«Les opioïdes à action rapide : un plus dans le traitement des accès douloureux paroxystiques en cancérologie?»

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Transcription:

Les opioïdes d action rapide (OAR) sont des traitements antalgiques apparus récemment (2001) pour les Accès douloureux paroxystiques (ADP) constatés voici environ 30 ans chez les patients atteints de cancer en phase palliative et dont la douleur de fond était correctement gérée par la prescription des morphines à libération prolongée. L arrivée en peu de temps de cinq spécialités d OAR (et l annonce d une prochaine sixième) est certes d un grand intérêt dans la prise en charge de la douleur mais doit faire poser la question de la pertinence des indications et de l utilisation de ces substances qui, outre leurs effets secondaires indésirables, représentent, par leur prix, un coût non négligeable dans les dépenses de santé en cette période de «vaches maigres». «Les opioïdes à action rapide : un plus dans le traitement des accès douloureux paroxystiques en cancérologie?» Dr Pouymayou, Médecin anesthésiste, Centre régional de lutte contre le cancer (CRLCC) Claudius Régaud, 31300 Toulouse, France Le concept d accès douloureux paroxystiques et son corollaire, les opioïdes d action rapide Soulager la douleur, a fortiori cancéreuse, est un acte intimement lié à l évolution de l humanité. Dès la plus haute antiquité, les Babyloniens avaient remarqué les effets antalgiques du pavot et plus précisément de son suc, l opium. Dioscoride en fait mention et Mithridate l introduit dans la composition de la célèbre thériaque. Galien de Pergame, médecin des armées impériales romaines en Bulletin Infirmier du Cancer 109

fournissait régulièrement à son patron, le premier opiomane célèbre de l histoire, l empereur Hadrien. En 1683, Sydenham mélange l opium safran au vin d Espagne et à la cannelle girofle. C est le laudanum qui va soulager nombre de douloureux jusqu à ce qu en 1807, un chimiste allemand, F. Sertuerner isole le principe antalgique de l opium : la morphine. Dès lors, elle va être prescrite sous toutes les formes disponibles au fur et à mesure des progrès techniques (seringue et aiguille creuse) et galéniques. En 1886, H. Snow propose un mélange de morphine, cocaïne, chloroforme, cannabis et gin dont l usage allait perdurer jusqu à la fin du siècle précédent : le sirop de Brompton. Une version moins «scandaleuse» associant l opium à l eau chloroformée sera proposée en 1962 par C. Saunders : la potion de Saint-Christophe. L industrie chimique n est pas en reste et synthétise dès la fin du XIX e siècle des dérivés morphiniques comme l heroïne ou diamorphine (1898), la péthidine (1937), la méthadone (1938). Les dérivés de l opium sont alors classés en dérivés naturels ou opiacés, dérivés synthétiques ou semi synthétiques ou opioïdes et dérivés de l alcaloïde hydrophile qu est la morphine : les morphiniques. Dans les années 1950, P. Janssen synthétise les opioïdes lipophiles parmi lesquels le fentanyl. Il faudra attendre 1981 pour voir la mise à disposition de la première spécialité morphinique à «libération prolongée» le Moscontin dont l arrivée améliore de manière considérable la prise en charge des douleurs cancéreuses en dehors des établissements de soins. Se fait alors jour le problème des douleurs paroxystiques, survenant malgré la prise en charge correcte de la douleur de fond, et pour lesquelles la mise à disposition de morphiniques à «libération immédiate» allait apporter un soulagement supplémentaire avec le Sevredol en 1999. Toutefois, le temps de latence de ces spécialités (45 à 60 minutes et plus) ne permettait pas de traiter tous ces accès douloureux paroxystiques observés depuis la mise à disposition des médicaments à «libération prolongée». C est pour essayer de pallier ce manque sans devoir recourir à la voie invasive (PCA) qu apparaissent les opioïdes à action rapide pour le traitement des accès douloureux paroxystiques avec l Actiq en 2001. La première mention d accès douloureux paroxystique est rapportée en 1990 par Portenoy et Hagen comme une «augmentation transitoire de la douleur plus élevée qu une douleur modérée, survenant sur un fond de douleur modérée ou moindre chez un patient recevant un traitement opioïde chronique de fond» (Pain 1990 ; 41 : 273-81). Les auteurs utilisent le vocable anglo saxon de Breakthrough Pain (BP). Or ce vocable n a aucun équivalent dans les autres langues, aussi voit-on fleurir