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Transcription:

leptospirose l l. interrogans l rongeurs l faune sauvage l bovins dossier Par Geneviève André-Fontaine 1 et Angeli Kodjo 2 1. Ecole nationale vétérinaire de Nantes - BP 40706 - F 44307 Nantes Cedex 03 2. Ecole nationale vétérinaire de Lyon - 1, Av. Bourgelat - F 69280 Marcy-L Etoile andre-fontaine@vet-nantes.fr Leptospirose et troubles de la reproduction chez les bovins La leptospirose est une infection des cheptels aussi fréquente que méconnue. Les temps où l on disait «avortement donc brucellose» sont maintenant considérés comme appartenant au passé. La lutte contre la brucellose, maladie abortive majeure des bovins, a été menée avec suffisamment d efficacité pour qu actuellement la France soit officiellement indemne, même si quelques cas sporadiques sont encore relevés. Malgré tout un taux d avortements de l ordre de 12% dans un cheptel est encore toléré dans la filière bovine, le taux de 5% paraissant inévitable. Les agents infectieux associés aux syndromes d avortement et d infertilité, sont multiples mais le poids relatif de chacun de ces différents agents est d autant plus difficile à estimer qu ils agissent souvent en association. Parmi ces facteurs il faut compter les leptospires. Au cours des 10 dernières années, en France, les praticiens ont suspecté l intervention des leptospires et demandé un diagnostic sérologique pour près de 10 000 cheptels affectés de troubles de la reproduction. Sur environ 30 000 animaux soumis au test de microagglutination (MAT), test de référence de la leptospirose, on trouve une prévalence sérologique de l ordre de 20%. A partir de ces données sérologiques centralisées, on peut apprécier les sérogroupes les plus fréquents auxquels sont exposés les bovins en France (Figure 1) : ainsi 22,6% des animaux ont des anticorps agglutinant Icterohaemorrhagiae, 28,6% Grippotyphosa, 29,6% Sejroe/Hardjo et 30,6% Australis. Il n est pas rare, et souvent en début de réponse immunitaire, que les animaux présentent des anticorps agglutinant plusieurs sérogroupes. Ces données permettent d affirmer que l infection par les leptospires n est pas rare chez les bovins mais pas d établir la fréquence des conséquences pathologiques. Pour répondre à cette question, une étude sérologique castémoin (avortées versus non avortées) menée en RÉSUMÉ Maladie infectieuse très liée à l environnement, la leptospirose est une infection fréquente dans les cheptels bovins. Son action insidieuse, se traduit essentiellement par des troubles de la reproduction sans signes critères permettant d orienter le diagnostic différentiel du praticien. Après infection, les bovins comme de très nombreux Mammifères réservoirs appartenant à la faune sauvage (Rongeurs en particulier) peuvent devenir excréteurs urinaires. La remarquable capacité de survie dans les zones humides de ces bactéries facilite ainsi la diffusion hydrique et la contamination entre espèces sauvages et domestiques, voire même entre cheptels. L Homme exposé à une souche infectieuse peut, en fonction de la dose et du sérogroupe auquel elle appartient, développer une maladie aiguë parfois mortelle si le diagnostic est tardif. En l absence de vaccins disponibles, les éléments épidémiologiques sont déterminants pour la lutte (diagnostic, traitement). 1987 a mis en évidence un risque d avortement augmenté chez les animaux sérologiquement positifs avec un odd-ratio de 2,7 (5). La présence d anticorps agglutinants contre les leptospires, et donc l infection qui les a provoqués, est donc bien un facteur de risque d avortement. L impact 30 25 20 15 10 5 0 IH+ GRIP+ SJ/HJ+ AUS+ sérogroupes/sérovars Figure 1. Répartition des 4 sérogroupes principaux chez les bovins exprimés en pourcentages (nombre de positifs pour un sérogroupe donné rapporté aux 8086 animaux positifs en micro-agglutination). IH : Icterohaemorrhagiae ; GRIP : Grippotyphosa ; SJ/HJ : Sejroe/Hardjo ; AUS : Australis. 53

