De la dette à la dette, en passant par l austérité

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Transcription:

De la dette à la dette, en passant par l austérité Gilles Raveaud Institut d Etudes Européennes, université Paris 8 Saint-Denis 1 er novembre 2014 NOTE : Ce document reprend des notes de cours. Il propose d abord un panorama actuel de la situation dans quelques pays (introduction), avant de présenter les textes européens fondamentaux (1 ère partie) puis les procédures de surveillance actuelles (2 ème partie). Il expose ensuite la dynamique macro-économique à l œuvre (3 ème partie) et les solutions aux difficultés actuelles (4 ème partie). Comme il ne s agit que de notes de cours, ce qui suit est nécessairement incomplet (et il comporte sans aucun doute des coquilles). Introduction : où en est-on de la crise aujourd hui? Historiquement, les taux d intérêt étaient très différents dans les pays européens, atteignant des niveaux élevés dans les années 1970 et 1980 à cause de la forte inflation de ces époques. Puis les taux ont commencé à baisser à partir du milieu des années 1980 (contre-choc pétrolier en 1986). Par ailleurs, on remarque qu ils étaient toujours plus bas en Allemagne qu ailleurs du fait d un taux d inflation plus bas. Enfin, ils se sont stabilisés à un niveau historiquement très bas avec l euro (4 % environ), jusqu à la crise de 2008. Durant cette période, il s est produit cette chose extraordinaire : la Grèce empruntait au même taux que l Allemagne! 1

Le graphique ci-dessous met en évidence le double mouvement intervenu ces dernières années : d abord la convergence des pays membres de l euro vers le taux d intérêt allemand, puis la très forte hausse de l écart (le «spread») entre les taux d intérêt des différentes dettes souveraines lorsque la crise a fait naître des doutes sur la capacité de la Grèce, du Portugal, de l Irlande, de l Espagne ou de l Italie à rembourser leurs dettes. Le même graphique, limité à la période juin 2009 août 2014 2

On voit que les taux sont nettement orientés à la baisse depuis juillet 2012 (sauf en Grèce où ils demeurent de l ordre de 6 %) et l annonce par Mario Draghi, le Président de la Banque centrale européenne que la BCE ferait «tout ce qu il faudrait» pour préserver l euro, c est-àdire concrètement que la BCE rachèterait les dettes des pays attaqués. On peut donc dire que la crise de l euro est (momentanément?) «finie». La situation dans quelques pays et dans l UE Pays Déficit public 2013 (% PIB) 1 Dette (2 ème trim. 2014, % PIB) 2 Rendement obligations à 10 ans (oct. 2014) 3 Taux de chômage (juillet 2014) Croissance PIB (2 ème trim. 2014 / 1 er trim.) France - 4,1 % 95 % 1,3 10,3 % 0,0 Allemagne + 0,1 % 75 % 0,9 4,9 % -0,2 Espagne - 6,8 % 92 % (2013) 2,2 24,5 % 0,6 Italie - 2,8 % 134 % 2,4 12,6 % -0,2 Grèce - 12,2 % 175 % (2013) 5,9 27,2 % -0,2 UE 28-3,2 % 87 % 1,9 10,2 % 0,2 Zone euro - 2,9 % 93 % 1,7 11,5 % 0,0 Remarques : - Les déficits publics restent élevés dans les pays en difficulté (Espagne, Grèce) mais ils sont faibles en Allemagne - La zone euro respecte le critère de Maastricht pour le déficit (3 %) - Les niveaux de dette sont très supérieurs aux critères de Maastricht (même en Allemagne) - Les taux d intérêt sont très bas (sauf en Grèce) - Le chômage est extrêmement élevé (sauf en Allemagne) - La croissance est à peu près nulle Voir également : Gilles Raveaud, «Où les Etats trouvent-ils l argent? Et autres questions sur la dette publique», 10 nov. 2008. 1 http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/rss/ess_feeds/eurostat_fr#, communiqué du 21 oct. 2014. 2 http://epp.eurostat.ec.europa.eu/portal/page/portal/rss/ess_feeds/eurostat_fr#, communiqué du 23 oct. 2014. 3 http://epp.eurostat.ec.europa.eu/tgm/table.do?tab=table&init=1&language=fr&pcode=teimf050&plugin=1. 3

