Tiré de : Outils pour enseigner ; Le développement de l enfant de la naissance à 7 ans ; Approche théorique et activités corporelles ; Josiane Lacombe ; De Boeck ; pp. 135 à 147 I H. Le développement du graphisme Introduction À l'origine, le graphisme est le simple résultat d'un geste : la trace laissée par le mouvement du bras. Ensuite, les traces laissées par le geste deviennent le motif et conduisent le geste. Ces traces appelées chez le jeune enfant «gribouillage» vont peu à peu évoluer, prendre des formes identifiables. Le graphisme se différencie en deux fonctions essentielles : - le dessin qui est en rapport avec l'image ; - l'écriture qui est en rapport avec le signe. L'évolution du graphisme est liée au développement : - de la motricité (maîtrise du mouvement du bras, de la main, des doigts selon la loi proximo-distale) ; - de la structuration de l'espace et du temps ; - du schéma corporel ; - de l'affectivité. De simple trace motrice, le graphisme devient la trace d'une représentation intellectuelle, imaginaire et prend le sens de communication. II Les étapes de l'évolution du graphisme Les âges notés ne sont encore une fois que des repères et n'ont de valeur que pour indiquer la succession des phénomènes observés. A Le gribouillage Vers 15 mois Les premiers tracés sont le résultat de mouvements rapides du bras, perpendiculaires au plan de la table, sans contrôle visuo-moteur, sans limitation de l'espace. Il s'agit d'un mouvement de balayage qui se fait par la rotation du bras 135
autour de l'épaule selon un axe vertical ou horizontal donnant des tracés fortuits, horizontaux et verticaux. Le geste de l'enfant et son tracé s'étendent audelà de la feuille. Il ne maîtrise ni le début, ni l'arrêt. Ce mouvement évolue ensuite vers des tracés circulaires quand les deux mouvements de rotation du bras autour de l'épaule (selon l'axe vertical et horizontal) sont coordonnés. La répétition de ce tracé morcelé permettra la capacité d'interrompre un tracé en cours d'exécution conduisant à la discontinuité volontaire, ce qui témoigne du contrôle du déplacement du bras. Ce premier contrôle va entraîner le freinage des tracés (ils deviennent lents) et la localisation du geste graphique dans l'espace se réalise en deux étapes : - le contrôle simple consiste à ramener volontairement la main vers un tracé déjà produit, permettant la réalisation ultérieure de plusieurs types de tracés : - le tracé à double direction qui consiste à revenir au point d'origine du tracé et à produire un nouveau tracé rectiligne dans une autre direction ; Le geste est homolatéral : la main évolue dans la proportion de l'espace qui lui fait face. Ces tracés sont le résultat d'activité motrice, réalisés sans intention. Mais la répétition de cette activité motrice entraîne l'évolution du graphisme. Vers 18 mois À cette période apparaît le geste croisé: le tracé produit est réalisé dans l'espace graphique opposé à la main utilisée. L'apparition des gestes croisés provoque un mouvement de flexion du poignet qui s'enregistre sous la forme d'une boucle. La boucle est produite par la rotation de la main autour du poignet et apparaît fortuitement. - le tracé rayonnement : à partir d'un point d'origine ou d'une forme circulaire, l'enfant trace plusieurs tracés rectilignes, exécutés lentement et d'orientation variée. Il utilise les différentes directions de l'espace graphique. Ces tracés sont de simples exercices fonctionnels d'ajustement dont le contrôle simple a pour origine la maturation motrice. Il arrive que l'enfant associe à ces traits des mots sans qu'il y ait d'intention consciente de forme figurative. On parle dans ce cas de réalisme fortuit ; - le contrôle double : vers 3 ans, l'enfant peut joindre deux traits et fermer une figure. Vers 2 ans 1 Le contrôle du mouvement La maturation du fléchisseur du pouce rend possible l'apparition de petits tracés morcelés exécutés sur place. Ce sont des petits traits repris et superposés, parfois des hachurages exécutés sur place. 136 Le développement du graphisme Les principes du développement psychomoteur 137