des appellations variées comme «douleur épisodique, douleur transitoire, etc.». En France, c est le terme d ADP qui est le plus usité. De plus, le BP est observable en dehors de toute douleur de fond et chez des patients atteint de pathologies non cancéreuses. En 2004 la prestigieuse British Pain Society définit l ADP ou BP comme une «exacerbation transitoire de douleur survenant sur un fond continu de douleur par ailleurs contrôlé de manière satisfaisante», faisant ainsi la différence d avec la «douleur épisodique» (pas de fond douloureux permanent), la «douleur incidente» (prévisible) et la «douleur persistante» (présente quelle qu en soit sa forme depuis plus de 3 mois). Dès lors, la messe sémantique est dite : «Le BP ou ADP est une douleur idiopathique, de survenue brutale, stimulus indépendante et différente de l Incident Pain, stimulus dépendant prévisible ou non et de la douleur de fin de dose, d apparition progressive en fin d action du traitement LP.» Problématique des accès douloureux paroxystiques L ADP typique est de survenue rapide, d intensité forte à insoutenable, de durée moyenne de 30 minutes (moins d une heure pour 90 % des cas) survenant plusieurs fois dans la journée : 80 % des patients cancéreux en phase palliative souffrent de douleurs fortes parmi lesquels 2/3 présentent des ADP (Larrue et al.). L origine de ces ADP est essentiellement nociceptive ou mixte (73 à 91 %) mais peut être parfois purement neuropathique. En 2002, ils induisaient un surcoût thérapeutique annuel de 9600 $ chez les patients atteints de cancer qui en souffraient et une augmentation de plus de 50 % de la fréquence des hospitalisations pour ces mêmes patients (Fortner B. et al. Pain 2002 ; 3 : 38-44). L ART de gérer les ADP impose d abord une évaluation correcte de la douleur, une optimisation du trai- Bulletin Infirmier du Cancer 110

tement de fond, un traitement concomitant de la maladie, de ses complications et des facteurs aggravants (toux, constipation, maladie thromboembolique veineuse, etc.) en intégrant le traitement du BP dans la prise en charge globale du patient. C est une affaire d équipe et de communication (Zepetella J. Cancer Pain 200 Hodder-Arnold [[merci à l auteur de compléter cette référence]]) Trois étapes dans la prise en charge ou l ART du traitement 1. Assessment (évaluation), première étape avec mise en route d un traitement de fond et d interdoses. 2. Reassessment ou vérification de l efficacité du traitement de fond et identification des anomalies : ce n est qu à ce moment qu on peut réellement diagnostiquer les ADP car on a fait la différence d avec les douleurs de fin de dose et les douleurs provoquées. 3. Treatment (traitement) en fonction du type observé avec, obligatoirement associé au traitement de la douleur elle même, le traitement (si réalisable) de la cause de la douleur et des facteurs déclenchants ou aggravants. Thérapeutiques médicamenteuses des accès douloureux paroxystiques Les opioïdes à libération immédiate sont commercialisés à partir de la morphine ou de l oxycodone sous forme de comprimés (Sevredol ), de gélules (Actiskenan, Oxynorm ) ou buvable (Oramorph, Oxynorm ). Il existe en outre une forme Lyoc (Oxynormoro ) d action plus précoce. Historiquement, la première forme à libération immédiate est apparue en 1983 sous forme de comprimés de buprénorphine (Temgesic ) dont l effet plafond, d une part, le caractère agoniste/antagoniste, de l autre, limitent fortement l emploi en douleur cancéreuse. Le problème des spécialités à libération immédiate tient à la confusion souvent faite entre le terme libération et le terme action. En effet, avant d observer l effet du produit s écoule un temps (toujours trop long pour le patient) nécessaire à l absorption, au transport et à la fixation du morphinique sur les sites récepteurs. Ce temps varie en général de 45 à 60 minutes en fonction des produits et de l état des patients. Les formes buvables et Lyoc semblent présenter, aux dires des patients, une plus grande rapidité d action. De plus, et il s agit d un deuxième inconvénient souvent allégué (mais rarement observé en pratique), la durée du BP, inférieure à une heure en moyenne, est nettement inférieure à la durée d action (4 à 6 heures) de ces formes et exposerait le patient à un risque de surdosage. La solution à ce problème de délai et de durée d action a d abord été apportée par l utilisation des formes injectables. Ici aussi on retrouve la morphine, l oxycodone et