I. Deux textes européens fondamentaux 1. Le Traité sur la coordination, la stabilité et la convergence en Europe (TSCG) Le TSCG a été signé le 2 mars 2012. Prend la suite du Pacte de stabilité et de croissance, qui avait instauré les critères de 3 % du PIB pour le déficit et de 60 % pour la dette (1997) Est intergouvernemental (pas un traité de l UE en tant que telle) Concerne prioritairement les pays membres de la zone euro 1/ Réduction automatique de la dette «Obligation, pour les parties contractantes dont la dette publique dépasse la valeur de référence de 60 %, de la réduire à un rythme moyen d'un vingtième par an» 2/ Notion de «croissance potentielle» C est la croissance d un pays lorsque ses facteurs de production sont utilisés de façon optimale. Ainsi, par exemple, il faut qu il y ait plein-emploi sur le marché du travail. Les États sont priés de mener des «réformes structurelles» afin d accroître le niveau de la croissance potentielle, comme par exemple de réduire les dépenses publiques, de réformer le marché du travail, de réformer les retraites 3/ «Equilibre structurel» des finances publiques (déficit structurel toléré à 0,5 % du PIB) Lorsque la croissance est à son potentiel, le déficit est à son niveau structurel, qui doit être à zéro. S il ne l est pas, c est que le gouvernement mène structurellement une mauvaise politique (par exemple, ses impôts sont insuffisants). Il doit donc la revoir. Le problème est qu il n existe pas une mesure univoque de la croissance potentielle (et donc du déficit structurel). Si on est «keynésien», on va estimer que le déficit est surtout conjoncturelle, et donc qu elle échappe à l intervention de l État. Si on est «libéral», on a dire au contraire que le déficit est avant tout structurel, et donc qu il renvoie à une mauvaise gestion de la part du gouvernement. Cette règle de déficit structurel nul ou presque doit, selon le Traité, être inscrite «au moyen de dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles [dans le droit national], ou dont le plein respect et la stricte observance tout au long des processus budgétaires nationaux sont garantis de quelque autre façon» (art. 3). 4/ Rôle central de la Commission : a) Propose le calendrier de réduction du déficit b) Ses propositions sont réputées adoptées par le Conseil, sauf s il existe une majorité qualifiée d États qui s y opposent («les parties contractantes dont la monnaie est l'euro s'engagent à appuyer les propositions ou recommandations soumises par la Commission européenne lorsque celle-ci estime qu'un État membre de l'union européenne dont la monnaie est l'euro ne respecte pas le critère du déficit dans le cadre d'une procédure concernant les déficits excessifs.», art. 7) 5/ Saisie de la Cour de Justice par la Commission ou l un des Etats 4

2. Le «pacte pour l euro» Signé en mars 2011, le Pacte pour l euro a pour but d accroître la compétitivité des économies de la zone euro. Il met tout particulièrement l accent sur la maîtrise des coûts salariaux (y compris dans le secteur public) comme élément premier de compétitivité. Il s agit plus précisément de suivre les évolutions du coût unitaire de main-d œuvre, c est-à-dire le coût du travail divisé par la productivité. Extraits : CONCLUSIONS DES CHEFS D'ÉTAT OU DE GOUVERNEMENT DE LA ZONE EURO DU 11 MARS 2011 UN PACTE POUR L'EURO COORDINATION RENFORCÉE DES POLITIQUES ÉCONOMIQUES POUR LA COMPÉTITIVITÉ ET LA CONVERGENCE (extraits) Engagements politiques concrets et suivi a. Renforcer la compétitivité Les progrès seront évalués sur la base de l'évolution des salaires et de la productivité ainsi que des besoins d'ajustement en matière de compétitivité. Afin de déterminer si les salaires évoluent en accord avec la productivité, le coût unitaire de la main-d œuvre (CUM) fera l'objet d'un suivi sur une période déterminée, par comparaison avec l'évolution dans d'autres pays de la zone euro et chez les principaux partenaires commerciaux comparables. Les augmentations significatives et durables pourraient provoquer une érosion de la compétitivité, notamment si elles viennent s'ajouter à un déficit croissant de la balance courante et à une diminution des parts de marché à l'exportation. Il incombera à chaque pays de déterminer les mesures spécifiques à prendre pour renforcer sa compétitivité ; toutefois, une attention particulière sera prêtée aux réformes suivantes: i) mesures visant à assurer que les coûts évoluent en accord avec la productivité, dans le respect des traditions nationales en matière de dialogue social et de relations entre les partenaires sociaux, par exemple: réexaminer les dispositifs de fixation des salaires et, le cas échéant, le degré de centralisation du processus de négociation, ainsi que les mécanismes d'indexation, l'autonomie des partenaires sociaux dans le cadre du processus de négociation collective devant être préservée; [Commentaire : - il s agit de décentraliser les négociations salariales au niveau de l entreprise, afin d ajuster au plus près les évolutions des salaires et celle de la productivité. Cette politique est censée maîtriser les coûts salariaux, ce qui est supposé être favorable à l emploi. Pourtant, des études montrent que cette politique a surtout pour conséquence d accroître les inégalités salariales, sans gains évidents pour l emploi ; voir OCDE, (2004), «La fixation des salaires : aspects institutionnels et résultats», in Perspectives de l emploi, p. 139-199. - il s agit ensuite de supprimer les mécanismes d indexation, à qui il est reproché c est leur raison d être de permettre une hausse automatique des salaires lorsque les prix augmentent] veiller à ce que les accords salariaux dans le secteur public viennent soutenir les efforts de compétitivité consentis dans le secteur privé (en gardant à l'esprit que l'évolution des salaires dans le secteur public constitue un signal important); ii) mesures visant à renforcer la productivité, par exemple: 5

