1 TC Aff 3956 M. L. c/ Société SEMMARIS Renvoi du Conseil d Etat Rapp. T. Fossier Séance du 7 juillet 2014 Comment qualifier le contrat par lequel une société d économie mixte, délégataire de service public, confie à une personne privée une mission d assistance et de conseil dans le cadre de la renégociation de contrats portant autorisation d occuper le domaine public dont elle est gestionnaire? Telle est la portée de la question de compétence qui vous a été renvoyée par le Conseil d Etat. M. L., qui avait occupé diverses fonctions au sein de la Société d économie mixte d aménagement et de gestion du marché d intérêt national de la région parisienne, la SEMMARIS, jusqu à sa retraite en juin 2001, s était vu confier, par son ancien employeur, en août 2001, une fonction d intermédiaire dans la renégociation de deux conventions d occupation domaniale conclues avec la SCI Pondorly, d une part, et la société Total Fina Elf, d autre part. Si l existence de ce contrat verbal n a jamais été contestée, ses parties se sont en revanche opposées sur le montant de sa rémunération. Estimant le montant perçu insuffisant au regard de l engagement pris par la SEMMARIS, M. L. a d abord assigné celleci devant le tribunal de commerce de Créteil. Mais ce dernier, par un jugement en date du 14 décembre 2004, a décliné la compétence du juge judiciaire. Cette incompétence a été confirmée par un arrêt de la cour d appel de Paris du 9 mai 2007 au motif que le contrat conclu entre M. L. et la SEMMARIS avait un caractère administratif à raison de son objet. M. L. a alors saisi la juridiction administrative du litige. Alors que le tribunal administratif de Melun, par un jugement du 17 septembre 2010, avait condamné la SEMMARIS à lui verser 91 594 euros, la cour administrative d appel de Paris, dans un arrêt du 7 mars 2013, a rejeté sa demande. Saisi en cassation, le Conseil d Etat a estimé que le contrat conclu entre la SEMMARIS et M. L. ne pouvait être qualifié de contrat administratif dans la mesure où il ne portait pas sur l occupation du domaine public et qu il ne constituait pas l accessoire d un contrat conclu par la SEMMARIS pour le compte de l Etat. Constatant que le juge judiciaire avait décliné sa compétence par une décision devenue définitive, le Conseil d Etat, dans une
2 décision du 12 mars 2014, vous a renvoyé la question de compétence posée en application de l article 34 du décret du 26 octobre 1849. M. L. étant décédé le 4 février 2014, ses héritiers ont repris l instance. Rappelons que la SEMMARIS est une société d économie mixte chargée de l aménagement et de la gestion du marché d intérêt national de la région parisienne. Il s agit d une société privée à qui l Etat a confié une délégation service public qu elle exerce sur son domaine public : vous pouvez voir sur cette mission de service public la décision du Conseil d Etat du 9 décembre 1988 Société Berty, 55605. Comme vous le savez, le principe est qu un contrat conclu entre deux privées est un contrat de droit privé. Peu importe notamment que l une des parties soit délégataire d un service public : vous pouvez voir en ce sens la décision de section du Conseil d Etat du 15 mai 1991 Association «Girondins de Bordeaux Football Club», 124067, au recueil p. 179. Ce principe connaît toutefois deux séries d exceptions : -la première résulte de la loi. C est notamment le cas du décret-loi du 17 juin 1938, codifié, depuis 2006, à l article L. 2331-1 du code général de la propriété des personnes publiques, qui fait relever de la compétence de la juridiction administrative les litiges relatifs aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public. Mais en l espèce, le contrat conclu, en 2001, entre la SEMMARIS et M. L. ne relève pas du décret-loi du 17 juin 1938. Certes, la SEMARIS étant délégataire d un service public, les contrats qu elle conclut avec des personnes privées qui comportent occupation du domaine public sont des contrats administratifs : vous pouvez voir en ce sens votre décision du 9 décembre 2013 Eurl Aquagol, 3925, à mentionner aux tables. Toutefois, le contrat conclu avec M. L. n avait pas pour objet même l occupation du domaine public puisqu il confiait à l intéressé des prestations de conseil et d assistance dans le cadre de la renégociation de conventions domaniales. Peut-on néanmoins le regarder comme un accessoire d un contrat comportant occupation du domaine public? Nous ne le croyons pas dès lors qu il ne suffit pas qu un contrat soit conclu en vue de l élaboration d un contrat ultérieur pour qu il en soit l accessoire. Dans votre décision du 21 mars 2005 Société Slibail Energie, 3436, au recueil p. 653, vous avez ainsi regardé comme un contrat de droit privé le contrat de crédit-bail, conclu avec une société concessionnaire de service public, alors même qu il s agissait d assurer le
3 financement des travaux de construction des ouvrages nécessaires à l exécution de son contrat de concession. De même votre décision du 8 juillet 2013 Société d exploitation des énergies photovoltaïques, 3906, à publier au recueil, refuse de regarder comme un accessoire du contrat d achat de l électricité d origine photovoltaïque par EDF, le contrat de raccordement de l installation de production de cette électricité au réseau de transport et de distribution de l électricité, alors même que ce raccordement était le préalable technique indispensable au rachat de l électricité. En l espèce, il nous semble que le contrat de prestations d assistance et de conseil conclu avec M. L. ne présente pas de lien suffisant avec les contrats comportant occupation du domaine public pour la conclusion desquels il est intervenu, pour être regardé comme leur accessoire. Ce contrat ne portait en effet pas sur la renégociation des contrats mais uniquement sur des