Leptospirose et troubles de la reproduction chez les bovins chien, en passant par une symptomatologie intermédiaire comme celle observée chez nos animaux de production. Déroulement de l infection 54 des leptospires sur la fertilité proprement dite des troupeaux est encore plus difficile à estimer et les données sur la part précise du rôle des leptospires au niveau de la production bovine française restent fragmentaires. Origine de l infection Les leptospires pathogènes (Leptospira interrogans sl) doivent être différenciés des leptospires saprophytes (Leptospira biflexa sl) constituant une espèce distincte. Si eaux douces et zones humides sont le milieu naturel des leptospires saprophytes, les leptospires pathogènes, infectieux et donc multipliés par leurs hôtes (et non dans l environnement) jouissent malgré tout de remarquables propriétés de survie dans ce même milieu. Les leptospires ne supportent pas la dessiccation mais survivent longtemps dans les eaux douces. Ces propriétés sont des éléments clés de la mise en œuvre de mesures de lutte. Le cycle naturel des leptospires pathogènes comprend donc leurs hôtes (multiplicateurs, cliniquement sensibles ou non) et l environnement. Une autre particularité des leptospires est la diversité des hôtes qu ils peuvent infecter. Ces hôtes appartiennent tant à des espèces sauvages (rongeurs, hérisson, ragondin, sangliers, renards etc..) qu à des espèces domestiques (ruminants, porc, chien). Tous les niveaux de conséquences cliniques individuelles après infection par les leptospires sont possibles en fonction des espèces : de l infection totalement asymptomatique chez le rat et la souris, à la maladie rapidement létale chez le Les leptospires pénètrent dans l organisme par voie cutanéo-muqueuse. Germes très mobiles, ils gagnent la circulation sanguine où ils se multiplient en provoquant éventuellement un pic fébrile. Ils gagnent alors les organes cibles que sont foie et reins et dans une moindre mesure le tractus génital. Chez la vache (14), cette première phase de l infection peut induire une chute brutale de la production du lait qui prend alors une teinte rosée («milk drop syndrom»). La colonisation du foie perturbe le métabolisme hépatique comme la synthèse des porphyrines. Ceci provoque parfois chez certaines races à peau non pigmentée comme la Charolaise, des signes spectaculaires de photosensibilisation avec perte de lambeaux entiers d épiderme (Photo 1). Exceptionnellement chez le veau l atteinte hépatique peut être importante et conduire au développement d un ictère. Ces signes cliniques caractéristiques sont cependant relativement rares et la phase d infection des animaux passe souvent inaperçue car asymptomatique. Les avortements sont des manifestations plus remarquées de la leptospirose bovine. Dans certains cas la gestation est menée à son terme mais la viabilité du produit peut être compromise. Le rôle des leptospires dans les avortements des bovins, estimé à 6 et 10 p. cent respectivement au Canada et aux Etats- Unis (12) est bien identifié dans certains pays européens comme la Grande Bretagne et les Pays-Bas où le sérovar Hardjo (sérogroupe Sejroë) est plus particulièrement relevé. Il existe des variations géographiques, le sérogroupe Pomona, préoccupation du continent américain est peu représenté en Europe de l ouest alors que le groupe Australis y est très présent. D expression encore plus insidieuse, les conséquences de l infection ne sont perceptibles qu au niveau du cheptel. Des signes d infertilité, conduisent à des inséminations répétées, des intervalles sevrages-saillies fécondantes allongés (12). Ainsi dans une enquête cas-témoins réalisée en 2005 sur des élevages bretons, le titre sérologique moyen vis-à-vis du sérogroupe Australis des cheptels à retours tardifs (>25 jours) est significativement plus élevé que celui observé dans le groupe témoin à bonnes performances de reproduction (10). Le mode d action des leptospires est encore obscur : agissent-ils directement par invasion du fœtus ou par altération du placenta, ou encore indirectement par des facteurs de