ouvrir davantage les secteurs protégés en prenant des mesures au niveau national pour lever les restrictions indues qui pèsent sur les services professionnels, ainsi que sur le secteur du commerce de détail, afin de renforcer la concurrence et l'efficacité, dans le plein respect de l'acquis communautaire; consentir des efforts spécifiques pour améliorer les systèmes d'enseignement et encourager la R&D, l'innovation et les infrastructures; prendre des dispositions pour améliorer l'environnement des entreprises, en particulier les PME, notamment en éliminant les lourdeurs administratives et en améliorant le cadre législatif (par exemple, droit des faillites, code de commerce). b. Promouvoir l'emploi Il incombera à chaque pays de déterminer les mesures spécifiques à prendre pour promouvoir l'emploi; toutefois, une attention particulière sera prêtée aux réformes suivantes: les réformes du marché du travail destinées à favoriser la flexisécurité, à réduire le travail non déclaré et à accroître la participation au marché du travail; l'éducation et la formation tout au long de la vie; les réformes fiscales, par exemple la réduction des charges fiscales pesant sur le travail, afin de rendre le travail financièrement attrayant tout en préservant le niveau global des recettes fiscales, et les mesures destinées à faciliter la participation au marché du travail des personnes assurant une seconde source de revenus. c. Améliorer la viabilité des finances publiques Afin d'assurer une pleine mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance, la plus grande attention sera apportée aux éléments suivants: Viabilité des retraites, des soins de santé et des prestations sociales Les réformes nécessaires pour assurer la viabilité et l'adéquation des retraites et des prestations sociales pourraient notamment consister à: adapter le système de retraite à la situation démographique nationale, par exemple en adaptant l'âge réel de la retraite à l'espérance de vie ou en accroissant le taux d'activité; limiter les régimes de préretraite et prendre des mesures incitatives appropriées pour l'emploi des travailleurs âgés (notamment les travailleurs de plus de 55 ans). Règles budgétaires nationales Les États membres de la zone euro s'engagent à traduire dans leur législation nationale les règles budgétaires de l'ue figurant dans le pacte de stabilité et de croissance. Les États membres conserveront le choix de l'instrument juridique à utiliser au niveau national mais veilleront à ce qu'il soit par nature suffisamment contraignant et durable (par exemple, la Constitution ou une législation cadre). 6

