Le cadre juridique et institutionnel de la décentralisation et de la gouvernance locale Par Alassane MBENGUE, Directeur des Collectivités locales (Sénégal)
Introduction Décentralisation et gouvernance locale sont deux concepts intimement liés. Le premier renvoie, dans sa dimension territoriale, à la dévolution par l Etat de pouvoirs à des entités distinctes de lui, dotées d une personnalité juridique et d une autonomie financière. Le deuxième terme fait référence à des formes de coordination incluant une pluralité d acteurs. L action publique locale n est plus le fait d une seule autorité, mais implique des acteurs étatiques et non-étatiques dans les processus décisionnels.
Elle réfère à une gestion participative et marque une nouvelle vision du «territoire» dans le développement économique et social. Politiques ou simples techniques de gestion administrative, la décentralisation et la gouvernance locale sont encadrés sur les plans juridique et institutionnel et font appel à plusieurs mécanismes dans leur processus de mise en œuvre.
LE CADRE JURIDIQUE DE LA DÉCENTRALISATION ET LA GOUVERNANCE LOCALE Le corpus juridique de la décentralisation et de la gouvernance locale est constitué par plusieurs textes législatifs et réglementaires. Au Sénégal, il trouve sa base fondamentale dans la Constitution dont l article 102 stipule clairement: «les collectivités locales constituent le cadre institutionnel de participation des citoyens à la gestion des affaires publiques. Elles s administrent librement par des assemblées élues. Leur organisation, leur composition et leur fonctionnement sont déterminés par la loi». Trois grandes périodes marquent l évolution de ce cadre juridique.
1ère période : 1960 1972 o 1960: élargissement du statut de commune de plein exercice à toutes les communes; 1966: adoption de la loi n 66-64 du 30 juin 1966 portant Code de l Administration communale; 1972: création de la communauté rurale (2 ème ordre de C.L). 2ème période : 1972 1996 (approfondissement entamé) La loi n 90-35 du 8 octobre 1990 supprime le statut spécial de la commune de Dakar et le poste d Administrateur de commune. La commune a désormais à sa tête un maire qui assure la gestion quotidienne de la localité. La loi n 90-37 du 8 octobre 1990 retire au Sous-préfet la gestion du budget de la communauté rurale pour la confier au Président du conseil rural.
3ème période : à partir de 1996 (régionalisation) Adoption des textes de la décentralisation de 1996 (notamment loi n 96-06 du 22 mars 1996 portant Code des collectivités locales; loi n 96-07 portant transfert de compétences aux régions, communes et communautés rurales; décrets d application); Création de la région - collectivité locale (3 ème ordre de C.L); Création de communes d arrondissement ; Suppression/Allègement de la tutelle; Transfert de compétences aux collectivités locales dans neuf domaines.
II/ LE CADRE INSTITUTIONNEL A.L organisation administrative et la répartition territoriale L organisation administrative repose sur deux piliers fondamentaux : - la déconcentration : 14 régions, 45 départements et 123 arrondissements, dirigées respectivement par le Gouverneur, le préfet et le Sous-préfet; Ces autorités administratives sont les délégués du Président de la République et les représentants de tous les ministres dans leurs circonscriptions respectives. - la décentralisation : 14 régions, 172 communes dont 46 communes d arrondissement et 384 communautés rurales, avec deux organes (délibérant et exécutif)
Au niveau central, la politique de décentralisation est mise en œuvre à travers le Ministère chargé des collectivités locales qui compte, parmi ses partenaires, les associations d élus locaux (Association des régions du Sénégal, Association des Maires du Sénégal, Association nationale des conseils ruraux, Union des Associations d Elus locaux), le Sous-comité des Bailleurs de fonds en décentralisation (SCBFD), la société civile et le secteur privé.
B/ LES STRUCTURES DE SUIVI ET D ACCOMPAGNEMENT 1- Les organismes d accompagnement technique - Le Comité économique et social (CES) Il est prévu par l article 31 du Code des collectivités locales (CCL) et organisé par le décret n 96-1120 du 27 décembre 1996. Organe consultatif créé auprès du conseil régional, le CES donne son avis sur toutes les matières. Il est obligatoirement saisi sur les questions importantes comme les budgets annuels, les plans de développement et d aménagement.
