DE L EUDE ANTHROPO-SOCIOLOGIQUE DES DETERMINANTS DES MUTILATIONS GENITALES FEMININES (MGF) EN MAURITANIE



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Transcription:

REPUBLIQUE ISLAMIQUE DE MAURITANIE Honneur-Fraternité-Justice MINISTERE DES AFFAIRES SOCIALES DE L ENFANCE ET DE LA FAMILLE (MASEF) Rapport DE L EUDE ANTHROPO-SOCIOLOGIQUE DES DETERMINANTS DES MUTILATIONS GENITALES FEMININES (MGF) EN MAURITANIE Consultant Bouh Ould YAHYA Nouakchott, le 10 Septembre 2010

TABLE DES MATIERES ACRONYMES, SIGLES, ABREVIATIONS. 4 RESUME 5 INTRODUCTION..........12 PARTIE 1: CADRE THEORIQUE ET OBJECTFS DE L ETUDE.....13 Section 1: Cadre théorique de la pratique des MGF 13 1. De la recherche des origines aux différentes appellations de la pratique.13 2. Définition et classification...13 3. Situation des mutilations génitales féminines en Mauritanie...14 4. Raisons de la pratique des MGF...16 5. Conséquences médicales et psychologiques de la pratique des MGF..16 Section 2: Objectifs et difficultés rencontrées.20 1. Objectifs de l étude...20 2. Difficultés rencontrées..20 3. Limites de l étude.20 PARTIE 2: METHODOLOGIE ET MISE EN OEUVE... 21 Section 1: Aperçu méthodologique de l étude.21 1. Analyse documentaire...21 2. Enquête qualitative 21 Section 2: Plan de mise en œuvre de l enquête qualitative. 23 1. Méthodologie....23 2. Zones d enquête et choix de sites.23 3. Populations cibles et échantillon...24 4. Outils de collecte.. 26 5. Organisation de la collecte 28 6. Traitement et analyse des données 30 PARTIE 3: RESULTATS DE L ENQUETE QUALITATVE...31 3.1..Représentation sociale des MGF en Mauritanie... 31 2

3.2. Pouvoirs décisionnels de la pratique des MGF au niveau de la famille. 32 3.3. Typologie des MGF en Mauritanie...33 3.4. Age de la pratique..34 3.5. Déroulement de la pratique.......35 3.6. Les exciseuses...36 3.7. Cout de l acte (opération)...37 3.8. Principales raisons de la pratique des MGF...38 3.9. Avantages perçus des MGF.. 42 3.10. Perception des effets néfastes liés aux MGF 43 3.11. Perception de la position de l'islam par rapport aux MGF..45 3.12. Perception des populations du rôle des acteurs de lutte contre les MGF. 47 3.13. Perception de la Fatwa (consultation jurisprudentielle).. 48 3.14. Perception de lois portant sur l interdiction des MGF.48 3.15. Perspectives en faveur de l'abandon des MGF.50 3.16. Stratégies de lutte et solutions proposées par les enquêtés.. 51 3.17. Motifs qui peuvent entraîner l'abandon des MGF... 54 3.18. Attentes empiriques et normatives par rapport à la pratique des MGF 57 PARTIE 4: DISCUSSIONS DES PRINCIPAUX RESULTATS..60 4.1. Représentations sociales actuelles de la pratique des MGF et la perception du statut d excisée ou non en Mauritanie.. 60 4.2. Opinions favorables aux MGF en Mauritanie... 61 4.3. Opinions défavorables aux MGF..62 4.4. Les déterminants de la pratique des MGF en Mauritanie 63 4.5. Motifs qui peuvent entraîner l'abandon des MGF en Mauritanie 64 4.6. Tendances vers l abandon des MGF.65 4.7. Les stratégies de lutte contre la pratique des MGF...67 PARTIE 5: SYNTHESE ET CONCLUSION.. 68 PARTIE 6: RECOMMANDATIONS...72 BIBLIOGRAPHIE.76 ANNEXES...78 3

ACRONYMES EDS : Enquête Démographique et de Santé en Mauritanie FG: Focus Groupes FGM: Female Genital Mutilation IE: Entretien Individuel IEC: Information, Education et Communication LQAS: Lot Quality Assurance Sampling MASEF: Ministère des Affaires Sociale de l Enfance et de la Famille MGF: Mutilation Génitale Féminine MS: Ministère de la Santé MICS: Enquête par grappes à indicateurs multiples OMS: Organisation Mondiale de la Santé ONG: Organisation Non Gouvernementale ONS: Office National de la Statistique PTF: Partenaires Techniques et Financiers UNFPA: Fonds des Nations Unies pour la Population UNICEF : Organisation des nations unies pour la protection de l enfant TDR: Termes de Références TOSTAN: Organisation non gouvernementale 4

RESUME La Mauritanie, à l instar des autres pays où la pratique des mutilations génitales féminines est répandue (72 % au niveau national) œuvre depuis quelques années à lutter contre cette pratique à travers des efforts considérables menés par les autorités, la société civile et les partenaires au développement. Plusieurs actions ont été réalisées au niveau national et les résultats obtenus ne sont pas encore quantifiés, mais la prévalence très élevée dans quelques willayas (selon l EDS 2000-01 et MICS 2007) rend compte de l attachement profond des populations à cette pratique. Dans le but de mieux connaître les facteurs déterminants de cette pratique au niveau national, régionale et communautaire, le MASEF, en collaboration avec l UNICEF et l UNFPA, ont commandité cette étude socio-anthropologique qui vise à: Présenter une analyse approfondie des facteurs déterminants de la pratique des MGF en Mauritanie en tenant compte de la diversité des caractéristiques ethniques, de genre et d âge, socio-économiques, culturelles, religieuses et géographiques des populations; Présenter une typologie bien structurée et claire des principaux déterminants et leur poids respectif dans l exercice de la pratique des MGF en Mauritanie; Formuler des recommandations claires d approches d intervention et de propositions concrètes d action susceptibles d influencer ces déterminants en vue de parvenir à l abandon de la pratique. Mauritanie 72.2 Dakhlet Nouadhibou 40.2 Nouakchott 54.8 Inchiri 30.4 Trarza 26.6 Brakna 88.1 Gorgol 94.7 Guidimagha 97.3 Tiris Zemmour 48.5 Adrar 61.8 Tagant 96.1 El Hodh El Gharbi Assaba 97.6 98.1 El Hodh Ech Charghi 94.4 Pour y arriver, outre l analyse documentaire, cette étude a utilisé essentiellement deux méthodes classiques de la recherche socio-anthropologique que sont les focus groups et les entretiens individuels approfondis et récits de vie, avec à l occasion des entretiens informels avec des personnes jugées capables d apporter des informations supplémentaires et utiles pour l étude des MGF en Mauritanie Ainsi, la conduite de cette enquête qualitative a permis de toucher 52 focus groups (hommes, femmes et jeunes) et 255 entretiens individuels. Les entretiens individuels ont concerné 93 responsables de structures de lutte (Associations, ONG nationales et internationales, PTF, Administration) et leaders d opinion (Chefs religieux, chefs traditionnels et communautaires, responsables de santé, etc.), 22 5

exciseuses et ex-exciseuses et 140 femmes et filles excisées repartis sur tout le territoire national. Par ailleurs, 65 % des enquêtés au niveau des focus groups et des entretiens individuels sont issus du milieu urbain contre 35 % issus du milieu rural. Concernant la répartition selon la langue maternelle, 61 % des enquêtés au niveau des entretiens individuels ont pour langue maternelle, l arabe, 24 % le poular, 11% le soninké et 4% le wolof. Au niveau des focus groups, 65 % ont pour langue maternelle, l arabe, 17 % le poular, 15 % le soninké et 4 % le wolof. Les différents graphiques illustrent cette répartition. Les résultats de la présente étude ont montré que la pratique des MGF concerne tout le pays, et toutes les communautés, mais les zones de l est et du sud sont plus touchées que celles du nord. Ci-dessous les principaux résultats de cette étude. 1. La pratique des Mutilations Génitales Féminines en Mauritanie La pratique des mutilations génitales féminines étant une affaire féminine, la décision est exclusivement féminine, prise par la mère (63%), suivie de la décision conjointe de la mère et la grand-mère (13%) et de la grand mère toute seule (11%) mais un accord de principe est généralement obtenu auprès du père. 6