II. Les nouveaux mécanismes de coordination : la surveillance plutôt que la coopération 1. L échec des euro-bonds (euro-obligations) Les euro-obligations consisteraient à mutualiser les dettes publiques, c est-à-dire à les regrouper de façon à ce qu il n y ait plus que la dette de la zone euro, et pas la dette de l Allemagne, la dette de la France, celle de la Grèce, etc. On aurait ainsi un titre de dette unique, qui verserait le même intérêt aux acheteurs de cette dette. Mais cette mesure n a pas été mise en œuvre, du fait du refus des pays peu endettés, à commencer par l Allemagne. 1/ Idée «d aléa moral» «Lorsque je suis assuré, je suis moins vigilant» : telle est la définition de l aléa moral ou «risque de comportement immoral». Ici, l idée est que si les pays déficitaires savent qu ils peuvent compter sur les autres pour rembourser leurs dettes, ils ne feront aucun effort pour limiter leur endettement. Il ne faut donc pas leur offrir de mécanisme d assurance ce qu offriraient précisément des euro-obligations. Sauf si, au nom de la construction européenne, certains devenaient plus solidaires 2/ Absence de solidarité (coût plus élevé des emprunts et risque de défaut) Le prix des eurobonds Christian Chavagneux, Alternatives Economiques, 23 août 2011. Les intervenants sur les marchés le répètent depuis plusieurs jours : ils veulent des eurobonds! Ils verraient d un bon œil que les pays bien notés comme l Allemagne garantissent le remboursement des dettes espagnoles ou italiennes dans le cadre de procédures d emprunt mutualisées. Les Allemands craignent qu une dette moyenne européenne soit moins bien cotée par les marchés que la dette allemande et qu ils soient forcés de payer plus cher demain leurs emprunts. C est sûrement ce qui se passerait. Mais combien devrait-il payer en plus? Une étude récente de Patrick Artus suggère que le taux d intérêt des eurobonds serait un peu supérieur à 3 %. Mais il ne prend pas en compte le fait qu un marché européen de la dette publique serait beaucoup plus liquide (on peut plus facilement acheter et vendre les titres) que chaque marché actuel, ce qui ferait baisser le coût d emprunt. Il ne prend pas non plus en compte l avancée politique institutionnelle que représenteraient les eurobonds et la confiance qu ils donneraient dans l Europe. Au final, on peut penser que le taux d intérêt sur ces emprunts serait de l ordre de 2,5 %, soit à peu près au niveau des taux actuels français et un peu au-dessus des taux allemands. Pour accepter cela, payer ne serait-ce qu un tout petit peu plus cher leurs emprunts, les Allemands seraient assez exigeants : ils voudraient en échange pouvoir influencer la politique budgétaire des pays moins vertueux qu eux. Ce qui signifie développer la coordination des politiques budgétaires européennes avec un droit de regard européen (allemand) sur les politiques économiques et sociales des autres pays en échange du fait que les impôts allemands ou français puissent payer la dette de Berlusconi si l Italie renconter des problèmes. Les Européens sont-ils prêts à cela pour avoir des eurobonds? 7

Il y aurait pourtant une solution moins contraignante : une agence européenne de la dette emprunte au taux des eurobonds et reprête avec un écart de taux aux différents pays européens : un peu moins que son taux d emprunt pour les pays vertueux (comme ça l Allemagne ne paie pas plus) et un peu plus pour ceux qui ne le sont pas. De cette façon, les pays dont la politique budgétaire n est pas très rigoureuse le paient en termes d emprunts plus chers mais pas aussi chers que les spreads [écarts] de folie des marchés lorsqu ils paniquent. Dans ces conditions, une simple surveillance commune des politiques budgétaires serait nécessaire pour fixer le niveau du spread public, laissant le choix à chaque pays de suivre la politique budgétaire qu il souhaite en le payant. Mais à un prix raisonnable. 2. Le semestre européen Ce «semestre» se déroule tous les ans et il décrit toutes les étapes de la coordination des politiques (budgétaires + structurelles) en Europe. Le graphique page 10 le représente. Tout d abord, avec l «Examen annuel de la croissance», la Commission fixe les priorités de l'union européenne en matière de croissance et de création d'emplois pour l'année à venir. En mars, le Conseil européen propose des orientations sur les réformes structurelles en matière budgétaire et macro-économique, ainsi que sur les secteurs porteurs de croissance. En avril, les États membres présentent : - leurs programmes de stabilité (États membres de la zone euro) ou de convergence (autres États membres), qui visent à garantir la viabilité de leurs finances publiques - les réformes et les mesures destinées à progresser sur la voie d'une «croissance intelligente, durable et inclusive», dans des domaines tels que l'emploi, la recherche, l'innovation, l'énergie et l'inclusion sociale (programmes nationaux de réforme). En mai/juin, la Commission évalue ces programmes et adresse des recommandations à chaque pays. Le Conseil européen les approuve. Les États membres reçoivent ainsi des orientations politiques avant de finaliser leurs projets de budget pour l'année suivante. Enfin, fin juin ou début juillet, le Conseil adopte formellement les recommandations par pays. En septembre-octobre, les Etats membres soumettent leurs projets de plans budgétaires. Tout cela pour quel résultat? Certes, sur le papier, des avertissements politiques peuvent être adressés si les recommandations ne sont pas exécutées dans les temps. Des mesures incitatives et des sanctions peuvent également être prises en cas de déséquilibres macroéconomiques et budgétaires excessifs. Des amendes sont même prévues. Mais pour l instant, aucun pays n a été sanctionné, en raison du coût politique élevé d une telle décision. La contrainte imposée par ces lourds processus est donc faible. Mais il se peut que toutes ces procédures participent à la création de références communes, de manières de voir le monde, d un vocabulaire partagé qui font que naissent et s entretiennent certaines évidences, comme la nécessité de «flexibiliser» le marché du travail, le «poids» des impôts, les bénéfices à attendre de la «libéralisation» des marchés et du libre-échange, etc. 8

