Reconquête de l autonomie protéique : quelles stratégies pour les productions porcines?



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2003. Journées Recherche Porcine, 35, 83-88. Reconquête de l autonomie protéique : quelles stratégies pour les productions porcines? Frédéric PRESSENDA, Olivier LAPIERRE Centre d Etude et de Recherche sur l Economie et l Organisation des Productions Animales (CEREOPA) INA P-G, 16 rue Claude Bernard, 75231 Paris Cedex 05 http://www.cereopa.com Reconquête de l autonomie protéique : quelles stratégies pour les productions porcines? L embargo américain sur le soja en 1973, l interdiction de l utilisation des produits d origine animale ou la position de la Commission européenne sur l opportunité d un plan protéine sont autant d éléments posant la question de l autonomie protéique des cheptels de l Union européenne. Le modèle «Prospective Aliment», développé par le CEREOPA afin d analyser les stratégies d approvisionnement en matières premières des fabricants d aliments, révèle une augmentation de l utilisation du tourteau de soja en France à l horizon 2005 de l ordre de 40 %, par rapport à la période novembre 1999 - octobre 2000. Cette évaluation est basée sur les résultats de modélisation de formules alimentaires et les tendances de production d aliments composés prolongées jusqu en 2005. Plusieurs hypothèses ont alors été testées afin d explorer différentes voies de reconquête de l autonomie protéique : amélioration de la compétitivité des matières premières face au soja, amélioration de leur qualité nutritionnelle ou encore développement de systèmes d élevage permettant de réduire la dépendance au soja. Les productions porcines ont un rôle à jouer dans cette reconquête de l autonomie protéique des filières animales françaises et européennes : le remplacement du tourteau de soja par du tourteau de colza dans les rations fabriquées à la ferme dans les élevages porcins (340 000 t de tourteau de soja économisable). Dans le secteur des aliments composés, nos simulations ont montré l importance de la thréonine de synthèse pour réduire l utilisation de soja (190 000 t de soja économisable), tout comme l intérêt d une amélioration du profil en acides aminés des céréales (100 000 t économisable grâce au triticale). Protein self-sufficiency : which strategy for pig production? The US embargo on Soya in 1973, the interdiction of meat and bone meal use or the current position of the European Commission according to the opportunity of a «plant protein» plan bring into question the protein self-suficiency of European livestock. Comparing to the 12 months between November 1999 and October 2000, the model developped by CEREOPA for studies about raw products supply of feed compounders indicates an increase around 40 % of soybean meal use in France for year 2005. This evaluation is based on modelling and on compound feed production trends by the year 2005. Many hypothesis have then been tested to explore different ways of protein self-sufficiency enhancement such as improvement of raw materials competitiveness comparing to Soya, improvement of their nutritional quality or development of breeding systems allowing to reduce the dependence on Soya. Pig productions have their place to reach this goal. Substitution of rape meal for soybean meal by farmers producing their own feed (340 000 t of soybean meal would be saved). Concerning compound feed sector our simulations showed the importance of synthetic threonine to reduce Soya use (190 000 t of meal), as well as an increase of the amino acids profil of cereals (100 000 t saved by using more triticale).

