Mission «Logiciel à Grenoble»



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Transcription:

Mission «Logiciel à Grenoble» «faire un état des lieux de l écosystème logiciels et systèmes intelligents produire une analyse de ce secteur d activité stratégique pour l agglomération grenobloise afin d éclairer utilement l avenir» 1 Marc Baietto et Geneviève Fioraso, Président et 1 ère Vice- Présidente de Grenoble Alpes Métropole, Septembre 2011 1 Voir lettre de mission en Annexe 1. 2 Comme c est l usage dans l agglomération, nous désignerons ainsi «Grenoble Alpes Métropole» J.P. Verjus Mai 2012 Page 1

Introduction Pourquoi une telle mission? Y a t- il des doutes sur le caractère stratégique de cette activité à Grenoble, berceau de l informatique académique française, terre d envol de Cap Gemini, l une des premières villes à créer une ZIRST dédiée en grande partie à des sociétés de haute technologie dans ce domaine, ville choisie par Hewlett- Packard pour y installer un site de production d ordinateurs? Se poser cette question, me proposer cette mission, c est déjà et en grande partie, de la part de la «Métro 2» comme très vraisemblablement de la part de nombreux grenoblois, avancer une réponse : Grenoble a- t- elle ou risque- t- elle de mal négocier une étape importante de son développement? De quel «logiciel» ou plus communément de quelle informatique parle- t- on au juste? De la recherche dans le domaine des «sciences informatiques», du développement de systèmes à «logiciel prépondérant», de l industrie des calculateurs, des éditeurs de logiciel, des sociétés de service en informatique, des sociétés de haute technologie, de l enseignement de l informatique à l école, au lycée, à l université et dans les écoles d ingénieurs, de l usage de l informatique dans l enseignement, au domicile, dans les administrations, dans les services, dans les entreprises, petites ou grosses? Parle- t- on du numérique, autrement dit du couplage très étroit de l informatique et du logiciel avec toutes les autres sciences ou technologies, dans les développements de tous les systèmes complexes comme dans les applications et les usages? Pour la plupart de ces sujets, on doit être rassuré sur la position grenobloise ; en particulier parce que le système de formation de cadres informaticiens de bon niveau est plutôt performant à Grenoble et qu il a très bien irrigué la plupart des domaines énumérés ci- dessus ; parce que le milieu de la recherche, comme nous le verrons, est de bonne qualité ; et enfin parce que la culture numérique est une des caractéristiques de l écosystème grenoblois. La question, il faut la comprendre ainsi : Grenoble a- t- elle toujours une position visible et enviée pour sa recherche, sa formation supérieure, ses entreprises «high tech» en informatique, plus précisément en logiciel. Dans ce domaine, Grenoble reste- t- elle terre d innovation, génératrice de développement économique, et le fait- on suffisamment savoir? Logiciel ou Informatique En choisissant de mettre en place une mission sur le logiciel, les responsables de la Métro ont voulu souligner qu elle portait précisément sur ce volet logiciel des sciences et technologies de l information, par opposition au volet électronique, ou matériel. On associe souvent logiciel et informatique (comme on associe souvent matériel et électronique), par abus de langage, car le logiciel est communément compris comme «affaire d informaticiens», alors que stricto sensu, l informatique englobe aussi la conception et réalisation de machines à traiter l information, qui par essence ont une 2 Comme c est l usage dans l agglomération, nous désignerons ainsi «Grenoble Alpes Métropole» J.P. Verjus Mai 2012 Page 2

composante matérielle. Nous verrons que cette opposition gagnerait à être gommée, mais elle est encore bien réelle et très ancrée dans l histoire et la culture grenobloise (voir encadré J. Kuntzmann, R. Perret, L. Néel : le dialogue contrarié du logiciel et du matériel). J. Kuntzmann, R. Perret, L. Néel : le dialogue contrarié du logiciel et du matériel Jean Kuntzmann est un mathématicien alsacien qui vient à Grenoble en 1949, où il développe un enseignement et des recherches en mathématiques de l ingénieur, et créé en 1951 un laboratoire de calcul qui deviendra l «Institut de Mathématiques Appliquées de Grenoble» (IMAG) puis, en 1960, une section d ingénieurs mathématiciens à l institut polytechnique (qui deviendra l actuelle ENSIMAG, composante de Grenoble INP). En 1956, il recrute Louis Bolliet pour développer les programmes (le logiciel ou software) d un ordinateur Gamma ET de Bull. La même année, il propose à l électricien René Perret un second sujet de thèse sur les calculatrices, qui amène celui- ci à partir au MIT pour travailler sur le calculateur MARK IV : à son retour en 1960, René Perret ne souhaite pas intégrer l équipe de J. Kuntzmann, fonde le Laboratoire d Automatique de Grenoble (LAG) au sein de l Ecole d Electricité (IEG) et formera des chercheurs qui seront à l origine du développement de l industrie des calculateurs à Grenoble. Dans sa vision de l informatique naissante (le nom n existe pas encore), Jean Kuntzmann persiste à souhaiter compléter l enseignement donné en mathématique et en logiciel en introduisant des cours sur la structure des ordinateurs (hardware) : faute d y intéresser un électricien comme R. Perret ou un électronicien de l Université, il choisit de s y consacrer lui- même en orientant la nouvelle équipe qu il constitue vers les mathématiques du hardware. Cet événement n est pas innocent et va marquer l histoire de l informatique grenobloise. Le décor est campé et nous découvrons une caractéristique majeure de l informatique à Grenoble comme en France : la non- communication entre informatique et génie électrique ou si l on veut entre science et ingénierie du calcul (computing science) et science et ingénierie des calculateurs (computer science). L Informatique grenobloise est née et restera fille des mathématiques. L approche des calculateurs par les mathématiques prônée par J. Kuntzmann ne rencontrera malheureusement pas celle, par l automatique industrielle, prônée par R. Perret. Pour la petite histoire, rapportons que, lors de la soutenance de la thèse de René Perret, Jean Kuntzmann affirme qu un calculateur, c est 95% de mathématiques et 5% de physique, alors que Louis Néel affirme exactement l inverse. En effet, les sciences et technologies du logiciel sont fortement inspirées par les mathématiques, l abstraction : un algorithme ou un programme résultent d une vision «top- down», en partant du problème que l on veut résoudre. Les sciences et technologies du matériel ont été longtemps inspirées par une démarche «bottom- up», visant à construire des systèmes de traitement de l information à partir des possibilités de l électronique (puis de la microélectronique et maintenant de la nanoélectronique, bientôt d autres nanodispositifs, bioinspirés par exemple). Avec l embarquement, de plus en plus «enfoui», de logiciel dans le matériel, cette distinction s estompe. Beaucoup de systèmes «matériels» ont été pensés et implémentés en logiciel d abord. A l inverse, ce sont les progrès du matériel qui permettent des développements logiciels impossibles à imaginer quelques années auparavant. Par ailleurs, quand on sait que la dépense électrique de l ensemble des «data centers» de la planète arrive en 3eme position mondiale derrière J.P. Verjus Mai 2012 Page 3

