Consommation, épargne et investissement



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Chapitre 1 Consommation, épargne et investissement Dans les pays en développement, la dépense de consommation représente une part très grande de la dépense privée ; aussi, comprendre ses déterminants est important pour l analyse économique à court et à long terme. Le rôle que joue la fraction du revenu non dépensée l épargne est aussi essentiel : il continue de financer une grande part de l investissement domestique dans la plupartdespaysendéveloppement.commelemontrelechapitre10,lestaux d épargne sont aussi fortement correlés aux taux de croissance économique dans le temps et dans les pays. Dans une perspective de politique économique, comprendre les structures et déterminants de la consommation, de l épargne et de l investissement peut être un pas crucial dans la conception des mesures destinées à accroître les niveaux de vie. La figure 1.1 montre certains faits de base des taux d épargne et d investissement dans le monde. Les données suggèrent que dans les pays en développement, les taux d épargne domestique brutes sont généralement plus élevés que ceux qu on observe dans les pays industrialisés (à l exception du Japon). Dans les régions en développement, les taux d épargne sont plus élevés en Asie, atteignant presque 30% du produit intérieur brut (PIB) sur la période 1992-1997. Un profil semblable s observe pour l investissement intérieur brut : alors que les taux d investissement sont demeurés plus ou moins stables en Amérique Latine et aux Caraïbes, en Afrique et au Moyen-Orient, ils ont crû substantiellement en Asie 1.Ladifférence entre l épargne intérieure 1 La figure montre aussi qu en Afrique, depuis le milieu des années 1970, les taux d é- 10

11 Chapitre 1 et l investissement intérieur l épargne extérieure a été particulièrement grande en Afrique. La première partie de ce chapitre se concentre sur les déterminants de la consommation et l épargne dans les pays en développement. Elle commence parunerevuedel hypothèsedurevenupermanentainsiquelemodèledu cycle de vie et certains de ses prologements. Elle considère ensuite les différents facteurs que les études empiriques ont identifié commejouantunrôle important dans les économies en développement : le niveau du revenu et la variabilité du revenu, les relations inter-générations, les contraintes de liquidités (qui proviennent des imperfections du marché du crédit), l inflation et l instabilité macro-économique, le comportement d épargne du gouvernement, la charge de la dette extérieure, les systèmes de sécurité sociale et de pensions, les variations des termes de l échange, et l effet du développement financier. Le résultat empirique de ces différents effets est ensuite analysé. La deuxième partie se concentre sur les déterminants de l investissement privé. Deux effets standards sont d abord passés en revue : l effet de l accélérateur flexible et le coût du capital. L accent récent mis sur le rôle de l incertitude et de l irréversibilité est ensuite pris en compte. Comme dans le cas de la consommation et de l épargne, plusieurs facteurs supplémentaires identifiés dans les études empiriques comme jouant un rôle important sont analysés : rationnement du crédit et contrainte de changes, le taux de change réel, l investissement public, l instabilité macro-économique, et le montant total de la dette. Plusieurs études empiriques récentes sont ensuite passées en revue. 1 Consommation et épargne L approche la plus simple du comportement de consommation et d épargne est l approche dite Keynésienne, qui fait l hypothèse que la consommation courante, c, est une fonction du revenu disponible, y T,oùy est le revenu courant et T, le niveau des taxes : avec 0 < θ < 1 la propension marginale à épargner. c =(1 θ)(y T ), (1) pargne et d investissement ont chuté de façon brutale. Comme on l analyse dans les chapitres suivants, ces phénomènes ont des implications importantes sur les taux de croissance économique observés.

Consommation, Epargne et Investissement 12 L approche simple (et quelque peu mécanique) décrite par l équation (1) a certains mérites. D abord, elle peut servir de première approximation dans les modèles macro-économiques empiriques. Ensuite, comme indiqué plus loin, elle peut refléter le comportement des consommateurs confrontés aux contraintes de liquidités. Cependant, plusieurs résultats empiriques sur les structures de la consommation et de l épargne dans les pays en développement ont souligné le rôle des facteurs intertemporels, c est-à-dire le rôle que jouent les choix des ménages entre le présent et le futur. 1.1 L Hypothèse du revenu permanent L hypothèse du revenu permanent (HRP), comme le modèle du cycle de vie analysé à la section 1.2, relie la consommation courante à une mesure du revenu permanent ou revenu disponible au cours de la vie. Cette hypothèse a été proposée pour la première fois par Friedman (1957). Pour illustrer ses implications, considérons un cadre simple dans lequel les ménages sont identiques et ne vivent que pendant deux périodes, 1 et 2. Par simplicité, les ménages sont dotés d anticipations parfaites ; par conséquent, à la période1,ilsconnaissentdefaçoncertainelesvaleursdurevenu,desprix, etc. de la période 2. Mesurée en termes nominaux, la contrainte budgétaire du ménage représentatif pour la période 1 est donnée par p 1 c 1 + p 1 A 1 = p 1 (y 1 T 1 )+(1+i 0 )p 0 A 0, (2) où c 1 représente la consommation, A 0 le stock initial (fin de la période précédente) d actifs financiers, A 1 lesactifsàlafin delapériode1,y 1 revenu des facteurs (ou dotation), T 1 les taxes, i 0 le taux nominal des rendements des actifs détenus à la période initiale et p 0 (p 1 ) l indice des prix à la période initiale (période 1). L équation (2) peut être réécrite de la façon suivante : p 1 A 1 p 0 A 0 = i 0 p 0 A 0 + p 1 (y 1 T 1 ) p 1 c 1. Ce qui indique essentiellement que la variation des actifs, p 1 A 1 p 0 A 0,est égale à la somme du revenu tiré des interêts et du revenu hors intérêts, i 0 p 0 A 0 + p 1 (y 1 T 1 ), moins les dépenses de consommation, p 1 c 1. De façon similaire, la contrainte budgétaire pour la période 2 est donnée par :