Ce contrôle double exprime un perfectionnement puisque le geste est contrôlé à la fois au départ et à l'arrivée. C'est une maîtrise nouvelle du geste et de l'espace graphique. 2 Le contrôle de l'œil Ces évolutions graphiques témoignent de l'acquisition du contrôle des mouvements et du contrôle visuel appelé coordination oculo-manuelle dont la maturation se fait en deux étapes : - l'œil suit la main ; - l'œil conduit la main. Vers 4 ans La cycloïde qui était au départ fortuite devient volontaire. Apparaît la possibilité d'exécuter des arabesques et des hybrides. Les hybrides sont des cycloïdes de sens tantôt positif, tantôt négatif. L'arabesque est également contrôlée dans son déroulement, mais ce n'est pas pour aboutir à la même forme. Elle fait naître des formes variables. B L'évolution du graphisme vers le signe : l'écriture Nous avons observé que l'apparition du geste croisé entraînait une rotation de la main autour du poignet et réalisait fortuitement la boucle. Vers 3 ans Le perfectionnement du contrôle du bras entraîne une maîtrise de la direction du graphisme : Le perfectionnement de la rotation de la main autour du poignet entraîne le sens du graphisme. Cette association progressive et coordonnée produit des cycloïdes allongées : - dans un sens positif ; - dans un sens négatif. Cette cycloïde va se perfectionner pour donner l'épicycloïde (une cycloïde sur un cercle) : La spirale est la première courbe qui demande un contrôle continu du déroulement du mouvement et qui devient ainsi une courbe figurative : l'escargot. La croix est une forme d'apparition tardive car elle demande une nouvelle forme de contrôle : prendre un repère extérieur au tracé lui-même (par exemple, pour les traits parallèles, le repère extérieur est le bord de la feuille). La coupure des segments exige aussi des repères. - épicycloïde positive ; - épicycloïde négative. Apparaît également le cercle fermé, exécuté lentement. C'est un tracé contrôlé, issu du tracé circulaire. Entre 4 et 5 ans C'est un âge d'épanouissement de l'activité graphique parce que l'enfant dispose d'une maîtrise motrice, de capacités perceptives et imaginaires qu'il peut mettre au service de ses réalisations graphiques. L'enfant peut en effet exploiter l'espace dans toutes ses directions de façon purement ludique et réaliser ainsi des graphismes décoratifs. Il assemble des segments, des figures, ou des compléments symétriques. 138 Le développement du graphisme Les principes du développement psychomoteur 139
Entre 5 et 7 ans À cette période, le graphisme de l'enfant subit une influence scolaire. Les activités graphiques sont orientées vers la préparation à l'apprentissage de l'écriture par des exercices de reproduction graphique. Les enfants intègrent souvent ces apprentissages dans leurs productions graphiques spontanées. raissent : maison, arbre, soleil, animaux... Le support verbal joue un rôle important, car c'est le langage qui fait les liens entre les éléments dessinés. C L'évolution du graphisme vers l'image : le dessin Les intérêts d'un enfant de moins de 3 ans sont surtout sensoriels, perceptifs, sensori-moteurs et affectifs. L'enfant s'intéresse à ses gestes fortuits ou volontaires, aux traces qu'il laisse sur une feuille lorsqu'il manie un crayon, une craie. Il produit un graphisme appelé «gribouillage» (parce qu'il ne représente pas de forme identifiée) dont généralement il tire une certaine satisfaction. Progressivement, l'enfant dit qu'il a représenté quelque chose, même si l'adulte ne peut l'identifier. C'est pour l'enfant le début de la représentation intentionnelle. Pourquoi l'enfant dessine-t-il? Il semble bien que, de tout temps, l'homme ait dessiné des personnages, des animaux (dessins retrouvés dans les grottes). On peut émettre l'hypothèse que lorsque l'enfant atteint le stade de la représentation, il éprouve le désir de concrétiser des sensations, des images mentales. La naissance du bonhomme Vers 3 ans À cet âge apparaissent les premières représentations graphiques du bonhomme, appelées le bonhomme têtard. Celui-ci se compose généralement d'un élément circulaire où sont fixés bras et jambes. Entre 4 et 7 ans L'enfant cherche à transposer progressivement, dans l'espace graphique, l'orientation des objets. L'arbre et la maison sont orientés verticalement, le soleil est en haut de la feuille à droite ou à gauche. Cette période est généralement riche en productions. L'enfant dessine pour le plaisir, le dessin devient un jeu parmi d'autres, sérieux comme tous les jeux de l'enfant. Les enfants aiment offrir leurs créations, ils dessinent souvent à l'intention de quelqu'un. Le dessin du bonhomme est à la fois le reflet du schéma corporel et celui de l'image du corps : il correspond à la représentation des perceptions sensorielles intégrées mais aussi à la représentation imaginaire que l'enfant a de lui-même. Le bonhomme (ou personnage) est dessiné orienté dans l'espace : - en position verticale, il est identifié comme étant debout ; - en position horizontale ou la tête en bas, il est considéré par l'enfant comme étant couché ; - les personnages sont dessinés de face, la position de profil apparaît plus tard, alors que