Cliché : ENVN Cliché : S. Bouisset dossier virulence libérés dans la circulation? Un élément semble important dans le développement d une expression clinique, c est la présence d une co-infection qu elle soit virale par le BVD (13), le BHV1 et peut-être plus récemment par le BTV8, bactérienne Coxiella burnetii (10) ou parasitaire. Ainsi sur 161 fœtus dont 23 p.cent étaient positifs à Neospora caninum, 6 étaient co-infectés par les leptospires (9)(10). En tout état de cause, un animal infecté par des leptospires, qu il exprime ou non des signes cliniques peut devenir un porteur rénal et un potentiel excréteur urinaire, mais le portage peut aussi se situer au niveau du tractus génital, en particulier pour le sérovar Hardjo chez les bovins. L origine de l infection d un cheptel peut être différente en fonction des sérovars. Ainsi si l on admet que les bovins sont les hôtes principaux de Hardjo, le spectre d hôtes d autres sérogroupes comme Australis, Icterohaemorrhagiae ou Grippotyphosa paraît beaucoup plus large (hérisson, mulots, rats musqués, ragondins etc.) (3). L infection d un cheptel peut donc être soit d origine exogène par contact avec un milieu contaminé par ces espèces de la faune sauvage soit lié à l introduction d un bovin porteur bien que ne présentant aucun signe clinique. Tous ces aspects expliquent la difficulté même de la suspicion de leptospirose et par suite de son diagnostic clinique et épidémioclinique. Le laboratoire est une aide précieuse pour établir un diagnostic compte tenu des aspects polymorphes que peut emprunter la leptospirose au sein d un cheptel. Les méthodes bactériologiques classiques d isolement ne sont pas utilisables dans ce cadre, les leptospires étant très fragiles et nécessitant un milieu spécifique EMJH (milieu de Ellinghausen Modifié par Johnson Harris). C est tout l intérêt de la PCR, qui peut mettre en évidence le matériel génétique de bactéries dégradées. Cependant les conditions de prélèvement et d extraction doivent être fortement encadrées (7) pour éviter les erreurs par excès ou par défaut. La méconnaissance des détails chronologiques de la pathogénie des leptospires dans les troubles de la reproduction ne permet pas encore d affirmer de façon absolue que le prélèvement le plus adapté est le fœtus lui-même (et quels organes) ou ses annexes fœtales. Il semblerait que les cotylédons placentaires soient le prélèvement à privilégier en cas d avortement, mais ceci reste à valider. Les méthodes sérologiques permettant le diagnostic indirect de l infection sont encore actuellement les plus pratiquées, notamment la méthode de référence qu est l agglutination microscopique (MAT) (Photo 2). Les anticorps capables d agglutiner l une des Photo 1. Photosensibilisation d une vache charolaise. Photo 2. Test de Microagglutination (MAT) : agglutination d une culture de leptospires en fonction du titre en anticorps agglutinants (minimum cliché inférieur gauche, maximum cliché inférieur droit) différentes cultures de leptospires vivants composant un panel représentatif des sérogroupes sont mis en évidence et quantifiés dans les sérums des animaux (2). Compte tenu de la fréquence de l infection asymptomatique, les résultats ne peuvent être interprétés qu à partir d un échantillonnage d animaux du cheptel et qu à la lumière des commémoratifs cliniques et chronologiques. Des méthodes d agglutination dérivées utilisant des antigènes tués sont commercialisées mais donnent des résultats variables qui s expliquent par l utilisation, lors de leur préparation, d agents inactivateurs altérant les antigènes de surface interférant avec les agglutinines. D autres méthodes en particulier immunoenzymatiques se développent mais les antigènes utilisés sont très différents d un fabricant à l autre : il peut s agir d extrait total soit de leptospires pathogènes, soit de saprophytes porteurs d antigènes réactionnels croisés avec ceux qui réagissent dans le MAT, il peut s agir encore de sous fractions comme des protéines recombinantes sans lien 55

Leptospirose et troubles de la reproduction chez les bovins 56 avec les antigènes lipopolyosidiques impliqués dans le MAT (Lipl32, LipL41), etc. (15, 17). Il convient de prêter attention à la nature des antigènes utilisés pour le diagnostic sérologique car certains kits ELISA par exemple ne permettent de détecter que les anticorps dirigés contre le sérovar Hardjo voire les éventuelles coagglutinines provoquées par une infection en réalité induite par un autre sérogroupe. Ceci limite leur champ d utilisation si l on se réfère aux données de prévalence acquises en France (Figure 1) et peut biaiser la perception de «diagnostic de la leptospirose bovine» demandé par les praticiens, demande qui ne peut préjuger du sérogroupe impliqué. En tout état