Crise du logement + critique du capitalisme = habitat participatif



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Transcription:

Crise du logement + critique du capitalisme = habitat participatif Le secteur du logement vit depuis plusieurs décennies une crise dont on ne semble pas voir le bout. Fait nouveau, cette crise commence à toucher une partie croissante des classes moyennes, tant financièrement en raison du décalage croissant entre revenus et coût du logement, que moralement, par le désamour que provoque le mode de vie stressant et individualiste des villes modernes. L habitat participatif est une réponse possible à cette crise, portée aujourd hui par un certain nombre de personnes plus ou moins en voie de déclassement économique mais conservant un capital social et culturel important, et porteurs d une vision critique sur les dérives néolibérales du capitalisme. En se regroupant volontairement avant d emménager ensemble, de petits groupes de quatre à une trentaine de foyers se lancent dans une aventure collective pour tenter de produire eux-mêmes leur logement au meilleur prix 1, pour développer leur sociabilité en partageant des espaces de vie collectifs (pièces de convivialité, chambres d amis, buanderie ), et pour gérer ensemble leur lieu de vie en articulant au mieux espaces privés et espaces collectifs. Si très peu de projets ont encore vu le jour (citons entre autres Eco-logis à Strasbourg, la Salière à Grenoble ), une quinzaine sont actuellement en phase de travaux 2, sachant qu il faut plusieurs années, disons de 3 à 10 ans, pour mener à bien ce type de projets. Fin 2011, d après un recensement réalisé par l ADESS Pays de Brest, ce mouvement comptait au moins 316 projets en France, à des stades plus ou moins avancés. D où vient cette énergie créatrice, qui malgré les difficultés et la longueur du chemin persévère, enrôle à sa cause une société civile de mieux en mieux structurée 3, mais également de plus en plus de collectivités locales 4 et de professionnels 5, et dont les propositions sont reprises par certains partis politiques (EELV, PS) pour la présidentielle de 2012 au point que l on peut commencer à parler d un mouvement social? Cette résurgence de l habitat participatif se situe dans le prolongement du mouvement de l habitat groupé autogéré (MHGA) né dans les années 70, qui s était progressivement éteint dans le courant des années 90 6. Mais lorsque les pionniers de cette nouvelle vague réinventent le concept vers 2004 2005, au moment où les prix de l immobilier atteignent des sommets, c est souvent sans connaitre les réalisations antérieures d habitats groupés, les projets récents s inspirant plutôt d expériences 1 En économisant sur la marge du promoteur et les frais de commercialisation, les logements en habitat participatif coûtent environ 15 à 30% moins chers que des logements neufs classiques. 2 Rhône-Alpes : Le Village Vertical à Villeurbanne, Habiterre à Die, Chabeaudière à Saint Antoine l'abbaye, Do-Mi-Si-La-Mi à Grenoble. Ouest : Eco-Hameau à Chevaigné (35), Les Petites Moulins à Rezé (44), Ecocum à Brest (29). Ile-de France : Diapason (75), Les Babayagas à Montreuil (93). Alsace : Ecolline à St Dié des Vosges (88). Liste sans doute non exhaustive. 3 Un comité de coordination national rassemble différents acteurs et réseaux de l habitat participatif en France. Il a piloté la rédaction d un Livre Blanc de l Habitat Participatif (consultable le 1 er trimestre 2012 sur le site www.habitatparticipatif.net) et organise des rencontres nationales de l habitat participatif (les dernières ont eu lieu à Strasbourg en novembre 2010). 4 19 collectivités territoriales ont signé à Grenoble, le 24 novembre 2011, une charte d'orientation en vue de développer l'habitat participatif. Cette initiative doit donner une plus grande visibilité et un relais institutionnel à un mouvement porté à l'origine par des associations et collectifs d'habitants. Les signataires de la charte sont les villes de Besançon, Bordeaux, Grenoble, Lille, Metz, Montreuil, Nanterre, Paris, Rennes, Saint-Denis, Strasbourg, Toulouse, Vandoeuvre-lès-Nancy, les communautés urbaines d'arras, du Grand Lyon et du Grand Toulouse, Plaine Commune, ainsi que les régions Ile-de-France et Rhône-Alpes. 5 Un Réseau national des acteurs professionnels de l habitat participatif (Rahp), constitué en association mi 2011, regroupe une dizaine de structures, dont la co-présidence est assurée par la société Toits de Choix et par l association Habicoop. 6 L association MHGA s est réanimée en 2008 et s est rebaptisée Eco Habitat Groupé : www.ecohabitatgroupe.fr. Elle rassemble de nouveaux projets, essentiellement dans la région Ile de France, mais également les habitats groupés existants de la première vague, occasion pour le reste du mouvement de redécouvrir ces centaines de projets réalisés au cours des années 70 et 80 et qui existent toujours pour la plupart.