Le type de mutilations génitales féminines le plus fréquent cité est le type I: l ablation du prépuce du clitoris appelée excision «sunna» (93 %), suivi du type II: qui est l ablation du clitoris entier et de certaines parties des petites lèvres (6 %). Un troisième type qui ne rentre pas à notre avis dans la classification de l OMS si ce n est dans le type IV est aussi révélé parmi les populations (-1 %). Il s agit de l utilisation de mélange de poudres et d extrait d herbes spéciales qui sont supposées capables de détruire la partie visée ou du moins la réduire et freiner sa croissance sans recourir à la chirurgie des parties génitales. En Mauritanie les filles subissent la pratique à bas âge, quelques semaines après la naissance, rarement après un an. En effet, la majorité des enquêtés (90%) ont rapporté une date qui tourne autour de la date du jour du baptême et ceci quelque soit la communauté et la zone en question. L exercice de la pratique des mutilations génitales féminines est généralement effectué par des femmes assez âgées appelées exciseuses traditionnelles ou ezzeyanas (94%) : celles qui embellissent les filles. Selon les différentes communautés l exciseuse pourrait être d une caste donnée souvent jugée inférieure selon le classement social de telle ou telle communauté. Chez les peuls, les exciseuses sont de la caste des forgerons particulièrement les Saka (travaillant les peaux). Mais depuis quelque temps, les exciseuses traditionnelles ne sont plus les seules à exercer cette pratique, le personnel de santé a été aussi signalé par les enquêtés. Selon les enquêtés il n y a pas de prix fixe pour l opération. D ailleurs la gratuité de cet acte est la plus rapportée car, le prix donné est considéré comme symbolique et constitue tout simplement un geste de reconnaissance envers l exciseuse traditionnelle. 2. Les déterminants de la pratique des Mutilations Génitales Féminines en Mauritanie Plusieurs raisons sont citées pour justifier la pratique des mutilations génitales féminines. Elles vont de la religion jusqu à la lutte contre la maigreur en passant par le social, le sanitaire et l esthétique. Nous avons classé ces raisons selon leur fréquence (de la plus fréquente à la moins fréquente). 7

La religion est la raison principale citée par la majorité des personnes enquêtées au niveau des focus groups (35%) et des entretiens individuels (48% religion, 11% religion et coutumes). En effet, la croyance qui prévaut est que l Islam recommande cette pratique à ses adeptes. Les uns voient que c est une obligation religieuse et les autres considèrent que c est une Sunna. Une argumentation dans ce sens a été avancée par quelques personnes, particulièrement des personnes disposant de connaissances en sciences religieuses. Contrôle et maîtrise de la sexualité: La deuxième raison citée par les enquêtés (16%) concerne la maîtrise de la sexualité des filles à travers cette pratique. Conformité à la norme sociale: Le poids social des mutilations génitales féminines constitue ainsi un obstacle majeur pour certaines femmes et familles d abandonner cette pratique sans s exposer aux représailles de leurs groupes à travers l exclusion et la méfiance. Près de 15% des enquêtés avancent cette raison comme déterminante dans la pratique des mutilations génitales féminines. Esthétique: Les organes féminins saillants ne sont pas jolis et cette pratique permettrait de les camoufler et de les rendre invisibles. Ainsi, 6% des personnes enquêtées avancent que cette raison est à la base de cette pratique. Santé et hygiène: En effet, les croyances vis-à-vis de l effet positif de cette pratique sur la procréation et l accouchement ont été aussi soulignées par (4%) des personnes enquêtées, particulièrement les femmes âgées et les femmes analphabètes ou d un niveau d instruction assez faible. Autres: Près d une dizaine des femmes interrogées (4%) croient que la pratique des MGF est nécessaire car elle permet aux filles de prendre du poids et donc facilite le gavage éventuel des filles. 3. Tendances vers l abandon des MGF en Mauritanie Les données de la présente étude montrent une régression de la pratique des mutilations génitales féminines au niveau national, même si cette étude qualitative n a pas la prétention de mesurer les niveaux et tendances de cette pratique. En effet, selon les dires des populations touchées et leur entourage cette pratique a régressé depuis quelques années (entre 3 et 6 ans) dans la zone 1 supposée à haute prévalence et a quasi disparu depuis plus de quinze ans dans les zones 2 et 3 respectivement de prévalence moyenne et faible selon le découpage basé sur les données de l enquête MICS réalisée en 2007. Par ailleurs, notons toutefois, que les populations qui continuent à pratiquer les mutilations génitales féminines en zones 2 et 3 sont généralement des populations venues de la zone 1, selon aussi les dires des populations locales de ces deux zones. 8

La plupart des personnes enquêtées (plus de 80 %) sont quasi unanimes à déclarer que cette pratique n a pas d avantage clairement palpable que ce soit pour l individu, pour la famille ou pour toute la communauté. Plus de 90% des enquêtés (hommes et femmes) sont unanimes à avancer que les MGF ont des conséquences néfastes sur la santé des femmes. Aussi, plus de 90 % des personnes enquêtées sont favorables à l abandon des mutilations génitales féminines. 4. Les principaux motifs susceptibles de conduire vers l abandon des MGF Les principaux motifs susceptibles d amener les communautés mauritaniennes à abandonner les mutilations génitales féminines sont les suivants. Ces motifs sont classés selon l ordre de leur occurrence. Ils ne diffèrent pas d une communauté à une autre. Motifs religieux Tous les mauritaniens sont musulmans et ils sont donc tenus de pratiquer les MGF si ces dernières sont une obligation religieuse. En cas de Fatwa interdisant clairement cette pratique la majorité des enquêtés supposent que cette pratique serait abandonnée car le passage de la recommandation à l interdiction formelle ne laisserait plus de choix à ceux qui avaient pour prétexte la religion. Ainsi, l argument massif pour l abandon de la pratique des mutilations génitales féminines est d ordre religieux. La majorité des personnes enquêtées au niveau des focus groups (42%) et des entretiens individuels (46%) pense que la raison principale de cette pratique est liée à la religion et que son abandon éventuel serait d ordre religieux suite à une Fatwa claire et sans équivoque. Motifs médicaux Un autre motif de taille souligné par les enquêtés (36% des FG et 41% des EI) concerne les motifs liés aux conséquences néfastes de cette pratique. D ailleurs, ce motif a été toujours avancé avec la religion constituant ainsi un binôme indissociable (motifs religieux-médical ou 9

médical-religieux) comme motifs d abandon prévisibles dès que la population serait édifiée concernant la relation existant entre la religion et la pratique des MGF. D ailleurs, ce motif est avancé comme un argument de poids pour justifier l abandon des MGF même dans un contexte religieux favorable à cette pratique. Car tout acte qui peut détruire la santé, entrainer un handicap et ou le décès de la personne est interdit par la religion. En effet, le motif médical est fortement lié au motif religieux dans le sens où le premier motif pourrait justifier la non obligation du second en cas de risques certains. Motifs liés aux lois et règlements Les lois et règlements constitueraient également un motif important pour l abandon de la pratique des mutilations génitales féminines. En effet, près de (16 % des FG et 7% des EI) des personnes enquêtées ont cité ce motif comme susceptible d amener les populations à abandonner cette pratique de peur de subir les sanctions prévues. 5. Les stratégies de lutte contre la pratique des Mutilations Génitales Féminines préconisées par les populations 5.1. Aspect ou contenu Eclairer les populations sur la perception de l Islam concernant les mutilations génitales féminines. Aussi les sensibiliser sur la Fatwa émise par les oulémas. Eclairer les populations sur les conséquences sanitaires des mutilations génitales féminines. Eclairer les populations sur les droits et lois relatifs aux mutilations génitales féminines. 5.2. Qui associer pour une lutte réussie contre les Mutilations Génitales Féminines? Suite aux constats faits par les populations enquêtées et par le recoupement des différentes informations que nous avons pu obtenir le long de cette recherche nous proposons d associer les acteurs suivants. Les chefs religieux: Le phénomène est perçu comme une recommandation de l Islam ou ayant un lien étroit avec l Islam. Les chefs religieux sont les meilleurs messagers de la parole de Dieu et sont donc outillés pour édifier les populations au sujet de cette pratique. Le corps médical: Les effets néfastes de la pratique sont un motif essentiel dans l abandon des mutilations génitales féminines. Le personnel médical est le plus indiqué pour éclairer les populations dans ce domaine. 10

