C H A P I T R E 5 Topographie cornéenne et greffe de cornée L. Laroche, I. Goemaere Points forts La topographie des rayons de courbure permet une analyse de l'astigmatisme après greffe de cornée avec un avantage aux cartographies de la face antérieure. L'analyse de la réponse en matière d'astigmatisme post-greffe permet de mieux anticiper l'astigmatisme résiduel et de proposer les gestes chirurgicaux complémentaires les mieux adaptés. La phase postopératoire après ablation de toutes les sutures est la plus représentative de l'astigmatisme à corriger soit par technique chirurgicale complémentaire, soit par lentille de contact ou verre correcteur. Limites Les cartographies d'élévation des topographes cornéens sont peu fiables après greffe de cornée en raison de l'importante modification des rapports entre la face antérieure et la face postérieure de la cornée, mais aussi des modifications de la réflectivité cornéenne par œdème et/ou la présence des interfaces chirurgicales. Les très forts astigmatismes et leur importante irrégularité représentent aussi une limite de fiabilité de mesure des topographes cornéens. Imagerie en ophtalmologie 2014, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
74 Cornée Introduction La récupération visuelle après une greffe de cornée transparente est souvent limitée par un astigmatisme important, le plus fréquemment irrégulier. Ceci est vrai tant pour les kératoplasties transfixiantes (KT) (figure 5.1) que pour les kératoplasties lamellaires antérieures profondes (KLAP). Les greffes endothéliales (DSEK, DMEK) engendrent peu d'astigmatisme induit (figure 5.2) et retentissent donc peu sur la topographie cornéenne. La géométrie de la cornée a les plus grandes conséquences optiques et l'on conçoit donc l'intérêt de son analyse topographique [1, 2]. La gestion de l'astigmatisme cornéen induit s'effectue avant et après l'ablation des sutures [3]. Connaître la topographie cornéenne est donc indispensable pour gérer des sutures, adapter des lentilles de contact ou planifier une chirurgie cornéenne réfractive. Différents appareils de topographie cornéenne Les deux grands types de topographes (disque de Placido modifié, ou élévation) peuvent être utilisés. Les topographes de Placido (TMS-4 de Tomey par exemple) utilisent l'analyse informatique de la réflexion spéculaire des images projetées sur la face antérieure de la cornée qui se comporte comme un miroir convexe grâce au film lacrymal (figure 5.3). La numérisation de l'image cornéenne d'un disque de Placido modi- Figure 5.1. Kératoplastie transfixante. Astigmatisme irrégulier.
Topographie cornéenne et greffe de cornée 75 Figure 5.2. DMEK (Descemet membrane endothelial keratoplasty) : la topographie cornéenne ne montre pas d'astigmatisme induit. Figure 5.3. Réflexion spéculaire des mires de Placido sur une surface cornéenne irrégulière.
76 Cornée fié permet d'extrapoler la courbure de la face antérieure en analysant la distance entre le reflet des anneaux lumineux projetés par l'appareil (figure 5.4). Diverses classifications ont été proposées, selon l'aspect topographique post-greffe [4]. Les topographes d'élévation mesurent directement les coordonnées spatiales et de surface cornéenne en utilisant le balayage d'une fente lumineuse ou la rotation d'une caméra Scheimpflug (figure 5.5). Les données d'élévation de la face postérieure permettent de déduire l'épaisseur de la cornée grâce à une carte de pachymétrie. Certains appareils (comme l'orbscan de Bausch & Lomb, TMS- 5 de Tomey) combinent les deux techniques (Placido et élévation), d'autres produisent les topographie de type spéculaire et d'élévation à partir d'une acquisition par principe de caméra Scheimpflug (Pentacam d'oculus, Galilei de Zimmer). Les algorithmes utilisés par les topographes d'élévation à balayage sont très sensibles pour les cornées de forme peu modifiée et à la transparence normale. En revanche, ces analyses d'élévation sont, elles, peu sensibles, peu reproductibles et en un mot peu fructueuses pour analyser la topographie cornéenne des cornées greffées. Les données mesurées par le topographe sont de nature géométrique (courbure cornéenne ou élévation cornéenne) alors que le clinicien s'intéresse davantage aux données réfractives et donc optiques [5]. La transformation des données géométriques (courbure, toricité) en données optiques (puissance, astigmatisme) nécessite plusieurs hypothèses et approximations. La qualité des Figure 5.4. Présentation topographique numérisée post-kt. Astigmatisme irrégulier («steep-flat»).