celles des USA et de la Chine, juste avant celle du Japon, on mesure à quel point les mondes du logiciel et de la physique sont désormais liés ; quiconque penserait que le monde de l immatériel est indépendant du monde physique ferait une grossière erreur, tant l avenir de l immatériel est lié à la capacité de concevoir des dispositifs économes en énergie, ce qui relève de compétences en logiciel, en physique (électronique, composants, etc.) et en énergie. Enfin, la frontière entre logiciels embarqués et logiciels «purs» a tendance à s estomper avec l émergence de l informatique ubiquitaire et de la mobilité. Et pourtant, nombre de nos ingénieurs ou technologues, à Grenoble, en France mais aussi à Bruxelles, opposent le monde des objets à celui de l immatériel (voir encadré «résilience à Grenoble, en France et à Bruxelles, de la coupure matériel logiciel). Résilience à Grenoble, en France et à Bruxelles, de la coupure matériel logiciel Le Dauphine Libéré assure chaque semaine une couverture importante du développement scientifique et technologique de Grenoble, surtout dans sa partie Ouest (Polygone scientifique) où se prépare, dans la continuité de Minatec, le projet Giant. Qu y lit- on? Par exemple le 27 octobre 2010, deux pages sur Giant ainsi introduites. «Giant (Grenoble institute of nanotechnologies) a pour objectif de transformer le Polygone scientifique en un «MIT à la française» centré sur les grands enjeux sociétaux du XXIeme siècle, l énergie, la santé et l information Le futur des batteries pour les véhicules électriques, du photovoltaïque, de la nanoélectronique, de la biosanté, des technologies de l image, vont éclore sur ce campus de l innovation dans les dix à vingt prochaines années». Pas un mot d une grande absente : les technologies du logiciel et tout ce qui relève de l économie numérique. Dix jours avant (DL du 16/10/10), ce même journal rend compte très largement d une mission confiée à un «High level group» européen, en charge de proposer des recommandations pour une stratégie et une politique européenne en faveur du développement des technologies clés d avenir. L article ne manque pas de faire la liaison entre ce groupe et ce qui se prépare à Giant, soulignant qu il faut redonner de la vigueur aux technologies "dures" qu'on a trop oubliées au profit de la "société de l'immatériel, du logiciel, du service et de la finance". Si l on parcourt le texte décrivant la mission que la Commission Européenne a confiée au groupe, il est écrit en note de bas de page (!!!, même pas dans le corps du texte) : "le logiciel et les technologies de la communication sont également des technologies clefs, mais ne ressortent pas du périmètre de cette mission". Diable! On parle de technologies convergentes et de technologies clés et on ne se préoccupe pas de la synergie entre les technologies du logiciel* et celles dont l étude est confiée au groupe, celles là même qui seront déployées à Giant. * Il est intéressant de noter qu en cette fin de mois de Mai 2012, l IST Advisory Group (ISTAG) de la commission européenne prépare un «mémo» sur le Key Software Technology intitulé The Missing KET (KET = Key Enabling Technology). Ainsi, à Grenoble en particulier, matériel et logiciel, «soft» et «hard», informatique et électronique, sont géographiquement et souvent institutionnellement «séparés», et souffrent d un traitement déséquilibré. Ce n est pas la bonne vision, ce n est pas porteur d avenir. Et c est bien dans ce contexte qu il faut comprendre la présente mission. J.P. Verjus Mai 2012 Page 4

Le numérique (La société numérique, l économie numérique). On estime aujourd hui que près de la moitié de la croissance économique mondiale est due au numérique. On désigne sous ce terme aussi bien les développements induits par le développement des Technologies de l information et de la communication 3, que ceux résultant de leur usage dans tous les secteurs de la société et de l économie. On estime l investissement annuel mondial en R&D à plusieurs centaines de milliards de dollars 4. A la suite de Microsoft au siècle dernier, des acteurs du logiciel, comme Google et Facebook, deviennent des leaders mondiaux. Le numérique est un facteur essentiel de l'innovation industrielle, grâce aux nouvelles possibilités d'ingénierie et de production, mais aussi grâce à l'intégration, dans les objets les plus divers, de capteurs, d'actionneurs, de circuits de communication et de traitement de l'information qui ouvrent des fonctionnalités inédites. Dans les services, la croissance du numérique est encore plus importante. Ainsi, le commerce électronique entre entreprises, et de plus en plus entre individus, connaît un essor spectaculaire. En santé comme dans l éducation, le numérique est et sera de plus en plus l unique facteur permettant de faire face aux énormes besoins sans trop obérer les budgets nationaux. Sans parler des loisirs, des jeux en particuliers. La mise en réseau des entreprises et des personnes bouleverse l'organisation du travail et de la société. Le numérique a été consacré en France comme une des grandes priorités gouvernementales, aux côté des Sciences du Vivant, de l Energie et de l Environnement, comme en témoigne la mise en place de 4 Alliances, regroupant tous les acteurs publics de la Recherche et de l Enseignement supérieur 5. Allistene, Alliance des sciences et technologies du numérique, regroupe les acteurs du logiciel, du matériel, de l automatique, de l électronique, du traitement du signal et des nanotechnologies ; et, au plan institutionnel tous les organismes (Inria et Institut Telecom) ou départements d organismes (CEA, CNRS) d écoles ou d universités, concernés par ces sujets. Là encore, c est avec à l esprit ce contexte du numérique qu a été menée la mission «logiciel à Grenoble». 3 TIC en Français, ICT en Anglais 4 100 aux USA, 50 en Chine comme au japon ou dans l Europe des 27. 5 Allistene (Alliance des sciences et technologies du numérique), Aviesan (Alliance pour les sciences de la vie et de la santé), Ancre (Alliance nationale de coordination de la recherche pour l énergie) et Allenvi (Alliance pour l environnement). J.P. Verjus Mai 2012 Page 5