13 Chapitre 1 p 2 c 2 + p 2 A 2 = p 2 (y 2 T 2 )+(1+i 1 )p 1 A 1, (3) avec y 2 en général différent de y 1. Le ménage ne vit que pendant deux périodes et ne laisse aucune richesse nette à ses héritiers (c est-à-dire aucun legs). Par conséquent, A 2 =0 2. Supposons aussi qu il n y ait pas d illusion monétaire ; les contraintes budgétaires d une période à l autre des équations (2) et (3) peuvent être écrites en termes réels en divisant, respectivement par, p 1 et p 2. La contrainte budgétaire de la première période devient où r 0 est le taux d intérêt réel, défini par c 1 + A 1 = y 1 T 1 +(1+r 0 )A 0, (4) 1+r 0 =( p 0 p 1 )(1 + i 0 ). De façon similaire, la contrainte budgétaire à la période 2, étant donné A 2 =0,devient c 2 = y 2 T 2 +(1+r 1 )A 1, (5) où maintenant 3 1+r 1 =( p 1 )(1 + i 1 ). (6) p 2 En éliminant A 1 de l équation (4) en utilisant (5) on obtient la contrainte budgétaire au cours de la vie du consommateur : c 1 + c 2 =(1+r 0 )A 0 +(y 1 T 1 )+ y 2 T 2. (7) 1+r 1 1+r 1 Dans sa forme la plus simple, le HRP postule que l objectif du ménage est de maintenir un sentier de consommation parfaitement stable (dans le cas présent c 1 = c 2 ) en répartissant les ressources acquises au cours de sa viedefaçonégaleentrechaquepériodedesavie.lapartconsomméepar 2 Pour que la condition A 2 =0soit optimale du point de vue du ménage, on doit faire l hypothèse que l utilité marginale de la consommation (comme définie à la section 1.2.1) à la deuxième période est positive. 3 En prenant les logarithmes népériens de l équation (6), il en résulte que : ln(1 + r 1 )= ln(1 + i 1 ) ln(p 2 /p 1 ). En utilisant l approximation ln(1 + x) ' x, pourx petit, on obtient r 1 ' i 1 ln p 2 ; c est-à-dire que le taux d intérêt réel est approximativement égal au taux nominal de rendement moins le taux d inflation de la période suivante.

Consommation, Epargne et Investissement 14 le ménage dans chaque période est égale à son revenu permanent, y P,qui peut être défini comme une valeur annuité (au sens d un paiement régulier etpériodique)delasommedesactifsdétenusparleménageetlavaleur présente actualisée du revenu futur (attendu). Formellement, y P est obtenu comme le niveau de revenu qui donne au ménage la même valeur présente de ses ressources acquises au cours de la vie que celle qu implique la contrainte budgétaire intertemporelle courante, c est-à-dire, en utilisant (7) : y P + y P 1+r 1 =(1+r 0 )A 0 +(y 1 T 1 )+ y 2 T 2 1+r 1. (8) Dans le cas particulier où r 0 = r 1 = r, le revenu permanent est y P =( 1+r 2+r ) ½ (1 + r)a 0 +(y 1 T 1 )+ y 2 T 2 1+r Si en outre, le stock initial des actifs est nul (A 0 =0)etsiletauxd intérêt est nul (r =0), le revenu permanent devient une moyenne exacte des revenus disponibles présent et futur : y P =[(y 1 T 1 )+(y 2 T 2 )]/2. La différence entre le revenu courant et le revenu permanent est généralement définie comme le revenu transitoire. Commec 1 = y P, l épargne (qui dans ce cadre simplifié n intervient qu à la période 1) n est rien d autre que la composante transitoire du revenu disponible courant : ¾. s 1 =(y 1 T 1 ) y P. (9) Comme on l analys ci-dessous, dans les pays en développement, la prédiction selon laquelle le revenu transitoire est entièrement épargné ou plus généralement, que l épargne et les emprunts sont utilisés uniquement aux fins deconsommation objectifsdelissage aétéàlabasedenombreuxtests empiriques de l hypothèse HRP. 1.2 LeModèleducycledevie L approche en termes de cycle de vie du comportement de la consommation et de l épargne, proposée pour la première fois par Modigliani et Brumberg (1954) et Ando et Modigliani (1963) postule que les individus lissent leur