étrangères contemporaines, notamment allemandes, belges, néerlandaises ou suisses, très tournées vers l éco-construction. Comme dans les années 70, les motivations de fond qui conduisent à l habitat participatif sont essentiellement d ordre politique. En premier lieu, les projets d habitat participatif 7 mettent au cœur de leur projet une nouvelle aspiration, l écologie : l éco-construction peut être considérée comme le fil rouge de toutes les réalisations récentes de ce mouvement, même si entre le simple souhait d une meilleure qualité de vie et l écologie politique militante, le panel de nuances peut être large. Cette seule dimension n est cependant pas suffisante pour comprendre la réémergence de ce mouvement et les différentes formes qu il peut prendre. L habitat participatif doit aussi être interprété comme une réponse à trois critiques fondamentales de la société moderne : celle de l industrialisation de la production de logement, celle de la marchandisation du logement et celle de l impact désastreux d un certain mode de vie consumériste sur l environnement. La première critique concerne l industrialisation de la production de logements : qu elle soit le fait des promoteurs privés ou des bailleurs sociaux, elle a pour corollaire la concentration du pouvoir de décision entre les mains de décideurs économiques ou politiques dont l expertise leur confère une forme d autorité exclusive propre à écarter les habitants de la conception comme de l attribution des logements. En résultent une tendance à la normalisation et à la sérialisation des habitations, leur regroupement par catégories au sein de quartiers où la mixité sociale s amenuise, producteurs d une ville terne, sans identité, chère, et de plus en plus saturée et polluée. La crise du logement débouche sur la crise de la ville. Cette critique dépasse la seule question du logement puisque c est à la fois la concentration du pouvoir, tant économique que politique, que la domination du monde des experts qui est remise en question. Elle appelle de ses vœux l émergence d une expertise citoyenne capable d auto-apprentissage et soucieuse de se donner les moyens de peser, voire de prendre directement en charge les questions qui la concerne. La seconde critique met l accent sur la marchandisation du logement : qu elle soit le fait d investisseurs institutionnels à la recherche de placements à la rentabilité de long terme assurée, de particuliers profitant des mesures de défiscalisation (Scellier ) pour investir dans le locatif privé ou de simples accédants pour lesquels l accession à la propriété est devenue le principal vecteur de constitution d un patrimoine, tout concourt à la marchandisation du logement et à la spéculation immobilière qui s en suit. Dans un contexte de déficit chronique de l offre sur la demande, cette situation ne peut aboutir qu à la hausse généralisée des loyers, des prix des logements et des terrains, et à la polarisation des inégalités dans la ville, voir en dehors, les accédants à la propriété s éloignant de plus en plus des centres villes pour trouver des terrains abordables. Le marché, mécaniquement, provoque de la ségrégation. Une part de plus en plus importante de la population qui ne peut faire face à cette hausse des prix se tourne vers le logement social, bien en difficulté de suivre l évolution de la demande : l engorgement et les temps d attente qui en résultent en découragent plus d un, ainsi renvoyés vers un marché libre où ils doivent en rabattre fortement sur leurs exigences, voire pour les plus pauvres, se tourner vers les marchands de sommeil. Cette critique dénie au marché la légitimité de tout réguler, et met en avant des solutions non spéculatives à travers des formes d action et d organisation coopératives. Enfin, une troisième critique porte sur la dépendance aliénante à un mode de vie consumériste et destructeur sur le plan environnemental, carburant d une mondialisation polluante, injuste, renforçant la dépendance de chacun et globalement perçue comme source d appauvrissement des 7 Depuis le forum national de l habitat participatif de Strasbourg, tenu en novembre 2010, le terme d habitat participatif tend à remplacer celui d habitat groupé, qui était communément utilisé pour les projets de la première vague et qui reste la dénomination utilisée en Belgique, notamment.

