Texte de Hobbes. Thème : La raison et le sensible

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Texte de Hobbes. Thème : La raison et le sensible PLAN Introduction Étude ordonnée 1 La nouveauté, dans l expérience, fait naître l admiration et la A L expérience et la connaissance progressent de manière concomitante B Le constat du gain de connaissance qu engendre la multiplication des expériences fait naître en l homme la passion de l admiration et de la 2 L admiration et la sont à la source de toute réflexion et de toute connaissance A L homme et l animal sont tous deux confrontés à la nouveauté B L homme se distingue de l animal par le langage et par l admiration C La connaissance est propre à l homme car lui seul est capable de Conclusion Introduction «C est l étonnement qui poussa les premiers penseurs aux spéculations philosophiques», dit Aristote. Les spéculations de l esprit seraient provoquées par la surprise éprouvée devant un phénomène que, de prime abord, nous ne comprenons pas. Ce texte de Hobbes fait écho à cette idée, mais en infléchissant l étonnement vers l admiration et la, tout en approfondissant l enquête génétique de la connaissance. Si ce sont bien des passions qui constituent les sources de la connaissance, qu est-ce qui fait naître alors ces passions? sont-elles innées? sont-elles une nostalgie d un savoir oublié ou bien naissent-elles de l expérience, devant le spectacle de la nouveauté? En quoi la réponse à cette question permet-elle de légitimer le postulat de départ selon lequel l expérience est la base de toute connaissance?

1. La nouveauté, dans l expérience, fait naître l admiration et la A. L expérience et la connaissance progressent de manière concomitante Le texte s ouvre sur un postulat : «Comme l expérience est la base de toute connaissance» Le propos qui va suivre ne va pas porter sur la discussion de la place de l expérience dans la connaissance. La question n est pas ici de savoir si l expérience est constitutive de la connaissance, ni si elle en est seulement la matière ou un élément. Hobbes constate simplement que toute connaissance présuppose l expérience à la manière d un édifice qui ne tire sa solidité que de sa base. «Comme» signifie ici «étant donné que». Le questionnement est donc plus génétique que transcendantal ou épistémologique. En effet, partant du fait que la connaissance et l expérience sont intimement liées, on peut en déduire qu elles progressent de manière concomitante : «de nouvelles expériences sont la source de nouvelles sciences». Hobbes précise ici le rapport qui lie la connaissance et l expérience : l expérience, c est-à-dire ici les événements de la vie empirique, est la «source (des) sciences», et les «expériences accumulées doivent contribuer à les augmenter». L expérience ne suffit pas à elle seule à constituer un savoir stable («science» est ici à prendre au sens large), mais elle en est l origine chronologique et le «déclencheur» (la «source»). Ainsi, l accumulation des découvertes d événements et de phénomènes nouveaux constitue des expériences et fait qu on a de l expérience, mais en tant que telle n est pas à elle seule une accumulation de connaissances : elle «contribue» seulement à «augmenter» les connaissances. B. Le constat du gain de connaissance qu engendre la multiplication des expériences fait naître en l homme la passion de l admiration et de la Le sujet du texte n étant pas la légitimité ou l objectivité du savoir et des sciences, Hobbes n approfondit pas ici l analyse du rôle de l expérience dans la connaissance. Ce qui importe, ce sont les impressions que produit sur l homme la concomitance du progrès du savoir et de l accumulation des expériences il peut «espérer» apprendre quelque chose chaque fois qu il sera confronté à du «neuf», c est-à-dire à un phénomène qu il n a jamais rencontré auparavant. Sachant que l expérience est la base de toute connaissance, toute expérience nouvelle pour un homme «lui donne lieu» d espérer «bâtir» une nouvelle connaissance. Cette espérance n est pas un simple vœu pieux : l homme est en «attente» d une connaissance