15 Chapitre 1 consommation dans le temps en prenant en compte les variations anticipées de leurs ressources, induites par le niveau d instruction et l âge, aussi bien que les variations des taux de rendements (attendus) de leur épargne. La figure 1.2 illustre le fait stylisé du revenu, de la consommation et de l épargne que prédit le modèle standard du cycle de vie pour un individu représentatif, sous les hypothèses des marchés de crédits parfaits. Au cours de la première partie de sa vie, un individu type gagne relativement peu et consomme une part relativement grande de biens ; en conséquence, sa consommation est supérieure à ses revenus et donc il emprunte. Comme le revenu augmente avec le niveau d instruction et l âge, l individu atteint un point où il n a plus besoin d emprunter (point A) ; au delà de ce point, l épargne devient positive. Cependant, au delà d un certain âge, le revenu commence à baisser ; la consommation augmentant à un taux plus faible, l épargne continue à augmenter pendant un moment mais commence éventuellement aussi à baisser. Une fois l âge de la retraite atteint, le revenu baisse (de la distance BB 0 )à un niveau en dessous de la consommation. Si la réduction du revenu n est pas anticipée, la consommation baisse brutalement au moment de la retraite, de C à C 0. Si au contraire, la baisse des ressources est parfaitement anticipée, la consommation commence à décliner de façon régulière avant que l âge de la retraite ne soit atteint, sans aucune variation discrête à ce point. Dans tous les cas, l individu doit désépargner afin de maintenir sa consommation proche de ses besoins jusqu à son décès. LeCadredebase Analytiquement, les implications de l approche en termes du cycle de vie peuvent être illustrées dans le même cadre que celui à deux périodes présenté plus haut 4. Supposons, comme précédemment, que le ménage représentatif ne laisse pas de legs ; en conséquence, A 2 =0.Lacontrainte budgétaire du cycle de vie du ménage, l équation(7),peutêtreréécritecommesuit: c 1 + c 2 = W 1, (10) 1+r 1 où W 1 peut être défini comme la richesse au cours du cycle de vie. Notons que W 1 dépend directement de r 1 ; en particulier, une augmentation de r 1 (pour y 2 T 2 donné), réduit la valeur présente du revenu futur et réduit donc W 1. Par conséquent, dw 1 /dr 1 < 0. 4 La présentation suivante est tirée en partie de Muellbauer (1994).

Consommation, Epargne et Investissement 16 Supposons maintenant que les préférences du ménage sont intertemporellement additives, c est-à-dire que son utilité au cours de la vie, U, est la somme de l utilité de la consommation résultant de la période 1, u(c 1 ), plus l utilité de la consommation à la période 2, u(c 2 ), actualisée au taux subjectifdepréférencetemporelle, ρ > 0. Formellement, U = u(c 1 )+ u(c 2) 1+ρ, (11) où la fonction d utilité dérivée u( ) est supposée croître avec c mais à un taux décroissant, c est-à-dire, u 0 > 0 et u 00 < 0. Lavaleurdeρ mesure le degré d impatience ; plus elle est élevée, plus faible est l utilité qui résulte de la consommation future. La maximisation de (11) par rapport à c 1 et c 2 sous la contrainte budgétaireducycledevie(10)peutêtreeffectuée en formant l expression Lagrangienne L = u(c 1 )+ u(c ½ 2) 1+ρ λ c 1 + c ¾ 2 W 1, 1+r 1 où λ est le multiplicateur de Lagrange (voir, par exemple, Chiang, 1984, pp. 372-375). Les conditions d optimum de premier rang sont données par u 0 (c 1 )=λ, u 0 (c 2 )/(1 + ρ) =λ/(1 + r 1 ). En combinant ces deux équations, il en résulte que u 0 (c 1 )= 1+r 1 1+ρ u0 (c 2 ), (12) expression connue sous le nom d équation de Euler. Cette équation indique essentiellement que l utilité marginale de la consommation à la période courante doit être égale à l utilité marginale de la consommation à la période suivante, pondérée par le ratio du taux d intérêt du marché et du taux de préférence intertemporel subjectif 5. 5 La dérivée traite r 1 et y 2 T 2 comme des termes déterministes. Sous des hypothèses plus générales, l équation d Euler continue d avoir la forme indiquée à l équation (12), mais avec le terme u 0 (c 2 ) à la partie droite de l équation apparaissant sous forme de valeur attendue.