Chapitre 1 Bref survol du développement de l informatique à Grenoble Il y a aujourd hui à Grenoble au moins 12 750 emplois 6 en «Logiciel» avec quelques gros acteurs comme HP, Cap Gemini, Orange, ATOS, Bull et un éditeur de logiciel du top 50 français, Hardis ; mais dans cette classification, ne sont pas répertoriés les très nombreux informaticiens de STMicroelectronics, ceux de plus en plus nombreux chez Schneider Electric et dans toutes les filières que le numérique dope. Avec les enseignants et chercheurs, il y a ainsi vraisemblablement environ 17 000 informaticiens du logiciel dans la grande agglomération 7, résultant de 50 ans de développement. Grenoble a été le berceau de l Informatique «académique» française et un des dix centres internationaux qui comptent dans les années 60. Les meilleurs chercheurs du monde entier se retrouvent environ deux fois l an, en Chartreuse ou dans le Vercors pour partager leurs connaissances naissantes du domaine. Au plan industriel, les années 60 voient le développement d une industrie des calculateurs qui malheureusement sombrera avec le Plan Calcul (voir encadré Vie et mort de l industrie des calculateurs français à Grenoble). Vie et mort de l industrie des calculateurs français à Grenoble En 1961, quelques anciens du LAG (Laboratoire d Automatique) fondent, dans les locaux de leur école, l IEG (Ecole des ingénieurs électriciens), le département d automatisme et d électronique de la société grenobloise Mors, pour y concevoir un mini- ordinateur qui sera développé puis industrialisé grâce à l absorption de Mors par Télémécanique en 1969 et la construction de deux usines à Crolles puis à Echirolles (où travaillent environ 700 personnes) : ainsi naitront les T1600, T2000 puis SOLAR qui rencontrèrent un succès certain. Ces calculateurs étaient dotés de dispositifs originaux apportés en particuliers par des ingénieurs issus de l ENSIMAG, des «gens du soft». Si la rencontre entre automaticiens, électroniciens et informaticiens n a pas eu lieu au niveau de la recherche, elle a lieu chez Télémécanique et donne des résultats intéressants dans cette aventure industrielle où se côtoient des ingénieurs des trois communautés. Quelques années plus tard, en pleine tourmente du Plan Calcul français, on assistera à l intégration de Télémécanique au sein de SEMS (du groupe Thomson), qui abandonne le développement d ordinateurs, ce qui conduit une trentaine de cadres à partir fonder une quinzaine d entreprises sur la ZIRST de Meylan (avec de l ordre de 500 emplois créés dans le domaine considéré). En 1982, SEMS est intégrée dans le groupe Bull et aucune création d ordinateur de grande série ne verra désormais plus le jour à Grenoble, ni malheureusement ailleurs en France ou en Europe, malgré quelques réussites très pointues (comme les calculateur de très haute performance de Bull). 6 Source AEPI, voir chapitre 3. 7 Voir chapitre 3. J.P. Verjus Mai 2012 Page 6

Dès les années 50, d autres industriels ont compris l intérêt des calculateurs pour leur propre développement. Ainsi, le laboratoire de recherche de Neyrpic (qui deviendra Sogréah puis ARTELIA) acquiert en 1952 un ordinateur pour simuler les phénomènes et équipements hydrauliques et s équipera par la suite de calculateurs comparables à ceux que l on trouve à l Université. Bien d autres suivront ce chemin. Pour leur gestion, les entreprises ou établissements publics abandonnent les tabulatrices pour s adresser aux sociétés dites de matière grise dont les activités sont liées à l utilisation des ordinateurs et qui deviendront les Sociétés de Service et de Conseil, ou d Ingénierie, en Informatique (respectivement SSCI et SSII), et qui apparaissent à la fin des années 60 à Grenoble (voir encadré Les SSII à Grenoble). Les SSII à Grenoble (Sogeti, Syseca, Teamlog ) Trois transfuges du service d assistance de Bull quittent en 1967 cette société en pleine tempête du Plan Calcul pour créer SoGETI (Société pour la Gestion des Entreprises et le Traitement de l Information, ancêtre de l actuelle et mondialement connue Capgemini, et dont la marque s est concrétisée en 2002 dans la filiale Sogeti de Capgemini), puis quelques temps après SOPRA lorsque le Président actuel de Capgemini, Serge Kampf, en prend la responsabilité. L industrie du logiciel est née, une certaine industrie du logiciel devrions- nous dire, puisque ces sociétés ne créent pas de produit logiciel de grande série (les progiciels) mais des systèmes sophistiqués, assistent leurs clients, ou forment et louent leur personnel. L Université contribue au développement de ce secteur : le système SOCRATE (système de gestion de bases de données très novateur) développé à l IMAG dans le début des années 70 fut industrialisé par ECA- Automation (devenu SYSECA du groupe Thomson et aujourd hui Thales Service) et deux de ses inventeurs développèrent plus tard TEAMLOG (aujourd hui absorbée par le groupe OPEN). 1971 voit se réaliser l énorme promesse du choix de M. Packard d installer à Grenoble son entreprise, Hewlett- Packard, qui atteindra son apogée avec l implantation, au début des années 90, du centre de décision mondial de la compagnie en matière de télécommunications et d ordinateurs personnels. Le transfert entre l Université et ces mondes industriels (constructeurs, utilisateurs et SSII) est surtout le fait des étudiants formés à l INPG puis de plus en plus à l Université (l Institut de Programmation sera très célèbre dans les années 70), parfois le fait d un transfert de technologie (comme SOCRATE, voir encadré ci- dessus, Les SSII à Grenoble). Une autre forme de transfert voit le jour dès la moitié des années 60, via la création de centres de recherche et développement conjoints entre l IMAG et deux constructeurs : IBM jusqu en 75, puis la compagnie française CII- HB. Dans le premier s inventèrent ainsi les systèmes à mémoire virtuelle qui firent le succès des mainframes des années 80. Dans le second, on imagina les architectures de machines parallèles et les réseaux informatiques, mais sans aucun impact sur les produits du constructeur national. A défaut de contribuer à enrichir notre industrie nationale, ces travaux ont permis de garder un haut niveau de recherche conceptuelle et technologique. Le bilan peut apparaître mitigé, mais l écosystème grenoblois était largement leader sur ce terrain du développement J.P. Verjus Mai 2012 Page 7