future devant «tout ce qui lui arrive de neuf», comme on attend l effet (ici, la connaissance) lorsque la cause se produit (ici, ce qui est neuf). Cette espérance et cette attente sont définies par Hobbes : elles consistent en une passion, l «admiration». Pourquoi s agit-il d une passion? Sachant que l étymologie latine du terme «passion» est patior, «supporter», «souffrir», la passion caractérise une forme de passivité du sujet. L admiration est provoquée en l homme par le surgissement de l étrange, autrement dit de l inconnu, de l inédit ; l homme ne le recherche pas activement. En effet, la recherche de l étrange supposerait que l on en possède déjà une représentation : il ne serait donc plus étrange. Ainsi l admiration est bien un principe irrationnel dont l homme n est pas l origine volontaire. On pourrait néanmoins croire que ce qui est neuf, «étrange», non familier provoque plutôt de la crainte, voire de l effroi. Mais comme les «nouvelles expériences» conduisent à de «nouvelles sciences», on est pris d admiration car on en retire un savoir bénéfique, qui, comme tel, est un rempart à la crainte irrationnelle. À un moindre degré, en tant que désir simplement, l admiration devient. Ainsi, dans une perspective radicalement antiplatonicienne, Hobbes refuse toute origine métaphysique au désir de connaître. Nous désirons connaître les lois qui régissent ce monde, nous désirons savoir l origine des choses simplement parce que nous avons constaté par l expérience que nous sommes capables de savoir. 2. L admiration et la sont à la source de toute réflexion et de toute connaissance A. L homme et l animal sont tous deux confrontés à la nouveauté Il s agit alors de savoir en quoi le désir de connaître est le propre de l homme, alors même qu il est confronté à la nouveauté au même titre que les animaux. L une des spécificités du jugement que l homme porte sur les choses, c est qu il leur «impose des noms». Hobbes pose ici que seul l homme est capable de langage : son rapport aux choses passe par la médiation des noms, et ces noms, en tant qu ils sont «imposés aux choses», relèvent d une convention ou d une décision. L aptitude au langage permet de ramener l inconnu au connu (puisqu un mot permet de ramener les cas particuliers sous un genre, et de classer, par exemple, l individu x qui se présente devant moi dans le genre «homme»). Cependant, cette aptitude ne suffit pas à rendre compte de l actualisation du désir de connaître. En effet, être capable de connaître n implique pas nécessairement que l on désire connaître. C est pourquoi la distinction

entre l homme et l animal réside également dans la «passion de la». Alors que l animal ne se préoccupe que de l utile ou du nuisible, pour sa propre survie et pour celle de son espèce, l homme «surpasse» les bêtes par son désir de comprendre : son désir n est pas uniquement désir de conservation biologique. Le rapport de l animal aux choses nouvelles ou étranges est «unilatéral», et de ce fait, sa réaction l est aussi : il «s approche ou fuit» une chose nouvelle (un autre animal, un milieu, de la nourriture) selon qu elle peut lui être utile ou lui nuire. L animal n est pas interpellé par la nouveauté. B. L homme se distingue de l animal par le langage et par l admiration L homme, en revanche, est frappé par l étrange, c est-à-dire par ce qui est apparemment sans cause connue. Il est animé par la devant le spectacle de la nouveauté. Son rapport au monde n est donc pas seulement pragmatique, mais aussi théorique. Doué de mémoire, il tire des leçons de ses expériences précédentes, parce qu il «se rappelle» la manière dont les événements ont été causés ou comment ils ont pris naissance. La mémoire de la cause et de l origine des événements passés l engage à chercher «le commencement ou la cause de tout ce qui se présente de neuf à lui». C. La connaissance est propre à l homme car lui seul est capable de Le désir de connaître, l espérance d une connaissance future, autrement dit le désir, l espérance et l attente de ramener l inconnu au connu engendre donc l invention des mots le langage, mais également «la supposition des causes qui pouvaient engendrer toutes choses». En d autres termes, devant la nouveauté, l homme peut légitimement espérer acquérir une connaissance nouvelle. Or, celle-ci consistant en l établissement de relations de cause à effet, l admiration et la conduisent l homme à «supposer des causes» à l événement neuf qui se produit devant lui. L admiration et la sont «la source de toute philosophie», en ceci que toute philosophie est recherche des fondements et des causes, y compris la métaphysique (qui recherche des causes aux phénomènes au-delà des phénomènes). Conclusion Ainsi, Hobbes a mis en lumière l origine du savoir (la passion d admiration et de ), en montrant comment la connaissance se constitue (par l expérience) et en quoi elle consiste (l établissement de liens de

cause à effet). La connaissance rationnelle trouve donc sa source, son «moteur», dans un principe irrationnel. Néanmoins, cette passion n a pas d origine métaphysique : elle naît de la profonde originalité du rapport de l homme à l expérience. L homme est le seul à être apte à la connaissance et à être animé du désir de connaître, car lui seul est doté de mémoire. C est pourquoi le langage et la passion de l admiration et de la, ainsi que le savoir qu ils autorisent, sont le propre de l homme. Ouvertures LECTURES Hobbes, De la nature humaine, Vrin. Hobbes, Traité de l homme.