Les époux: Une fois informés sur la position de l Islam et sensibilisés sur les effets néfastes par le personnel médical, les pères peuvent jouer un rôle important au niveau de la famille et donc prendre la décision d arrêter cette pratique. Les femmes: Parce qu elles sont les actrices et les victimes de cette pratique, leur rôle est déterminant dans la lutte contre les mutilations génitales féminines. Particulièrement les mères qui sont responsables à (63%) dans la prise de décision de la pratique des MGF et interviennent aussi en concertation avec la grand-mère et les autres preneurs de décision. Les exciseuses: La sensibilisation des exciseuses sur les dangers de la pratique des MGF et leur information sur les sanctions prévues par les lois et règlements peuvent contribuer efficacement à l abandon de cette pratique. 5.3. Les canaux les plus prometteurs dans la lutte contre les MGF Mass-médias (TV et radio) particulièrement les radios locales qui sont très écoutées par les populations à l intérieur du pays. Sensibilisation de proximité: à travers les causeries, les meetings et le porte à porte. 6. Recommandations Suite aux résultats de cette étude et en vue d éradiquer la pratique des mutilations génitales féminines en Mauritanie, les recommandations suivantes ont été émises en vue de contribuer à renforcer les actions de lutte contre la pratique des mutilations génitales féminines pour une meilleure identification des actions à promouvoir, des publics vers lesquels ces actions devront être orientées davantage, ou encore en termes d harmonisation des efforts. Collecte de données et suivi-évaluation; Accroître les financements et l assistance technique; Elucider la relation présumée "Islam-MGF" et généraliser la diffusion de la Fatwa à toute la population; Eclairer les populations sur les effets néfastes des MGF sur la santé; Renforcer les actions de lutte par des garde-fous juridiques et renforcer l aspect institutionnel; Renforcer le dialogue avec les chefs religieux et les autres acteurs de lutte y compris les éventuels acteurs tels les époux et les exciseuses; Stratégies de lutte basées sur les contres arguments et sur les principaux motifs d abandon cités par les enquêtés; Riposte concertée à tous les niveaux et dans tous les domaines; Axer la lutte au niveau de la zone 1 où la pratique est encore appréciée par certaines populations; Utiliser le langage usuel relatif aux MGF au niveau communautaire. 11

INTRODUCTION La Mauritanie, à l instar des autres pays où la pratique des mutilations génitales féminines est répandue œuvre depuis quelques années à lutter contre cette pratique à travers des efforts considérables menés par les autorités, la société civile et les partenaires au développement. Plusieurs actions ont été réalisées au niveau national et les résultats obtenus ne sont pas encore quantifiés, mais la prévalence très élevée dans quelques willayas (selon l EDS 2000-01 et MICS 2007) rend compte de l attachement profond des populations à cette pratique. En effet, la pratique des mutilations génitales féminines est observée dans toutes les communautés de la population, avec un taux de prévalence national de 71% et 72% respectivement selon l'enquête démographique et de santé en Mauritanie (EDSM) en 2000-2001 et aussi l enquête MICS 2007. Toutefois, elle est plus répandue au sud et à l est qu au nord du pays. Mais, rappelons le, cette prévalence ne concerne que les femmes âgées de 15 à 49 ans au moment de ces différentes enquêtes Les principales raisons souvent évoquées pour la pratique des mutilations génitales féminines en Mauritanie, sont dominées par la recommandation religieuse, des considérations socio culturelles (la maîtrise et le contrôle de la sexualité, la conformité sociale, etc.), des nécessités hygiéniques, esthétiques, etc. Ainsi, pour une meilleure compréhension de cette situation, une recherche des déterminants a été jugée nécessaire pour mieux orienter les actions de lutte, cibler les populations à risque et les acteurs de lutte pour agir à la lumière de la connaissance des déterminants qui sont à la base du maintien de cette pratique. Cette étude qualitative rentre donc dans le cadre de l ensemble des efforts consentis pour comprendre les raisons qui motivent les populations à pratiquer les mutilations génitales féminines d une part et proposer des recommandations en vue d éradiquer cette pratique en Mauritanie d autre part. L'étude sera structurée autour de six parties. La première est consacrée au cadre théorique, la seconde à l aspect méthodologique, la troisième concerne les résultats de l enquête qualitative, la quatrième concerne les discussions des principaux résultats, la cinquième est consacrée à la synthèse et enfin la sixième est réservée aux recommandations. 12

PARTIE 1: CADRE THEORIQUE DE LA PRATIQUE DES MGF ET OBJECTFS DE L ETUDE SECTION 1: CADRE THEORIQUE DE LA PRATIQUE DES MGF 1. De la recherche des origines aux différentes appellations de la pratique Retracer les origines de la pratique des mutilations génitales féminines n'est pas chose facile car, il s agit d une pratique extrêmement ancienne dont l origine remonte vraisemblablement au temps de l Egypte pharaonique. D ailleurs, selon Séverine Auffret (1982), l excision plonge ses origines dans le néolithique, remontant à 6000 ans avant Jésus-Christ. Depuis, cette pratique s est progressivement répandue de l Egypte à la corne de l Afrique, puis à toute l Afrique sub-saharienne, pour toucher aujourd hui près de 28 pays africains et quelques pays d Asie. Aussi, suite au phénomène des migrations, cette pratique a regagné d autres pays (en Europe, Amérique) de destination des communautés migrantes attachées à cette pratique. Aussi, plusieurs termes sont souvent utilisés pour designer cette pratique: Mutilations génitales féminines Mutilation sexuelles féminines Blessures génitales féminines Ablations des femmes Excision Circoncision féminine Femmes et filles coupées Pour les anglo-saxons: Female genital cutting Female genital mutilation Mais tous ces termes d appellations ne sont plus que très rarement employés, ils ont été substitués par l expression «mutilations génitales féminines» (MGF) ou «female genital mutilation» (FGM) qui reflète mieux la nature et la gravité de ces interventions. Toutefois, dans le cadre cette étude nous avons utilisé principalement deux termes notamment les mutilations génitales féminines (MGF) et l excision. 2. Définition et classification Selon la définition de l Organisation Mondiale de la Santé, on entend par les mutilations génitales féminines (MGF) «toutes les interventions impliquant l ablation partielle ou totale 13

des organes génitaux externes de la femme et/ou la lésion des organes génitaux, pratiquées pour des raisons culturelles ou toutes autres raisons non thérapeutiques». (OMS 2000). Aussi, l Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a classé les différentes formes de mutilations génitales féminines en quatre types bien distincts: Type I (clitoridectomie): Ablation du prépuce sans ou avec une partie ou la totalité du clitoris. Type II: Ablation du clitoris et du prépuce avec ablation partielle ou totale des petites lèvres. Type III (infibulation): Ablation de toutes les parties extérieures des organes génitaux féminins avec fermeture de l orifice vaginal. (appelée également infibulation ou circoncision pharaonique). Type IV: tout autre type d intervention qui mutile ou modifie les organes génitaux externes et internes (p.ex. ponction, percement ou étirement du clitoris, introduction de substances ou d herbes corrosives dans le vagin ). 3. Situation des mutilations génitales féminines en Mauritanie Prévalence des Mutilations Génitales Féminines en Mauritanie En Tel qu indiqué précédemment en introduction, suite aux résultats des enquêtes (EDSM 2000-01 et MICS 2007), la pratique des mutilations génitales féminines (MGF) est encore très répandue au niveau du territoire national. Cette prévalence n est pas homogène au niveau de toutes les Wilayas du pays, les régions de haute prévalence affichent des taux très élevés atteignant plus de quatre vingt dix pour cent particulièrement dans les Hodhs, l Assaba, le Tagant, le Gorgol et le Guidimagha. D autres Wilayas affichent des prévalences moyennes (Nouakchott, Adrar, Tiris- zemour.) et faibles (Trarza, Nouadhibou et Inchiri). Figure n 1 : Disparités régionales en matière de pratique des MGF (MICS 2007) Source: Fighting against harmful social practices The case study of Mauritania Mauritanie 72.2 Dakhlet Nouadhibou 40.2 Nouakchott 54.8 Inchiri 30.4 Trarza 26.6 Brakna 88.1 Gorgol 94.7 Tiris Zemmour 48.5 Adrar 61.8 Tagant 96.1 El Hodh El Gharbi Assaba 97.6 98.1 El Hodh Ech Charghi 94.4 Ces disparités entre régions résulteraient des différents facteurs déterminants dans la prise de décision de pratiquer les mutilations génitales féminines, comme le lieu de résidence (milieu urbain ou rural), le niveau d instruction des parents, la perception de la relation existante entre les MGF et la religion, l appartenance ethnique et le milieu géographique. 14 Guidimagha 97.3