industriel avec ou à partir de l Université, dont il n existe alors, en France, aucun équivalent. Mais cette belle période fut suivi, dans les années 80 d une période difficile aussi bien pour le milieu académique (l IMAG se divise en 7 laboratoires parfois concurrents), que pour le milieu industriel, en pleine reconversion suite à l échec du Plan Calcul. C est au tout début des années 90 que le secteur trouve un second souffle avec l arrivée à Grenoble de nombreux talents scientifiques, dans le sillage de la réunification de l IMAG et de la venue d un centre Inria à Montbonnot (voir encadré 1990 : Grenoble place forte des technologies de l information). 1990. Grenoble place forte des technologies de l information. Les centres de recherche de l INRIA et de Hewlett- Packard sont venus à point pour redynamiser l informatique grenobloise. Le secteur se mobilise au sein de Grenoble Network Initiative (GNI) pour promouvoir le Web et les réseaux. Grâce au LETI, au CNET et à SGS- Thomson, Grenoble dispose de sérieux atouts pour devenir un pôle mondial de micro- électronique Ces deux titres de l Usine Nouvelle (1990) donnent le ton d une analyse consacrant Grenoble comme place forte internationale de ce qu on s accorde à appeler désormais Technologies de l Information et qui désigne une filière allant de la microélectronique et des télécommunications aux applications sur les réseaux informatiques. Le même journal répertorie dans ce secteur 24 laboratoires publics regroupant 2400 personnes (dont 1400 chercheurs) et 8 laboratoires privés regroupant 4500 personnes (dont 2000 chercheurs). Dans le même temps, l organisme en charge des données économiques sur l agglomération (AEPI) répertorie dans la capitale des Alpes plus de 15 000 chercheurs, ingénieurs ou techniciens dans la recherche ou l industrie des technologies de l information. De manière concomitante et également dans un contexte de très forte coordination des acteurs académiques du logiciel grenoblois, s installent dans l agglomération : à Gières, le consortium OSF (Open Software Foundation) des principaux constructeurs mondiaux d ordinateurs ; à Montbonnot, le centre SUN de Recherche et Développement sur les réseaux, au moment où XEROX implante à Meylan son centre de recherche européen. C est à la même époque que la communauté scientifique rétablit des liens forts avec le milieu industriel dans le cadre de laboratoires communs avec les sociétés Bull 8 (Bull- IMAG d une part, le GIE DYADE entre Bull et Inria d autre part) et VERILOG (VERIMAG). C est également la décennie de l émergence d Internet et du Web avec une très forte activité des acteurs académiques, industriels et des décideurs publics au sein de l association GNI (Grenoble Network Initiative), soutenue par toutes les collectivités territoriales. 8 A cette époque, les grands industriels de la place jouaient encore leur rôle de locomotive de la R&D et du transfert industriel. Nous verrons au chapitre 4 que certains d entre eux affirment vouloir revenir sur ce terrain. J.P. Verjus Mai 2012 Page 8

Cette époque est enfin celle du développement spectaculaire de sociétés de service, classiques comme Capgemini, SEMA, de PME devenues ETI comme Teamlog ou Silicomp, et de start up comme ITMI, APTOR, puis plus récemment Kelkoo et bien d autres. Signe fort de notre spécificité française, toutes les petites et moyennes entreprises seront absorbées, SEMA par Atos Origin, Teamlog par Groupe OPEN, ITMI et APTOR par Capgemini, Silicomp par Orange, KelKoo par Yahoo, etc. (voir encadré Nos Start up se font racheter). Nos Start up se font racheter Qui ne connaît pas aujourd hui Yahoo comme un des meilleurs moteurs de recherche, MathLab (de The MathWorks) comme le logiciel de référence pour les mathématiques de l ingénieur, ou Catia (de Dassault Systèmes) comme la référence en terme d outil pour la modélisation et la conception industrielle ou Mentor Graphics, leader en CAO de circuits. Qui connaît encore Kelkoo, Polyspace, Athys et Anacad, quatre start up issues respectivement du GIE Dyade entre Bull et Inria pour la première, d Inria pour les deux suivantes et du CNET Meylan pour la dernière? Les 4 dernières ont été rachetées par les 4 premiers. Aux Etats Unis, ce sont des start up qui ont donné naissance aux géants que sont aujourd hui Cisco, Google, facebook ou Qualcomm. En effet, des deux côtés de l Atlantique, la création de valeur dans ce domaine est très souvent le fait de start up qui ont leur origine dans le monde académique et ont été créées par des chercheurs et même parfois par des étudiants issus des meilleures universités. Elles ont fondé leur suprématie sur une base technique et scientifique meilleure que celle de leurs concurrents initiaux. Cela a été rendu possible aux US par l existence d un environnement scientifique de qualité exceptionnelle, ayant des liens forts avec le monde industriel, et d un système capable d attirer des chercheurs et des étudiants du meilleur niveau et venant du monde entier. Nous avons à Grenoble un environnement comparable, toutes proportions gardées, mais nous n avons pas su, ni d ailleurs notre pays tout entier, créer les conditions de la croissance de l une de ces start up. C est justement à la fin de cette décennie (années 90) que le paysage du «hard» à Grenoble s éclaircit avec l abandon par France Telecom de ses recherches en microélectronique, la reconnaissance, au sein du CEA comme au plan international, du rôle leader du LETI qui se renforce et se développe sur ce créneau, et le développement (en partie grâce à un soutien massif de l Etat et des collectivités) de la société STMicroelectronics à Crolles et sur le polygone scientifique. Les mécanos institutionnels mis en place successivement par l Etat (Contrat de Plan, Centre National de Recherche Technologique, Pôles de compétitivité, Investissements d Avenir) permettent au CEA et à l INPG de développer un pôle de recherche en micro et nanoélectronique de niveau mondial (projets MINATEC et GIANT). Les mêmes mécanos institutionnels qui colorent Grenoble en capitale des micro et nanotechnologies créent leur capitale informatique à Saclay. Bien entendu, l informatique J.P. Verjus Mai 2012 Page 9