les animaux sont dessinés de profil. A cet âge, l'on parle de réalisme intellectuel, car l'enfant ne dessine pas ce qu'il voit, mais ce qu'il sait, selon un modèle interne qu'il projette sur le papier. Les éléments invisibles seront dessinés par transparence. Le personnage évolue par l'enrichissement des vêtements, l'apport d'accessoires (ceinture, pipe, chapeau, sac, etc.) et la différenciation des sexes (la jupe, le pantalon, les bijoux, les cheveux). Les thèmes figuratifs se diversifient, les dessins deviennent des récits et ont le rôle de communication. Cette figuration sommaire du bonhomme est appelée idéogramme. C'est la représentation simplifiée d'un objet et identifiée comme représentant l'objet par l'enfant. L'idéogramme exprime l'accession au symbole. Entre 3 et 4 ans Le bonhomme s'enrichit de nouveaux détails : apparaissent les yeux, les cheveux, les mains, les pieds, etc. Il n'est pas toujours orienté, l'enfant peut dessiner le bonhomme oblique, vertical, horizontal. Chaque détail existe pour luimême, mais n'est pas intégré à l'ensemble. De nouveaux idéogrammes appa- 140 Le développement du graphisme Les principes du développement psychomoteur 141
III Graphisme et communication Le graphisme organisé en signes (écriture) n'est autre que la représentation imagée du langage. La lettre «a» est la représentation graphique du bruit que fait la bouche lorsqu'elle dit «a». L'écriture est un moyen de communication qui permet de garder la trace du langage et de la pensée. L'écriture a deux aspects : - un aspect social : les signes utilisés appartiennent au groupe social, mais ils ne sont pas universels. Chaque groupe possède son propre code : la langue ; - un aspect individuel : la façon dont les signes sont tracés est spécifique à chacun et reflète certains traits de la personnalité. Le trait léger, à peine perceptible peut exprimer la fatigue, la timidité ou l'indécision. Le trait ferme, accentué exprime davantage l'énergie, l'assurance, voire l'impulsivité. La dimension des lettres, leur orientation, la régularité ou l'irrégularité, la rapidité d'exécution sont autant d'informations qui expriment certains traits de caractère de la personne. 1 Le dessin est un langage non-verbal spontané Les dessins des enfants sont trop souvent considérés par l'adulte comme des reproductions naïves, maladroites ou réalistes du monde qui les entoure. Mais il n'en est rien. Les enfants utilisent les éléments du monde extérieur pour raconter un monde plus secret, celui de leur univers intérieur. Comment dessiner une souffrance, une joie, une peur, une jalousie, un désir? Quelle forme leur donner? L'enfant emprunte spontanément à son environnement quotidien des objets, des personnes qui serviront de support à la représentation de ses émotions, de ses conflits enfouis, indicibles. Les dessins sont des projections de notre univers intérieur, imaginaire, inconscient, et servent à relier ce monde intérieur au monde extérieur. Ce sont la psychologie et la psychanalyse qui ont éveillé notre conscience sur le sens des dessins des enfants. Cet éclairage nouveau devrait nous aider à ne pas juger ou noter les dessins des enfants mais les accueillir comme le fruit d'une expression personnalisée, porteur d'un message secret ni beau ni laid mais authentique. Le décodage, l'interprétation des dessins nécessitent des compétences spécialisées. Le dessin est souvent un outil de travail pour le psychanalyste ou le psychothérapeute : c'est au travers du dessin et de ce que raconte l'enfant à propos de son dessin, que le thérapeute peut accéder à l'univers conscient et inconscient de l'enfant et le comprendre. Ainsi utilisé, le dessin a une valeur thérapeutique permettant à l'enfant de dépasser des phases difficiles de son histoire. 2 Que nous révèlent les dessins? Et si le gribouillage n'était pas une simple trace motrice, mais déjà la représentation «du mouvement originel de la vie»? Étonnante comparaison qu'ont fait Varenka et Olivier Marc, psychanalystes, entre les dessins d'une petite fille et la photographie de cette galaxie ou celle d'un fœtus dans son amnios. Galaxie spirale - NGC 5194 Source : L'enfant qui se fait naître, Varenka et Olivier Marc, Buchet/ Chastel. 142 Le développement du graphisme Les principes du développement psychomoteur 143
