Par YVON GENDREAU, journaliste, PLQ FERME LIZOVAIS Passer la nuit à la belle étoile Pascal Hudon de la Ferme Lizovais de La Pocatière croit aux bienfaits du pâturage pour ses animaux. Pendant la belle saison, il les envoie y passer la nuit. 30
Gervais, le père de Pascal, a toujours envoyé ses vaches au champ en dehors des heures de traite. Mais depuis les quatre dernières années, ils ont choisi de les garder à l intérieur pendant le jour pour des raisons de bien-être. En effet, Pascal estime, surtout les journées de grandes chaleurs, qu elles y sont plus confortables avec la ventilation tunnel et à l abri des rayons du soleil; sans compter qu il y voit moins de répercussions négatives sur la production laitière. «Quand elles allaient toute la journée dehors, la production baissait à plein, soutient-il. Souvent, les vaches ne mangeaient pas et ne buvaient pas.» Toutefois, il demeure d avis que d envoyer ses animaux à l extérieur la nuit est bénéfique pour tout le monde. Il part de ce principe : «Si les producteurs de bœufs réalisent des économies en envoyant leur troupeau aux champs, pourquoi le même principe ne s appliquerait-il pas à la production laitière?» ALLEZ HOP! AU GRAND AIR! Règle générale, à la Ferme Lizovais, les vaches commencent à fréquenter les pâturages de façon régulière à compter de la première semaine de juin. À partir de là, elles prennent la clé des champs après la traite du soir, vers 17 h 30, et reviennent à l intérieur pour la traite du matin vers 4 h 15. Les rentrer et les sortir prend généralement une quinzaine de minutes. Le matin, à leur arrivée à l étable, elles choisissent leur stalle. Comme il n y a pas de robot d alimentation, cette façon de procéder ne pose pas de problèmes. Selon Pascal, le printemps, «quand les vaches voient le soleil à l extérieur et que les portes commencent à ouvrir, elles savent qu elles vont retourner à l extérieur. Elles viennent les oreilles en l air comme pour demander quand elles vont pouvoir retourner dehors. À l automne, vers la mi-septembre, ce sont elles aussi qui nous disent qu elles veulent revenir à l intérieur quand on voit qu elles commencent à manger plus à l intérieur qu à l extérieur ou que les premières gelées commencent à se pointer.» Si les animaux sont heureux de se retrouver dans la nature, Pascal soutient que c est aussi moins de travail pour les propriétaires. «Il n est pas Pascal a fait appel à Christian Bouchard, conseiller valacta, pour l aider à revoir la stratégie alimentaire de son troupeau. nécessaire de mettre de la litière de paille aussi souvent, explique-t-il, et il n y a qu un seul écurage à faire au lieu de deux. On n est pas obligé de faucher, de râteler et de presser dans les pâturages et on a moins de fumier à stocker et à épandre. Un autre avantage, les jours de pluie, les vaches peuvent prendre une bonne douche et retourner propres à l étable.» Sur ce dernier point toutefois, il admet que les jours d orage sont désagréables parce que les chemins d accès deviennent boueux et que la production n est pas égale. «Il n y a pas meilleur parc à vêlage que le sol. Les vaches, explique Pascal, ont une meilleure adhérence quand elles se relèvent. C est sans compter qu elles sont aussi plus démonstratives pour les chaleurs, puisqu on peut voir plus facilement celles qui se grimpent.» ON S AJUSTE Parmi les désavantages de l introduction aux pâturages, Pascal souligne que c est surtout les trois premières semaines qui posent problème. Bien sûr, il faut remettre la clôture en ordre en mai et l opération peut parfois prendre jusqu à une semaine. Mais c est surtout avec les plus jeunes sujets que le gros du travail est à faire : «On s éreinte pendant plusieurs jours à habituer les premiers veaux et les vaches en première lactation à sauter le dalot, parce qu ils n ont jamais connu ça de leur vie. Mais après deux à trois semaines, tout rentre dans l ordre. En contrepartie, l hiver, quand on déménage des vaches, c est plus facile pour elles de sauter le dalot, parce qu elles ont été habituées à faire de l exercice pendant l été.» Pascal souligne aussi que le fumier est parfois un peu plus liquide et plus 31
