Tribunal administratif N 37091 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 octobre 2015 4 e chambre Audience publique du 8 novembre 2016 Recours formé par Monsieur...,, contre une décision du ministre de l Immigration et de l Asile en matière de sursis à l éloignement JUGEMENT Vu la requête inscrite sous le numéro 37091 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2015 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur..., né le à (Algérie), de nationalité algérienne et demeurant à L-, tendant à l annulation d une décision du ministre de l Immigration et de l Asile du 30 juillet 2015 portant refus de lui accorder un sursis à l éloignement ; Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2016 ; Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 26 février 2016 par Maître Frank Wies au nom de son mandant ; Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ; Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Elise Orban, en remplacement de Maître Frank Wies, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives. Par un arrêt de la Cour administrative du 2 juin 2015, inscrit sous le numéro 36097C du rôle, confirmant le jugement du tribunal administratif du 2 mars 2015, inscrit sous le numéro 34590 du rôle, le recours introduit par Monsieur... contre la décision ministérielle refusant sa demande en obtention d une protection internationale présentée en date du 3 mars 2011 au ministère des Affaires étrangères, direction de l Immigration, fut définitivement rejeté comme n étant pas fondé. Par courrier du 1 er juillet 2015 adressé au ministre de l Immigration et de l Asile, ciaprès désigné par «le ministre», le mandataire de Monsieur... sollicita un sursis à l éloignement au sens de l article 130 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l immigration, ci-après désignée par «la loi du 29 août 2008», en indiquant qu en raison de son état de santé, Monsieur... ne pourrait pas être éloigné vers son pays d origine et en y annexant deux certificats médicaux établis par deux spécialistes en psychiatrie, ainsi qu un document ayant été publié dans le mensuel algérien de la santé «SantéMag.dz». 1
En date du 3 juillet 2015, le dossier médical de Monsieur... fut soumis par le ministre pour avis au médecin délégué du Service médical de l Immigration de la direction de la Santé, ci-après désigné par le «médecin délégué». Dans son avis du 28 juillet 2015, le médecin délégué arriva à la conclusion que «l état de santé de... ne nécessite pas de prise en charge médicale dispensée au Luxembourg dont le défaut entraînerait pour elle/lui des conséquences d une exceptionnelle gravité ; par conséquent,... ne remplit pas les conditions médicales pour bénéficier d un sursis à l éloignement.». Par décision du 30 juillet 2015, adressée au mandataire de Monsieur..., le ministre lui refusa le sursis à l éloignement en raison de son état de santé. Cette décision est libellée comme suit : «J ai l honneur de me référer à votre courrier du 1 er juillet 2015 par lequel vous sollicitez un sursis à l éloignement conformément aux articles 130 et suivants de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l immigration pour le compte de votre mandant. Il y a lieu de rappeler que votre mandant a été définitivement débouté de sa demande de protection internationale en date du 2 juin 2015 et qu il est dans l obligation de quitter le territoire luxembourgeois. Le médecin délégué de la Direction de la Santé a été saisi en date du 3 juillet 2015 concernant l état de santé de votre mandant et suivant son avis du 28 juillet 2015, reçu le 30 juillet 2015 un sursis à l éloignement lui est refusé conformément aux articles 130 et 132 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l immigration. En effet, il ressort du prédit avis, dont vous trouvez une copie en annexe, que «( ) Vu le certificat médical du Dr K, psychiatrie, établi en date du 26.06.2015 ; Vu le rapport médical du Dr E, psychiatrie, établi en date du 10.12.2012 ; Vu l article du Dr B ; Vu les résultats de la base de données MedCOI BMA 6064 ; Vu l examen du dossier médical réalisé le 15.07.2015 par le médecin délégué ; Le patient souffre de dépression post-traumatique avec des symptômes psychotiques ; traitement par psychotropes et psychothérapie ; considérant que la prise en charge de... Larbi peut être réalisée dans pays d origine ( ) l état de santé de... Larbi ne nécessite pas une prise en charge médicale dispensée au Luxembourg dont le défaut entraînerait pour elle/lui des conséquences d une exceptionnelle gravité, par conséquent... Larbi ne remplit pas les conditions médicales pour bénéficier d un sursis à l éloignement» ( )». Par requête déposée le 27 octobre 2015 au greffe du tribunal administratif, Monsieur... a fait introduire un recours tendant à l annulation de la décision ministérielle précitée du 30 juillet 2015 portant refus de lui accorder un sursis à l éloignement. Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond à l égard d une décision rendue en matière de sursis à l éloignement, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision litigieuse. Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable. 2