grenobloise reste forte et reconnue suite au second souffle évoqué ci- dessus. Malheureusement, la liaison entre le «hard» et le «soft» demeure insuffisante malgré les contours donnés au Pôle de compétitivité Minalogic (Micronanotechnologies et logiciel embarqué). De fait, cette liaison reste difficile. Comme nous l avons vu, elle n est pas dans les gènes locaux, et il est de toute façon long et difficile de réorienter ses recherches, de coopérer avec des collègues dont la culture et le mode de travail sont différents. Mais il est certain, comme nous le verrons dans les chapitres suivants que Grenoble a tout intérêt à s appuyer sur les deux carburants du numérique : le logiciel et le matériel (ou plus communément sur l informatique et les mondes physiques), chacun avec leurs spécificités propres. J.P. Verjus Mai 2012 Page 10

Chapitre 2 Grenoble est- elle toujours une référence en logiciel? L enjeu de la mission «logiciel» est bien entendu local. Avant de s y consacrer, on peut établir un rapide «benchmarking» international et national. Au plan industriel, la situation française peut se résumer par six constats : un seul constructeur, Bull, replié sur une spécialité très pointue (les très hautes performances) et qui inscrit sa stratégie, comme nombre d autres anciens et grands constructeurs (IMB, HP, XEROX), vers les services, un seul grand éditeur de logiciel, Dassault Systemes (entre les places 10 et 20 au plan mondial, dans le top 5 européen), de grandes sociétés de service (SSII), dont 2 (CAPGEMINI et ATOS) sont dans le Top 10 mondial, et une autre (Business & Decision) est également dans le TOP 10 sur le créneau Business Intelligence, le dernier grand fabricant de puces et microprocesseurs européen, STMicroelectronics, dont les produits intègrent de plus en plus de logiciels embarqués, une industrie des télécommunications très dynamique, en 6eme position mondiale en terme de part de marché (6%), et qui intègre de plus en plus de systèmes logiciels à la base de ses produits ou services, et de très nombreux intégrateurs développant des systèmes complexes, qu on qualifie souvent de «systèmes à logiciel prépondérant». Il est intéressant de noter que l agglomération grenobloise héberge une implantation d au moins un acteur de ces 6 catégories avec respectivement Bull à Echirolles ; Dassault Systemes à Montbonnot 9 ; Capgemini à Montbonnot, Atos WorlGrid à Meylan 10 et Business & Decision (via Eolas) à Grenoble ; STMicroelectronics à Crolles et à Grenoble ; Orange à Meylan ; et Schneider Electric principalement à Eybens, Grenoble et Meylan. Notons également, que dans 3 de ces 6 catégories, l agglomération héberge de grandes entreprises américaines du domaine : - les constructeurs HP à Eybens et XEROX à Meylan, - les éditeurs ORACLE 11, The MathWorks 12 et Mentor Graphics, à Montbonnot, - le fabricant de microprocesseurs Intel à Eybens. Au plan académique, un récent classement des universités et organismes de recherche 9 Il s agit d une petite unité, résultat de l absorption de la start up ATHIS. 10 Cette entreprise s installe dès Juin 2012 à Grenoble (Bouchayer) 11 Par absorption de SUN 12 Par absorption de Polyspace Technologies J.P. Verjus Mai 2012 Page 11

mondiaux 13 en «computer science», mesurant la production scientifique et son taux de citation sur les 5 dernières années, classe ainsi les organismes français. - Inria (national) : 11 ème dans le Monde, 1 er en Europe. - Les laboratoires universitaires de Grenoble issus de l IMAG : 115 ème dans le monde, 29 ème en Europe. - L IRISA à Rennes, le CEA (national), et le laboratoire d Informatique de l ENS Paris : entre les places 150 et 200 au plan mondial, et respectivement 48 ème, 51 ème et 55 ème au plan européen. - Les laboratoires d informatique de Paris 6 et de Paris 11 (Saclay) sont au- delà de la 200 ème place au niveau mondial et respectivement 86 ème et 97 ème au plan européen. Compte tenu de l implantation sur le territoire national des centres Inria (Grenoble et Rennes sont les deux sites les plus importants, suivis de Paris, Sophia Antipolis et Saclay) et de ceux du CEA (l informatique y est surtout développée à Saclay, et un peu à Grenoble), on peut très grossièrement établir que Grenoble reste le site le plus visible, suivi des 3 sites de Rennes, Paris intra- muros et Saclay, puis de Sophia Antipolis. Cette vision externe est corroborée par l examen des récents résultats des appels à projet du PIA (Programmes d Investissement d Avenir), résumés dans la carte ci- dessous. 13 Voir http://academic.research.microsoft.com/ J.P. Verjus Mai 2012 Page 12