de cause c est le profil sérologique du cheptel (ou l échantillon représentatif ) qui permet d apprécier le caractère récent et évolutif ou non de l infection leptospirosique responsable des anticorps mis en évidence. On entend par «profil» les aspects qualitatifs (sérogroupes) mais aussi quantitatifs c est à dire la prévalence intracheptel et les titres obtenus sur les différents animaux pour les différents sérogroupes. Méthodes de lutte En milieu infecté Quand l infection est confirmée et patente, on peut traiter le cheptel par des antibiotiques auxquels les leptospires sont très sensibles in vitro : pénicillines, dihydrostreptomycine, cyclines (1, 11). Les doses usuelles sont généralement 12,5mg/kg pour la streptomycine, 10 à 15 mg/kg deux fois par jour pour les tétracyclines, 20mg/kg à 48 heures d intervalle pour la TLA. Néanmoins, les résultats in vivo peuvent être différents et le bénéfice du recours à ce traitement doit être analysé en fonction du poids financier direct car il est alors nécessaire de traiter à l aveugle l ensemble du cheptel, les animaux qui avortent n étant pas nécessairement les plus dangereux épidémiologiquement sans oublier les pertes associées aux délais d attente, et enfin tenir compte du fait que le cheptel peut se recontaminer si la source se trouve dans l environnement. (16) Les méthodes sanitaires de base ont comme premier objectif de maîtriser les réservoirs de leptospires. Elles doivent au premier chef se focaliser sur les espèces reconnues réservoirs principaux. Le groupe des rongeurs est considéré comme le réservoir majeur des leptospires avec Icterohaemorrhagiae chez le surmulot, Grippotyphosa chez les micromammifères, Australis chez le hérisson mais de nombreuses espèces peuvent être des hôtes amplificateurs pour des souches dont ils ne sont pas les réservoirs principaux. Leur rôle épidémiologique peut être déterminant en fonction de l importance de leur population comme le ragondin par exemple mais les données sont incomplètes pour de nombreuses espèces de notre faune sauvage. Par ailleurs, certaines espèces domestiques peuvent jouer un rôle de réservoir tout aussi efficace pour certains sérovars. Si la circulation du sérovar Hardjo a été relevée chez des animaux de la faune sauvage (3-16) qu il s agisse de Hardjo bovis isolé en Amérique du Nord et appartenant à l espèce génomique L. borgpetersenii ou de Hardjo prajitno (espèce génomique L. interrogans ss) au Royaume Uni, les bovins seraient le véritable réservoir de Hardjo. La gestion sanitaire d une leptospirose évolutive confirmée dans un cheptel bovin, à l exclusion de traces sérologiques anciennes, doit donc prendre en compte les deux sources possibles de cette infection qu elle soit exogène (environnement et faune sauvage) ou endogène (bovin porteur et excréteur asymptomatique). Elle repose de toutes façons sur des mesures de dératisation des élevages et contrôle des populations de micromammifères, qui peuvent jouer un rôle d hôte amplificateurs pour des souches éliminées par des bovins, des mesures d assainissement du mode d abreuvement et du stockage des aliments afin de diminuer la pression infectieuse à laquelle sont exposés les animaux. Mais si la maîtrise de la circulation intra-cheptel peut être réalisée en stabulation avec l aide ponctuelle du traitement antibiotique (malgré ses inconvénients), on comprend que la maîtrise du vaste réservoir sauvage que constitue les rongeurs et l environnement est illusoire et quand l impact sur la production bovine est réellement appréhendé, certains pays recourent à l utilisation de vaccins contre les leptospires. Plusieurs préparations vaccinales à usage bovin existent, aucune, bien qu une AMM ait été délivrée récemment, n est commercialisée actuellement en France. Les vaccins actuels contre la leptospirose animale (ou humaine) sont tous des suspensions de bactéries tuées avec ou sans adjuvant et leur objectif est d induire chez le vacciné la production d anticorps agglutinants (mis en évidence par le MAT) et dirigés contre les antigènes de la membrane externe des leptospires. Cependant compte tenu de la multiplicité de ces déterminants, objectivée par l existence de l ancienne classification sérologique des leptospires, il convient d adapter la composition du vaccin aux conditions épidémiologiques des pays concernés. Comme pour le chien (Icterohaemorrhagiae et Canicola), ces préparations peuvent donc