En effet, les résultats de l enquête MICS 2007 ont montré que la pratique des mutilations génitales féminines varie sensiblement selon les caractéristiques socioculturelles et demeure davantage pratiquée dans les wilayas du Sud -Est (97%) et du Centre (88%) que dans les zones du Nord (54%), du Fleuve (62%) et à Nouakchott (62%). D une manière générale, l excision est plus souvent pratiquée en milieu rural (77%) qu en milieu urbain (65%). Aussi, l analyse des résultats de l EDSM-Mauritanie 2000-01 a montré que les mutilations génitales féminines sont plus répandues en milieu rural que dans les villes. L appartenance ethnique semble avoir elle aussi un effet important sur la pratique de l excision. D ailleurs, la prévalence varie en fonction de l appartenance ethnique: ainsi, elle atteint 92% chez les Soninkés, 72% chez les Peuls, 71% chez les Maures et 28% chez les Wolofs. Toutefois, une enquête d évaluation du programme de promotion de l abandon des MGF récemment conduite (Juin-Juillet 2010) dans quatre Wilayas du pays (Hodh El Charghi, Brakna, Gorgol et Assaba) a révélée que 73 % des femmes enquêtées ont déclaré que leurs filles de moins de cinq ans n avaient pas été excisées, contre 26,9 % qui disent le contraire. Par ailleurs, comparé aux pays de la sous région et du Continent à partir des résultats des enquêtes EDS et MICS, le pays connait encore une prévalence au niveau national assez élevée. Tableau n 1 : Prévalence des MGF dans quelques pays Pays Prévalence en % Burkina Faso 76 Cameroun 20 Egypte 97 Gambie 60 Guinée 98 Mali 92 Mauritanie 72 Niger 05 Sénégal 20 Tchad 60 Sources : EDS et MICS réalisées dans ces différents pays 15

Type de mutilations génitales féminines pratiquées en Mauritanie En Mauritanie, selon les données de l EDS et l enquête MICS 2007, les types de Mutilations Génitales Féminines I et II sont les plus pratiqués, tandis que l infibulation (type III) est totalement inconnue. L EDSM 2000-01 a également révélé l existence de mutilations symboliques dans le Nord du pays. 4. Raisons de la pratique des mutilations génitales féminines En général, les raisons souvent invoquées pour expliquer la pratique des mutilations génitales féminines sont de plusieurs ordres: La religion (l'islam est invoqué pour justifier la pratique des mutilations génitales féminines), La maîtrise et le contrôle de la sexualité (la non excision impliquerait un désir sexuel excessif qui pourrait mener au déshonneur), La tradition, les us et coutumes (la reconnaissance sociale, ethnique et communautaire des individus), La santé (les répercussions favorables sur la fertilité, ou le risque d'impuissance pour les hommes), La situation socioéconomique (la pratique des mutilations génitales féminines comme condition préalable au mariage), L'esthétique et l image de la féminité (les mutilations génitales féminines comme symbole de la reconnaissance de leur condition de femme). En Mauritanie, selon les femmes et les hommes interrogés lors de l enquête EDSM 2000-01, la pratique des mutilations génitales féminines comporte trois avantages: la reconnaissance sociale, l apaisement du désir sexuel de la femme et le respect d une obligation religieuse. D ailleurs, 60% des hommes et 57% des femmes pensent, que la pratique des mutilations génitales féminines est exigée par la religion. Toutefois, 70% des hommes et 64% des femmes seraient prêts à l abandonner. 5. Les conséquences médicales et psychologiques des MGF sur la santé des filles et des femmes Les conséquences néfastes de la pratique des mutilations génitales ne sont plus à démontrer, bien qu elles varient en fonction du type de mutilations subie. En effet, quelque soit le type de mutilation pratiqué, les conséquences ou complications sont toujours néfastes pour la santé des filles et des femmes. Toutefois, les complications les plus sévères concerneraient les mutilations de type III ou infibulations. 16

Plusieurs auteurs et études (l OMS 1998) ont cité les principales conséquences des différents types de mutilations génitales féminines, à court et long terme. Nous avons jugé dans le cadre de cette partie consacrée à la revue de la littérature de passer en revue cet aspect. En effet, il est essentiel que les populations soient bien informées sur les complications médicales, qui pourront constituer de précieux arguments contre la pratique des mutilations génitales féminines. Notons que ces conséquences sont généralement rencontrées au niveau des pays où la pratique des mutilations génitales féminines est d usage. La Mauritanie rentre donc dans le cadre de ces pays, mais pour déterminer les conséquences rencontrées en Mauritanie, il faudrait mener des études gynécologiques et obstétriques, ce qui n est pas le cas encore à notre connaissance. Par ailleurs ces informations sont compilées de plusieurs sources, principalement le rapport: Les mutilations génitales féminines. Genève: OMS. (1998) Aperçu du problème, cité par KONTE A. 2007 et al. 5.1. Conséquences immédiates après l excision (court terme) TYPES JUSTIFICATIFS Le décès «La mort peut résulter d une hémorragie massive (choc hémorragique), de la douleur et du traumatisme subi (choc neurogène) ou d une infection grave généralisée (septicémie)» (p.26). L hémorragie Le clitoris étant une zone très vascularisée des organes génitaux externes, la complication la plus fréquente est le saignement abondant, surtout quand l incision touche l artère nourricière dans laquelle la pression sanguine est élevée (p. 27). «Une hémorragie secondaire est également possible à la fin de la première semaine, à la suite d une infection provoquant le décollement du caillot qui bouche l artère. Une hémorragie aiguë ou prolongée peut provoquer une anémie ou même entraîner la mort si elle est massive» (p. 27). La douleur Toute excision est douloureuse car le clitoris est un organe hautement vascularisé à forte concentration de terminaisons nerveuses. Le choc L excision peut s accompagner d un état de choc, à cause des intenses douleurs, de la peur, de l angoisse, du traumatisme psychologique et physique ou de l épuisement. L abcès une infection chronique due au retard de guérison ou des corps étrangers introduits dans la plaie peut entraîner la formation d un abcès nécessitant une intervention chirurgicale. La lésion des organes avoisinants La rétention urinaire Souvent, ces opérations sont faites sans anesthésie ou sous anesthésie locale. Ainsi, l enfant opérée se débat sous l effet conjugué de la douleur et de la peur bien qu elle soit immobilisée. Au cas où la praticienne n est pas expérimentée, elle peut toucher d autres tissus voisins, tels que l urètre, le vagin ou le rectum (p. 27). «La douleur, un œdème et une inflammation autour de la plaie opératoire peuvent déterminer une infection et, par voie de conséquence, une rétention d urine». 17

L infection «Les instruments mal stérilisés et les matières fécales peuvent véhiculer des spores ou des bactéries responsables du tétanos ou de la gangrène» (p. 28). Le tétanos Les instruments utilisés peuvent être rouillés L anémie Une trop grande hémorragie peut causer une importante anémie pouvant entraver la croissance d une enfant ayant des carences alimentaires (Toubia, 1994; 5.2. Complications à long terme liées aux MGF de types I et II TYPES Chéloïdes (développement excessif de tissu cicatriciel) JUSTIFICATIFS «Il existe une prédisposition génétique à la formation de chéloïdes (bourrelets cicatriciels) chez un grand nombre de tribus où l on pratique les MGF. D aspect très inesthétique, les chéloïdes vulvaires provoquent une grande détresse psychologique. On peut rarement s en débarrasser, car leur ablation est en général suivie d une nouvelle prolifération tissulaire» (p. 29). Kyste dermoïde Complication la plus courante à long terme des MGF, ce kyste «résulte de l inclusion de tissu cutané dans la cicatrice» (p.28). Névrome cicatriciel (tumeur constituée de tissu nerveux) Suite à la fermeture totale de la plaie, le nerf clitoridien, qui a pu être enfermé dans un point de suture ou dans du tissu cicatriciel, provoque la formation d un névrome. La vulve peut alors, par conséquent, être très sensible au contact (rapports sexuels, toilette, par exemple) (p.29). Dyspareunie Quelles que soient les complications énumérées cidessus, elles peuvent rendre les rapports sexuels extrêmement douloureux et insupportables psychologiquement (p.29). VIH/SIDA, hépatite B et autres maladies hématogènes Personne ne sait exactement ce que les exciseuses font avec leurs instruments. Nous pouvons émettre l hypothèse qu au cas où les instruments sont utilisés pour plusieurs personnes, le risque de contamination des virus VIH/SIDA et de l hépatite B est augmenté (p.30). Pseudo-infibulation En cas de MGF de type II, une excision excessive peut provoquer, lors de la cicatrisation, la formation d adhérences vulvaires et créer ainsi une pseudoinfibulation, même lorsque les lèvres n ont pas été suturées (p. 30). 18