On retrouve six parcelles de 2,5 hectares où les animaux vont paître en alternance la nuit. salissant quand les vaches mangent à l extérieur et qu il doit alors les vermifuger. Cependant, au chapitre de la qualité du lait, Pascal n y voit pas de répercussions négatives, puisqu on y maintient une moyenne de 50 000 cellules somatiques à l année. L ESPACE DÉFINI À la Ferme Lizovais, 15 hectares sont consacrés aux pâturages, soit 6 parcelles de 2,5 ha chacune. En tout temps, les animaux ont accès à deux points d eau. Les vaches taries et les taures gestantes sont dans un même enclos, séparé de celui des autres vaches. Pour ce qui est des veaux, on les laisse à l intérieur. Les vaches commencent à aller au champ à la première semaine de juin, mais déjà le foin est trop long, estime Pascal : «Idéalement j aimerais les envoyer à la troisième semaine de mai, mais comme tout arrive en même temps (les semences, les roches et la clôture), il faut retarder la sortie.» Des six parcelles, deux sont fauchées en première coupe. Dans les quatre autres, les vaches alternent au rythme de quatre à cinq jours par parcelle et elles reviennent au point de départ une fois le cycle terminé. Après la deuxième paissance, on fauche les refus et les vaches vont dans les parcelles qui ont été fauchées en première coupe pour ensuite retourner dans les autres parcelles. Cette fois, elles passent trois jours maximums par parcelle. Dans les pâturages de la Ferme Lizovais, on retrouve principalement Les vaches ont toujours accès à deux points d eau. du mil, de la luzerne et du trèfle ladino, soit tout près de 80 % de graminées. C est une recette qui date de plusieurs années. Conscient que la luzerne est fragile au piétinement, Pascal déplore qu il y ait peu d information sur les pâturages, notamment pour ce qui concerne les cultivars et la régie des pâturages (superficie nécessaire selon le nombre de vaches, rotation à privilégier, alimentation à donner à l étable, etc.). «Dans ce domaine, dit-il, on doit y aller beaucoup par essais erreurs.» ON DEMANDE DE L AIDE Malgré son intérêt pour les pâturages, Pascal raconte que l an dernier l entreprise a connu deux difficultés qui l ont amené à revoir la stratégie alimentaire de son troupeau. «Premièrement, dit-il, notre coût de production était trop élevé et, deuxièmement, j avais beaucoup de problèmes avec mon taux de gras quand j envoyais mes vaches aux pâturages. Ces deux éléments ont eu un effet très négatif sur la situation financière de l entreprise. On faisait à peu près 55 % de la paye qu on aurait dû recevoir et on avait de la difficulté à faire notre quota. La réponse facile des gens : garde tes vaches à l intérieur, tu auras moins de problèmes. Moi, je voulais continuer à les envoyer à l extérieur.» 32
Pour l aider, Pascal appelle donc à la rescousse Christian Bouchard, conseiller Valacta, pour poser un diagnostic et proposer des solutions. Christian procède donc à une analyse des champs, du comptage de cellules somatiques et de la reproduction, et constate que tout est correct de ce côté. Il découvre que le problème principal est lié aux coûts de concentrés. Son diagnostic, après avoir comparé les résultats de l entreprise des années 2012 et 2013 : le ratio lait produit par kilo de concentré est de 2,77 alors que la moyenne provinciale est de 3,1. Les coûts d alimentation sont de 19 $/hl alors que la moyenne est de 14 $. Les propriétaires de la Ferme Lizovais donnent donc trop de moulée à leurs animaux, payent des coûts de concentrés trop élevés, ce qui entraine une marge de profit très réduite. Dès le départ, Christian propose alors de diminuer les quantités de concentrés de près du quart et de laisser de côté la moulée complète pour utiliser plutôt du maïs-grain avec