Société Civile Professionnelle ROUX - LANG-CHEYMOL - CANIZARES - Le FRAPER du HELLEN - BRAS Avocats à la Cour d Appel de MONTPELLIER 5, rue André Michel - 34000 Montpellier Nouveau cadre réglementaire pour l autorisation d OGM en Europe : Quelles possibilités de recours? Quels délais? Quels requérants?
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Vous m interrogez sur le délai imparti pour contester la décision d exécution de la Commission n 215/2279 du 4 décembre 2015 autorisant la mise sur le marché de produits contenant du maïs génétiquement modifié NK603 x T24 consistant en ce maïs ou produits à partir de celui-ci, en application du règlement n 1829/2003 du Parlement européen et du Conseil. Sous réserve de l appréciation souveraine des Tribunaux, je suis ne mesure de vous faire part de l avis suivant. L article 263 du Traité sur le Fonctionnement de l Union Européenne prévoit que le recours en annulation doit être formé dans un délai de deux mois à compter soit de la publication de l acte, soit de sa notification au requérant, soit du jour où celui-ci en a eu connaissance. En l espèce, la décision d exécution de la Commission en date du 4 décembre 2015 a fait l objet d une notification à la société MOSANTO qui est la destinataire de l acte mais a également été publiée au Journal Officiel de l Union Européenne le 8 décembre 2015 dans la série L. En effet, les articles 7 et 19 du règlement n 1829/2003 du Parlement Européen et du Conseil du 22 septembre 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés, prévoient que la Commission informe sans tarder le demandeur de la décision prise et publie une information sur cette décision au Journal Officiel de l Union Européenne. Le Tribunal de l Union Européenne a déjà eu à connaître d un recours dirigé contre une autorisation de mise sur le marché de produits contenant du maïs génétiquement modifié en application du règlement n 1829/2003 précité 1 introduit par une personne qui n était pas destinataire de la décision. Si le Tribunal a admis, sur le principe, le recours de tiers à l encontre d une telle décision, il a tout de même rejeté, au cas d espèce, la requête introduite par le Département du Gers en estimant que ce dernier n était pas individuellement concerné par la décision attaquée (même décision). En l espèce, la décision d exécution de la Commission peut faire l objet d un recours en annulation. Cette décision ayant fait l objet d une publication au JOUE, c est à partir de cette publication qu il convient de déterminer le délai imparti pour contester cette décision. L article 50 du règlement de procédure de la Cour de Justice de l Union Européenne (CJUE) énonce que : «Lorsqu'un délai pour l'introduction d'un recours contre un acte d'une institution commence à courir à partir de la publication de l'acte, le délai est à compter, au sens de l article 49, paragraphe 1, sous a), à partir de la fin du quatorzième jour suivant la date de la publication de l'acte au Journal officiel de l'union européenne». 1 TUE, 11 avril 2011, n T-502/10, Département du Gers. 2 CJCE, 17 mai 2002, n C-406/01, République Fédérale d Allemagne ( 11 à 19). 3
L article 49 du règlement de procédure de la CJUE précise la méthode de computation des délais de recours. Il dispose que : «1. Les délais de procédure prévus par les traités, le statut et le présent règlement sont calculés de la façon suivante : a) si un délai exprimé en jours, en semaines, en mois ou en années est à compter à partir du moment où survient un événement ou s'effectue un acte, le jour au cours duquel survient cet événement ou se situe cet acte n'est pas compté dans le délai; b) un délai exprimé en semaines, en mois ou en années prend fin à l'expiration du jour qui, dans la dernière semaine, dans le dernier mois ou dans la dernière année, porte la même dénomination ou le même chiffre que le jour au cours duquel est survenu l'événement ou a été effectué l'acte à partir duquel le délai est à compter. Si, dans un délai exprimé en mois ou en années, le jour déterminé pour son expiration fait défaut dans le dernier mois, le délai prend fin à l'expiration du dernier jour de ce mois; c) lorsqu'un délai est exprimé en mois et en jours, il est d'abord tenu compte des mois entiers, puis des jours; d) les délais comprennent les samedis, les dimanches et les jours fériés légaux visés à l'article 24, paragraphe 6, du présent règlement; e) les délais ne sont pas suspendus pendant les vacances judiciaires. 2. Si le délai prend fin un samedi, un dimanche ou un jour férié légal, l'expiration en est reportée à la fin du jour ouvrable suivant». La CJUE a jugé que l article 49 précité (anciennement 81), «accorde au requérant quatorze jours entiers en plus du délai de recours normal de deux mois et le dies a quo de ce dernier délai est, dès lors, reporté au quatorzième jour suivant la date de la publication en cause» 2. Dans l affaire jugée par la Cour, la République Fédérale d Allemagne souhaitait contester une directive qui a fait l objet d une publication au JOUE le 18 juillet 2001. La Cour a considéré que le dies a quo du délai de deux mois prévu par l ancien article 230 du Traité sur la Communauté Européenne, aujourd hui l article 263 du TFUE, a été reporté du 18 juillet 2001 au 1 er août 2001, soit à l expiration du délai de quatre jours prévu par l article 49 susmentionné. La Cour a, ensuite, rappelé qu un délai exprimé en mois prend fin à l expiration du jour qui, dans le dernier mois, porte le même chiffre que le dies a quo. 2 CJCE, 17 mai 2002, n C-406/01, République Fédérale d Allemagne ( 11 à 19). 4
