaines. Au-delà, l autorisation est considérée comme accordée selon la législation européenne. Ainsi, en 2000, une Française a demandé l autorisation de bénéficier d un don d ovocytes en Grèce. Elle a reçu une réponse négative de l assurance maladie deux mois après sa demande. Mais la justice a retenu que la réponse était intervenue trop tard. Elle a ainsi contraint la Sécurité sociale à prendre en charge l intervention. La lourdeur de l administration a donc profité à cette dame. Qui plus est, la C.P.A.M. est tenue de justifier sa réponse lorsqu elle est négative. Un refus catégorique ne suffit pas. Il peut donc là aussi être contesté devant les tribunaux. Seules deux conditions peuvent être avancées pour vous refuser cette autorisation : si les soins demandés à l étranger ne sont pas eux-mêmes pris en charge en France ou si une solution aussi efficace peut être envisagée en France dans un délai compatible avec votre état de santé et son évolution. Cette dernière disposition est importante pour ceux qui habitent des déserts médicaux, ces régions qui connaissent un déficit de professionnels de santé. Ils peuvent donc, s il y a urgence, se faire soigner dans un pays d Europe sans que cela n ait d incidence sur leur taux de remboursement. La Sécu traque les abus En dehors de l Union européenne, la France a signé des conventions avec certains pays. Elles sont assez restrictives en matière de remboursements. Ces conventions concernent majoritairement les personnes ayant une double nationalité ou qui s expatrient. Dans un pays avec lequel la France n a pas d accord, la prise en charge ne peut intervenir, selon la C.P.A.M., que «lorsque l assuré peut apporter la preuve qu il ne pouvait pas recevoir sur le territoire français les soins de soins expliquant, par exemple, qu ils se sont cassé le nez dans un pays, qu ils ont dû recevoir des soins d urgence, alors que dans les faits, ils se le sont fait refaire dans un cabinet de chirurgie esthétique. Ces personnes doivent bien savoir que la C.P.A.M. traque les abus et est très vigilante avec ce genre de demande de remboursement. La Sécurité sociale n a pas à perdre d argent ainsi.» À l inverse, la France accueille peu Si la France n a pas à perdre d argent avec le tourisme médical, a-t-elle à en gagner? En d autres termes, peut-elle profiter économiquement de cette activité comme le font d autres pays? «Oui», répond avec assurance Catherine Fritsch, directrice de SAM, une société qui existe depuis deux ans sur Paris et qui propose aux étrangers de venir se faire soigner en France. Elle travaille principalement avec des cliniques privées, mais elle a aussi recours à des hôpitaux publics pour des soins aussi spécifiques que les greffes d organes. Parmi ses clients, elle compte de riches habitants du Golfe, des Russes, des Américains, des Anglais. «Le tourisme médical peut apporter beaucoup à la France. Au niveau du tourisme d abord : quand les Arabes du Golfe viennent se faire soigner en France, ils viennent en famille. des petits malins abusent du système français pour obtenir le remboursement des soins appropriés à son état de santé.» Enfin, les soins inopinés sont aussi pris en considération dans une procédure de remboursement. Mais cela ne vous concerne théoriquement pas puisque les soins que vous avez prévu de faire à l étranger ont été programmés, organisés à l avance et donc en rien inopinés. Cependant, des petits malins tentent de frauder le système en abusant de cette dernière mesure : «Certains n hésitent pas, effectivement, à faire passer des actes de chirurgie esthétique pour des soins inopinés, révèle Vanessa Honvo de la C.P.A.M. Ils nous envoient de fausses fiches Ils dépensent pour se loger, se nourrir, pour occuper leurs enfants... Une de mes clientes est venue pour un cancer du sein. Elle s est logée pendant quatre mois au palace George V situé près des Champs- Élysées. Le tourisme médical peut aussi apporter de l argent aux cliniques et au système de santé. Il y a donc beaucoup à gagner, surtout que nous disposons d une vitrine importante avec la qualité de nos soins.» Nos voisins allemands et belges se sont déjà positionnés sur ce très lucratif créneau. L Allemagne y a vu, par exemple, un moyen de trouver de nouvelles ressources pour son hôpital contraint à des 108 petit futé mag / nov-décembre 2009
coûts toujours plus élevés. L hôpital français connaît d ailleurs ces mêmes difficultés... «Malheureusement, quand je frappe à la porte du ministère de la Santé pour que l on développe cette activité en France, on me répond littéralement qu il ne faut pas faire de vagues. Or, on ne peut empêcher le tourisme médical d exister.» Le ministère explique, lui, être pour l instant en phase d observation : «Nous interviendrons publiquement si cela lorsqu ils ont affaire à des demandeurs fortunés.» Certains quittent donc la France pour trouver des soins moins chers ailleurs ; d autres cherchent en France une qualité de services et des infrastructures qu ils ne trouvent pas dans leur pays. La santé est aujourd hui un service marchand comme n importe quel autre, ouvert sur le monde et soumis à une concurrence de plus en plus exacerbée. Des pôles de spécialités la santé est devenue un service marchand ouvert sur le monde et soumis à la concurrence est nécessaire. Pour l instant, c est quelque chose que nous suivons avant de nous prononcer», déclaret-on au service de presse du cabinet de Roselyne Bachelot. Mais pour Catherine Fritsch, il est d ores et déjà nécessaire d agir : «Le tourisme médical a besoin d être réglementé pour surveiller les requins [médecins français] qui dépassent leurs honoraires de manière extravagante se créent... comme dans l industrie automobile : transplantation rénale aux Philippines, implants capillaires en Tunisie, prothèse du genou en Serbie... Moteur en Inde, carrosserie en Corée, plastique en Pologne... Quelle sera la prochaine étape? On peut en effet se demander si une mutuelle ne favorisera pas un jour l organisation de tels voyages pour réduire la facture de ses rembour- sements. Au mieux, pourrons-nous partir sans crainte en recevant par exemple de la Sécurité sociale ou de notre médecin une liste de professionnels conseillés ou conventionnés? Le cadre protecteur que les patients attendent doit apporter une réponse à ces éventualités. Notre législation utilise déjà le terme de «prestataires de services» pour parler des praticiens et de «consommateurs» pour identifier les patients. Le choix des mots n est pas anodin. Quoi qu il en soit et en attendant, c est à soi de s imposer ses propres règles : prendre le temps de peser sa décision et rester vigilant quant à celui à qui l on confie momentanément le sort de sa santé. 35646 nov-décembre 2009 / petit futé mag 109