prestations d assistance à cette fin. -au-delà des exceptions légales au critère organique du contrat administratif, il existe aussi des exceptions jurisprudentielles qui peuvent vous conduire à qualifier de contrat administratif un contrat conclu entre deux personnes privées. Si ne peut être en cause, en l espèce, celle qui a pris naissance, pour les travaux relatifs aux autoroutes, dans votre décision du 8 juillet 1963 Société entreprise Peyrot, 01804, au recueil p. 787, il faut s interroger sur la seconde qui tient à la possibilité de regarder l un des deux cocontractants comme mandataire d une personne publique. Dès lors qu il n y a en l espèce, ni mandat exprès de la personne publique, ni contrat de maîtrise d ouvrage déléguée conclu sur le fondement de la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique, le caractère administratif du contrat conclu avec M. L. suppose que la SEMMARIS ait agi pour le compte de l Etat. En effet, depuis la décision de section du Conseil d Etat en date du 30 mai 1975 Société d équipement de la région montpelliéraine, au recueil p. 326, et votre décision du 7 juillet 1975 Commune d Agde, au recueil p. 798, sont susceptibles d être regardés comme des contrats administratifs les contrats conclus entre deux personnes privées lorsque l une d elle «agit pour le compte» d une collectivité publique. Si cette théorie dite du «mandat administratif» s est développée à propos de contrats conclus par des sociétés privées concessionnaires d aménagement, elle a aussi été appliquée dans d autres domaines. Vous pouvez voir pour l octroi de prêts pour le compte de l Etat la décision de section du Conseil d Etat du 18 juin 1976 dame Culard, 96762, au recueil p. 319, ou pour la mission d inspection et de filtrage des passagers et des bagages assurée par Aéroport de Paris pour le compte de l Etat sa décision du 3 juin 2009 Société Aéroports de Paris, 323594, au recueil p. 216.
4 Toutefois, eu égard aux difficultés de maniement de cette notion de mandat, votre jurisprudence récente en a réduit la portée en instituant des présomptions de contrats de droit privé. Vous avez ainsi jugé qu une personne privée est regardée comme agissant, en principe, pour son propre compte, lorsqu elle contracte avec d autres personnes privées dans trois hypothèses : -la première concerne la personne privée délégataire de service public : c est votre décision du 9 juillet 2012 Compagnie générale des eaux c/ ministre de l écologie et du développement durable, 3834, aux tables p. 653, -la deuxième porte sur la personne privée chargée, par une convention d aménagement de la réalisation d ouvrages publics rémunérée par la vente ou la location d ouvrages réalisés pour son compte. Votre décision du 15 octobre 2012 Sarl Port Croisade, 3853, aux tables p. 653, juge qu elle doit, en principe, être regardée comme agissant pour son propre compte, y compris lorsqu elle réalise l ouvrage public qu elle remet immédiatement à la collectivité publique. Cette jurisprudence s inscrit dans la logique de l approche globale de tels contrats déjà adoptée par le Conseil d Etat dans sa décision du 11 mars 2011 Communauté d agglomération du grand Toulouse, 330722, aux tables p. 843. -la dernière porte sur la personne privée à qui a été confiée l exploitation d un ouvrage public, même si son contrat ne peut être qualifié de délégation de service public : c est votre décision du 16 juin 2014 Société d exploitation de la Tour Eiffel, 3944, à publier au recueil. En l espèce, la SEMMARIS a été chargée d assurer l aménagement et la gestion du marché de Rungis par un décret du 27 avril 1965, qui a renvoyé à une convention, conclue le 23 février 1967, réglant les relations entre cette société et l Etat. Son article 2 a prévu que ce dernier mettrait à sa disposition un ensemble de terrains lui appartenant ou lui ayant été concédés par l ancien département de la Seine pour la création du marché de Rungis. Le Conseil d Etat, dans une décision du 22 juillet 1977 Société «Nord Océan Poirsos et compagnie», 99180, au recueil p. 347, a jugé que la SEMMARIS, «lorsqu elle concède à un usager la construction de bâtiments ou l aménagement d installations sur ces terrains, agit non pour son propre compte, mais pour le compte de l Etat». Cette analyse était fondée sur l article 6 de la convention du 23 février 1967 stipulant que les bâtiments et installations, réalisés ou acquis par la SEMMARIS, qui ne pouvait faire l objet de baux commerciaux, étaient la propriété de l Etat dès leur édification ou acquisition. Elle s inscrivait dans la logique de la théorie du mandat administratif.
5 On peut toutefois se demander dans quelle mesure cette analyse ne doit pas être réexaminée au regard de la présomption posée par votre jurisprudence récente dès lors que la SEMMARIS a la qualité de délégataire de service public. Mais, en tout état de cause, en l espèce, le contrat verbal conclu avec M. L. n avait pas pour objet la construction de bâtiments ou l aménagement d installations puisqu il s agissait de lui confier des prestations d intermédiaire pour la renégociation de conventions domaniales. Il n entre donc pas dans le champ de la décision Société «Nord Océan Poirsos et Compagnie». La SEMMARIS doit dès lors être regardée, en l absence de disposition contraire, comme ayant agi pour son propre compte en concluant un contrat de prestations de services avec M. L. Nous vous proposons donc de juger que le contrat conclu entre M. L. et la SEMMARIS est un contrat de droit privé, dans la mesure où il ne comporte pas occupation du domaine public et qu il a été conclu par la SEMMARIS pour son propre compte. Par ces motifs, nous concluons à la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître du litige opposant les héritiers de M. L. à la SEMMARIS.