17 Chapitre 1 Dans le cas particulier où le taux de préférence intertemporelle est égale au taux de rendement réel (ρ = r 1 ), l équation (12) devient u 0 (c 1 )=u 0 (c 2 ), ce qui implique que c 1 = c 2. (13) Le ménage maintient donc un sentier de consommation complètement lisse sur les périodes, comme dans la forme simple de l hypothèse HRP analysée précédemment. Par exemple, avec des préférences logarithmiques, l utilité au cours de la vie est donnée par : U =lnc 1 + ln c 2 1+ρ, et l équation d Euler est 1/c 1 =( 1+r 1 1+ρ )(1/c 2), ce qui entraîne encore que c 1 = c 2 si ρ = r 1. En substituant l équation (13) dans la contrainte budgétaire du cycle de vie (Equation (10)), il en résulte que c 1 = W 1 κ 1, κ 1 1+ 1 1+r 1, (14) où κ 1 est l inverse de la propension marginale à consommer la richesse 6. Une autre spécification est le cas des préférences caractérisées par une élasticité de substitution constante (CES), dans laquelle l utilité au cours du cycle de vie est donnée par : U = ( c α 1 + c α 2 1+ρ ) 1/α, (15) où α > 1 l élasticité de substitution entre la consommation de la période 1 6 Comme le montre l équation (14), κ 1 dépend uniquement du taux d intérêt réel ; en présence de legs, la propension marginale à consommer la richesse (par exemple pour les ménages retraités) serait généralement plus petite.

Consommation, Epargne et Investissement 18 et la période 2, σ, est donnée par 7 σ = 1 1+α. L expression Lagrangienne devient maintenant L = ( c α 1 + c α 2 1+ρ ) 1/α ½ λ c 1 + c ¾ 2 W 1. 1+r 1 Les conditions d optimum de premier ordre sont maintenant données par (c 1 /U) (1+α) = λ, (c 2 /U) (1+α) = λ(1 + ρ)/(1 + r 1 ), expression qui peut être réagencée et donner l équation d Euler suivante : c 1/σ 1 = (1 + r 1) 1+ρ c 1/σ 2. (16) En utilisant les logarithmes des deux côtés de l équation, il en résulte que ln( c " 2 )=ln 1+ (c # 2 c 1 ) = σ ln( 1+r 1 c 1 c 1 1+ρ ), C est-à-dire qu en utilisant l approximation ln(1 + x) ' x,on obtient : (c 2 c 1 ) c 1 ' σ(r 1 ρ). (17) L équation (17) montre que l élasticité de substitution mesure la sensibilité de la variation de la consommation entre les deux périodes aux variations intertemporelles des prix, c est-à-dire au taux d intérêt réel. Plus l élasticité de substitution est élevée, plus grande sera la réduction de la consommation courante (relativement à la consommation future) induite par une hausse du taux d intérêt réel. 7 De façon formelle, l élasticité de substitution entre c 1 et c 2 est définie comme la variation proportionnelle du ratio de consommation c 2 /c 1 associée à une unité de changement proportionnel du ratio des utilités marginales u 0 (c 1 )/u 0 (c 2 ), en maintenant l utilité totale constante.

19 Chapitre 1 En élevant les deux termes de l expression (16) à la puissance σ,ilen résulte que : ( ) σ 1+r1 c 2 = c 1. (18) 1+ρ Encombinantcerésultataveclacontraintebudgétaireducycledevie, équation (10), cela donne une équation similaire à (14), c 1 = W 1 κ 1, mais κ 1 est maintenant donné par ( ) σ ½ ¾ 1 1 1 σ κ 1 =1+. 1+ρ 1+r 1 Si les valeurs de ρ et r 1 sont suffisamment petites, κ 1 peut être approximé par 8 1 κ 1 =1+ (1 + ρ) σ (1 + r 1 ) ' 1+ 1. (19) 1 σ 1+σρ +(1 σ)r 1 Cette expression a plusieurs implications : Si le taux de préférence temporelle et le taux d intérêt du marché sont égaux (ρ = r 1 ), les variations de l élasticité de subtitution intertemporelle n ont pas d effets sur κ 1 [qui est donc égale à sa valeur donnée dans l équation (14), 1+1/(1 + r 1 )]. Lesignedel effet d une augmentation de r 1 sur κ 1 est Ce qui montre que : sg(dκ 1 /dr 1 ) = sg(1 σ), Une variation du taux d intérêt n a pas d effet sur κ 1 (dκ 1 /dr 1 =0) si σ est égale à l unité. 8 Supposons que x =(1+ρ) σ (1+r 1 ) 1 σ 1; le deuxième terme de droite de la première expression est donc 1/(1 + x). En utilisant l approximation x ' ln(1 + x), pourx petit, il en résulte que x ' ln(1 + ρ) σ (1 + r 1 ) 1 σ ' σρ +(1 σ)r 1, Ceci peut être substitué dans l expression 1/(1 + x) et donner le résultat qu on retrouve dans le texte.

