L accès aux soins de santé assuré pour les «habitants» du Canada; qu en est-il de la Femme immigrante en situation irrégulière? Claude Ariane Kamga Youmbi Candidate au doctorat Faculté de Droit, Université de Sherbrooke Introduction L accessibilité aux soins de santé est une question qui a suscité beaucoup de réactions au fil des années au Canada; la préoccupation majeure étant de rendre ces soins disponibles à toutes les personnes, quelle que soit la catégorie sociale à laquelle elles appartiennent et quel que soit leurs revenus. Pour ce faire, il a été nécessaire de mettre en place un régime d assurance publique de santé. Cependant, l instauration d un tel système, tenant compte de toutes les couches sociales et surtout des plus défavorisés, s est faite de façon progressive et non sans mal. On a finalement abouti à l adoption d une loi à savoir la Loi canadienne sur la santé (LCS) 1. La lecture de cette loi et particulièrement de son article 3 attire notre attention sur trois points essentiels à savoir le régime public d assurance-maladie qui semble être un «privilège» (I) réservé uniquement aux habitants du Canada (II) et qui par la même occasion, exclut une catégorie de personnes et tout particulièrement la femme immigrante en situation irrégulière (III). I- Le principal privilège de l article 3 de la LCS : L assurance publique de santé La mise en place du régime d assurance publique de santé comme nous l avons mentionné, s est faite progressivement 2. Initialement connu sous l appellation d assurance-hospitalisation, ce régime public est basé sur «le partage des frais avec les provinces» 3. En effet, bien que la santé soit un domaine qui relève de la compétence des 1 L.R.C. 1985, c. C-6; Cette loi était à l origine intitulée «loi concernant les contributions pécuniaires du Canada aux services de santé assurés pris en charge par les régimes provinciaux d assurance-santé et les montants payables par le Canada pour les programmes de services complémentaires de santé.» 2 La province de Saskatchewan est celle qui a pris les devants en mettant en place un régime d assurancehospitalisation dès 1947. C est 10 ans plus tard, soit en 1957, que le gouvernement fédéral a généralisé une telle mesure à tout le Canada. 3 D. Sprumont, «le droit d accès aux services de santé en droit québécois», Health Law Journal vol.6, 1998, p. 193 Claude Ariane Kamga Youmbi 2008 1
provinces, le gouvernement fédéral s est trouvé dans «l obligation» de soutenir ces dernières dans leur effort de promouvoir l accès aux soins de santé pour tous en adoptant la LCS 4. Celle-ci ayant pour but, comme le relève Dominique Sprumont, «le versement de subventions fédérales pour soutenir les programmes provinciaux d assurance-santé» 5. Depuis lors, le gouvernement fédéral met à la disposition des provinces un certain financement à la condition que celles-ci respectent certaines exigences que sont : la gestion publique, l intégralité, l universalité, la transférabilité et l accessibilité 6. Le régime d assurance-maladie ainsi mis en place permet à leurs bénéficiaires de jouir des services de santé «assurés». Ceux-ci sont définis à l article 2 de la LCS comme des «services hospitaliers, médicaux ou de chirurgie dentaire fournis aux assurés, à l exception des services de santé auxquels une personne a droit ou est admissible en vertu d une autre loi fédérale ou d une loi provinciale relative aux accidents du travail» 7. Ainsi, ce régime permet d assurer la gratuité des soins hospitaliers de courte durée et les services diagnostiques de laboratoire et de radiologie 8. Les personnes visées par cette LCS peuvent donc bénéficier des soins de santé «assurés» sans avancer directement des frais. Cependant, on pourrait affirmer que ces individus contribuent d une certaine manière au financement de ce régime d assurance publique. C est ce que relève D. Sprumont, quand il affirme justement que ce dernier est couvert par le biais de l impôt 9. Mais qui est réellement le bénéficiaire de cette assurance publique de Santé? II- Le bénéficiaire de l article 3 de la Loi Canadienne sur la Santé : l habitant Il ressort de la lecture de la LCS et particulièrement de l article 3 que le principal objectif de cette loi est de «protéger, de favoriser et d améliorer le bien-être physique et 4 P. Bergeron, «La prise en charge Étatique de la santé au Québec : émergence et transformations» in V. Lemieux, P. Bergeron, C. Bégin et G. Bélanger, dir., Le système de santé au Québec, Organisations, acteurs et enjeux, Les presses de l université de Laval, 2003, p.24 5 D. Sprumont, supra note 3, p. 196 6 Art. 7 de la LCS, L.R.C. 1985, c. C-6 7 Cette même loi donne des précisions sur ce qu elle entend par services hospitaliers et médicaux 8 Gouvernement du Canada, en ligne : http://www.economiecanadienne.gc.ca/francais/economy/1957medicare.html (Date d accès: 19 juin 2008) 9 D. Sprumont, supra note 3 Claude Ariane Kamga Youmbi 2008 2
