La Curarisation Résiduelle C. Baillard, CHU Avicenne Bobigny
Introduction 1- Problème non récent : La survenue d apnées, jusqu alors inexpliquées, a conduit à proposer, dès 1958, l usage du monitorage neuromusculaire pour faciliter le diagnostic de curarisation résiduelle postopératoire. Christie, T.H. et al. The St. Thomas's Hospital nerve stimulator in the diagnosis of prolonged apnoea. Lancet, 1958
Introduction 1- Problème non récent : Dès 1979, la curarisation résiduelle est constatée chez près de la moitié (42%) des patients à l arrivée en salle de surveillance postinterventionnelle. Viby-Mogensen J. Anesthesiology 1979
Introduction 2- la curarisation résiduelle est toujours présente en pratique clinique quotidienne. Murphy, G.S., et al., Residual paralysis at the time of tracheal extubation. Anesth Analg, 2005
Introduction 2- la curarisation résiduelle est toujours présente en pratique clinique quotidienne. «Our results suggest that complete recovery from neuromuscular blockade is rarely present at the time of tracheal extubation.» Murphy G.S. et al. anesth Analg 2005
Introduction 3- La curarisation résiduelle est un facteur de risque indépendant de complications respiratoires postopératoires. Complications pulmonaires (%) 60 % 40 % Td4 < 0,7 20 % 0 % 20 30 40 50 60 70 80 âge (années) Td4 > 0,7 Berg, H., et al., Residual neuromuscular block is a risk factor for postoperative pulmonary complications Acta Anaesthesiol Scand, 1997
Introduction 4- L antagonisation des curares en fin d intervention est associée à une réduction de la mortalité. Facteurs associés à une diminution du risque : M. S. Arbous et al. - checklist - a directly available anesthesiologist - No change of anesthesiologist during anesthesia - presence of a full-time working anesthetic nurse - two persons present at emergence - reversal of muscle relaxants - postoperative pain medication
Introduction 4- L antagonisation des curares en fin d intervention est associée à une réduction de la mortalité. «Have you avoided using a neuromuscular blockade monitor because it is not very reliable and seems to have a bad battery most of the time? Why worry - today s muscle relaxants wear off quickly and rarely need to be reversed, right?» M.A Warner. Editorial View Anesthesiology 2005
Définition de la curarisation résiduelle Ventilation minute 0,7 (1975-1981 ). Pression inspiratoire maximale (PIM) de 25 cmh 2 O (1962-1973) Rapport entre la 4 ème et la 1 ère réponse (T4/T1) au train-de-quatre (Td4) > Seuil de T4/T1 > 0,7 Protection des voies aériennes Une PIM de 40 cmh 2 O, head lift test positif Editorial de RD Miller (1989 ) seuil du T4/T1 à 0,7?
Ventilation et curarisation résiduelle Gal et al. Anesthesiology 1981
Définition de la curarisation résiduelle A partir des années 90, malgré un T4/T1 de 0,7 : - diminution de la sensibilité à l hypoxie,
Réponse ventilatoire à l hypoxie et curarisation résiduelle (ml/min/%spo2) 500 400 300 * 200 100 0 cont <0,7 >0,9 T4/T1 d après Eriksson et al. Acta Anesthesiol Scand 1996
Définition de la curarisation résiduelle A partir des années 90, malgré un T4/T1 de 0,7 : - diminution de la sensibilité à l hypoxie, - la présence de symptômes de curarisation résiduelle,
Symptômes et curarisation résiduelle n = 10 volontaires. Mivacurium ( 5µg/kg, 2 µg/kg/min ) 0,7 < T4/T1 ratio < 0,9 diplopie difficultés à retenir canule buccale se jugent inaptes à la rue Kopman et al. Anesthesiology 1997
Définition de la curarisation résiduelle A partir des années 90, malgré un T4/T1 de 0,7 : - diminution de la sensibilité à l hypoxie, - la présence de symptômes de curarisation résiduelle, - la présence de fausses routes