Les pôles «Informatique» Principaux pôles '()*$+&,-.$+&& /0$%&!"#$%&& Equipex /12&/345*6"78($&& IHU, Bio Santé Economie Numérique 1 Sur cette carte, nous avons pris le parti d identifier 6 pôles principaux parce que s y trouvent une communauté scientifique reconnue (cf les éléments de visibilité cités ci- dessus) et un tissu industriel significatif, cet écosystème étant incarné dans les 6 pôles de compétitivité numériques, à savoir : Aerospace Valley (Toulouse), Cap Digital (Paris intramuros), Images et réseaux (Rennes), Minalogic (Grenoble), Solutions Communicantes et Sécurisées (Sophia Antipolis) et Systematic (Saclay). Sur ces 6 pôles, les communautés scientifiques d informatique et de mathématiques appliquées 14 ont été reconnues par des jurys internationaux pour des projets d équipements d excellence (Equipex, pastille marron sur la carte), de laboratoires d excellence (Labex, pastille rouge), de projets d excellence en biologie et santé numérique (Bio et Santé ou IHU 15, pastille aubergine). En ce qui concerne la recherche coopérative avec l industrie, le PIA a financé des projets d Institut de recherche technologique (IRT, pastille verte) en informatique à Rennes et Saclay, et de nombreux projets de développement dans le cadre de l appel à projet «Economie Numérique» (pastille bleue). Ces résultats du PIA confortent clairement Grenoble et Paris intra muros comme les plus denses en informatique, devant Rennes et Saclay, puis Sophia Antipolis, le pôle de Toulouse étant clairement orienté numérique pour l aéronautique 16. 14 Identifiées dans le PIA par le terme Sciences du Numérique et Mathématiques 15 Institut Hospitalo- Universitaire 16 Cette carte identifie également 4 pôles émergents : Bordeaux, Lyon, Montpellier et Strasbourg. J.P. Verjus Mai 2012 Page 13

Pour ce qui concerne Grenoble, les thèmes et champs d application mis en avant dans ces projets du PIA sont extrêmement variés (voir encadré). Si on ajoute à cette liste l implication à venir des informaticiens d Inria dans la plateforme de liaison de l IRT NanoElect porté par le CEA/LETI 17, nous conclurons aisément que Grenoble reste une référence nationale en logiciel, et un acteur visible au plan mondial. Projets grenoblois financés par le PIA Systèmes pervasifs et algorithmes à la convergence des mondes physiques et numériques (Labex) Chirurgie assistée par ordinateur (Labex) Mathématiques pour l industrie (antenne d un Labex national) Intelligence ambiante dédiée à l habitat (Equipex) Capture et analyse de formes en mouvement (Equipex) Internet du futur (antenne d un Equipex national) Réseau national de robotique (antenne d un Equipex national) Réseau national de mésocentres de calcul (antenne d un Equipex national) Biologie synthétique numérique (Bio & santé) France Life Imaging (antenne d une plateforme nationale en Bio & santé) France Génomique (antenne d une plateforme nationale en Bio & Santé) Institut Français de Bioinformatique (antenne d une infrastructure nationale) Cloud Computing (2 projets dans le cadre «Economie Numérique) Briques logicielles pour l embarqué (1 projet «Economie Numérique) Numérisation et valorisation des contenus (1 projet «Economie Numérique») E- Education (1 projet «Economie Numérique») 17 L objectif est de développer, en coopération avec le CEA et des industriels, des systèmes embarqués pour les transports, la santé ou des briques technologiques de base pour les systèmes multicoeur. J.P. Verjus Mai 2012 Page 14

Chapitre 3 Déroulement de la mission «Logiciel à Grenoble» et verbatim 1. Les acteurs rencontrés Cette mission, passionnante et, ce n est pas vraiment une surprise, très fortement attendue par l écosystème m a permis de rencontrer 102 acteurs grenoblois 18 du domaine 19, parfois dans le cadre de plusieurs rendez- vous 42 du monde de la recherche et de l enseignement supérieur, dont le recteur, des responsables d établissements, de laboratoires, d écoles ou unités de formation, des lauréats de prix internationaux et également de jeunes chercheurs prometteurs, 60 du monde de l innovation, de la recherche et développement en milieu industriel, du transfert, de la valorisation, de l économie, de grands groupes industriels et de PME. Le poids qualitatif et quantitatif de cette centaine d acteurs est évident. Par exemple, trente d entre eux sont en position de responsabilité d entités regroupant 20 000 emplois 20 dans la grande agglomération grenobloise : 17 000 emplois dans 10 Grandes entreprises : Schneider Electric, Cap Sogeti, STMicroelectronics, Bull, HP, Orange, Xerox, Atos WorlGrid, Rolls Royce, Mentor Graphics, 800 emplois dans 10 PME dont Hardis, Eolas, Bonita Soft, Movea, MayaTechnologies, H3C, Probayes, Cotranet, Objet Direct et Winsoft, plus de 2000 emplois dans 10 Laboratoires de recherche : CEA/LETI, CEA/LIST@Grenoble, Inria, LIG, LJK, Gipsa, Verimag, TIMA, TIMC, Ideas Lab. Ces 20 000 emplois ne relèvent strictement du domaine du logiciel ou plus généralement de l informatique que pour les dix laboratoires, sept des dix PME, et sept des dix grandes entreprises, mais Schneider Electric, Rolls Royce et H3C (Energie) comme STMicroelectronics, Maya Technologies ou MOVEA (Microélectronique) emploient de très nombreux informaticiens et conçoivent et développent des systèmes logiciels de plus en plus sophistiqués, qui donnent de la valeur à leurs produits ou services. Dans cet ensemble, le cas d Atos WorldGrid est très intéressant : quoique le groupe Atos Origin soit considéré comme une SSII, l établissement grenoblois est tout entier dédié au secteur de l énergie, mais son personnel est très majoritairement informaticien. 18 Tous les acteurs concernés n ont pu être rencontrés, les choix opérés l ont été en concertation avec la Métro. Notons, par exemple, parmi les PME reconnues du secteur logiciel (plus de 100 emplois) et qui n ont pas été rencontrées : Corys Tess, Dophin Integration et Reynolds & Reynolds (Edition Logicielle). 19 Voir liste jointe en annexe 2 20 Chiffre 2011 communiqués par la CCI de Grenoble J.P. Verjus Mai 2012 Page 15