mental des habitants du Canada et de faciliter un accès satisfaisant aux services de santé, sans obstacles d ordre financier ou autre». Aussi, elle prévoit en son article 2 cidessus cité, que les services de santé «assurés» bénéficient à l assuré. Ce dernier est défini par ce même article comme étant l habitant d une province à quelques exceptions près 10. On peut de ce fait, constater une volonté manifeste de l État canadien d assurer à ses habitants un accès, sans obstacles majeurs (particulièrement financière), aux soins de santé. L action du gouvernement est donc tournée vers tout habitant qui se trouverait sur le territoire canadien ou plus précisément vers tout habitant de chaque province et territoire. Ce terme habitant est défini par le Multidictionnaire de la langue française 11, comme toute «personne qui habite généralement un lieu». Le nouveau petit Robert parle d «être vivant qui peuple un lieu, personne qui réside habituellement en un lieu donné». Si on s en tient à ces définitions, il n est pas fait mention du statut légal ou illégal de la personne. Or c est ce qui semble ressortir de la définition donnée par la LCS elle-même. Aussi, d après elle, l habitant est toute «personne domiciliée et résidant habituellement dans une province et légalement autorisée à être ou à rester au Canada, à l exception d une personne faisant du tourisme, de passage ou en visite dans la province» 12. Cette explication fait clairement comprendre que toute personne qui ne se trouve pas légalement sur le territoire ne peut pas être considérée comme un habitant et encore moins comme un assuré étant donné que, pour être assuré, il est, entre autres, nécessaire de prouver la résidence légale de la personne sur le territoire. Cela implique que toute personne ne résidant pas légalement sur le territoire ne peut bénéficier de l assurance publique de santé, ce qui est notamment le cas de la Femme immigrante en situation irrégulière (FISI). 10 sont ainsi exclus : a) des membres des Forces canadiennes; b) des membres de la Gendarmerie royale du Canada nommés à un grade; c) des personnes purgeant une peine d emprisonnement dans un pénitencier, au sens de la Partie I de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition; d) des habitants de la province qui s y trouvent depuis une période de temps inférieure au délai minimal de résidence ou de carence d au plus trois mois imposé aux habitants par la province pour qu ils soient admissibles ou aient droit aux services de santé assurés. 11 Le multidictionnaire de la langue française, 4 ème éd. 2003, s.v. «habitant»; voir aussi Le nouveau petit Robert, 1995 12 Art. 2 de la LCS, L.R.C. 1985, c. C-6 Claude Ariane Kamga Youmbi 2008 3
III- L exclusion délibérée de la Femme ISI, une atteinte à sa dignité? La femme immigrante en situation irrégulière (FISI) est cette femme qui entre sur le territoire d un État dont elle n a pas la nationalité pour y résider de manière permanente et ce, sans titre de séjour valide. Son entrée peut être légale ou illégale (clandestine). Dans le premier cas, elle se retrouve en situation irrégulière notamment à l expiration de son titre de séjour. Dans le second cas, elle peut entrer sans ou avec un faux titre de séjour. Cindy Chang nous donne une définition assez précise des ISI en affirmant qu il s agit de «foreign-born persons who entered without inspection or who violated the terms of a temporary admission and who have not required [lawful permanent residence] status or gained temporary protection against removal by applying for an immigration benefit» 13. Parce qu elle est en situation irrégulière, la Femme ISI ne saurait donc être considérée comme une habitante, du moins au sens de la LCS telle que nous l avons vu précédemment. Par conséquent, elle ne peut jouir des services assurés par le régime d assurance publique de santé. Compte tenu du fait que ce régime a été mis en place pour permettre l accès aux soins de tous sans obstacles, il est important de préciser que parler de l accès aux soins ne se limite pas uniquement à l aspect géographique. H. Picheral affirme justement que «L accessibilité se dit aussi de la possibilité financière de recourir à des services de santé (couverture, assurance sociale)» 14. Or il est généralement relevé que les ISI sont originairement issues des pays pauvres ou en voie de développement et immigrent principalement pour des raisons économiques. La FISI est donc dans une situation financière précaire 15 et se retrouve souvent à faire du travail dans la clandestinité, à la merci de leurs employeurs. Dans un pareil contexte, il est rapidement constaté que hormis son statut irrégulier qui peut être source d une crainte d être repérée et déportée (ce qui la 13 Cindy Chang, «Health Care for Undocumented immigrant children: special members of an underclass», 83 Washington University Law Quaterly, 2005, p. 1; Cette définition a été donnée par L U.S Immigration and Naturalization Services (INS) devenue en 2004 the United State Citizenship and Immigration Services (USCIS) under the department of Homeland Security. 14 H. Picheral, Dictionnaire raisonné de géographie de la santé. GEOS, Atelier Géographie de la santé ed. 2001, Montpellier: Université Montpellier 3 - Paul Valery. 15 Les auteures J. Oxman-Martinez et J. Hanley faisant allusion aux nouveaux arrivants en général, autre terme pour désigner les immigrants, relèvent que la pauvreté est un facteur qui les caractérise généralement (J. Oxman-Martinez & J. Hanley, Services médicaux et sociaux pour la population multiculturelle du Canada : les défis de l équité in Canada 2017 : Servir la population multiculturelle du Canada de demain, Forum stratégique, 22-23 mars 2005, p. 21; en ligne : http://www.pch.gc.ca/progs/multi/canada2017/4_f.cfm#notes (date d accès : 1 er juin 2008)) Claude Ariane Kamga Youmbi 2008 4