Au cas d espèce, le dies a quo a été fixé par la Cour au 1 er août 2001, le délai de deux mois expirait donc le 1 er octobre 2001 à minuit. Enfin, à ce délai, il convenait d ajouter le délai de distance de 10 jours ce qui ramenait le délai de recours au 11 octobre 2001 à minuit. La République Fédérale ayant introduit son recours le 12 octobre 2001, sa requête a été rejetée pour tardiveté. Dans l affaire que vous avez soumise à mon analyse, la décision d exécution de la Commission a été publiée le 8 décembre 2015. Il convient dans un premier temps de décompter le délai de quatorze jours accordé par l article 49 visé plus haut, pour déterminer le dies a quo. Le décompte du délai commence le 9 décembre et se termine le 22 décembre 2015. Le dies a quo a donc été reporté du 8 décembre 2015 au 22 décembre 2015. C est à partir du 22 décembre 2015 qu il convient de computer le délai de deux mois imparti par l article 263 du TFUE. Il convient de rappeler que le délai exprimé en mois prend fin à l expiration du jour qui dans le dernier mois, porte le même chiffre que le dies a quo. En l espèce, le dies a quo correspond au 22 décembre 2015. Le délai de deux mois expire donc deux mois plus tard le même jour que le dernier mois du délai accordé, soit le 22 février 2016. A ce délai, il convient, encore, d ajouter le délai de distance de 10 jours prévu par l article 51 du règlement de procédure de la Cour, ce qui ramène le délai au 3 mars 2016 à 23h59. Il se déduit de l ensemble de ces éléments que contrairement à l analyse qui m a été transmise et en application tant des textes que de la jurisprudence de la CJUE, le délai de recours contre la décision de la Commission expire le 3 mars 2016 à 23h59 et non le 4 mars 2016 à 23h59. Les délais de recours sont d ordre public, les Juges communautaires examinent, ainsi, d office le respect des délais de recours et peuvent rejeter un recours par ordonnance si les délais ont expiré. Il est, dès lors, indispensable d introduire le recours dans le délai imparti à défaut de rejet pour tardiveté par la Cour. Je me permets, par ailleurs, de faire quelques observations sur les autres éléments contenus dans la note que vous m avez adressée. 5
Sur la qualité des requérants qui peuvent attaquer la décision, il est précisé dans la note que les personnes physiques ou morales peuvent introduire un recours direct devant les juridictions de l Union contre les actes d application dans les conditions visées à l article 263 du TFUE. Contrairement aux Etats et aux Institutions de l Union Européenne qui peuvent saisir directement la Cour de Justice, les personnes physiques et morales doivent saisir le Tribunal de l Union Européenne compétent en premier ressort pour connaître des recours en annulation 3. L article 263 du TFUE a été modifié par le Traité de Lisbonne lequel a ajouté une catégorie d actes attaquables par les personnes physiques ou morales. En effet, le quatrième alinéa de cette disposition énonce que : «Toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d'exécution». Dans son jugement du 11 avril 2011, le Tribunal de l Union Européenne a considéré qu une personne physique ou morale peut former un recours contre une décision adressée à une autre personne que si cette décision la concerne directement et individuellement 4. Le Tribunal a semble-t-il exclu la décision de la Commission portant autorisation de mise sur le marché de produit génétiquement modifié du régime des actes règlementaires puisqu il a exigé du requérant de démontrer non seulement qu il était concerné directement par l acte mais qu il l était individuellement également. En l espèce, le Tribunal a dénié au Département du Gers un intérêt à agir pour contester la décision de la Commission. Il est intéressant de se reporter à cette décision dans la mesure où le Département du Gers s était fondé sur plusieurs moyens pour justifier de son intérêt mais aucun n a emporté la conviction du Tribunal. Les conditions de recevabilité semblent limiter l accès au prétoire communautaire pour une personne physique ou morale souhaitant attaquer la décision d exécution de la Commission du 4 décembre 2015. Le recours intenté par une institution européenne et partant par le Parlement européen a plus de chance de passer le filtre de la recevabilité de la requête. E 3 Lecture combinée de l article 256 du TFUE et de l article 51 du Statut de la Cour de Justice de l Union Européenne. 4 TUE, 11 avril 2011, n T-502/10, Département du Gers, 16. 6
nfin, je vous précise que je n ai pas examiné les moyens susceptibles d être invoqués au fond pour obtenir l annulation de cette décision. Je reste, bien évidemment à votre disposition si vous souhaitez que je procède à cette analyse. Je vous prie de croire, Monsieur le Député, à l expression de ma sincère considération. Yasmina BENKRID Hélène BRAS 7