Protection des voies aériennes n = 14 volontaires. Vecurorium Constricteurs du pharynx normaux Diminution du tonus du sphincter supérieur de l œsophage Eriksson et al. Anesthesiology 1997
mmhg 150 Pression sphincter supérieur de l œsophage et curarisation résiduelle * = p<0,05 vs contrôle 100 50 * * * 0 contrôle 0,6 0,7 0,8 >0,9 Td4 ratio d après Eriksson et al. Anesthesiology 1997
Protection des voies aériennes n = 14 volontaires. Vecurorium Constricteurs du pharynx normaux Diminution du tonus du sphincter supérieur de l œsophage Incoordination pharyngo-laryngée à la déglutition Eriksson et al. Anesthesiology 1997
Incoordination pharyngo-laryngée à la déglutition d après Eriksson et al. Anesthesiology 1997
Protection des voies aériennes n = 14 volontaires. Vecurorium Constricteurs du pharynx normaux Diminution du tonus du sphincter supérieur de l œsophage Incoordination pharyngo-laryngée à la déglutition Inhalation laryngée d un liquide opaque dégluti si T4/T1 < 0,9 Eriksson et al. Anesthesiology 1997
La curarisation résiduelle est un facteur de risque indépendant de complications respiratoires postopératoires. Complications pulmonaires (%) 60 % 40 % Td4 < 0,7 20 % 0 % 20 30 40 50 60 70 80 âge (années) Td4 > 0,7 Berg, H., et al., Residual neuromuscular block is a risk factor for postoperative pulmonary complications Acta Anaesthesiol Scand, 1997
Définition de la curarisation résiduelle A partir des années 90, malgré un T4/T1 de 0,7 : - diminution de la sensibilité à l hypoxie, - la présence de symptômes de curarisation résiduelle, - la présence de fausses routes Editorial de Brull SJ puis de Kopman AF en 1997 : Seuil de T4/T1 0,9
Incidence en France de la curarisation résiduelle 568 patients consécutifs sur période de 3 mois extubation au bloc = 435 T4/T1 < 0,7 en SSPI T4/T1 < 0,9 en SSPI 145 (33%) 271 (62%) C. Baillard et al. Br J Anaesth 2000
Incidence en France de la curarisation résiduelle 526 patients consécutifs sur période de 8 mois % patients 70 60 50 40 30 20 10 0 * * < 60 [60-90] [90-120] > 120 min * T4/T1 < 0,9 T4/T1 < 0,7 * B. Debaene et al. Anesthesiology 2003
Pourquoi existe t-il encore des curarisations résiduelles? Interactions importantes Agents anesthésiques Température Médicaments - Halogénés - Durée d action double entre 36,5 C et 34 C - Antibiotiques - Magnésium Variabilité interindividuelle +++
Interactions importantes : les halogénés Mivacurium en perfusion continue Vitesse de perfusion (µg/kg/min) 10 8 Sévoflurane 0 Sévoflurane 0,5 CAM Sévoflurane 1 CAM 6 4 2 0 0 15 30 45 60 Temps (min) Bevan et al. Anesth Analg 1998
Variabilité interindividuelle Evolution de la récupération spontanée Rocuronium 1 injection + propofol 85' 0 Rocuronium 0,6 mg/kg IV (2 DA 95) propofol 35 Twitch 25% 60 T4/T1 80% Whalley DG et al. Can J Anesth 1997 Lowry DW et al. Anesth Analg 1998 Schultz P et al. Acta Anaesthesiol Scand 2001
Variabilité interindividuelle Evolution de la récupération spontanée Rocuronium 1 injection + halogéné 120' 0 Rocuronium 0,6 mg/kg IV (2 DA 95) halogéné 35 Twitch 25% 60 T4/T1 80% Hans P et al. Acta Anaesth Belg 1996 Kumar N et al. BJA 1996 Lowry DW et al. Anesth Analg 1998 Jellish WS et al. Anesth Analg 2000 Reid et al. Can J Anaesth 2001
% patients 70 60 50 40 30 20 10 0 * * < 60 [60-90] [90-120] > 120 min * T4/T1 < 0,9 T4/T1 < 0,7 * B. Debaene et al. Anesthesiology 2003
Peut on éviter la curarisation résiduelle? Constat 1 : faire le diagnostic Dans la pratique, la recherche d une curarisation résiduelle fait appel à de nombreux tests cliniques et au monitorage instrumental.