Topographie cornéenne et greffe de cornée 77 Figure 5.5. Topographie d'élévation post-kt. Aspect «steep flat» (caméra Scheimpflug). mesures est d'autant meilleure que la surface cornéenne est proche d'une sphère et que l'on est proche de l'axe visuel. La qualité des données concernant la face postérieure cornéenne est donc médiocre après greffe, en raison du caractère très asphérique de ces cornées, de la transparence stromale souvent imparfaite, de l'existence d'une interface, et donc d'une faible reproductibilité (figure 5.6). Le même type de remarques est valable pour les caméras Scheimpflug. C'est donc par leur fonction Placido que les topographes s'avèrent intéressants pour les greffes de cornée. Compte tenu de la prépondérance du dioptre cornéen antérieur dans le pouvoir optique de l'œil, il est préférable de n'utiliser que les données de la face antérieure, complexe, asymétrique, irrégulière et asphérique [6]. Le bon alignement du patient et la qualité du film lacrymal ont une grande importance pour l'interprétation des résultats. Les artefacts liés à une rivière lacrymale abondante sont particulièrement trompeurs, et plusieurs mesures peuvent être nécessaires (figure 5.7). L'astigmatisme cornéen est d'étiologie multifactorielle (qualité de trépanation, effet des sutures, incongruence tissulaire, cicatrisation, etc.). Mais dans tous les cas, c'est la topographie de la face antérieure de la cornée qui guidera l'acte thérapeutique, en n'oubliant pas de comparer ces données à celles de la réfraction.
78 Cornée Figure 5.6. Présentation spéculaire (en bas à gauche) et d'élévation (en haut à gauche et en haut à droite). Astigmatisme post-kt. Figure 5.7. Film lacrymal normal à gauche, épaissi sur la même cornée à droite (cornée normale, non greffée).
Topographie cornéenne et greffe de cornée 79 Apport en pratique clinique Le suivi des greffes de cornée se fait par rapport à deux éléments essentiels : la tolérance du greffon et la recherche de signes de rejet : cette surveillance se fait par l'examen clinique à la lampe à fente, par la mesure pachymétrique du greffon, avec si possible une imagerie par OCT de la cornée ; la gestion de la réfraction postopératoire est basée sur un élément important en matière de greffe de cornée, à savoir l'astigmatisme cornéen résultant du geste chirurgical. La topographie cornéenne représente une approche indispensable de la gestion de l'astigmatisme par son analyse sous forme de cartographie des rayons de courbure du greffon. Le rôle important des sutures du greffon sur l'astigmatisme peut être analysé par la topographie avec deux phases du suivi représentées par la première phase de la greffe en présence de sutures, puis la deuxième phase après ablation des sutures qui, souvent, entraîne un retentissement sur la puissance et l'axe de l'astigmatisme. Phase postopératoire de la greffe de cornée avant l'ablation des sutures Il est aisé d'agir sur les sutures, en enlevant les points séparés trop serrés (méridien trop cambré) (figure 5.8) ou en modifiant la tension du surjet (en relâchant la tension au niveau du méridien cambré et en la répartissant au niveau du méridien le plus plat). Toutefois, les manipulations du surjet s'avèrent bien souvent Figure 5.8. Avant (à gauche) et après (à droite) ablation de points séparés sur une cornée greffée. Un astigmatisme géant et d'axe perpendiculaire apparaît.