5.3. Complications à long terme en cas de type III, appelée infibulation ou circoncision pharaonique TYPES Infections de l appareil reproducteur Obstruction chronique des voies urinaires VIH/SIDA, hépatite B et autres maladies hématogènes Sténose de l orifice vaginal Lésions des organes voisins Complications lors du travail et de l accouchement JUSTIFICATION Les infections partant de la vulve, en cas d accumulations de sécrétions ou de sang, peuvent se propager et remonter à un niveau supérieur de l appareil reproducteur. Ce type d infection est trois fois plus élevé chez les femmes infibulées que chez les femmes qui ont subi une clitoridectomie. Les causes de ces infections génitales hautes sont plurielles : infection post opératoire, obstacle à l évacuation normale des urines, sécrétions vaginales, infection de la plaie post accouchement. Douloureuses, ces infections peuvent aussi entraîner la stérilité par formation de tissu cicatriciel au niveau des trompes de Fallope. En cas d infibulation avec suture des lèvres, la miction se fait très difficilement, en petites quantités à la fois, voire en miction «goutte à goutte». Cela peut être la source d infections urinaires à répétition ainsi que la formation de calculs vésicaux (p. 31). Les incisions et sutures à répétition après les accouchements, les plaies micro ou macroscopiques dues aux rapports sexuels et le recours aux pénétrations anales, lorsque la pénétration vaginale est rendue difficile ou impossible par l infibulation, tendent à faire augmenter le risque de transmission de l infection à VIH, de l hépatite B et de maladies hématogènes. Aucune recherche n a encore confirmé ces faits (p. 31). Chez la femme infibulée, l orifice vaginal peut être si petit qu il finit presque par se refermer, au bout d un certain temps. Cela peut évidemment provoquer une évacuation imparfaite des urines, voire aussi une rétention du sang menstruel (hématocolpos). Dans ce genre de situations, les rapports sexuels sont impossibles. (p.31) En cas d infibulation, le risque d avoir des lésions est assez grand lors des rapports sexuels forcés ou par désinfibulation brutale (rapports sexuels ou accouchement). «Lors d un accouchement, la femme doit être désinfibulée pour permettre à la tête du nouveau-né de sortir du vagin. Cela augmente le risque d hémorragie et d infection de la plaie» (pp. 31-32). Infécondité Elle peut résulter d une infection pelvienne responsable de lésions irréparables des organes de reproduction. Fistules obstétricales (Perforations ou tunnels) entre la vessie et le vagin et entre le rectum et le vagin peuvent se former à cause de l excision, de la désinfibulation ou de la réinfibulation traditionnelle, des rapports sexuels précoces et brutaux ou d accouchements dystociques. L incontinence urinaire ou fécale peut durer toute la vie et elle peut avoir des conséquences sociales graves. Faux vagin Un faux vagin peut se former chez les femmes qui ont subi une infibulation lorsque au cours de rapports sexuels répétés, le tissu cicatriciel ne parvient pas à se dilater suffisamment pour permettre un rapport normal. 19

SECTION 2: OBJECTIFS DE L ETUDE ET DIFFICULTES RENCONTREES 1. Objectifs de l étude L étude vise à: Présenter une analyse approfondie des facteurs déterminants de la pratique des mutilations génitales féminines en Mauritanie en tenant compte de la diversité des caractéristiques ethniques, de genre et d âge, socio-économiques, culturelles, religieuses et géographiques des populations; Présenter une typologie bien structurée et claire des principaux déterminants et leur poids respectif dans l exercice de la pratique des mutilations génitales féminines en Mauritanie; Formuler des recommandations claires d approches d intervention et de propositions concrètes d action susceptibles d influencer ces déterminants en vue de parvenir à l abandon de la pratique. 2. Difficultés rencontrées Les mutilations génitales féminines constituent encore un tabou parmi les populations. Il est alors difficile d en discuter publiquement avec une personne qu on ne connait pas assez, Des personnes ont refusé de répondre aux questions et taxent les enquêteurs de travailler pour des institutions étrangères, Les informations données par les enquêtés sont le plus souvent relatives au passé car disent-ils nous avons arrêté de pratiquer les mutilations génitales féminines, Les difficultés de trouver les exciseuses. 3. Limites de l étude Les limites de cette étude (enquête qualitative) se situent au niveau de la méthode choisie qui ne permet pas de tirer beaucoup de renseignements quantitatifs car l échantillon tiré n est pas statistiquement représentatif de la population. En effet, les statistiques obtenues (pourcentages) ne sont pas généralisables à la population nationale, ni régionale et ne représentent que les avis des personnes enquêtées dans le cadre d une enquête qualitative qui 20

se veut exploratoire et explicative des déterminants de la pratique des mutilations génitales féminines. En effet, chacun des sujets interrogés s étant exprimé à sa manière, ils ne sont pas suffisamment comparables entre eux pour qu on admette, sans plus que les dénombrements ou d autres mesures qu on peut faire sur chaque entretien sont comparables. On ne se trouve pas dans une situation où une inférence statistique est légitime. D ailleurs, c est pourquoi il est inutile de prévoir un nombre important d interviews dans ce type d enquête (voir l échantillonnage au niveau de la section méthodologie): la qualité de la recherche n en sera que très faiblement améliorée. Ce qui est important, c est de s assurer de la variété des personnes interrogées, et de vérifier qu aucune situation importante pour le problème traité (dans cette étude: les déterminants de la pratique des MGF) n a été omise lors du choix des sujets. PARTIE 2: METHODOLOGIE ET MISE EN OEUVE SECTION 1: APERCU METHODOLOGIQUE DE L ETUDE Dans le cadre de cette étude à visée exploratoire et explicative deux volets seront étudiés en vue d atteindre les objectifs inscrits dans les TDR. Il s agit du: Volet documentaire et du volet qualitatif. NB: Les détails de la méthodologie proprement dite de l enquête qualitative figurent dans la partie intitulée «organisation pratique de l enquête». 1. Analyse documentaire Dans ce volet toute la documentation disponible sera utilisée. Il s agit des études entreprises, des sources de données quantitatives EDS, MICS en Mauritanie. 2. Enquête qualitative (justification) La lutte contre la pratique des mutilations génitales féminines vise le changement d un comportement et d une pratique ancrés depuis longtemps dans les communautés. Ainsi, le choix d une approche qualitative sur un phénomène culturel et traditionnel tel que les mutilations génitales féminines est justifié. En effet, cette approche a l avantage de donner une appréciation rapide, profonde et peu coûteuse de la réalité socio- culturelle et contextuelle de la pratique des mutilations génitales féminines. Donc, afin de mieux comprendre, d expliquer et de compléter l analyse documentaire, des focus groups et des entretiens individuels approfondis seront organisés. Aussi, des récits de vie des filles qui ont subi les mutilations génitales féminines à un âge leur permettant de garder un souvenir des conditions qui ont entouré ce phénomène seront restitués. 21