Cliché : ENVN dossier être composées de plusieurs sérovars ou au contraire se limiter à un seul, considéré comme majeur. Ainsi dans les zones où Pomona est très important comme en Amérique du Nord ou en Australie, une préparation pentavalente (Lepto Shield 5 ND) comportant ce sérovar est utilisée. En Europe, seul le sérovar Hardjo est pris en compte (6, 8) pour la vaccination des bovins (Spirovac et Leptavoid ). Ces préparations sont adjuvées et administrées en 2 injections à intervalle de 4 à 6 semaines pour la primovaccination. Expérimentalement ces vaccins provoquent également pendant plusieurs mois une importante réponse Th1 avec production d interféron gamma (8, 17). Le recours à la vaccination par Hardjo est indiqué si à la suite d une série d avortements, d une chute brutale de la production de lait ou de l observation d un déficit du taux de fécondité d un cheptel, le rôle, seul ou associé, des leptospires de ce sérovar est confirmé. Au niveau individuel, la vaccination induit une réponse humorale spécifique des sérovars composant le vaccin. Néanmoins la présence d anticorps colostraux chez le veau de 4 semaines risque de retarder l installation de la protection (18). Le rôle essentiel de la vaccination est de limiter le portage et l excrétion urinaire (6), permettant ainsi de réduire la pression infectieuse à laquelle sont exposées génisses et primipares, catégories d animaux particulièrement sensibles à une primo infection. La maîtrise des autres facteurs infectieux associés (BVD, Néosporose, etc..) doit aussi être prise en compte. L intérêt princeps de la vaccination ne réside pas dans la protection individuelle mais bien dans l amélioration des performances globales économiques de l élevage en restaurant en particulier une fertilité satisfaisante, et en diminuant le nombre d animaux excréteurs asymptomatiques, elle réduit les risques de contamination entre animaux. Employée largement au Royaume Uni, la vaccination des cheptels infectés a limité le risque de diffusion du sérovar infectant vers les élevages indemnes. Outre la réponse sérologique spécifique, la vaccination stimulant une bonne réponse Th1 provoque une immunité cellulaire de spécificité moins restreinte que l immunité humorale (8) qui pourrait être un appoint intéressant dans les cas de leptospirose provoquée par d autres sérovars que ceux pour lesquels les préparations sont produites (1). En milieu non infecté En milieu non infecté, l introduction d un reproducteur, éventuel porteur et excréteur, peut être une source d infection. Le contrôle sérologique de cet animal par le MAT donne une indication de son statut sanitaire par rapport aux leptospires mais en aucun cas une certitude si, comme pour de nombreuses maladies infectieuses, celui du cheptel est inconnu. L animal peut être sérologiquement positif sans être porteur. C est pourquoi l OIE recommande deux injections de streptomycine à 15 jours d intervalle sur de tels animaux. La leptospirose zoonose (3, 4) En France métropolitaine, quelque 300 cas annuels de leptospirose sont diagnostiqués chez l Homme. La majorité des contaminations ont pour origine les eaux douces environnementales, que ce soit lors d activités professionnelles ou de loisir. Si des mesures d hygiène de base sont observées visà-vis des bovins y compris lors d avortement, le risque de contamination des éleveurs et des vétérinaires est limité. Néanmoins, la charge infectieuse présente dans l environnement (mares, abreuvoirs) ne peut pas être ignorée. Conclusion Du fait de son caractère zoonotique (4) et de son poids économique, la leptospirose des animaux d élevage fait l objet de l attention de l OIE (Organisation Mondiale de la Santé Animale) (19) qui la prend en compte lors des échanges internationaux d animaux. En revanche elle ne fait pas l objet de contrôles réglementaires dans les échanges entre pays de l Union Européenne, ce qui n empêche pas certains importateurs de demander quelques garanties à son sujet. Photo 3. Contamination des animaux à partir de l environnement souillé par l urine d un animal excréteur. 57

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