A l appui de son recours, le demandeur fait tout d abord valoir que depuis un incident ayant eu lieu dans son pays d origine, il souffrirait d une dépression avec symptôme psychotique, d une anxiété permanente, d une perte de confiance et d une méfiance envers son entourage et qu il serait obligé de continuer à se soumettre à des soins psychiatriques et de prendre un médicament psychotrope de manière régulière et pour une durée prolongée. Il explique que, sur base du diagnostic de son psychiatre, son état mental ne lui permettrait pas de retourner en Algérie et donne à considérer qu un retour dans son pays d origine, où il aurait subi son traumatisme mental, équivaudrait à un traitement inhumain. Monsieur... affirme avoir perdu confiance dans les autorités de son pays d origine et en l absence d une structure encadrée l accompagnant dans la vie quotidienne, il se dirigerait directement «vers une désinsertion sociale totale». Il estime que contrairement aux affirmations du médecin délégué, une absence de prise en charge médicale entraînerait pour lui des conséquences d une exceptionnelle gravité. Il en conclut que ses diverses pathologies nécessiteraient un traitement complet et régulier dont il ne pourrait pas bénéficier en Algérie en raison des faiblesses du système de santé psychiatrique. Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en soulevant que le certificat médical versé en cause se baserait uniquement sur les dires du demandeur et qu il serait loin d être établi que la soi-disante cause de son traumatisme aurait effectivement eu lieu. Il insiste sur le fait que Monsieur... pourrait bénéficier des médicaments prescrits, ainsi que de la psychothérapie dans son pays d origine. Aux termes de l article 130 de la loi du 29 août 2008 : «Sous réserve qu il ne constitue pas une menace pour l ordre public ou la sécurité publique, l étranger ne peut être éloigné du territoire s il établit au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d une exceptionnelle gravité, et s il rapporte la preuve qu il ne peut effectivement bénéficier d un traitement approprié dans le pays vers lequel il est susceptible d être éloigné». L article 131 de la même loi précise que : «(1) L étranger qui satisfait aux conditions énoncées à l article 130 peut obtenir un sursis à l éloignement pour une durée maximale de six mois. Ce sursis est renouvelable, sans pouvoir dépasser la durée de deux ans». Il résulte de ces dispositions que pour pouvoir bénéficier d un sursis à l éloignement, l étranger qui ne doit pas présenter une menace pour l ordre public ou la sécurité publique, doit remplir deux conditions cumulatives, à savoir, en premier lieu, établir que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d une exceptionnelle gravité et, ensuite, qu il ne peut effectivement pas bénéficier d un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays vers lequel il est susceptible d être éloigné. Quant à la maladie susceptible d être prise en compte aux termes de l article 130, précité, il convient de se référer aux travaux préparatoires ayant abouti à la loi du 29 août 2008 1 qui renseignent au sujet de l article 131 que : «Les personnes ne résidant pas ou plus légalement sur le territoire ne peuvent être éloignées, malgré une décision d éloignement à leur égard, si elles sont atteintes d une maladie grave qui nécessite impérativement une prise en charge médicale dont elles ne pourront bénéficier dans le pays vers lequel elles sont susceptibles d être éloignées. La maladie qui est prise en compte est celle qui, sans traitement 1 doc. parl. n 5802, p. 86, sous ad article 131 3