3. Les déséquilibres macro-économiques et le mécanisme d alerte Détection de «déséquilibres excessifs» avec amende éventuelle de 0,1 % du PIB du pays qui ne respecterait pas les recommandations du Conseil. Exemples de déséquilibres : perte de compétitivité extérieure (déficit commercial, parts de marché à l exportation, etc.) ; hausse du coût salarial unitaire ; dettes (privées et publiques) ; prix du logement ; taux de chômage ; importance du passif du secteur financier. Attention : il ne faut pas faire de contre-sens concernant le taux de chômage. Ici, il est estimé que le taux de chômage doit rester inférieur à une certaine valeur (10 %) non pas en raison d une préoccupation sociale, mais parce qu un taux de chômage trop élevé est le signe d un mauvais fonctionnement du marché du travail. Lorsque le chômage est élevé, il faut procéder à des réformes structurelles pour le réduire. 9

10

III. Une dynamique économique déséquilibrée 1. Recul des salaires dans le partage de la valeur ajoutée et stagnation économique Dans les années 1970, le chancelier Helmut Schmidt avait énoncé un célèbre théorème : «les profits d aujourd hui font les investissements de demain et les emplois d après-demain». Face à la concurrence internationale, il s agissait de «restaurer la part des profits» afin de financer les investissements qui allaient permettre la modernisation des entreprises, ce qui allaient leur permettre d exporter et donc, in fine, de créer des emplois. Comme le montre Michel Husson dont nous reprenons un article ici (Michel Husson, «Le partage de la valeur ajoutée en Europe», Revue de l IRES, 2010, la réalité a été toute différente : - les salaires ont reculé au profit des profits (comme cela était souhaité) - ce qui ne s est pas traduit par une hausse des investissements (le théorème est faux) - mais ce qui a par contre alimenté les dividendes Pour cela, on s intéresse à la Valeur Ajoutée, qui est la richesse nouvelle créée par les entreprises. La somme de toutes les VA s appelle le PIB. Cette valeur ajoutée se divise (très grossièrement) en salaires (en fait les salaires plus les cotisations sociales) et profits (utilisés ensuite pour payer l impôt sur les sociétés, financer les investissements, verser les intérêts d emprunts, et verser les dividendes). La grande question ici est celle de l évolution du partage salaires / profits. Sur ce graphique, deux évolutions apparaissent : 1/ Une hausse de la part des salaires au cours des années 1970, conséquence des revendications salariales (satisfaites) des salariés, qui refusaient que leur niveau de vie soit réduit à cause de l inflation très forte de ces années-là 2/ Surtout, une très forte baisse de la part des salaires à partir du milieu des années 1980 (tournant de la rigueur de 1983 en France), conséquence de plusieurs facteurs : politiques de «modération salariale» (Thm de Schmidt) ; montée du chômage qui réduit le pouvoir de négociation syndical ; mise en place du Système monétaire européen en 1979 qui fait de la lutte contre l inflation une priorité ; accroissement de la concurrence internationale (NPI d Asie) ; etc. 11

Ce graphique explique le précédent au moyen d une règle simple : lorsque les salaires augmentent moins vite que les gains de productivité, la part des salaires dans la VA baisse. On a ici 3 périodes : 1/ 1960-1974 : c est la fin des Trente glorieuses, salaires et gains de productivité évoluent exactement à la même vitesse (deux courbes du haut, dont la valeur se lit échelle de gauche, avec une valeur égale à 100 pour 1980). Conséquence : la part des salaires reste parfaitement stable (et donc celle des profits aussi) ; elle est d environ 72 %. 2/ 1974-1982 : c est l époque des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. L inflation est très forte, les salaires augmentent aussi, et même plus que l inflation. En conséquence, les hausses de salaires sont supérieures aux gains de productivité : la part des salaires dans la valeur ajoutée augmente (ce sont les deux petites bosses que l on voit sur les courbes du bas) pour se rapprocher de 75 %. 3/ 1982-2010 : c est l époque du «capitalisme actionnarial» où la richesse est de plus en plus distribuée aux actionnaires, tandis que les salaires stagnent. Les gains salariaux sont systématiquement inférieurs aux gains de productivité, ce qui entraîne une chute de la part des salaires dans la VA (et donc une hausse symétrique de la part des profits), qui n est plus que de 65 % en fin de période, soit une chute très importante par rapport à 1960 (un point de PIB vaut 200 milliards d euros, soit 6 000 euros par travailleur et par an). 12