plus rarement le sufentanyl administrés par voie IV ou SC au moyen d une PCA (Patient Control Analgesia). La rapidité d action en est considérablement améliorée, toutefois, ces formes nécessitent un abord veineux ou sous-cutané permanents avec les problèmes de dysfonctionnement, d entretien et surtout de risque septique et thrombo-embolique inhérents à ces thérapeutiques invasives. L arrivée des opioïdes à action rapide représente-t-elle la solution à ces problèmes? Les opioïdes à action rapide Ce sont des substances à base de fentanyl, molécule lipophile à forte affinité pour le récepteur µ, d une puissance bien supérieure à celle de la morphine, sans métabolite actif susceptible de s accumuler en cas d insuffisance rénale. Elles sont absorbées par voie transmuqueuse de manière aussi rapide que pour une voie intra-veineuse. La forte lipophilie du Fentanyl permet ensuite une fixation très rapide sur les récepteurs µ. Cet opioïde avait déjà été utilisé pour le patch transdermique à libération prolongée (Durogesic 1999). Les progrès galéniques ont permis la mise à disposition à ce jour de cinq spécialités «à action rapide» (une sixième est annoncée pour 2013), à savoir : L Actiq, bâtonnet transjugal dosé à 200 µg, 400 µg, 600 µg, 800 µg, 1200 µg et 1600 µg, pénètre au travers de la muqueuse jugale à la suite d un frottement constant de la pastille active à l intérieur de la joue. Il nécessite Bulletin Infirmier du Cancer 111

l absence de lésions intrabuccales et notamment de mucites ainsi qu une hydratation satisfaisante (et une coopération active du patient). L Abstral, comprimé Lyoc, pénètre au travers de la muqueuse linguale. Il est commercialisé à 100 µg, 200 µg, 300 µg, 400 µg, 600 µg et 800 µg. L Effentora comprimé est un «oravescent» qui, posé sur la muqueuse gingivale, se délite progressivement permettant, en cas d apparition plus rapide que prévue de l antalgie, de retirer le surplus restant de produit. Il se présente en comprimés de 100 µg, 200 µg, 400 µg, 600 µg et 800 µg. La sécurité de conservation de ces spécialités réside dans leur emballage dont l ouverture est difficile, surtout pour de jeunes enfants, avec risque d écrasement du comprimé en cas de fausse manœuvre. L Instanyl spray nasal à 50 µg, 100 µg et 200 µg est, lui, absorbé par la muqueuse nasale. Les flacons sont conditionnés pour 8 à 10 doses, sans sécurité à ce niveau (absence de verrou entre les doses), d autant que l administration du produit, inodore, ne peut être ressentie par le malade. Le verrou de sécurité qui avait été demandé par les autorités lors de la commercialisation du produit n a pas été possible. En revanche, l emballage présente une ouverture sécurisée sensée limiter les risques d accidents. Une forme à dose unique a été commercialisée pour la titration, évitant par là le gaspillage, mais elle est réservée à l usage hospitalier. Le Pecfent est aussi un spray nasal à 100 µg et 200 µg avec adjonction de pectine destinée à empêcher l absorption d une deuxième dose accidentelle. Là aussi le contenu du spray varie de 8 à 10 doses. La prescription de ces produits diffère de celle des formes LI dans la mesure où il n existe pas de corrélation claire entre la dose quotidienne de base et celle des interdoses (10 à 15% pour les LI par voie orale toutes les 45 minutes, 1/24 toutes les 10 à 20 minutes pour la voie intraveineuse). Une titration initiale est donc indispensable et elle est différente pour chacune des spécialités. Toutefois, le principe de base reste le même à savoir : 1/délivrance de la dose initiale ; 2/attente de 15 minutes pour l effet éventuel ; 3/prise d une dose de complément en cas d inefficacité. Un délai de quatre heures est ensuite obligatoire avant une nouvelle prise d OAR. L autorisation de mise sur le marché (AMM) des OAR est restrictive et précise : «Patients atteints de cancer, majeurs, tolérants aux opioïdes au traitement de fond équilibré, avec une prudence et une attention particulières chez les malades recevant un traitement inhibiteur du CYP3A4 ou aux antécédents d addiction ainsi qu au coût du traitement» sachant «qu aucune des cinq spécialités n a fait la preuve de sa supériorité par rapport aux autres». Cette AMM pose un certain nombre de questions. Qu entend-on par patient «tolérant aux opioïdes»? Il s agit d un patient consommant quotidiennement, sans problème de tolérance, depuis plus d une semaine, au moins 60 mg de morphine ou 30 mg d oxycodone ou 8 mg d hydromorphone ou encore 