territoires et des populations. Face à cette critique sociétale du capitalisme mondialisé, on souhaite promouvoir la relocalisation de l économie et le renforcement de l autonomie de chacun, les plus radicaux appelant de leur vœux l avènement d un nouveau mode de vie basé sur une sobriété heureuse, plus en lien avec la nature et les hommes qu avec les objets. Le mouvement de l habitat participatif est une réponse à ces trois critiques et vise fondamentalement à resocialiser la question du logement. Si elles sont toutes plus ou moins partagées par l ensemble des promoteurs de l habitat participatif, des hiérarchisations différentes permettent de dessiner plusieurs grandes familles. 1. La critique de l industrialisation débouche sur l autopromotion : celle-ci met au centre de son projet la maîtrise d ouvrage habitante (certains parlent de réhabiliter la maîtrise d usage), c est-àdire la capacité des habitants à assumer les choix, la responsabilité et la conduite opérationnelle de leur projet de construction. L autopromotion 8 souhaite être reconnue comme une troisième voie, dans le domaine de la production de logements, qui trouverait sa place à côté des promoteurs et des bailleurs sociaux. Les projets aujourd hui aboutis (Ecologis à Strasbourg, La Salière à Grenoble ) ou les plus avancés (Ecocum, Ecolline ), mais aussi les premières politiques publiques de soutien à l habitat participatif qui passent par la facilitation de l accès au foncier (à Strasbourg, Lille, Grenoble timidement à Marseille) relèvent de l autopromotion. Le projet d Ecologis, à Strasbourg, est à la fois le pionnier et l archétype de cette forme d habitat participatif. Ses principales caractéristiques sont les suivantes : un terrain de 1700 m² situé dans une «dent creuse», vendu à un tarif avantageux par la municipalité dans le quartier de Neudorf ; une surface totale de l'immeuble s'élevant à 1294 m² ayant permis de réaliser 11 logements privatifs (de 18 à 165 m²), une salle des fêtes de 35 m², une chambre d'amis partagée, une buanderie, un grand atelier, des caves et un jardin collectif. Le prix de revient par appartement s élève à 2750 /m² après subvention (au lieu de 2950 /m²). Pour réaliser cette opération, les autopromoteurs strasbourgeois ont choisi un montage juridique faisant appel à une société civile immobilière d attribution (SCIA), permettant de gérer la maîtrise d ouvrage du projet, qui a ensuite été conservée pour gérer les logements : chaque habitant est titulaire de parts sociales, donnant droit à la jouissance de son appartement. Enfin, le montage financier est proche de celui d une copropriété, où chacun a été amené à constituer son apport personnel en autonomie, que ce soit par la revente d un logement antérieur ou par un emprunt immobilier personnel. Au total, il aura fallu neuf ans entre l idée initiale et l emménagement dans l immeuble, qui a eu lieu en août 2010 9. La solvabilité du groupe est une condition de faisabilité de ce type de projet. S il répond aux préoccupations concernant la qualité et l adaptation du bâti aux usages de ses habitants, s il permet une dynamique relationnelle évidente et est source de nombreux apprentissages pour ses membres, disons le aussi clairement : l autopromotion a un coût proche de celui de l accession à la propriété classique, éventuellement de l accession sociale si la collectivité locale adopte une politique publique de soutien, mais elle n est pas une solution adaptée pour les ménages les plus modestes. 2. La critique de la marchandisation et de la spéculation immobilière, si elle est placée au premier plan, débouche sur une seconde famille d habitat participatif, celle des coopératives d habitants, qui concerne aujourd hui une quarantaine de projets en France. Les promoteurs des coopératives d'habitants recherchent également une troisième voie : à côté de la propriété privée ou de la location, une propriété collective de type coopérative pourrait voir le jour. L association Habicoop 10, 8 A ne pas confondre avec l auto-construction, cette dernière impliquant des habitants sur le chantier de construction, alors que l autopromotion fait généralement appel à un maître d œuvre et à des entreprises pour réaliser les travaux. 9 Pour en savoir plus : www.ecoquartier-strasbourg.net 10 Pour en savoir plus : www.habicoop.org