On peut aussi évaluer la filière logicielle dans la grande agglomération grenobloise en examinant les chiffres 2010 communiqués par l AEPI (voir tableau «Chiffres AEPI» 21 ). La répartition des entreprises par secteur ne tient pas compte du métier de leurs personnels mais du marché auquel elles s adressent. Ainsi, le décompte du secteur «logiciel» ne comprend pas les acteurs «consommateurs actifs», développeurs, voire producteurs de logiciels, tels que ceux des secteurs suivants : e- commerce (exemple Spartoo), énergie (exemple Schneider Electric, Rolls Royce, H3C), microélectronique et électronique (exemple : STMicroelectronics, Maya Technologies et MOVEA), environnement, biologie et santé, mécanique, etc. Un fait notable est à relever dans cette étude : la croissance de l activité édition de logiciel (Editeurs et EDA) porte, quasi à elle seule, la croissance du secteur. L édition de logiciel a triplé ses effectifs durant ces 10 dernières années. 21 «La filière Informatique/Logiciel sur la Métro», Septembre 2011. Comme le fait l AEPI dans son rapport, nous avons inclus dans le secteur «Logiciels» les éditeurs de logiciel de conception pour la microélectronique, habituellement comptabilisés dans la filière microélectronique. J.P. Verjus Mai 2012 Page 16

Si on ajoute les emplois dans l enseignement supérieur et la recherche, on peut estimer à environ 17 000 le nombre d emplois d informaticiens du logiciel. Dans l étude fournie par l AEPI, en se limitant donc à sa définition du secteur «logiciel», on relève que la quasi- totalité du secteur Isérois est dans la Métro et sur la commune de Montbonnot. Par commune, les emplois sont distribués par ordre décroissant en effectif, à Montbonnot (2600), puis Eybens (2500), Meylan (2300) et Grenoble (2100) 22. 70% des effectifs sont dans la Métro, près de 85 % dans la grande agglomération. Par extension, cette répartition s applique vraisemblablement aux 17 000 emplois répertoriés ci- dessus, en incluant le pôle de Crolles dans la grande agglomération. Il ressort de ces analyses qu il y a bien entendu des informaticiens du logiciel dans le secteur économique des produits et services logiciels (constructeurs, éditeurs, SSII) mais de plus en plus dans tous les secteurs que le numérique a pénétrés. Dans ces secteurs, ils côtoient des spécialistes d autres disciplines ou même, de plus en plus, ont une seconde spécialité. Lorsque l informatique sera (enfin) introduite dans le secondaire, cette seconde spécialité pourra être dans certains cas, une simple culture de base, comme le sont les mathématiques et les sciences de l ingénieur. Le logiciel est bien une science et technologie en soi (et a donc une industrie correspondante), mais c est aussi une science et une technologie diffusante (on dit aussi «pervasive») qui s applique à d autres secteurs, et on parle d économie (du) numérique. 22 Avec le déplacement d Atos WorlGrid à Grenoble (en Juin 2012), Grenoble et Montbonnot seraient à égalité (2600 emplois) devant Eybens (2500) et Meylan (1800). J.P. Verjus Mai 2012 Page 17

2. Points de vue exprimés Concernant la vision future sur le logiciel et plus généralement le numérique, en particulier dans l agglomération grenobloise, il existe une très grande convergence de vue des 100 acteurs rencontrés dans le cadre de la mission. Il en ressort une analyse globale et des recommandations que nous détaillerons au chapitre 4. Auparavant, dans la seconde partie de ce chapitre, nous proposons d identifier les lignes de force des points de vue exprimés, illustrés parfois par des verbatim. 1. Pour les systèmes et services numériques : les systèmes et services purement logiciels sont de plus en plus nombreux, les systèmes matériels embarquent toujours plus de logiciel, la distinction entre logiciel et logiciel embarqué s estompe, au total, le logiciel représente l essentiel du coût humain de développement, alors que le matériel représente l essentiel du coût non humain de développement. Dans les portefeuilles de projets de Minalogic ou des entreprises créées avec l aide de GRAIN, la tendance vers le logiciel est fortement marquée. Ainsi Loic Liétar et Laurent Julliard (Minalogic) estiment qu un 1/3 des projets portés par Minalogic sont purement électroniques ou microélectroniques, 1/3 concernent des systèmes embarqués et 1/3 relèvent du pur logiciel 23. Compte tenu de l affichage du pôle de compétitivité Minalogic, ces chiffres sont parlant. Gilles Talbotier, directeur de Grain confie que ses tutelles lui ont fixé un partage thématique des 150 start up incubées, en logiciel (33%), sciences de l ingénieur (30%), bio & santé (30%) et SHS (7%), mais ajoute que les 66% de start up relevant des domaines sciences de l ingénieur, bio & santé et SHS font beaucoup, et de plus en plus, de logiciels, la catégorie sciences de l ingénieur développant le plus souvent une technologie mixte matériel- logiciel, les catégories bio & santé et SHS étant plus marquées par leur destination que par les technologies qu elles utilisent. Isabelle Millet, responsable du programme Nano- PME 24, adossé à l IRT NanoElec et visant à faire croître 1000 PME en dix ans en leur offrant les technologies ou solutions qui constituent des «trous dans leur raquette de savoir- faire», confie être à l avance persuadée que nombre de ces solutions ou technologies seront mixtes, voire 100% logicielles. Enfin, Michel Ida, directeur d Ideas lab, sur le site de Minatec, confirme que de plus en plus d innovations imaginées dans son «laboratoire d innovation ouverte» sont 100% logicielles. Nous verrons plus loin à quel point les métiers de STMicroelectonics ou de Schneider Electric évoluent et intègrent non seulement des informaticiens pour la conception de leurs 23 Bien entendu, un logiciel a toujours besoin de matériel pour s exécuter. Cette terminologie «pur logiciel» signifie simplement que le logiciel n est pas lié au matériel sur lequel il s exécute. Laurent Julliard précise que 42% des projets de Minalogic (en nombre et en budget) impliquent une compétence logicielle forte. 24 Nom de code d un programme qui sera vraisemblablement nommé Easy Tech. J.P. Verjus Mai 2012 Page 18