Consommation, Epargne et Investissement 20 En général, dκ 1 /dr 1 est ambigu ; l effet d une variation du taux d intérêt sur l épargne est donc en général indéterminé en raison du conflit entre l effet de substitution et l effet de revenu 9. Si σ est inférieur à l unité, dκ 1 /dr 1 < 0. Comme on l a montré précédemment, puisque dw 1 /dr 1 est aussi négatif, une augmentation du taux d intérêt, dans ce cas, a un effet total ambigu sur la consommation et l épargne au cours de la première période. Si, au contraire, σ est supérieur à l unité, dκ 1 /dr 1 > 0 ; et comme dκ 1 /dw 1 < 0, une augmentation de r 1 réduit sans ambiguïté la consommation (dc 1 /dr 1 < 0) etaugmente l épargne. Plus le degré de substitution intertemporelle σ est élevé, plus grand sera l effet marginal d une variation du taux d intérêt sur la consommation et l épargne ( [dκ 1 /dr 1 ]/ σ > 0). Si le degré de substitution intertemporelle σ est zéro et le revenu disponible à la période 2 est égale au niveau du revenu de la période 1 (y 2 T 2 = y 1 T 1 ), alors κ 1 =1+1/(1 + r 1 ) et c 1 = W 1 κ 1 = (1 + r 0)A 0 1+1/(1 + r 1 ) +(y 1 T 1 ), (20) Ce qui montre qu une hausse du taux d intérêt réel, r 1,enaugmentant le rendement du niveau des actifs, accroît la consommation courante. Si l élasticité de substitution σ est positive etqueleniveauinitialdes actifs est de nul (A 0 =0), et avec un revenu disponible à la période 2 égale au niveau de celui de la période 1, alors : c 1 = κ 1 1 (y 1 T 1 )+ y 2 T 2 1+r 1 Ce qui implique qu une augmentation du taux d intérêt a sans ambiguïté un effet négatif sur la consommation. Par implication, de grandes variations du niveau des actifs dans le temps peuvent rendent difficiles l utilisation des techniques de séries temporelles pour détecter un effet agrégé stable du taux d intérêt réel sur l épargne 10. 9 Il est peu probable qu avec un faible ratio actifs/revenu, l effet global soit positif. 10 Comme on l analyse plus loin, un effet faible et instable du taux d intérêt réel est compatible avec les résultats des pays en développement.,

21 Chapitre 1 Age et ratio de dépendance Le modèle du cycle de vie prédit que, dans une population donnée, les jeunes épargneront relativement peu car ils anticipent des augmentations de leurs revenus futurs. Les individus d âge intermédiaire, qui approchent le niveau maximum de leur revenu sont ceux qui ont tendance à épargner le plus par anticipation des revenus relativement faibles qu ils auront après leur retraite. Les personnes âgées ont tendance à avoir un taux d épargne faible voire négatif, bien que le désir de laisser un héritage (un legs) ou de faire face àl éventualité de vivre plus longtemps qu espéré pourrait être un motif d épargne même après la retraite. Par conséquent, le taux d épargne globale tendra à baisser en réponse à une augmentation soit du ratio de dépendancejeunesse (c est-à-dire, le ratio du groupe d âge de moins de 20 ans sur le groupe de 20 à 64 ans) ou du ratio du groupe des personnes âgées sur le groupe de population en âge de travailler. Pour évaluer formellement l influence de l âge dans le modèle du cycle de vie décrit plus haut, considérons le cas où l horizon temporel du ménage est T > 2. En plus des résultats similaires à ceux obtenus précédemment, on peut montrer que l inverse de la propension marginale à consommer les actifs, κ 1, varie avec l horizon temporel et donc avec l âge (Muellbauer, 1994). Supposons que le taux d intérêt réel est constant dans le temps, r, etqueles valeurs de ρ et r sont suffisamment petites ; dans le cas particulier d une fonction d utilité CES, κ 1 est donné non pas par l équation (19) mais par : κ 1 =1+µ + µ 2 +... + µ T 1 = 1 µt 1 µ, (21)

Consommation, Epargne et Investissement 22 où 11 1 µ = (1 + ρ) σ (1 + r 1 ) ' 1 1 σ 1+σρ +(1 σ)r. (22) Sileménagegagnelemêmerevenusurlesdeuxpériodes(y 2 = y 1 ), et si le taux de préférence temporelle et le taux d intérêt sont égaux (ρ = r), la consommation à la période 1 sera donnée par : c 1 = W 1 = (1 + r 0)A 0 +(y 1 T 1 ). κ 1 κ 1 Dans de telles conditions, l effet de l âge sur la consommation opérera entièrement à travers κ 1. Supposons, par exemple, que ρ = r =0.04. Alors de l équation (22), µ =1/(1 + r) =0.96, et de l équation (21), il en résulte que : κ 1 T =10 =8.5, κ 1 T =20 =14.2, κ 1 T =40 =20.7. Ces résultats montrent que l inverse de la propension marginale à consommer la richesse augmente avec l horizon temporel ; autrement dit, les jeunes, dont l horizon temporel est plus long, ont une propension à consommer les actifs plus faible que celle des personnes plus âgées 12. 11 Considérons, par exemple, le cas où T =3. La fonction d utilité CES, Equation. (15) peut être écrite de la façon suivante : ½ ¾ 1/α U = c α 1 + c α 2 1+ρ + c α 3 (1 + ρ) 2, et la contrainte budgétaire au cours de la vie, Equation (10) devient c 1 + c 2 c 3 + 1+r 1 (1 + r 1 ) 2 = W 1. Les conditions de premier ordre sont données par l Equation (18) c 3 =[(1+r 1 )/1+ρ] 2σ c 1. En combinant ces résultats avec la contrainte budgétaire au cours de la vie ci-dessus, on obtient c 1 = W 1 /κ 1, où maintenant κ 1 =1+µ + µ 2, où µ est défini dans l équation (22). Le dernier terme de cette expression est l approximation effectuée auparavant [Voir Eq. (19)]. La généralisation des expressions ci-dessus au cas où T>3 s effectue simplement. 12 Notons que la différence entre la propension marginale à consommer des personnes âgées et celle des jeunes augmente à mesure que le taux d escompte moyen baisse.