basée à Lyon, travaille depuis 2005 à la reconnaissance de ces coopératives d habitants, en vue de créer une propriété coopérative, non spéculative et démocratique, accessible à ceux qui ne peuvent pas accéder à la propriété individuelle 11. Le principe en est le suivant : les futurs habitants fondent une société coopérative, dont ils sont à la fois les sociétaires (ils sont tous propriétaires de cette société) et les locataires (c est à ce titre qu ils occupent leur appartement ; ils peuvent donc continuer à percevoir des aides au logement s ils y sont éligibles). Pour financer la construction, chacun mobilise un petit apport permettant de constituer le capital de la coopérative, en échange de quoi il reçoit des parts sociales et dispose de droits de vote. Cet apport est complété par un emprunt collectif, porté par la coopérative, qui sera remboursé par les loyers qu elle perçoit. Chacun occupe l appartement qu il loue, et peut utiliser les espaces de vie collectifs en accord avec les autres habitants. Toutes les décisions concernant la gestion commune sont prises selon les principes coopératifs : un homme = une voix, indépendamment de la taille de son appartement et du nombre de parts sociales possédées. Si ces principes de fonctionnement sont relativement simples, leur mise en œuvre est plus complexe, notamment lorsque l on souhaite faire appel aux financements du logement social pour diminuer les coûts et allonger la durée du prêt, conditions indispensables pour baisser le prix des loyers et rendre les coopératives vraiment accessibles au plus grand nombre. Le Village Vertical, situé dans la ZAC des Maisons Neuves à Villeurbanne 12, actuellement en cours de construction, est la première coopérative de ce type en France. Ce projet pilote, accompagné par l association Habicoop, regroupe 14 logements et des espaces collectifs. Pour réaliser des économies et bénéficier du savoir-faire d un professionnel de la construction, le Village Vertical a décidé de s intégrer dans un projet plus vaste réalisé par un bailleur social coopératif, Rhône Saône Habitat (RSH), comprenant au total 38 logements sur 3600 m² : en plus des 14 logements de la coopérative, 24 autres logements sont prévus pour de l accession sociale à la propriété. Le bailleur social assure une maitrise d ouvrage déléguée pour le compte du Village Vertical, au nom de quoi il gère l ensemble du chantier, permettant de réaliser des économies d échelle. Par ailleurs, il apporte une garantie de reprise des logements du Village Vertical en cas d échec de la coopérative. Le montage financier est également source d économie : sans entrer dans des détails trop complexes, la coopérative a d abord bénéficié de l apport de ses coopérateurs (environ 20% de la valeur des logements, récupérables en cas de départ), puis elle a eu recours à des emprunts destinés à financer du locatif social 13, garantis par la commune de Villeurbanne et l agglomération du Grand Lyon, permettant d allonger la durée du prêt à 50 ans, de bénéficier d une TVA à 5,5% (au lieu de 19,6%), d être exonéré de taxes foncières pendant 20 ans et de négocier un prix du foncier très favorable, puisque la charge foncière tourne autour de 160 /m². Au final, chaque logement (tous labellisés Bâtiment Basse Consommation) a coûté à la coopérative environ 2300 /m² et est loué aux coopérateurs au prix d un logement social sous réserve que ceux-ci y soient éligibles. Les promoteurs des projets en coopératives d habitants sont aujourd hui également issus de la classe moyenne, au moins socialement et culturellement ; mais ceux-ci cherchent des solutions pour ouvrir l habitat participatif aux habitants les plus éloignés de l accession à la propriété, et ils font de la mixité sociale l un de leur principaux chevaux de bataille. 11 Un appel pour le soutien aux initiatives d habitat coopératif est paru dans la revue Urbanisme de septembre octobre 2011, initié par Habicoop et la Fondation Abbé Pierre : http://www.habicoop.fr/spip.php?article422 12 Pour en savoir plus : www.village-vertical.org 13 9 PLS gérés en direct par le VV, et 4 PLAI en logement foyer pour jeunes travailleurs pour lesquels un partenariat a été monté avec RSH et l AILOJ ; le dernier logement ne relève pas du logement social.

Précisons également que la complexité de ce type de montage nécessite l appui d une structure d accompagnement, comme Habicoop en Rhône-Alpes ou Regain 14 en région PACA, et ne peut se faire sans le soutien volontariste d une collectivité locale. 3. Les éco-lieux, fondés à partir d une critique radicale du monde productiviste qui englobe donc pleinement les deux premières critiques, constituent une troisième famille d habitats participatifs. Ils peuvent se réaliser en autopromotion, voir en auto-construction ; nombreux sont également ceux qui recherchent des solutions non spéculatives ; mais ils visent surtout à s assurer la plus grande autonomie possible vis-à-vis de la société industrielle. Ces lieux, presque toujours situés en milieu rural, parfois gérés de façon communautaire, visent à ouvrir des espaces d expérimentation pour créer des micro-sociétés alternatives, se déclarant radicalement écologistes et humanistes. Recherche d une troisième voie, encore, qui vise cette fois un changement de société, puisque la logique de la décroissance y cherche sa place entre capitalisme et socialisme. Citons l un des plus médiatiques de ces éco-lieux : le Hameau des Buis 15 en Ardèche, qui s inscrit dans le mouvement Colibri développé par Pierre Rabhi. Il est porté par une société civile immobilière (SCI), elle-même propriété d une association, La Ferme des Enfants, en vue de la réalisation d une vingtaine de logements, d une école (privée, hors contrat), d une ferme et d espaces d accueils et de formation assurant une autonomie économique au projet, dans