suppléments. Étonné de cette réduction, Pascal questionne Christian qui lui répond : «Fais-moi confiance et fais confiance à tes fourrages.» Sans hésitation, Pascal décide de suivre les recommandations de son conseiller. Les résultats ne tarderont pas à se faire sentir. En effet, les vaches se Malgré le temps qu il lui faut pour mener et aller chercher les animaux aux pâturages, Pascal estime qu il est quand même gagnant au bout du compte. mettent à consommer plus d ensilage pour compenser le demi-kilo de concentrés retranché et les composants laitiers s améliorent. Comme le maïs-grain et suppléments est moins dispendieux que la moulée complète, ce passage permet aussi de réduire les coûts d alimentation. Selon Christian, en plus de cet avantage, on se retrouve avec la meilleure source d amidon. Également, le maïs-grain et suppléments offre plus de flexibilité : même si on change de fourrage, on peut ajuster l alimentation DÉFENDRE DES VALEURS ET LA TERRE Troisième génération sur la ferme, Pascal a intégré l entreprise familiale en 2012. Il a terminé des études en gestion et exploitation d entreprises agricoles à l Institut de technologie agricole de sa municipalité en 2006. Président de la relève agricole de la Côte-du-Sud de 2010 à 2014, il occupe depuis mars de cette année la présidence de la Fédération de la relève agricole du Québec (FRAQ). La hausse du prix des terres est l un des principaux dossiers qui le préoccupent et sur lequel il entend travailler au cours de son mandat. Soulignons que Pascal a aussi été membre de l exécutif de l UPA de la Côte-du-Sud de 2011 à 2013 et conseiller municipal de La Pocatière de 2009 à 2013. Pour l instant, il veut concentrer l essentiel de ses implications aux dossiers de la FRAQ. Pascal et sa conjointe, Émilie Dionne, ont trois enfants : Thomas, 5 ans, Cédric, 2 ans, et Rosalie, 4 mois. 33
la journée même, peu importe la quantité de protéine des fourrages. Pratique quand les vaches commencent à sortir aux pâturages! Aujourd hui, le ratio lait/kg de concentré de la Ferme Lizovais est de 4,06; un résultat qui place facilement l entreprise parmi les meilleures au Québec. Les coûts de concentrés sont passés de 19 $/hl à 11,36 $/hl. En Canadiennes et holsteins se côtoient à la Ferme Lizovais. Gervais Hudon, que l on voit ici, est propriétaire de l entreprise avec son fils Pascal. comparant les moyennes de 2013 et de 2014, on s aperçoit que les taux de gras sont passés de 3,86 à 4,22 pour juin, de 3,70 à 3,96 pour juillet et de 3,72 à 3,97 pour aout. Quant aux taux de protéine, ils sont passés de 3,31 à 3,42 pour juin, de 3,18 à 3,32 pour juillet et de 3,27 à 3,3 pour aout. Selon Pascal, le gros défi quand on envoie ses vaches aux pâturages, c est de maintenir un bon taux de gras du lait. «Aujourd hui, avec environ 6 kg de concentrés par vache, j obtiens de bons résultats et ils m encouragent à continuer. La prochaine étape : travailler à améliorer la production», conclut-il. PORTRAIT DE LA FERME Gervais Hudon et son fils Pascal sont les propriétaires de la Ferme Lizovais de La Pocatière. Leur troupeau mixte comprend 98 têtes au total, dont 36 vaches holsteins et 15 canadiennes. Pur-sang et croisées vivent sous le même toit. Le profil de la portion holstein comprend 7 très bonnes, 21 bonnes plus et 8 bonnes. Dans le groupe des canadiennes, on retrouve 3 excellentes, 3 très bonnes, 8 bonnes plus et 2 bonnes. Se définissant comme «des gars de vaches», Pascal et son père préfèrent se concentrer sur les travaux liés au troupeau et à sa gestion et donner à forfait la plupart des travaux des champs. Hormis les espaces réservés aux pâturages, on retrouve également quelque 110 hectares où l on y cultive les fourrages de la ferme, de l orge et du blé. Bien que l entreprise soit autosuffisante pour les fourrages, les propriétaires achètent les concentrés et vendent un peu de céréales. L an dernier, les Hudon ont installé leur propre appareil de moulange à grains. n 34