23 Chapitre 1 Ce résultat est important car il implique qu à un niveau agrégé, la distributiondesactifsentrelesjeunes,lespersonnesd âgeintermédiaireetles personnes âgées importe pour les profils de la consommation et de l épargne. Ce problème est central quant à la question des effets de la croissance du revenu réel par tête sur le comportement de l épargne agrégée. Toutes choses égales par ailleurs, plus la part de la richesse totale détenue par les ménages d âge intermédiaire (ceux dont le revenu est le plus élevé) dans tout pays donné, plus grand est le taux d épargne, et plus le taux de croissance du revenu est élevé (Voir chapitre 12). Cependant, comme on l analyse plus bas, en présence des contraintes d emprunts, toutes choses n est pas égales par ailleurs. En outre, les facteurs démographiques tels que la part de la population active relativement à la population des personnes retraitées expliquent probablement uniquement les tendances à long-terme de l épargne, mais pas les fluctuations de court-terme de la propension à épargner. 1.3 Autres déterminants La littérature analytique et empirique du comportement de la consommation et de l épargne dans les pays en développement a souligné les différentes limites des modèles standard du revenu permanent et du cycle de vie décrits dans les sections précédentes et a offert différents prolongements. Cette section passe en revue les facteurs supplémentaires les plus importants qui ont été identifiés au plan empirique comme des facteurs significatifs dans la compréhension de la consommation et de l épargne dans les pays en développement. Niveaux du revenu et incertitude du revenu La recherche empirique récente a souligné le fait qu à des faibles niveaux ou à des niveaux de revenu de subsistance, le taux d épargne est aussi faible. Commelemontrelechapitre10,àmesurequeleniveaudurevenuaugmente, le taux d épargne aussi augmente. Ce résultat a deux implications : Dans les pays à revenu faible, la réponse de l épargne aux variations des taux d intérêt réels est probablement faible. Une réponse significative de l épargne des ménages tend à n apparaître qu à des niveaux de revenu substantiellement supérieurs au niveau de subsistance (Ogaki, Ostry et Reinhart, 1996). Ce résultat a des implications importantes

Consommation, Epargne et Investissement 24 pour les politiques destinées à stimuler l épargne financière à travers la libéralisation du taux d intérêt (Voir chapitre 15). Les variations de la distribution du revenu, induites par exemple par des politiques d imposition redistributives, peuvent avoir des effets importants sur les taux d épargne mesurés à un niveau agrégé. Dans les pays en développement, les revenus de nombreux ménages proviennent de l agricultture ; mais dans ce secteur, les revenus peuvent être sujets à des fluctuations relativement fortes résultant des variations des conditions climatiques ou des variations des prix domestiques et internationaux des produits agricoles. Ces sources d incertitude du revenu sont souvent aggravées par l instabilité macro-économique et la vulnérabilité aux chocs extérieurs 13. En général, l incertitude accrue en ce qui concerne le revenu futur accroîtra le motif d épargne de précaution (Voir l appendice de ce chapitre, Caballero, 1990 et Deaton, 1992), bien que dans un environnement macro-économique très instable, l incertitude accrue peut réduire l épargne par l intermédiaire de son effet sur la variabilité des taux de rendement. Liens intergénérationnels Certains auteurs comme Gersovitz (1988), ont affirmé que la grande importance des relations de la famille élargie peut impliquer que les liens intergénérationels soient probablement forts dans les pays en développement. Il y a deux canaux par lesquels de tels liens peuvent affecter le comportement de consommation et d épargne. Ils peuvent affecter les préférences des ménages en affectant, par exemple, le degré auquel l utilité marginale de la consommation décroît avec le niveau de consommation, ou en accroissant le taux de préférence temporelle. Ils peuvent allonger l horizon effectif de planning sur lequel les ménages prennent leurs décisions de consommation et d épargne. 13 Les taux d épargne plus élevés enregistrés dans les pays à faible inflation en Asie par exemple, montre l importance d un environnement macro-économique stable.