Varenka et Olivier Marc ont recueilli et observé tous les dessins d'une petite fille «depuis le jour où, pour la première fois, elle s'est saisie d'un crayon et l'a déplacé sur une feuille de papier» jusqu'à sa cinquième année (date d'entrée à l'école). Ils ont comparé l'évolution de ses dessins avec des croquis ou des photographies d'embryon, de fœtus. Surprenante révélation! Les dessins de cette petite fille semblent traduire «qu'elle ait perçu inconsciemment ses évolutions biologiques, embryologiques, anatomiques autant que psychiques et qu'elle les garde en mémoire». Sans le savoir, sa main laisse la trace de l'expérience prénatale. À la manière de l'ethnologue et de l'anthropologue, ces psychanalystes ont poursuivi leurs recherches pour tenter de percer un peu plus le mystère des représentations graphiques enfantines. Ils ont posé leur regard sur les dessins réalisés spontanément par des enfants vivant dans différents pays du monde. Quel que soit leur pays d'origine, quelle que soit leur culture, «les enfants utilisent les mêmes moyens graphiques pour représenter leur croissance et leur adaptation à l'environnement». Rythmes, mouvements, spirales, petits points, cercles retrouvés également sur les peintures préhistoriques semblent bien «l'expression de la mémoire de l'aventure humaine». La merveilleuse histoire de ces premières traces qui nous rattachent à nos origines - liens indispensables pour grandir dans une communication humanisée - doit nous conduire à beaucoup plus de respect, plus d'attention à l'égard de ces traces et redonner une valeur positive au mot «gribouillage» qui les dénomme. IV Synthèse Le graphisme, résultat de la trace laissée par le geste, évolue vers deux directions : l'écriture et le dessin. Cette évolution se fait en lien avec la maturation de la motricité (maîtrise du geste), la maturation de la coordination oculo-manuelle (œil - main) et la maturation psychique pour devenir peu à peu un acte représentatif (représentation de soi-même, représentation du langage oral). Même si, chez le jeune enfant, le graphisme et le dessin ne paraissent qu'une simple activité ludique, ils sont déjà l'expression élaborée de son univers interne, reprenant sans cesse les grands thèmes de la croissance, de la naissance. Fœtus et son amnios Source : L'enfant qui se fait naître, Varenka et Olivier Marc, Buchet/Chastel. 144 Le développement du graphisme Les principes du développement psychomoteur 145
V Récapitulatif de l'évolution du dessin du bonhomme - 3-4 ans : réalisation du bonhomme têtard où se trouvent réunis une forme arrondie et des traits. - 4-5 ans : l'enfant dessine le tronc, les membres supérieurs et le bonhomme se présente de face, avec les détails de la face (yeux, nez, bouche, cheveux, etc.) - 5-6 ans : apparition de nouveaux éléments qui animent le dessin du bonhomme : vêtements, accessoires, personnages en action, etc. - 7-8 ans : les membres deviennent à double contours, apparaît le cou. Les détails vestimentaires augmentent et lui donnent une identité sexuelle. La notion d'espace est de plus en plus correcte, avec un meilleur rapport des distances et des tailles. Jusque vers 6-7 ans, l'enfant dessine un bonhomme d'après la perception qu'il a de son corps. Après interviennent la mémoire, l'observation et la connaissance. I Généralités Exercices pour le graphisme L'activité de graphisme réalisée dans le cadre de la maternelle est importante pour la préparation des apprentissages de l'écriture et de la lecture. Nous pouvons rappeler quelques aspects théoriques importants qui nous guideront pour l'élaboration d'exercices adaptés : - le graphisme a son origine dans l acte moteur (trace laissée par le bras qui se déplace fortuitement), il deviendra un acte volontaire (l'enfant conduit son bras pour obtenir un résultat), puis un acte représentatif (les traces laissées représenteront des formes identifiables : signe ou dessin) ; - l'évolution du graphisme est dépendante : - de la maturation motrice : qui se fait dans le sens proximodistal - épaule, coude, poignet, doigts. Les mouvements qui sont amples, rapides et non contrôlés à l'origine, deviendront maîtrisés, précis et petits ; - de la coordination œil - main : c'est l'œil qui devra guider la main ; - de la latéralisation : qui va déterminer la préférence de l'utilisation d'une main. La main droite imposée à l'enfant gaucher pour l'apprentissage du graphisme peut être la cause de difficultés ou de résultats déficients ; - de la structuration spatiale : celle-ci va permettre de localiser (sur la surface de la feuille, entre deux lignes), d'orienter le graphisme (de la gauche vers la droite), et de lui donner des formes libres ou conventionnelles ; - de la maturation psychologique : le gribouillage est un fait naturel, spontané, chez l'enfant, source de satisfaction, de plaisir. Son évolution correspond à une harmonie entre la maturation motrice et la maturation psychologique. 146 Le développement du graphisme 147