Le taux de marge est ce que nous avons appelé la part des profits jusqu ici : puisque la part des salaires baisse, le taux de marge augmente. Le taux d investissement montre la part du revenu national (le PIB) qui est investie chaque année. Comme on le voit, cette part est orientée à la baisse depuis les années 1970. Par contre, comme on le voit sur le graphique ci-contre, ce qui augmente ce sont les dividendes, qu on les rapporte à la valeur ajoutée (courbe noire du bas) ou aux salaires (courbe blanche du haut). Dans les deux cas, la trajectoire est nette : - forte baisse de la part des dividendes jusqu en 1977, où ils sont à un niveau très faible ; - hausse à nouveau depuis cette date. 13

2. La priorité donnée aux exportations Il y a 4 moteurs à la croissance : - la consommation des ménages (45 %) - les dépenses publiques (22 %) - les exportations (22 %) (à peu près égales aux importations) - les investissements des entreprises (10 %) Remarques : - la consommation stagne (modération salariale) - les dépenses publiques sont réduites afin de respecter les critères européens et de «défendre l euro» - les investissements stagnent (cf. Husson) Conclusion : ne reste que les exportations, qui représentent un débouché aussi important que les dépenses publiques. Problème : à qui vendre quand tous les pays sont en récession? Et comment s assurer que les produits français soient plus compétitifs que les autres? Remarque : Dans les années 1960, près des trois quarts de la demande reposaient sur la somme des dépenses des ménages (54 % du total) et des administrations publiques (19 %). Le salaire total, en hausse constante, était ainsi le moteur principal de la croissance, de l emploi, des recettes publiques Les exportations ne représentaient en effet que 12 % de la demande totale, un montant égal à celui des investissements (12 %). 3. Le «modèle» allemand Le coût salarial unitaire (CSU) dans l industrie (calcul : coût total du travail/productivité) Lecture : les productivités allemande (courbe verte) et française (rouge) évoluent au même rythme. 14

La différence, c est la stagnation de la rémunération des travailleurs en Allemagne à partir du milieu des années 1990 (courbe jaune) qui fait suite à la forte hausse intervenue au moment de la réunification, qui avait fait plonger les exportations allemandes. Résultat : tandis que le coût salarial unitaire est stable en France, il plonge en Allemagne depuis 2003. C est à la fois la source de la «compétitivité» allemande et de la misère de millions de salariés allemands. Surprise! Le temps de travail annuel par travailleur est plus faible en Allemagne qu en France. Cela s explique par le plus grand nombre de contrats de travail à temps partiel outre-rhin (27 % contre 18 % en France). Il y a aussi beaucoup de «salaires partiels» en Allemagne où le nombre de travailleurs pauvres est très élevé (8 millions de salariés gagnent moins de 8 euros brut de l heure). On note par ailleurs que, tandis que les deux pays connaissaient un temps de travail proche en 1985, le temps de travail a plus diminué en Allemagne sans les 35 heures, du fait de la multiplication des contrats de travail courts. Le Medef doit s en étrangler! Part des exportations dans le PIB, en % Les exportations représentent aujourd hui la moitié du PIB de l Allemagne, ce qui est très élevé. On voit que l Allemagne est le seul pays à connaître une telle hausse de la part de ses exportations dans le PIB Partout ailleurs ou presque, ce ratio stagne. Les exportations allemandes sont par ailleurs de plus en plus dirigées vers des zones extraeuropéennes. 15