conduirait à ne pas solliciter les services de santé), sa condition économique précaire est l un des principaux obstacles à l accès aux soins de santé. De ce fait, bien qu il semble à la lecture des dispositions des Chartes 16 et législations 17 canadienne et québécoise, que la FISI, tout comme les autres habitants, peut accéder aux soins de santé ainsi qu aux soins urgents, il faut préciser que, contrairement à ces derniers, elle ne le peut qu à ses propres frais. On peut donc déduire de ce qui précède que sa situation économique étant précaire, ne pouvant bénéficier de l assurance publique de santé qui est réservée aux assurés (habitants) des provinces et territoires, la Femme ISI est tout simplement mise de côté par la LCS. On pourrait éventuellement expliquer cette exclusion par le fait qu elle ne paie pas d impôt et donc ne contribue pas au financement du système de santé comme le ferait la plupart des habitants du Canada. Il est cependant important de noter que non seulement ce ne sont pas tous les habitants du pays qui paient des impôts mais en outre, le système de santé canadien est basé sur le fondement de l universalité. De ce fait, si cette femme ISI ne peut bénéficier de l assurance-maladie faute de «payer l impôt», et qu elle ne peut également bénéficier d autres alternatives que ses revenus «quasi-inexistants» pour se faire soigner, on peut se demander si cela ne porte pas atteinte à sa dignité. B. Toebes établi en effet, qu il existe un lien entre la santé et la dignité de la personne. Aussi, elle relève que «the promotion and protection of health is a very important condition for people's well-being and for their leading a dignified life» 18. La dignité humaine étant considérée comme «la valeur intrinsèque ( ) d une personne» 19, J-F Poisson affirmait que «la première des conséquences de la dignité humaine est qu elle donne lieu à des droits» 20. D. Proulx notait dans le même sens que «l être humain se trouve investi de droits et libertés fondamentaux parce qu il possède une dignité inhérente» 21. Le droit d accès aux soins de santé étant reconnu sur le plan 16 Articles 7 et 15 de la Loi Constitutionnelle de 1982, c. 11; articles 1 et 2 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12 17 Articles 5 et 7 de la Loi sur les Services de santé et les services sociaux, L.R.Q. c. S-4.2 18 B. Toebes, The right to Health as a Human Right in International Law, School of Human Rights Research,1999, p.4 19 Dictionnaire historique de la langue française, 2006 20 J-F Poisson, La dignité humaine, les études hospitalières, 2004, p. 35 21 D. Proulx, «Le concept de dignité et son usage en contexte de discrimination : deux Chartes, deux modèles», Revue du Barreau, numéro spécial, 2003, p. 492 Claude Ariane Kamga Youmbi 2008 5
international comme un droit fondamental, 22 il se doit par conséquent, d être reconnu à tous les individus sans distinction, y compris bien évidemment la Femme ISI. Ceci implique que des moyens soient mis en œuvre pour qu elle puisse jouir de ce droit sans difficulté majeure, du moins sans obstacle financier. Conclusion Il paraît juste que l assurance-maladie profite aux assurés, soit aux habitants installés légalement au Canada étant donné qu en payant des impôts ils cotisent d une certaine manière au financement du régime d assurance-maladie. On peut tout aussi bien comprendre que la Femme ISI soit exclue faute d être en situation régulière sur le territoire et faute d être imposable. Mais si l on tient également compte du fait que cette dernière contribue de manière certaine quoique clandestinement, à l économie du pays et qu elle est une personne à part entière c est-à-dire dotée d une dignité humaine et des droits qui en découlent, il est important de s interroger sur les obstacles qui sont constatés en ce qui concerne son droit d accès aux soins de santé. Aussi, notre objectif est d attirer l attention sur cette femme ISI qui n est pas pris en compte par la LCS alors que la santé des habitants du Canada dépend également du bien-être de cette dernière. Cette prise de conscience pourra aboutir alors à des mesures adaptées à la situation de celle-ci telle que la mise à la disposition de fonds pour les organismes de santé vers lesquelles elle se dirige pour recevoir, le cas échéant, des soins. 22 D après le Préambule de la Constitution de l OMS du 22 juillet 1946, «la possibilité du meilleur état de santé qu il est capable d atteindre constitue l un des droits fondamentaux de tout être humain, quelques soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale»; voir également l article 12(1) du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 Claude Ariane Kamga Youmbi 2008 6