une logique non spéculative. Pour boucler le financement du projet, toujours problématique, il est fait appel aux capacités financières des futurs résidents et d un riche particulier acquis à la cause, qui ont accordé des prêts à taux zéro à la SCI 16 en contrepartie de quoi ils bénéficient d un loyer très faible. Les coûts de réalisation ont également été minimisés grâce à la forte implication des futurs habitants, qui ont eu largement recours à l autoconstruction dans le cadre de chantiers collectifs encadrés par l association. Aucune intervention bancaire n ayant été possible, c est ainsi grâce à la solidarité de particuliers que le projet a pu voir le jour. Quelles qu en soient les modalités, l habitat participatif peut être compris comme une réponse pragmatique d une partie des classes moyennes à la crise du logement qui les touche de plein fouet. Ce mouvement tire cependant l essentiel de son énergie et de ses orientations dans des motivations politiques, qui le conduisent à dépasser ses rêves de classe d accession à la propriété lorsqu il cherche à étendre ses propositions aux couches populaires par le biais de l habitat coopératif non spéculatif. Ce nouveau militantisme citoyen trouve ses logiques d action dans le mouvement de l économie sociale et solidaire : celui-ci adopte une posture critique vis-à-vis du système dominant, parfois assez radicale, mais est également capable de composer avec lui, développant ses alternatives localement à travers les multiples projets que ses promoteurs mettent en œuvre. L un des enjeux fort de ce mouvement est de parvenir, dans un second temps, à en étendre la portée en proposant de co-construire de nouvelles politiques publiques à partir de ses expérimentations. Et en cette veille de grand-messe électorale, il y a matière à interpeller les partis politiques! De nombreuses personnes montrent aujourd hui une curiosité intéressée pour cette nouvelle forme d Habiter : à la fois séduites par la meilleure qualité de vie qu elle promet et mobilisées (ou mobilisables) par le surcroît de sens qu implique la participation active à un projet collectif. Du point 14 www.regain-hg.org. REGAIN développe avec les Compagnons Bâtisseurs Provence, et avec le soutien de la ville d Aubagne, un projet de coopérative d habitants en auto-réhabilitation accompagné, destiné à un public pauvre. Le projet en est au stade de l étude de faisabilité. 15 Pour en savoir plus : www.la-ferme-des-enfants.com 16 Mais dont le capital est indexé sur l indice des loyers pour éviter une perte de valeur dans le temps. Cette solution a été choisie notamment pour des raisons fiscales.

de vue des collectivités, il y a ici une magnifique occasion de donner aux citoyens la place qui devrait être la leur dans la définition d une politique publique du logement véritablement participative, apportant diversité, mixité et qualité, sans que cette politique coûte plus chère à la collectivité. Mais force est de constater que les réalisations concrètes se comptent encore, en France, sur les doigts de la main, et que le temps de développement et les compétences à mobiliser pour aboutir sont de nature à faire hésiter les plus déterminés. Pourtant une extension de ce mode de production de logements est possible, comme le démontre l importance qu a prise l habitat participatif dans d autres pays européens. En Allemagne, l autopromotion représente dans certains quartiers plus de 40% de la production de logements neufs (Tübingen, Fribourg ). En Suisse, les coopératives d habitants gèrent 5% du parc immobilier dans une logique non spéculative, en Norvège, 15% ; au Canada, ce sont des dizaines de milliers de logements qui sont développés par les coopératives d habitants, accessibles aux ménages les plus modestes... Encore faut-il se donner les moyens d une politique publique de soutien à l habitat participatif : d abord une politique foncière permettant de réserver des terrains à des groupes d autopromoteurs afin de les préserver de la concurrence des promoteurs immobiliers ; ensuite la reconnaissance d un statut ad hoc pour les coopérative d habitants, permettant de développer en toute sécurité juridique et fiscale une forme de propriété collective non spéculative ; enfin, la consolidation d une filière professionnelle d accompagnement des groupes citoyens dans leur projet d habitat participatif. Quelques mesures, parmi d autres, qui devraient permettre de passer de l ère des pionniers à celle des bâtisseurs. Marseille, le 24/01/2011 Pierre Lévy (plevy@regain-hg.org) Né en 1973, titulaire d un 3 ème cycle en histoire et d un 3 ème cycle en anthropologie politique, Pierre Lévy est fondateur et directeur de l association REGAIN, basée à Marseille, qui développe et accompagne des projets d habitat participatif dans le sud de la France. Il est également administrateur de l association HABICOOP et est engagé à titre personnel dans le projet en autopromotion CORAIL, à Marseille. Mots clés : crise du logement, habitat participatif, autopromotion, coopérative d habitants, habitat groupé, critique du capitalisme.