IV. Les voies de sortie de crise 1. Le refus de payer la dette Possible : fréquentes «restructurations» de dettes (une restructuration est une situation où un créditeur accepte de ne pas se voir rembourser la totalité de la somme qu il avait prêtée). Justification : une part importante de la dette est la conséquence de baisses d impôts qui ont surtout bénéficié aux plus aisés, qui sont aussi les détenteurs de la dette. (Selon le Collectif pour un Audit citoyen de la dette publique, si les recettes de l Etat s étaient maintenues à leur niveau, en % du PIB, plutôt que de diminuer, la dette serait inférieure de 24 points de PIB (soit 488 milliards d euros) à son niveau actuel). Il est logique de les mettre à contribution dans cette période difficile. Problème : la dette française est détenue aux deux tiers par des investisseurs étrangers (si tous les détenteurs étaient français, il serait plus facile de les spolier) Mais c est sans doute une solution à utiliser à l avenir. 2. Limites les fuites Lutter contre les paradis fiscaux Réduire les niches fiscales Tout cela pourrait facilement représenter plusieurs dizaines de milliards par an (Pour la France, la dernière estimation du syndicat des impôts Solidaires Finances publiques, qui date de 2012, fait état de 60 à 80 milliards de recettes fiscales perdues chaque année, soit de l'ordre de 20 % des rentrées, source Alternatives Economiques, nov. 2014). 3. L inflation La solution la plus simple et la plus efficace, car l inflation efface les dettes. Gilles Raveaud, Pourquoi la déflation est pire que l inflation, 16 janvier 2009 : L inflation diminue le poids réel des dettes. Supposons que votre salaire est de 1500, et que vous devez rembourser un crédit immobilier, avec un versement de 500 tous les mois. Le remboursement de votre crédit représente 33% de votre salaire. Supposons que l inflation est forte pendant plusieurs années. Les prix augmentent de 25 %, et votre salaire aussi : en 2020, votre salaire est maintenant de 2000. Puisque les remboursements d emprunt sont fixes, votre revenu disponible après paiement de votre emprunt s est, lui, fortement accru. - en 2009, il était de 1000 (= 1 500-500 ) ; - en 2020, il est maintenant de 1500 (= 2 000-500 ). Certes, les prix ont augmenté autant que votre salaire, soit + 25 %. Il vous faut dépenser 1 250 en 2020 pour acheter la même quantité de télévisions et de pains au chocolat qu en 2009. Mais vous disposez maintenant d un revenu disponible pour la consommation égal à 1 500. Votre pouvoir d achat s est accru de 250. (Pourquoi? Parce que le remboursement d emprunt est resté constant, quand tous les prix et votre salaire se sont accrus de 25 %). Merci l inflation! 16

L inflation accroît donc le niveau de vie des débiteurs. Mais elle diminue le niveau de vie des créanciers. Les revenus de votre banquier sont : - en 2009 : 500 - en 2020 : 500 mais qui représenteront 25 % de moins que les 500 d aujourd hui (soit 400 ), à cause de la hausse des prix. Voilà pourquoi les banques n aiment pas l inflation. Problèmes : - l inflation ne se décide pas - opposition des créditeurs et des épargnants - comment préserver le revenu des personnes les plus modestes? (cf. mécanismes d indexation salariales instauré par Pinay en 1952 et supprimés par Pierre Mauroy en 1982) 4. La hausse des impôts 1/ Accroître la taxation des très hauts revenus Justifié par la régressivité du système fiscal français (plus les revenus sont élevés plus les taux d imposition sont faibles) : - le système fiscal actuel est faiblement progressif jusqu au niveau des «classes moyennes», - puis devient franchement régressif au sein des 5% les plus riches (soit 2,5 millions de personnes sur 50,4 millions), et surtout à l intérieur des 1% les plus riches (soit 0,5 million de personnes). 17

Source : Camille Landais, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, http://www.revolution-fiscale.fr/ Les nombreuses baisses d impôts initiées sous Lionel Jospin par Laurent Fabius, alors ministre des finances, et poursuivies par Nicolas Sarkozy (baisse des droits de succession, réduction de la TVA dans la restauration, réduction de l impôt sur le revenu ) ont eu pour effet de faire exploser le déficit et la dette, comme l a montré le rapport Carrez (juin 2010) : Sur ce graphique, on voit ce qu aurait été le déficit sans toutes ces baisses d impôts (courbe en rose). L effet est massif : en 2006, 2007 et 2008, le solde public aurait été positif, une première depuis 1975! Au lieu de cela il a été négatif, de l ordre de 3% chaque année. L accumulation de ces déficits a évidemment eu pour conséquence un gonflement de la dette. 18

Sur ce graphique, on voit que la dette est supérieure de plus de 20 points de PIB à ce qu elle aurait été sans baisses d impôts (78 % au lieu de 54 % en 2009). Et, effectivement, les recettes publiques ont diminué depuis la fin des années 1970, passant de 21 % du PIB en 1978 à 19,1 % en 2008. Soit une baisse de 2 points de PIB, ou 40 milliards d euros la moitié du déficit de cette année. 19

Cette politique de baisses d impôts n est pas propre à la France, elle résulte de la concurrence fiscale observée en Europe, où tant l impôt sur les sociétés que l impôt sur le revenu ont été nettement orientés à la baisse depuis les années 1990 (les choses se sont un peu inversées avec la crise qui a conduit plusieurs États à accroître leurs prélèvements). 2/ Accroître la taxation des hauts patrimoines Selon l étude du Crédit suisse : - 2 millions de millionnaires en euros en France, plus forte concentration par habitant d Europe - fortune héritée aux deux tiers Thomas Piketty : - plus de 1 personne sur 10 héritera d'un patrimoine au moins équivalent à ce que la moitié de la population gagne avec son travail tout au long d une vie... - taxer la valeur totale du patrimoine chaque année à hauteur de 1% à partir de 1 million d euros, de 2% au-delà de 5 millions et 5 % au-dessus de 10 millions, ce qui permettrait de rapporter 2 % du PIB européen, soit plus de la moitié du déficit actuel Problèmes : personne n aime payer les impôts 5. La Croissance Différentes façons d obtenir la croissance (ou plutôt des croissances différentes) : 20