25µg/h de fentanyl transdermique (voire 300 mg de tramadol ou 360 mg de codéïne ). Existe-t-il un plus grand risque de développer une addiction avec les OAR (et le fentanyl) qu avec les autres morphiniques? Il semble encore trop tôt pour donner une réponse claire, toutefois, des cas d addiction avérés aux OAR (Actiq du fait de sa plus grande ancienneté) ont été constatés. De plus, l effet «shoot» des OAR, en particulier par voie nasale, peut faire craindre l apparition de tels problèmes. En tout état de cause à ce jour, rien ne permet de répondre de manière certaine à cette question, d autant que d autres morphiniques sont en cause dans les détournements à visée addictive (More deaths from Opiods than Cocaine, Heroin combined. Rapport du Center for Disease Control and Prevention. Medscape 2011). La prudence s impose cependant dans l instauration de tels traitements (comme dans tous les traitements similaires) ainsi qu une vigilance encore plus grande dans le suivi de ces patients. La prescription des OAR ne doit pas être systématique devant un ADP. Chaque ADP doit être analysé dans sa survenue, sa rapidité d installation, son intensité, son type et sa durée avant de prescrire le produit le mieux adapté (LI, OAR). De plus, quid des ADP d origine neuropathique? Il est assez difficile de comprendre comment des sub- Bulletin Infirmier du Cancer 112

stances actives sur les récepteurs morphiniques peuvent être aussi efficaces sur les accès paroxystiques purement neuropathiques. Et quid des ADP de durée inférieure au délai d action des OAR? «Primum non nocere». Tous ces éléments doivent faire l objet d une analyse soigneuse et d une discussion avec le patient et son entourage quant au bien fondé d une prescription dont on n est pas certain qu elle soit efficace mais dont on connaît les effets secondaires indésirables. Enfin, le coût de ces produits est nettement plus important que celui des traitements habituels, d autant plus que la période de titration peut nécessiter la prescription de plusieurs dosages dont la majorité ne sera pas utilisée en raison du nombre d unités par boîte. Seul l Instanyl monodose évite cet écueil, mais il n est disponible qu en milieu hospitalier. Il importe donc de prendre aussi en compte ce facteur avant toute prescription. Pour autant, il ne faut pas «jeter le bébé avec l eau du bain». Les OAR représentent un réel progrès dans le traitement non invasif des ADP et c est peut être sur ce point que se situe leur plus grand avantage. En effet, leur rapidité d action comparable à celle d une voie intraveineuse devrait plutôt les faire réserver en priorité au remplacement des voies invasives. Quant au traitement des ADP, il relève en premier lieu d une évaluation précise et correcte de la douleur, du patient et de sa maladie (dont les traitements et la gestion des complications et des facteurs aggravants doivent se faire en priorité) avec une optimisation des traitements antalgiques traditionnels. Ces derniers s avèrent en effet la plupart du temps efficaces. C est à ces conditions qu on pourra utiliser à bon escient les OAR en restant, en dépit de certaines pressions et de la tentation de facilité, dans le cadre strict de l AMM, pour le plus grand profit du patient. Quelques références. La littérature sur les ADP et les OAR commence à s étoffer, aussi nous avons choisi d être restrictif. Certaines références sont signalées en cours de texte à l endroit où elles nous ont paru les plus pertinentes. En premier lieu, notre reconnaissance va au Dr. Serge Robard du CLCC René Gauducheau de Nantes dont l exposé «Breaktrough Pain, définition, caractéristiques, traitements : gestions et précautions» présenté à Avignon aux journées ADOC en 2008 nous a grandement aidé dans la structuration de cet article. Nous tenons à le remercier de nous avoir permis de le piller sans vergogne et à lui dédier ce travail en témoignage de notre amitié. Références «Les médicaments des accès douloureux paroxystiques du cancer». Recommandations HAS septembre 2011. L essentiel sur les OAR (N.D.A.). L. Brasseur, F. Chast, J.M. Lassauniere, Ph. Poulain, A. Serrie, R. Treves, B. Warry «Caractéristiques et prise en charge des accès douloureux transitoires». Douleurs 2002 ; 2 : 226-31. «Mise au point sur l utilisation du Fentanyl transmuqueux chez le patient présentant des douleurs d origine cancéreuse». Groupe d experts AFSOS, SFETD, SFAP Douleur et Analgésie juin 2012 ; 25 : 102-17. Bulletin Infirmier du Cancer 113