80 Cornée délicates et parfois hasardeuses. Elles ne sont plus guère pratiquées, en raison du risque de rupture du surjet. L'axe du cylindre positif correspond habituellement au méridien le plus puissant et donc au méridien le plus bombé de la cornée. Devant un astigmatisme postopératoire important, le fil de suture à ôter en priorité est le fil correspondant à l'axe du cylindre positif [7]. L'expression en cylindre positif est particulièrement adaptée quand on s'intéresse au méridien cornéen le plus bombé et par conséquent aux situations où l'on est amené à faire un geste relaxant. Phase postopératoire de la greffe de cornée après l'ablation généralisée des sutures L'ablation des sutures ne doit pas être trop précoce (pas avant 15 à 18 mois, en tout cas après 3 mois sans corticothérapie) sous peine d'entraîner un décalage du greffon. On a souvent la surprise de voir se modifier (figure 5.9) ou apparaître un astigmatisme important et irrégulier qui était masqué par les sutures (figures 5.8 et 5.10). L'astigmatisme post-greffe est fonction de la répartition des contraintes biomécaniques intrastromales, dont l'étude topographique de la surface ne donne qu'une image partielle. L'astigmatisme irrégulier postopératoire réalise le plus souvent une réponse globale de type aplati ou «steep-flat» (figure 5.11). Il est théoriquement possible d'agir sur le méridien le plus plat, en cas d'astigmatisme géant, lorsqu'il apparaît pathologique (en cas de décalage du greffon par exemple) en réalisant une résection en coin (corneal wedge résection). Mais cette technique est peu précise et aléatoire, aussi est-elle peu utilisée. Figure 5.9. Avant (à gauche) et après (à droite) ablation du surjet. Diminution de l'astigmatisme.
Topographie cornéenne et greffe de cornée 81 Figure 5.10. Avant (à gauche) et après (à droite) ablation du surjet. Augmentation de l'astigmatisme irrégulier. Figure 5.11. Aspect topographique «steep flat» caractéristique de l'astigmatisme post-kt. L'essentiel des actions chirurgicales concerne les méridiens les plus bombés, susceptibles d'être «relaxées» par des incisions arciformes réalisées avec l'arcitome de Hanna ou au laser Femto-seconde [8, 9] (figure 5.12). La topographie cornéenne guide le geste, sous réserve de bonne correspondance avec les données réfrac-
82 Cornée Figure 5.12. Les incisions arciformes centrées sur le méridien le plus cambré permettent une réduction de l'astigmatisme environ de moitié. Figure 5.13. Aspect biomicroscopique et en OCT spectral domain d'une incision arciforme ancienne. Les berges baillent et le comblement épithélial incomplet crée une surface irrégulière. tives. Les incisions arciformes de surface comportent un risque infectieux non négligeable chez des patients cortisonés (en plus du risque de rejet iatrogène) et peuvent fréquemment «bailler» (figure 5.13), ce qui donne un effet d'aplanissement marqué sur les relevés topogaphiques.
Topographie cornéenne et greffe de cornée 83 Figure 5.14. Relevés topographiques : avant (à gauche) et après (à droite) la réalisation d'incisions arciformes sous un capot cornéen. Le LASIK peut être indiqué après KT [10] ou KLAP [11], lorsqu'une composante sphérique coexiste avec un astigmatisme modéré (inférieur à 6 dioptries). La topographie et le cylindre positif guident le geste. La meilleure option, en cas d'astigmatisme cornéen important le plus souvent associé à une composante sphérique, est de combiner, en deux temps, des kératotomies arciformes profondes non transfixiantes (DIAK ou deep intrastromal arcuate keratotomy) [12] à une découpe lamellaire de surface (capot cornéen) grâce au laser Femto-seconde (figure 5.14). Après quelques semaines permettant la relaxation des contraintes intrastromales libérées par les incisions arciformes et lamellaires, l'analyse topographique et réfractive permet de guider la photoablation intrastromale complémentaire (LASIK). Au terme de ces manœuvres chirurgicales, la correction optique d'une amétropie sphéro-cylindrique régulière résiduelle est souvent possible grâce au port de lunettes, en se guidant essentiellement sur le cylindre positif et la sphère. La correction d'une amétropie sphérocylindrique irrégulière résiduelle sera guidée par les données topographiques et optiques pour l'adaptation en lentilles de contact rigides. Conclusion La topographie cornéenne est un outil indispensable pour la gestion des astigmatismes post-greffe. Elle permet d en guider la correction qui est souvent un facteur limitant de la récupération visuelle d une greffe de cornée par ailleurs réussie.