1/ Compétitivité-coût, exportations et emploi (inspiration : Friedman, Tirole) Problèmes : - stratégie non-coopérative : les exportations des uns sont les importations des autres - auto-destructeur : ces politiques réduisent les revenus et donc la demande partout, ce qui réduit les débouchés pour les exportations - aggrave la crise en réduisant encore plus la demande - multiplication des petits boulots, de la pauvreté laborieuse Conclusion : peut fonctionner pour de petits pays (Irlande) ou pour l Allemagne, mais ne peut constituer une solution générale 2/ Investissements collectifs, Banque Européenne d Investissements (inspiration : Keynes) Avantages : - solution coopérative, véritablement européenne - progressiste sur le plan social Limites de ces politiques (Relance : du rêve keynésien à la réalité, 12 janvier 2009) : - accroissent les déficits et l endettement à un moment où on cherche à les réduire (réponse : les taux d intérêt sont faibles, c est le moment d investir, comme l a soutenu le FMI récemment) - les impôts «pompent» une partie de l argent, qui retourne aux États plutôt que de bénéficier aux entreprises - l épargne stérilise une partie de l argent distribué - «fuite» à cause des importations (problème résolu si relance européenne) 3/ Contrôler la finance et redonner du pouvoir au travail (inspiration : Marx) Mesures : emploi public, hausse des salaires, régulation de la finance (séparation banques affaires / de dépôt, autorisation de mise sur le marché des produits financiers, interdiction des produits toxiques, limitation des bonus, impôt sur les dividendes, obligation d acheter la dette publique ) Avantages : - solution à la hauteur du problème - solution «structurelle», et pas seulement conjoncturelle Inconvénient : - opposition des marchés financiers, grands patrons, de la quais-totalité de la presse - quelle majorité politique pour soutenir ces mesures? 6. La transition écologique La seule vraie issue à la crise! - énergie : renouvelables, économies d énergie (à commencer par l isolation des logements) - biens : réduction gaspillage, consommation, éco-conception 21

- services : réduction transport individuels, de l habitat individuel, promotion des transports collectifs - organisation de la société : circuits courts, relocalisations, fin étalement urbain Avantages : - Nécessité de la transition écologique, donc autant la faire (même s il est déjà trop tard pour éviter la hausse des températures) - solution de long terme à la crise - dimension démocratique : nécessitera un mouvement de fond de la société propice à raviver la démocratie Problèmes : - coût à court terme / gains éloignés dans le temps (exemple de l achat d une voiture électrique) d où l absence de décisions politiques - coûts sociaux qui pèsent sur les plus modestes (habitat éloigné, chauffage au fioul) d où la difficulté de bâtir une majorité politique en faveur de la transition écologique (contre-exemple de l écotaxe) Conclusions 1/ L euro était une mauvaise idée : on ne peut pas avoir un seul taux d intérêt et un seul taux de change pour la France, l Allemagne et la Grèce ; 2/ Sortir de l euro serait pire : la sortie de l euro peut (tout à fait) être le point d aboutissement d une révolution politique, économique, et sociale, mais cela ne peut en être le point de départ (non pas pour des raisons philosophiques, mais pragmatiques : dans le système actuel, sortir de l euro, c est plus de dettes, un niveau de vie réduit, plus de chômage, sans gains évidents) ; 3/ Le marché unique et l euro accroissent la concurrence entre les États européens à un moment où la catastrophe climatique et environnementale à venir et les désastres sociaux actuels imposeraient de la coopération ; 4/ Les demandes faites aux États par la Commission aggravent les choses car elles réduisent toujours plus la demande intérieure (consommation des ménages + investissements des entreprises + dépense publique) quand il faudrait l accroître ; 5/ Les résultats des élections ne font pas émerger pour l instant de majorité sociale et écologique permettant les changements dont notre continent a besoin ; 6/ Dans ces conditions, nous en sommes réduits à prier pour qu un mouvement social finisse par apparaître, ou que des dirigeant-e-s enfin compétent-e-s/raisonnables/courageux-ses émergent ou une combinaison de ces deux évolutions. 22