Ces données permettront de cerner et d apprécier les réalités culturelles, sociodémographiques ou contextuelles qui entourent la pratique des mutilations génitales féminines en Mauritanie. 2.1. Focus groups (Groupes Focalisés) La technique choisie est celle des focus groups (Groupes Focalisés). Les "Groupes Focalisés" sont des discussions de groupe qui rassemblent entre 6 et 12 personnes représentatives pour un groupe cible partageant les mêmes caractéristiques. Ces personnes ressources sont rassemblées spontanément à des fins de discussion en se basant sur un questionnaire ouvert et peu structuré, élaboré auparavant. La tenue de plusieurs séances de discussions permettra d'assurer que les différentes opinions émises représentent une tendance générale. Les groupes de discussion ou focus groups seront organisés dans les trois zones (le pays étant divisé en trois zones selon le niveau de prévalence des mutilations génitales féminines) avec une priorité de la zone où la prévalence des mutilations génitales féminines est élevée. Trois types de groupe de discussion ont été organisés selon les cibles suivantes: Femmes (âgées de plus de 25 ans) Hommes (âgés de plus de 25 ans) Jeunes (femmes et hommes de moins de 25 ans) 2.2. Entretien individuel Les entretiens individuels ont concerné les femmes, les hommes, les jeunes, les femmes ou filles excisées, les exciseuses ou ex-exciseuses, les leaders d opinion, les autorités coutumières, administratives, les acteurs de la société civile (ONG locales et internationales) et les partenaires au développement (UNFPA, UNICEF, OMS, etc.). Les entretiens approfondis ont été menés aussi dans les trois zones (prévalence de niveau élevé, intermédiaire et faible). Ils ont concerné: Fille/Femme ayant subie les MGF Exciseuse et ex-exciseuse Chef traditionnel Chef religieux Association/ONG Administration Personnel de santé 2.3. Récit de vie des femmes et filles Il s agit des récits de vie des filles ayant subi les mutilations génitales féminines à un âge leur permettant de se rappeler les conditions qui ont accompagné ce phénomène. Dans cette étude, 22

les personnes concernées n ont pas voulu nous informer complètement sur leurs histoires sous prétexte d indiscrétion, d intimité ou tout simplement de timidité. SECTION 2: PLAN DE MISE EN ŒUVRE OU ORGANISATION PRATIQUE DE L ENQUETE QUALITATIVE La mise en œuvre de cette enquête qualitative a requis les étapes ci-après: élaboration d une méthodologie, formulation des questionnaires d entretiens, reprographie des outils et supports, information des autorités, formation du personnel (facilitateurs, superviseurs et enquêteurs), test des questionnaires, collecte des données, supervision de la collecte, traitement des données, analyse des résultats et rédaction d un rapport. 1. Méthodologie de l enquête qualitative 1.1. Zones d enquête et critères de choix des sites Le pays a été divisé en trois zones selon la prévalence des MGF. Zone 1: Prévalence élevée: supérieure à 80 %; Zone 2: Prévalence moyenne ou intermédiaire: entre 45 et 80 %; Zone 3: Prévalence faible: inférieure à 45%. Tableau n 2: Répartition du pays en Zones MAURITANIE Zone 1 Zone 2 Zone 3 Wilaya Prévalence wilaya Prévalence Wilaya Prévalence Hodh chargui Hodh Elgharbi Assaba Gorgol Brakna Tagant Guidimagha 94,37 % 97,58 % 98,14 % 94,71 % 88,10 % 96,07 % 97,29 % Adrar Tiris-zmour Nouakchott 61,81 % 48,45 % 54,83 % Trarza Dakhlet Nouadhibou Inchiri 26,58 % 40,24 % 30,38 % Source des données: MICS 2007 ONS 23

L enquête a touché des sites (ou localités) au niveau de chacune des trois zones géographiques. La zone 1 a eu un poids plus important quant au nombre de sites et de personnes interrogées. Cette zone regroupe plusieurs Wilayas, plusieurs groupes ethniques et en plus la prévalence des mutilations génitales féminines y est très élevée. Le choix des différents sites a tenu compte des différences de perception et d'attitude entre les diverses cibles représentant d'importants sous-groupes de la population de chacune des trois zones. 1.2. Populations cibles et échantillon Il s agit ici de proposer la manière selon laquelle ont été choisis les participants aux focus groups, aux entretiens et aux récits de vie. 1.2.1. Populations cibles Définir la population cible, c'est sélectionner les catégories de personnes que l'on veut interroger, et à quel titre; déterminer les acteurs qui sont en position de produire des réponses aux questions que l'on se pose. Ainsi, une population concernée par une recherche peut être décomposée en plusieurs souspopulations, chacune étant susceptible d'apporter des informations spécifiques selon ses caractéristiques socio- culturelles, démographiques, économiques, environnementales, etc. Au niveau individuel, les critères de choix des personnes à interroger parmi ces souspopulations peuvent eux aussi se fonder sur des données tout à fait simples telles que le sexe, l'âge, la langue maternelle, le lieu de résidence, etc. Outre les critères à la base de la sélection des sites et des catégories de personnes (voir plus haut), nous avons tenu compte aussi, des considérations suivantes: Le milieu urbain (P=59,73%) vs le milieu rural (P=84,08%); La représentation de la diversité ethnique et culturelle Les quatre ethnies principales: les Maures (P=71%), les Peuls (P=72%), les Soninkés (P=92%) et les Wolofs (P=28%); Les femmes, les hommes et les jeunes; Les différentes classes d'âge de la population; Les zones géographiques. 1.2.2. Taille de l échantillon «Lorsqu on utilise des méthodes non standardisées, les entretiens, il est inutile d interroger un grand nombre de sujets. La lourdeur de l analyse rend difficile l exploitation systématique 24

d un nombre assez important d entretiens. D ailleurs, l expérience montre qu il est rare qu on voie apparaitre des informations nouvelles après la 20 ème ou la 30 ème interview.» Donc, l'échantillon nécessaire à la réalisation d'une enquête par entretien (de groupes ou individuel) est, de manière générale, de taille plus réduite que celui d'une enquête par questionnaire, dans la mesure où les informations issues des entretiens sont validées par le contexte et n'ont pas besoin de l'être par leur probabilité d'occurrence. En effet, une seule information donnée par l'entretien peut avoir un poids équivalent à une information répétée plusieurs fois dans des questionnaires. La réduction relative de l'échantillon nécessaire à une enquête par entretien (de groupes ou individuel) tient donc au statut de l'information obtenue. Ainsi, la détermination du nombre d'entretiens nécessaires à une enquête par entretien dépend du thème de l'enquête et de la diversité des attitudes supposées des populations par rapport au thème en question. Compte tenu de ces informations théoriques, de la nature et de la forte prévalence (72 %) du phénomène étudié au niveau national, nous avons réalisé 52 focus groups (Femmes 29, Hommes 8, Jeunes 15) et 255 entretiens individuels. La conduite de ces entretiens a permis de toucher 93 responsables de structures de lutte (Associations, ONG nationales et internationales, PTF, Administration) et leaders d opinion (Chefs religieux, chefs traditionnels et communautaires, responsables de santé, etc.), 22 exciseuses et ex-exciseuses et 140 femmes et filles excisées repartis sur tout le territoire national. Tableau n 3: Sites choisis pour cette enquête (Voir annexe H) Pour le choix des sites nous avons opté pour une méthode en palier qui consiste à choisir la capitale régionale (ou Moughataa) qui constitue un microcosme, puis une ou deux Moughataas suspectées d avoir des particularités et choisir à ce niveau des communes ou villages pour cibler une communauté particulière. Enfin, pour atteindre les groupes et les individus, les critères ont été explicités dans les paragraphes précédents. 25