produits mais développent, tels des éditeurs, des systèmes logiciels qu ils enfouissent dans leurs produits. Le témoignage de Gaël Rosset (Myriad Group) est à cet égard très intéressant (voir encadré). Témoignage de Gaël Rosset, dirigeant de Myriad (Bourget du Lac) Le logiciel est dorénavant omniprésent et représente l essentiel des coûts humains de développement. Myriad est une entreprise passée de la conception de composants matériels pour les téléphones mobiles à la conception d applications déployées de bout en bout (du téléphone mobile à l opérateur, par exemple le type triple play ou quadruple play) ou simplement en local sur les mobiles (par exemple «profilage» de l utilisateur du mobile pour lui proposer des services de proximité et d opportunité à tout moment et en tout lieu). Le fameux triangle «pointe vers le haut», avec, à la base, la couche matériel, puis la couche logiciel, puis à la pointe la couche application la surface de chaque couche représentant l importance ou le coût de développement doit maintenant être inversé : en bas, on met la pointe du triangle pour le matériel, le logiciel de base reste au milieu et la couche applicative (qui n est que du logiciel) est au sommet. Mieux, dit- il, nous ne sommes plus du tout dans une stratégie de technologie- push (on conçoit le matériel, on y met du logiciel embarqué et on se pose la question des applications), mais au contraire, on cherche les usages, dont on dérive les applications qui les servent et dont on dérive la nature du système logiciel- matériel qui «fait tourner» au mieux l application en question. Notons d ailleurs qu en ce qui concerne le logiciel, la distinction entre logiciel «pur» et logiciel embarqué a tendance à s estomper avec l émergence de l informatique ubiquitaire et de la mobilité ; c est un point de vue de plus en plus répandu, souligné par Joseph Sifakis (Prix Turing), Brigitte Plateau (Administrateur Général de Grenoble INP) et Jean- Frédéric Clerc (CEA/DRT). Eric Pilaud (Custom, Sensors & Technology, ex- VP de Schneider Electric, ex- Président du CA de Grenoble INP) et Jean- Louis Brunet (Président de H3C et de Grenoble Angels) pensent que la production de masse d objets «numériques» va forcément diminuer en France, comme dans les pays développés, car le coût d un emploi dans le matériel est supérieur à celui d un emploi dans le logiciel ; en moyenne, à Minalogic, il a été observé qu un projet matériel coûte 10 fois plus qu un projet logiciel. Eric Pilaud et Jean- Louis Brunet sont très convaincants sur ce sujet. Pour eux, Il ne faut plus compter sur les grands groupes dont le destin est forcément mondial. Notre seul chemin est de faire grossir et retenir les PME. Et nous sommes très en retard. Le FSI, comme certains pôles de compétitivité, n ont pas suffisamment orienté leurs financements vers les PME. Pour eux, Grenoble devrait surinvestir dans le logiciel, ne serait- ce que pour sortir de la monodépendance industrielle. Pour Daniel Pilaud (Directeur, IT- Translation), ce surinvestissement devrait se concentrer sur le secteur de l édition de logiciel, seul secteur en forte croissance, et où le leadership français est à prendre. STMicroelectronics souligne que le coût de production de puces à Crolles est très important, plus coûteux qu en Asie par exemple, et nécessite des investissements J.P. Verjus Mai 2012 Page 19

importants. Bernard Fontan (Directeur du site de Grenoble) et Philippe Lambinet (Vice- Prédident Stratégie) sont en accord avec cette idée que la valeur de la société repose en partie sur leur expertise à assembler les logiciels de CAO commerciaux en une chaine de développement propre de très haute efficacité d une part, et par les logiciels embarqués sur les puces et systèmes qu ils produisent d autre part, et sur le fait qu ils ne savent pas valoriser aujourd hui ces systèmes logiciels autrement qu en vendant ensemble le circuit intégré et le logiciel embarqué, ce qui constitue le "System on Chip". Notons que si Google (avec Android) ou Microsoft (avec WP7), sont des éditeurs de systèmes de base pour smartphone, alors qu ils ne conçoivent ni ne produisent l objet physique, ce n est pas vrai d Apple qui, comme les constructeurs d ordinateurs «classiques», conçoit et produit le matériel, le logiciel de base (IOS) et de nombreuses applications. L entrée sur le marché de l informatique pour STMicroelectronics n est donc pas un problème de métier ou de compétence, c est juste un choix de modèle économique. 2. La coupure, thématique, ou géographique, entre hard et soft est contreproductive. Grenoble doit se présenter comme un site unique, dédié au numérique, avec ses deux carburants, le logiciel et le matériel. Amin Louis Benabid, directeur de Clinatec, souhaite disposer, sur place à Giant, d informaticiens qu il serait optimal pour lui qu ils appartiennent à des laboratoires ou centres de recherche en informatique et qu ils travaillent en mode projet avec les médecins, automaticiens et traiteurs de signaux. Bernard Ugnon- Coussioz, Directeur Mondial de "Solution Telecom" chez HP et Directeur des sites internationaux HP en France, estime que sans les informaticiens, on risque de ne concevoir, au sein de l IRT Nanoelec, que des objets qui seraient comme des «téléphones sans le réseau». Par cette image, il souligne à quel point les objets embarquant du logiciel sont «orphelins» si on ne les pense pas dans un système global à «logiciel prépondérant» et pour des usages bien identifiés. L idée entendue à Grenoble qu on ferait un MIT à l Ouest et qu il fallait que l Est construise un Harvard, a fait long feu 25. Pratiquement tous mes interlocuteurs sont maintenant convaincus qu il faut trouver une vision pour le site (et pas deux pour chacune de ses moitiés). Thierry Grange (Président de GEM) est de ceux- là, mais aussi Eric Pilaud et Jean- Louis Brunet. Certains vont jusqu à affirmer que cantonner les micro- nano à l ouest est réducteur, quand on voit ce que font certains chimistes sur le campus ou Ph. Cinquin et les membres du laboratoire TIMC au CHU 26. Eric Pilaud et Jean- Louis Brunet, 25 Cette idée, basée sur une bien hasardeuse analogie entre Boston et Grenoble, est vraisemblablement en partie responsable de l échec de la candidature grenobloise à l attribution d un Idex dans le cadre du Programme des Investissements d Avenir (PIA). 26 Ph. Cinquin et TIMC se sont vu attribuer un Labex pour leurs recherches et développement de systèmes de chirurgie numérique J.P. Verjus Mai 2012 Page 20