Peut on éviter la curarisation résiduelle? T4/T1 1 0,9 Décurarisation adéquate 0,7 Traction canule buccale 0,6 Seuil de détection au Double Burst Stimulation (DBS) 0,4 Head Lift Test (HLT) 0,3 Seuil de détection visuelle au Train-de Quatre (Td4) 0,2 Ventilation minute adéquate 0
Peut on éviter la curarisation résiduelle? Constat 2 : monitorer la curarisation Si on s en tient à la définition de la curarisation résiduelle, seul le monitorage instrumental utilisant la mesure objective du rapport T4/T1 à l adducteur du pouce permet d éliminer formellement le diagnostic. The ideal world is one thing, the real world another! Viby-Mogensen J. Editorial BJA 2000
Peut on éviter la curarisation résiduelle? «Les tests cliniques ne suffisent pas à garantir l'absence de curarisation résiduelle ; le monitorage instrumental constitue l'élément principal du suivi de la décurarisation» Conférence de consensus : (1999) Indications de la curarisation en anesthésie
Peut on éviter la curarisation résiduelle? Monitorage neuromusculaire en pratique clinique : accélérométrie
Peut on éviter la curarisation résiduelle? Surveillance instrumentale des myorelaxants en pratique clinique -Td4 : T4/T1 90% (mesure quantitative) Peu douloureux Patients éveillés - DBS : estimation visuelle ou tactile de la fatigue de la 2ème réponse (T4/T1 60%) -Td4 : estimation visuelle ou tactile du rapport T4/T1 (T4/T1 40%) Douloureux Patients endormis -Tétanos 100Hz, 5 secondes, estimation visuelle de la fatigue
Peut on éviter la curarisation résiduelle? Fatigue détectable visuellement Baurain MJ et al. Anesth Analg 1998
Peut on éviter la curarisation résiduelle? Intérêt du monitorage neuromusculaire Gatke MR., et al. Acta Anaesthesiol scand, 2002
Peut on éviter la curarisation résiduelle? Constat 3 : Antagonisation du bloc neuromusculaire Prostigmine (Néostigmine ) L antagonisation accélère la décurarisation il faut vérifier la présence d une décurarisation spontanée : - Deux réponses au Td4 (curares de durée d action intermédiaire) - Quatre réponses au Td4 (curares de durée d action longue) Posologie : - 40-50 µg/kg - 20 µg/kg si T4/T1 40% Associée à l Atropine, 0,15 µg/kg (bloquer les effets cholinergiques) Ne pas oublier le délai d action
Peut on éviter la curarisation résiduelle? Evolution de la récupération Rocuronium 1 injection + halogéné 120' 0 35 Twitch 25% 60 T4/T1 80% 0 35 Twich 25% 45 T4/T1 80% Rocuronium 0,6 mg/kg IV (2 DA 95) halogéné Hans P et al. Acta Anaesth Belg 1996 Kumar N et al. BJA 1996 Lowry DW et al. Anesth Analg 1998 Jellish WS et al. Anesth Analg 2000 Reid et al. Can J Anaesth 2001
Evolution du Td4 (T4/T1) Après antagonisation T4/T1 1 0,8 0,6 0,4 0,2 0 Pancuronium (n = 14) Vecuronium, Rocuronium et Atracurium (n = 14 x 3) 0 3 6 9 12 15 min Baurain MJ et al. BJA 1996
Nombre de patients (%) présentant un Td4 (T4/T1) < 80 % 15 ' après antagonisation % patients 50% 40% 30% 20% 10% 0% Pancuronium (n = 230) Vecuronium et Atracurium (n = 230 x 2) 0 5 10 15 20 30 40 50 min Berg H et al. Acta Anaesthesiol Scand 1997
Peut on éviter la curarisation résiduelle? «La décurarisation pharmacologique est recommandée si la décurarisation complète ne peut être affirmée. Il n existe pas de contre-indication à la décurarisation pharmacologique, en dehors de circonstances exceptionnelles» Conférence de consensus : (1999) Indications de la curarisation en anesthésie
Intérêt du monitorage neuromusculaire et de l antagonisation % patients 100 Monitorage neuromuculaire et/ou antagonisation % patients avec une curarisation residuelle en SSPI 80 60 40 20 0 1995 n=435 2000 n=130 2002 n=101 2004 n=218 Baillard C et al. BJA 2005
- L Org 25969 (sugammadex) est un nouvel antagoniste de la curarisation apparu au début des années 2000. - Plus qu un nouveau produit, il s agit d un nouveau concept d antagonisation qui ne concerne que les blocs induits par les curares stéroïdes.
+ = rocuronium Org 25969 - Injecté dans la circulation, l Org 25969 capture les molécules de rocuronium et crée un gradient de concentration entre la jonction neuromusculaire et le plasma provoquant un retour massif du curare vers le plasma à son tour capturé par l antagoniste. - L Org 25969 est ensuite rapidement éliminé par le rein, en y emmenant la molécule de rocuronium ainsi capturée, prévenant toute recurarisation secondaire.
- L intérêt de l Org 25969 réside dans sa rapidité d action Délai de récupération d un T4/T1 > 0,9 après injection de Org 25969 à la réapparition de la 2ème réponse au Td4 Shields et al. BJA 2006
- L intérêt de l Org 25969 réside la possibilité d antagoniser des blocs profonds Gijsenbergh F et al. Anesthesiology 2005
L Org 25969 fait encore l objet d études de tolérance et de doses mais pourrait être à la disposition du clinicien dans les deux ans.
Conclusion La curarisation résiduelle est définie par un rapport T4/T1 < 0,9 au trainde quatre sur l adducteur du pouce. L évaluation clinique est utile et nécessaire mais ne permet pas de garantir l absence de curarisation résiduelle. Le recours au monitorage instrumental est impératif pour certifier l absence de curarisation résiduelle. La curarisation résiduelle est encore présente chez près d un patient sur deux dans la période postopératoire.
Conclusion La curarisation résiduelle est dangereuse, favorisant les pneumopathies postopératoires. Le monitorage peropératoire du bloc neuromusculaire et l antagonisation diminuent significativement l incidence de la curarisation résiduelle. L utilisation de l antagonisation du bloc neuromusculaire doit être la plus large possible. Les contre-indications sont extrêmement rares. Un nouvel antagoniste bientôt à notre disposition?