25 Chapitre 1 Contraintes de liquidités Le lissage intertemporel de la consommation requiert un bon fonctionnement des marchés financiers afin de permettre aux agents d emprunter et de prêter dans le temps. Cependant, dans de nombreux pays en développement, les marchés financiers bien développés soit n existent pas ou lorsqu ils existent, ils ne fonctionnent pas très bien. En particulier, les ménages ont souvent un accès limité aux marchés du crédit, et le rationnement du crédit peut être très répandu (voir Chapitre 2). L existence des contraintes de liquidité affecte la capacité des ménages à transférer les ressources dans le temps aussi bien que dans des situations d incertitude du revenu. En conséquence, comme on l a précédemment indiqué, la consommation (et donc l épargne) tendàêtretrèscorreléeaveclerevenu courant, plutôtqu aveclerevenu permanent ou richesse au cours du cycle de vie. Les résultats empiriques de Veidyanathan (1993) et Rossi (1988) suggèrent en effet que l incidence des contraintes de liquidités peut être plutôt significatif dans de nombreux pays en développement. Formellement, les contraintes de liquidités peuvent être introduites dans le modèle simple à deux périodes présenté précédemment (dans lequel A 2 = 0) en réquérrant que les actifs financiers réels en période 1 ne soient pas négatifs : A 1 0. En outre, en faisant l hypothèse que les ménages sont relativement impatients (c est-à-dire que le taux de préférence temporelle est plus grand que le taux d intérêt réel), et donc veulent consommer aujourd hui, Deaton (1992) a montré qu il y a deux résultats possibles en période 1 : Le ménage veutempruntermaisnelepeutpas; danscecas,laconsommation est la somme des avoirs courants et du revenu courant ; il n y a pas d épargne, et l utilité marginale n est pas égalisée sur les périodes. Le ménage ne veut pas emprunter ; dans ce cas, la consommation est moins élevée que la somme des actifs et du revenu ; l épargne est positive, et l utilité marginale est égalisée sur les périodes - comme l a prédit l équation d Euler, Equation (12). Comme Deaton (1992) l a aussi montré, la forme exacte de la relation entre la consommation et les ressources courantes (actifs et revenu) dépend

Consommation, Epargne et Investissement 26 des paramètres (moyenne et variance) qui caractérisent la distribution du revenu, aussi bien que de la structure des préférences du consommateur. A de bas niveaux de ressources, les contraintes de liquidités sont saturées, et toutes les ressources sont dépensées. Au delà d un certain niveau de ressources (qui dépend, en particulier, des paramètres du processus qui entraîne le revenu, les contraintes de liquidités cessent d être des obstacles, la propension marginale à consommer commence à baisser, et l épargne devient positive en raison des motifs de précaution (comme on l a souligné précédemment). En présence des contraintes de liquidités, la libéralisation financière peut avoir un effet défavorable sur les taux d épargne. Dans la mesure où le désir des ménages de lisser leur consommation dans le temps est contraint par un accès limité aux marchés du crédit, un accès accru à ces marchés permettra aux individus d accroître leur consommation (et donc de réduire leur épargne) au cours de leur vie active, au moyen d un emprunt accru. Par exemple, la disponibilité plus grande des prêts pour les achats de logements et de biens de consommation durables peut pallier le besoin des ménages d épargner en préparation des paiements initiaux importants qu ils doivent effectuer pour de tels achats. Inflation et stabilité macro-économique La consommation et l épargne peuvent aussi réagir aux variations du taux d inflation. Si les ménages sont des créditeurs nets, une augmentation du taux d inflation par exemple peut réduire la valeur réelle de leur richesse, même si elle est suivie d une hausse proportionnelle du taux d intérêt nominal. Pour compenser cet effet de richesse négatif, les ménages peuvent augmenter leur taux d épargne. La variabilité de l inflation, qui est souvent utilisée comme une variable proxy de la stabilité macro-économique, peut aussi affecter l épargne, dans un sens opposé. Dans la mesure où il augmente l incertitude en ce qui concerne le revenu futur, un degré élevé de la variabilité des prix peut conduire à une augmentation du taux d épargne, conséquence du motif de l épargne de précaution analysé précédemment. Mais dans la mesure où un taux d inflation très variable est associé à une plus grande incertitude du taux d intérêt réel (ou le rendement de l épargne),il peut avoir un effet dépressif sur la propension à épargner.