Tableau n 4: Répartition des enquêtés selon la langue maternelle Entretiens individuels Focus groups Leaders d opinions Filles/femmes Exciseuses et ex-exciseuses (FG) Femmes (FG) Hommes (FG) Jeunes Arabe 55 83 17 19 4 10 Poular 25 35 3 5 2 2 Soninké 10 16 2 4 2 2 Wolof 3 6-1 - 1 Les graphiques suivants illustrent la répartition des enquêtés selon la langue maternelle et le milieu de résidence. 1.3. Les outils de collecte des données (guides et questionnaires) (Annexes) Outre l analyse documentaire, cette étude a utilisé essentiellement deux méthodes classiques de la recherche socio-anthropologique que sont les focus groups et les entretiens individuels approfondis et récits de vie, avec à l occasion des entretiens informels avec des personnes jugées capables d apporter des informations supplémentaires et utiles pour l étude des MGF en Mauritanie. Ces personnes ne faisaient pas nécessairement partie de l échantillon de départ mais leur capacité de fournir des informations sur les mutilations génitales féminines a été jugée utile pour enrichir l étude. Dans cette étude l optique consistait à diversifier les 26

catégories d informateurs plutôt que de se baser sur les méthodes statistiques classiques d enquête par questionnaire. Ainsi, dans le cadre de cette étude, les outils suivants ont été utilisés pour la collecte des données sur les déterminants sociaux et culturels des Mutilations Génitales Féminines en Mauritanie: 1.3.1. Le guide pour l analyse documentaire Ce guide a permis de recueillir à la fois les informations primaires et les données secondaires (ou de seconde main) comme (EDSM 2000-01, MICS 2007, etc.) pour une analyse et une bonne lecture des données existantes relatives à la pratique des MGF en Mauritanie et ailleurs dans la sous-région et dans le monde d une part, et les stratégies et activités développées au niveau national en faveur de l abandon de cette pratique d autre part. En effet, le recoupement des différentes informations et données a permis de bien élaborer la méthodologie et les recommandations pour la lutte contre la pratique des mutilations génitales féminines en Mauritanie. 1.3.2. Le guide d animation des focus groups Au total 52 focus groups repartis par catégories (femmes, hommes, jeunes) ont été conduits à l échelle des 13 wilayas du pays. 1.3.3. Les guides d entretien individuels Les guides d entretiens individuels ont été adaptés à la spécificité de chaque catégorie d enquêtés ciblée en ne posant que les questions pertinentes et spécifiques pour chaque catégorie ciblée. Ainsi, trois guides standardisés ont été élaborés. Certaines questions ont été posées à plusieurs cibles tandis que d'autres ont été posées spécifiquement à un sous-groupe donné. Ainsi, nous avons eu: Un guide d entretien spécifique aux exciseuses et ex-exciseuses Un guide combiné pour les acteurs de lutte contre les MGF (ONG/ Associations) et les leaders d opinion (chefs traditionnels, chefs religieux). Un guide pour les femmes et filles excisées pouvant déboucher sur un guide pour les récits de vie. 1.3.4. Le guide des récits de vie Seulement 2 récits de vie incomplets rapportés par des proches aux victimes ont été restitués partiellement. Aussi, des épisodes concernant le vécu des femmes portant des séquelles des 27

MGF ont pu être rapportés avec difficultés, mais restaient souvent vagues. Vu la modestie du contenu de ces récits de vie, leurs résultats ont été intégrés dans l étude comme informations générales car ne s agissant pas réellement de récits de vie. Les guides de discussions de groupes focalisées, les guides d entretiens individuels et les récits de vie ont pu nous renseigner sur la connaissance, les opinions et les perceptions de ces différents groupes cibles sur les aspects suivants: Le rôle et la place sociale des MGF en Mauritanie Les circonstances de la pratique des MGF Les raisons de la pratique des MGF Les avantages supposés de la pratique des MGF La perception des problèmes et des dangers liés aux MGF Les MGF et l Islam La perception des populations de la Fatwa (consultation jurisprudentielle) Les rôles des acteurs de lutte Les activités menées et les changements apportés Leurs propositions pour l abandon des MGF Leur perception des lois de lutte et leur intérêt au niveau communautaire Les motifs qui peuvent entraîner l'abandon des MGF en Mauritanie Les attentes empiriques et normatives par rapport à la pratique des MGF Aussi, ces entretiens approfondis ont fourni des données qui ont permis de procéder à l analyse de la perception des populations concernant les perspectives d abandon de la pratique des mutilations génitales féminines en Mauritanie. 2: Organisation de la collecte des données Pour assurer la collecte d informations fiables, il a été nécessaire d organiser au mieux l opération de collecte, par la reprographie des outils et supports, l information des autorités, le recrutement du personnel, la formation du personnel de collecte et de supervision, la motivation de ce personnel et assurer tous les moyens matériels et logistiques dans les délais et avec détails. La présente partie décrit les détails de chacune de ces étapes. 2.1. Finalisation des questionnaires: la version définitive des guides (questionnaires), jointe en annexe, a été validée par le comité de pilotage. Suite aux remarques et aux recommandations de ce comité le consultant a finalisé les questionnaires. 2.2. Reprographie des outils et supports: Tous les outils et supports nécessaires à la formation, à la collecte et à l analyse des données ont été reprographiés en quantité suffisante 28

avant le démarrage de la formation et de l enquête. A l issu du test des questionnaires, toutes les insuffisances constatées ont été prises en compte. 2.3. Information des autorités: Les autorités administratives (Wali, Hakem) ont été informées par le MASEF par courrier (message) sur les objectifs et le calendrier de l enquête. Les autorités administratives et coutumières (Chef de village ou de quartier, Chefs religieux ) des sites (villages) d enquêtes visités ont été informées par les superviseurs des équipes une fois sur le terrain, mais bien avant le démarrage des activités. 2.4. Recrutement, durée de la collecte et répartition des équipes: on a procédé au recrutement des agents de collecte (animateurs, preneurs de notes, facilitateurs, enquêteurs) ayant l expérience demandée dans le domaine de la collecte des données qualitatives. En outre, elles ont subi une formation pour bien maitriser les guides et questionnaires. La collecte des données a duré près de trois semaines et les équipes étaient au nombre de quatre (4). En général chaque équipe était composée de trois personnes (deux chargées de mener les discussions de groupes et une chargée de mener l interview individuelle. 2.5. Formation du personnel (facilitateurs, superviseurs et enquêteurs): Compte tenu de l urgence et conformément aux suggestions d un membre du comité de pilotage, il a été retenu de conduire les sessions de formation de manière à impliquer des personnes locales au niveau des différents sites pour les raisons suivantes: Connaissances du terrain et affinité avec les populations; Eviter des déplacements lointains surtout pour les femmes qui constituent la majorité de nos enquêteurs vue la nature du sujet; Groupes restreints pour faciliter la formation. Les sessions ont été animées par le consultant qui a fait le déplacement pour le recrutement et la formation des agents de collecte sur place. Ces formations n ont pas eu la prétention de former des experts aux techniques du focus group et d entretien, mais des agents aptes à assurer les tâches nécessaires pour la réalisation de cette enquête dans les meilleures conditions. Un accent spécial a été mis sur les éléments théoriques nécessaires à la bonne compréhension des aspects pratiques et des missions des enquêteurs et des superviseurs. 2.6. Test des questionnaires: Les questionnaires, validés par le comité de pilotage, ont été testés immédiatement après la formation des enquêteurs et des superviseurs. Un échantillon de chaque type de questionnaires a été testé. Les données recueillies au cours du test ont été analysées en profondeur pour corriger les éventuels problèmes relatifs aux questionnaires. 2.6. Collecte des données: La collecte des données a été effectuée immédiatement après le test des questionnaires. L organisation de la collecte des données a pris en compte les aspects techniques et l organisation matérielle. 29

- Aspects techniques: La collecte des informations s est faite immédiatement après la formation des agents de terrain. Les superviseurs et les enquêteurs, au niveau de chaque zone, ont été groupés en équipes d enquête. Chaque équipe d enquête était composée de: 1 responsable (superviseur) et 3 enquêteurs (Animateur, preneur de note, enquêteur). Chaque équipe d enquête a eu en charge l animation des focus groups, les entretiens individuels et les récits de vie. L organisation de ces différentes tâches a été du ressort du superviseur après la concertation avec les autres membres de l équipe et avec l accord du consultant. - Organisation matérielle: Au moins 1 véhicule a été mis à la disposition de chaque équipe d enquête. Sur la base des axes de progression qui ont été définis par le plan de collecte, les équipes d enquête ont été réparties dans les véhicules et déposées dans les lieux- points de départ de leur enquête. Chaque fois qu il a été nécessaire, un plan de ramassage de fin de journée a été établi avec chaque chauffeur avant le départ des équipes. 2.8. Supervision de la collecte des données: Chaque responsable (superviseur) d équipe avait pour mission d accompagner les membres de son équipe au moment du choix des personnes à interviewer (focus group, entretien individuel, etc.) pour leur faciliter l accès à ces personnes et les aider à organiser leur travail. Il procédait sur place à la revue des résultats des interviews au fur et à mesure qu ils lui ont été remis par les enquêteurs. Une séance de débriefing était organisée par chaque superviseur à la fin de la journée. Au cours de cette séance, les membres de l équipe d enquête devaient passer en revue les questionnaires et les difficultés et contraintes rencontrées. Pour terminer la journée, chaque superviseur devait rendre compte au consultant de l état d avancement du plan de collecte, des difficultés rencontrées et des mesures prises pour solutionner les problèmes ou les écarts identifiés. La supervision générale du travail sur le terrain était assurée par le consultant. 3. Traitement et analyse des données recueillies: Au lendemain de la fin de la collecte des données, une série de rencontres a été organisée avec chaque équipe. Le but de ces rencontres était d organiser les données recueillies avec les outils prévus et de ressortir les résultats de la zone concernée. Il s agissait aussi de discuter des circonstances des interviews pour mieux appréhender les résultats obtenus. Cette phase a débouché sur celle relative aux traitements et analyse des données. Il a été procédé à l organisation des données recueillies dans des tableaux de résultats de la tabulation pour chaque site et regroupé selon les trois zones. Ainsi, les données et informations collectées ont été saisies et dépouillées dans des tableaux conçus à cet effet. Elles ont été ensuite regroupées par groupes cibles et par axes thématiques et les points de vue saillants ont été dégagés. On a procédé par la suite à l hiérarchisation des messages clés tels qu exprimés par les personnes enquêtées. 30