ou soins médicaux, entraîne des conséquences d une exceptionnelle gravité pour la personne concernée, notamment celle qui peut causer la mort de la personne, réduire son espérance de vie ou entraîner un handicap grave. La question de savoir s il existe un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays d origine devra s analyser au cas par cas, en tenant compte de la situation individuelle du demandeur». A l appui de sa demande de sursis à l éloignement du 1 er juillet 2015, le demandeur a soumis au ministre un certificat médical du docteur P.K. du 26 juin 2015, lequel est libellé comme suit : «( ) Ce patient m a raconté avoir été victime de plusieurs agressions violentes par un groupe de personnes qu il qualifie de terroristes depuis juin 2009 en Algérie. Il dit avoir subi des menaces de mort, des intimidations (assassinat de 3 clients de son taxi!), de la violence physique et psychique, ainsi qu une tentative de meurtre par arme à feux (blessure à la joue et fractures dentaires). Ne se sentant plus en sécurité dans son pays, ni protégé par la police et ses demandes de visa ayant été refusées, il n a eu d autre choix que de fuir son pays par ses propres moyens au courant de l année 2010 pour finalement arriver au Luxembourg en 2011 et entamer des démarches de demande d asile au Grand- Duché. A la suite de ces agressions répétées, Monsieur... semble avoir développé une dépression post-traumatique sévère avec des symptômes psychotiques. Actuellement, il existe toujours des séquelles importantes du traumatisme psychique, à savoir une dépression avec symptômes psychotiques, une anxiété permanente, une perte de confiance et une méfiance envers son entourage. Malgré sa fuite, il y a 5 ans, Monsieur... ressent encore beaucoup de difficultés à se sentir en sécurité au Luxembourg et à se projeter dans l avenir. Un retour dans son pays d origine ne semble pas envisageable et dangereux pour lui et il pourrait avoir des conséquences dommageables pour sa santé psychique et physique. Monsieur... nécessité de poursuivre des soins psychiatriques et de prendre un traitement psychotrope au long cours.». Un «rapport médical» du docteur E.A. du 10 décembre 2012 certifie que Monsieur... est en consultation pour une «dépression réactionnelle» et atteste que «Malgré que l état général du patient nécessite la continuité de prise des antidépresseurs et anxiolytique et un accompagnement psychothérapeutique, il n y pas de contre-indication au fait que le patient se présente au ministère pour un entretien concernant sa demande d asile». Force est au tribunal de constater que ces certificats ne permettent pas de retenir que l état de santé de Monsieur... soit d une gravité telle qu il nécessite un traitement dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d une exceptionnelle gravité et partant réponde aux conditions de gravité posées par l article 131 précité. Face à ces certificats et au regard de la conclusion retenue par le médecin délégué dans son avis du 28 juillet 2015, le ministre pouvait sans violer la loi et sans commettre une erreur manifeste d appréciation, retenir dans sa décision du 30 juillet 2015 que Monsieur... ne remplit pas les conditions posées par les articles 130 et suivants de la loi du 29 août 2008 et partant rejeter la demande de sursis à l éloignement du demandeur. 4
En effet, il suit de l ensemble des considérations qui précèdent que les certificats médicaux versés pars le demandeur ne sont pas de nature à contredire le constat du ministre selon lequel l état de santé du demandeur ne répond pas aux conditions posées par les articles 130 et 131 de la loi du 29 août 2008. Il s ensuit que le demandeur, sur lequel repose la charge de la preuve, n a pas rapporté à suffisance de droit la preuve que son état de santé nécessiterait une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d une exceptionnelle gravité, de sorte que la première condition posée par l article 130 de la loi du 29 août 2008 pour l obtention d un sursis à l éloignement n est pas remplie en l espèce. Etant donné qu il se dégage des considérations qui précèdent que le demandeur ne remplit pas la première condition posée par l article 130 de la loi du 29 août 2008, il ne saurait, en l état actuel d instruction de son dossier, prétendre à un sursis à l éloignement. Cette conclusion s impose sans qu il ne soit nécessaire d examiner si Monsieur... remplit la deuxième condition cumulative posée par l article 130 de la loi du 29 août 2008. Il suit de l ensemble des considérations qui précèdent que c est à bon droit que le ministre a pu refuser par sa décision du 30 juillet 2015 la demande d un sursis à l éloignement du demandeur, de sorte que le recours en annulation est à rejeter comme non fondé. Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l égard de toutes les parties ; reçoit le recours en annulation en la forme ; au fond, le déclare non justifié et en déboute ; donne acte au demandeur qu il déclare bénéficier de l assistance judiciaire ; condamne le demandeur aux frais. Ainsi jugé par : Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, premier juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l audience publique du 8 novembre 2016 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken. s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l original Luxembourg, le 08/11/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 5