27 Chapitre 1 Epargne publique Une caractéristique clef du modèle du cycle de vie est que le comportement de l épargne est directement influencé par les évaluations des ménages de leurs profils futurs de revenu et de consommation. Une variable clé qui affecte ces évaluations est la politique du gouvernement, en particulier l épargne ou la désépargne publique. La mesure dans laquelle les variations de l épargne publique induisent des variations compensatrices de l épargne privée a été une question centrale d une grande partie de la littérature moderne en macro-économie et en économie publique. Trois interprétations majeures de cette relation ont été avancéesdanslalittérature: Le point de vue conventionnel fait l hypothèse qu une baisse de l épargne publique (provenant d une réduction d impôts ou d une augmentation du financement par émission de titres de la dépense publique tendra à accroître la consommation et à réduire l épargne des ménages myopes (c est-à-dire les ménages qui ne se soucient que du présent), en déplaçant la charge de l impôt des générations présentes vers les générations futures. En conséquence, une baisse de l épargne publique entraînera une baisse de l épargne nationale 14. Le point de vue Keynesien suggère qu une désépargne publique temporaire plus élevée augmentera la consommation et le revenu, en présence de capacités de productions sous-utilisées, proportionnellement à l inverse de la propension marginale à épargner, comme le prédit l effet multiplicateur standard. A son tour, le revenu plus élevé augmentera l épargne privée. Le fait que cette augmentation de l épargne privée est ou non suffisamment grande pour compenser la baisse initiale de l épargne publique (et donc entraîner une augmentation de l épargne nationale) est a priori ambigu 15. 14 La réduction de l épargne privée peut être atténuée par une hausse du taux d intérêt réel, bien que, comme on le verra, cet effet peut être relativement faible. Dans une économie ouverte, la hausse du taux d intérêt domestique peut aussi attirer les capitaux extérieurs et conduire à une augmentation de l épargne étrangère. 15 Si la baisse de l épargne publique était supposée permanente plutôt que temporaire, l effet sur l épargne privée serait semblable à celui que prédit le point de vue conventionnel si les ménages sont myopes.

Consommation, Epargne et Investissement 28 Le point de vue Ricardien affirme que dans la mesure où les individus sont rationnels et prévoyants, ils se rendront compte qu une hausse permanente de la dépense publique aujourd hui (ou, de façon équivalente, une augmentation de la désépargne publique) doit être financée tôt ou tard. Par conséquent, ils augmenteront leur épargne d un montant équivalent - d où le terme d équivalence Ricardienne (Barro, 1974, 1989). De façon similaire, le point de vue Ricardien prédit qu une augmentation du déficit budgétaire (désépargne) provenant d une réduction des impôts n aura pas d effet sur le taux d épargne national car l épargne privée augmentera d un montant équivalent par anticipation des engagements d impôts futurs 16. Autrement dit, pour une valeur présente donnée des dépenses publiques, le moment choisi des impôts n influence pas le comportement de consommation des ménages. Le point de vue ricardien a fait l objet de nombreuses critiques, à la fois aux niveaux analytique et empirique. Du point de vue analytique, il repose sur quatre hypothèses strictes irrélalistes : les consommateurs sont prévoyants ; les générations succesives sont liées par des legs motivés par des considérations altruistes; lesconsommateursnesontpasconfrontésauxcontraintes de liquidités ; et lesimpôtsnesontpas distortionnaires. Les résultats empiriques en faveur de l hypothèse d équivalence ricardienne totale semblent être partagés dans les pays industrialisés (voir Seater, 1993). Pour les pays en développement, en revanche, la plus grande partie des résultats empiriques sont contraires à l équivalence ricardienne. Une raison centrale à cette observation est que bien que les individus dans ces pays peuvent effectuer, de façon systématique, des anticipations de leurs engagements d impôts futurs, les contraintes de liquidités (qui jouent un rôle 16 Par conséquent, prise dans sa forme extrême, l approche ricardienne implique que le choix entre financement par la dette ou par les impôts des déficits budgétaires n est pas important.

29 Chapitre 1 pervers dans ces pays, comme on l a vu précédemment) peuvent les empêcher d agir sur ces anticipations en ajustant leur comportement de consommation - épargne comme l aurait prédit la proposition d équivalence ricardienne. La charge de la dette et l imposition Le comportement d épargne et de désépargne du gouvernement peut aussi affecter l épargne privée indirectement par le biais des variations des anticipations des impôts futurs. Par exemple, dans une situation où la charge de la dette extérieure du secteur public se dégrade soudainement (résultat par exemple d une augmentation du service de la dette provenant d une hausse des taux d intérêt internationaux), le secteur privé peut anticiper une hausse significative de l imposition dans le futur. L effet de substitution associé à de telles anticipations tendra à favoriser la consommation courante aux dépens de l épargne, alors que l effet de revenu devrait tendre à réduire la consommation sur toutes les périodes. Par conséquent, un niveau élevé de la dette peut réduire le taux d épargne nationale 17. 1.4 Sécurité sociale, pensions et assurance Commelemontrelechapitre15,ladisponibilitédesplansformelsdepension publique et de sécurité sociale s est significativement accrue dans de nombreux pays en développement. Comme le modèle du cycle de vie l implique, l effet potentiel de ces plans peut être de réduire le taux d épargne privée à travers trois canaux : en redistribuant le revenu en faveur des personnes âgées ; en réduisant le besoin d épargner pour la retraite (à moins que l introduction de ces plans soit accompagnée d une réduction de l âge à la retraite) ; en freinant le besoin d épargne de précaution pour couvrir l éventualité de vivre plus longtemps qu espéré. L impact des bénéfices accrus de la sécurité sociale sur l épargne nationale peut donc dépendre de l effet que de tels changements peuvent avoir sur 17 Voir le chapitre 16 pour une analyse des effets à plus long terme de l endettement étranger sur l épargne et l investissement.