PARTIE 3: RESULTATS DE L ENQUETE QUALITATIVE Dans ce chapitre, nous avons voulu rapporter le maximum d informations données par les populations à propos des principales questions posées. Cela concerne donc leurs connaissances, leurs perceptions et leurs avis par rapport aux mutilations génitales féminines pratiquées dans les différentes communautés qui composent la population mauritanienne. Notons toutefois, que les statistiques (pourcentages) ne sont pas généralisables à la population nationale, ni régionale et ne représentent que les avis des personnes enquêtées dans le cadre d une enquête qualitative qui se veut exploratoire et explicative des déterminants de la pratique des mutilations génitales féminines. 1. Représentation sociale des Mutilations Génitales Féminines en Mauritanie Toutes les personnes interrogées aux niveaux des focus groups et entretiens individuels considèrent que la pratique des MGF constitue une particularité communautaire ancrée dans le tissu social mauritanien héritée des aïeux et concernant toutes les wilayas du pays. Même si les populations ne la perpétuent pas de la même manière et au même degré, chaque communauté et chaque zone géographique a ses particularités. Les MGF constituent, selon elles, un héritage culturel que nos générations préservaient pour garantir notre identité et sauvegarder nos us et coutumes (62% des entretiens individuels et 67% des focus groups, 35/52). Mais les nouvelles générations (la jeunesse) a tendance à s éloigner de beaucoup de nos valeurs, pas seulement les MGF mais aussi, le gavage, la polygamie et d autre pratiques traditionnelles relatives à d autres domaines de la vie nomade et citadine de nos anciennes sociétés. D ailleurs, c est l Islam qui recommande cette pratique (12 % des entretiens individuels et 19% des focus groups, 10/52) et comme nous sommes tous des musulmans en Mauritanie, il est évident que cette pratique soit ancrée dans nos mentalités déclarent quelques personnes interrogées particulièrement parmi les femmes âgées. Néanmoins, des enquêtés ont souligné que cette pratique ne représente ni une coutume, ni une recommandation religieuse, mais tout simplement une erreur humaine (21% des entretiens individuels et 10 % des focus groups, 5/52). Notons que 4% (2/52) des focus groups ne connaissent rien sur cette pratique. Il s agit d un groupe de femmes Wolof d âges mixtes (de 15 ans et plus) à Rosso et un groupe de jeunes hommes à Akjoujt.. 31

Ce sont nos parents et nos grands parents qui nous ont appris à pratiquer les MGF sur nos filles. Nos ancêtres pratiquaient les MGF depuis très longtemps et rien ne doit nous contraindre à cesser ces traditions et donc d arrêter de la faire subir à nos filles. L'excision est une sunna, il serait important de la pratiquer dans notre société. C'est une pratique valorisante pour garder les filles tranquilles loin des tentations et des aventures surtout les filles jeunes qui font les études, les voyages et regardent la télévision Ma mère me disait toujours: attention, il ne faut jamais oublier de pratiquer les MGF sur tes filles, c est honteux de laisser les filles libres comme les hommes Dans notre communauté, toutes les filles étaient coupées et leurs mamans étaient tenues d accepter cet acte culturel obligatoire même si elles sont éduquées et /ou fonctionnaires (intellectuelle: médecin, enseignante, etc.). Mais maintenant les choses ont changé et chacun fait ce qu il veut à l abri du regard des autres. C est une tradition, mais pas une obligation. D ailleurs le Coran n a pas parlé explicitement de cette pratique, mais les populations croient que c est une sunna et que sa pratique est quasi obligatoire. C est important pour nous, c est une question d honneur et de religion Cela sert à embellir les filles et montre la différence entre garçons et filles C est une catastrophe et une erreur humaine Cette pratique ne représente rien du tout Elle est mal vue dans notre communauté C est une injustice Elle représente beaucoup de choses interdites et néfastes, c est une aberration. 2. Pouvoirs décisionnels de la pratique des Mutilations Génitales Féminines au niveau de la famille La pratique des mutilations génitales féminines étant une affaire féminine, la décision est exclusivement féminine. Mais un accord de principe est généralement obtenu auprès du père après son information de l imminence de l acte. Toutefois, des hommes ont révélé qu ils n étaient ni informés, ni à plus forte raison consultés à ce sujet. Cette information leur serait parfois annoncée quelques jours après l acte ou au cas où cette opération avait tourné mal. A ce moment les hommes sont sollicités pour évacuer l enfant au centre de santé ou chez un guérisseur traditionnel. D ailleurs des hommes déclarent ne pas savoir si leurs filles ont subi les MGF ou non. Certains, sont même curieux de savoir réellement si leurs filles ont subi les MGF ou non. La plupart de ces hommes disent qu ils n étaient pas présents lors de l opération ou qu ils étaient occupés par d autres choses plus importantes au moment présumé de la pratique. Le contrôle, par le groupe féminin de la soumission à cette pratique rend de fait inutile l exercice du pouvoir masculin dans ce domaine déclare l un de nos interlocuteurs. Mais une fois n est pas coutume, des hommes (trois) ont bien voulu déclarer qu ils ont du accepter la décision de la pratique sur leurs filles aînées après des négociations tenaces avec 32

leurs mamans qui tenaient à cette pratique mais ont décidé depuis de ne plus pratiquer les mutilations génitales féminines sur leurs autres filles. o La mère elle-même après concertation avec le père o La mère et la grand- mère o La grand-mère maternelle qui prend la décision o La tante maternelle ou paternelle o La grand-mère paternelle o Une femme ou cousine très proche de la famille le plus souvent âgée Au niveau des entretiens individuels, cette étude a révélé que la décision principale revient à la mère (63%) suivie de la décision commune de la mère et la grand-mère (13%), suivie de la décision de la grand- mère toute seule (11%), des autres femmes âgées proches de la famille (8%) et des autres possibilités (5%): il s agit de la mère, la tante, la grand-mère, etc.) Au niveau des focus groups, aussi, la décision principale revient à la mère (58%), suivie de la décision prise par la grand-mère (15%). Toutefois, un focus group de femmes a souligné que la décision est prise par le père 3. Typologie des Mutilations Génitales Féminines pratiquées en Mauritanie Le type de mutilations génitales féminines le plus fréquent cité est le type I: l ablation du prépuce du clitoris appelée excision «sunna» (93%) suivi du type II: qui est l ablation du clitoris entier et de certaines parties des petites lèvres (6 %). Un troisième type (-1%) qui ne rentre pas à notre avis dans la classification de l OMS si ce n est dans le type IV est aussi révélé parmi les populations. Il s agit de l utilisation de mélange de poudres et d herbes spéciales qui sont supposées capables de détruire la partie visée ou du moins la réduire et freiner sa croissance sans recourir à la chirurgie des parties génitales. Ce mélange «bouffe» une partie du prépuce et équivaut donc à l acte chirurgical pour une excision symbolique. Les principales plantes ou herbes utilisées dans ce cadre sont Lembarka et Sallaha. Notons que ces plantes sont également utilisées avec d autres combinaisons de traitements traditionnels dans les autres types de mutilations génitales féminines. Mais dans ce cas c est pour calmer la douleur. Le produit est utilisé comme antiseptique et anti- inflammatoire et donc pour cicatriser et guérir la plaie provoquée par les mutilations génitales féminines. 33