84 Cornée Ses informations doivent être analysées en complément de la réfraction et de l imagerie cornéenne par topographie en cohérence optique à haute résolution (OCT-spectral domain). Références [1] Touzeau O, Borderie V, Carvajal-Gonzalez S, Vedie F, Laroche L. Astigmatisme après kératoplastie transfixiante. Analyse vidéo-kératoscopique d'une série de 60 greffes. J Fr Ophtalmol 1997 ; 20 : 680 8. [2] Borderie VM, Touzeau O, Laroche L. Videokeratography, keratometry, and refraction after penetrating keratoplasty. J Refract Surg 1999 ; 15 : 32 7. [3] Fares U, Sarhan AR, Dua HS. Management of post-keratoplasty astigmatism. J Cataract Refract Surg 2012 ; 38 : 2029 39. [4] Karabatsas CH, Cook SD, Sparrow JM. Proposed classification for topographic patterns seen after penetrating keratoplasty. Br J Ophthalmol 1999 ; 83 : 403 9. [5] Touzeau O, Borderie V, Loison K, Scheer S, Allouch C, Chastang P, Corrélation entre la réfraction et la topographie cornéenne dans les astigmatismes idiopathiques et post-chirurgicaux. J Fr Ophtalmol 2001 ; 24 : 129 38. [6] Borderie VM, Georgeon C, Borderie M, Bouheraoua N, Touzeau O, Laroche L. Corneal radius of curvature after anterior lamellar versus penetrating keratoplasty. Graefes Arch Clin Exp Ophthalmol 2014 ; 252 : 449 56. [7] Fares U, Mokashi AA, Elalfy MS, Dua HS. Sequential selective same-day suture removal in the management of post-keratoplasty astigmatism. Eye 2013 ; 27 : 1032 7. [8] Hoffart L, Touzeau O, Borderie V, Laroche L. Mechanized astigmatic arcuate keratotomy with the Hanna arcitome for astigmatism after keratoplasty. J Cataract Refract Surg 2007 ; 33 : 862 8. [9] Loriaut P, Borderie VM, Laroche L. Femtosecond-assisted arcuate keratotomy for the correction of post-keratoplasty astigmatism : vector analysis and accuracy of laser incisions. J Cataract Refract Surg (in press). [10] Alió JL, Javaloy J, Osman AA, Galvis V, Tello A, Haroun HE. Laser in situ keratomileusis to correct postkeratoplasty astigmatism ; 1-step versus 2-step procedure. J Cataract Refract Surg 2004 ; 30 : 2303 10. [11] Acar BT, Utine CA, Acar S, Ciftci F. Laser in situ keratomileusis to manage refractive errors after deep anterior lamellar keratoplasty. J Cataract Refract Surg 2012 ; 38 : 1020 7. [12] Laroche L, Loriaut P, Sandali O, Goemaere I, Basli E, Bouheraoua N, et al. A new combined technique of Deep Intrastromal arcuate keratotomy (DIAK) overlayed by LASIK flap for the treatment of giant astigmatism. Orlando (USA) : Poster ARVO Meeting ; 2014.