- L Agence régionale de Développement (ARD) Le Code des Collectivités locales prévoit en son article 37 que la région constitue en commun avec les communes et les communautés rurales une ARD qui a pour mission d apporter aux collectivités locales l appui-conseil et l assistance technique nécessaire, de coordonner la planification et les actions de développement local au niveau régional. L ARD est un établissement public local avec un conseil d administration présidé par le Président du Conseil régional. Toutes les collectivités locales de la région y sont représentées. Les ARD sont les agences d exécution du Programme national de développement local au niveau régional.
2. Les organismes de suivi Il s agit d organismes prévus par le Code des collectivités locales, qui ont un rôle consultatif sur les matières relatives à la décentralisation, à l administration territoriale, à l aménagement du territoire : du Conseil national de Développement des Collectivités locales ; du Comité interministériel de l administration territoriale ; du Conseil interministériel d aménagement du territoire et de la Commission nationale d aménagement du territoire ; de la Commission nationale d assistance aux centres d expansion rurale.
III. LES MECANISMES POUR REUSSIR LE PROCESSUS Les mécanismes qui sont proposés découlent du diagnostic sans complaisance posé lors des assises nationales de la décentralisation tenues en novembre 2007. L évaluation de la politique de décentralisation a révélé acquis et les limites de notre système. Elle a également proposé plusieurs axes qui, bien empruntés, peuvent conduire au succès du processus de décentralisation et de gouvernance locale. Il s agit : 1)- de mettre en place un cadre juridique et institutionnel cohérent et adapté à nos réalités historiques, sociales voire sociologique;
ce cadre doit être complété par une lettre de politique sectorielle de la décentralisation, assortie d une stratégie de mise en œuvre; 2)- mettre en place un mode approprié de financement de la décentralisation et de la gouvernance locale, basé sur une fiscalité locale adaptée et pourvoyeuse de recettes propres, sur des transferts financiers importants de l Etat vers les collectivités locales, sur un partenariat dynamique avec la coopération bilatérale, multilatérale et décentralisée. Par ailleurs, la mise en place d un mécanisme unifié de financement notamment des investissements s impose;
Au Sénégal, la mise en place du Programme national de développement local (PNDL), du Programme national de bonne gouvernance (PNBG) et de l Agence de développement local (ADL) poursuivent l objectif cet objectif, entre autres. La mise en place d un fonds unique d investissement des collectivités locales (FUICL) est à l étude; 3)- la mise en place de cadres de concertation et de coordination fonctionnels, aux niveaux national et local; 4)- la mise en place d une fonction publique locale performante et d un statut de l élu local, garantissant protection sociale et de meilleures conditions de travail ;
5)- Mettre en oeuvre une stratégie nationale de formation et de communication, pour le renforcement des capacités des acteurs de la décentralisation et de la gouvernance locale; 6)- mettre en place un système de suivi et d évaluation de la mise en œuvre de la décentralisation et de la gouvernance locale; 7)- impliquer la société civile et le secteur privé.
CONCLUSION Le processus de décentralisation est un processus complexe. La gouvernance locale l est davantage du fait de la diversité des acteurs et des énormes défis à relever. Tous les deux évoluent en tenant compte du niveau de développement économique et social et de l évolution des mentalités, des libertés, de la démocratie dans un pays. Cette évolution tient également compte de l environnement sous régional, régional ou mondiale. Des réformes sont souvent nécessaires pour adapter leurs cadres juridique et institutionnel, en vue d une meilleure efficacité de l action publique locale.
Cette efficacité passe nécessairement par le développement de mécanismes juridiques, financiers, appropriés et l engagement d hommes et de femmes bien formés et capables de relever les défis à la base. Dans les différents composantes de la décentralisation et de la gouvernance locale, des modèles de réussite existent. Il faut s en inspirer pour aller de l avant.