84 INTRODUCTION A la vue du déficit chronique de l Europe en ressources protéiques depuis plusieurs dizaines d années et suite à l interdiction du recours aux coproduits d origine animale dans les aliments composés, les perspectives d une amélioration de l autonomie protéique des filières animales françaises (et européennes) semblent s éloigner encore un peu plus. La position défendue par la commission européenne renforce ce constat. Néanmoins, face à cet élément de fragilisation des productions animales que constitue une dépendance aux aléas des productions et des marchés internationaux, il reste opportun de s interroger sur les possibilités de reconquête de cette autonomie. MÉTHODE Le CEREOPA, à la demande et avec le soutien du Ministère de l Agriculture et de la Pêche (DPEI - étude MAP 01.G3.02.01), s est attaché, en collaboration avec un groupe d experts issus de différents horizons du secteur de l élevage (dont le SCEES), à repérer les leviers de cette amélioration et à évaluer les impacts que leur mise en action pourrait induire sur les approvisionnements en matières premières des filières animales. Ce travail repose en grande partie sur l utilisation du modèle Prospective Aliment (LAPIERRE et HUARD, 1997). Les résultats obtenus pour la filière porcine sont présentés ci-après. 1. PERSPECTIVES D ÉVOLUTION DE L APPROVI- SIONNEMENT EN MATIÈRES PREMIÈRES RICHES EN PROTÉINES DES FILIÈRES ANIMALES 1.1. Les données du problème La consommation des matières riches en protéines en alimentation animale a évolué depuis les années 50 au gré du développement des productions animales, des mesures de soutien aux oléo-protéagineux métropolitains et de la PAC (LAPIERRE et HUARD, 1996 ; DELPLANCKE et LAPIERRE, 1998). L évolution du taux de couverture en protéines de la France, tout au long des 30 dernières années, traduit bien cet état de dépendance. De 30 % au cours des années 70, le taux d autoapprovisionnement (part de la production de matières riches en protéines consommées / consommation totale de matières riches en protéines) n était encore que de 43 % dans les années 90. 1.2. La situation actuelle Depuis, il stagne à ce niveau et s est même dégradé depuis la campagne 97/98. En 1999/2000, les matières premières importées représentaient plus de 55 % des matières premières riches en protéine consommées en France, le tourteau de soja en constituant la quasi-totalité (avec 54 %). La consultation des différents bilans matières premières parus depuis 2000 (SNIA, FOP) traduit clairement cette progression de la consommation en tourteau de soja. Ainsi, entre 2000 et 2001, la consommation de tourteau de soja a progressé de 600 000 t aux dépens des tourteaux de colza (-10 000 t) et de tournesol (-100 000 t). 1.3. Les risques de dégradation En prolongeant à un horizon 2005 les tendances de fond de la demande en aliments composés pour les différentes espèces animales, on aboutit, en référence à la période novembre 99 - octobre 2000 (12 derniers mois avant l interdiction de l utilisation des coproduits d origine animale dans les aliments pour monogastriques), à estimer la consommation de tourteau de soja en hausse de l ordre de 40 % (4,4 millions de tonnes en 2005 contre 3,2 millions sur la période indiquée précédemment). Cette valeur a été obtenue par le modèle Prospective Aliment à partir d une estimation des prix des matières premières pour 2005 et d une augmentation annuelle de la production d aliments composés pour porcs et pour volailles de chair de respectivement 0,9 % et 2,1 %. 2. EXPLORATION DE QUELQUES VOIES DE RÉDUCTION DU RECOURS AU SOJA POUR L APPROVISIONNEMENT EN PROTÉINES DES PRODUCTIONS PORCINES EN FRANCE ET EN EUROPE La participation de telle ou telle matière première au bilan d offre des élevages est déterminée par un certain nombre de facteurs (figure 1). Ces facteurs (systèmes d élevage, qualité et compétitivité des matières premières, limites d incorporation), en influençant la formulation des mélanges alimentaires, sont des déterminants majeurs des stratégies d approvisionnement en matières premières. Pour aller plus loin dans l exploration des voies de réduction du recours au soja pour l approvisionnement en protéines des productions porcines, une identification des compartiments consommateurs de soja en France s avère fort utile. Ce travail a été réalisé par le SCEES au cours des années 1996 et 1997 à partir d enquêtes auprès des agriculteurs et des fabricants d aliments composés. Il a abouti à une vision originale de la répartition de la consommation de tourteau de soja entre les différentes spéculations animales, d une part, et entre les différents circuits, aliments composés et utilisation en l état, d autre part (tableau 1). Au-delà de la segmentation importante des utilisations de soja entre types de productions et type d utilisation, on notera que la production porcine n occupe que le troisième poste de consommation de tourteau de soja. Avec un total de 569 000 tonnes, les porcs consommeraient près de 50 % de soja de moins que les volailles ou les vaches laitières, la répartition utilisation industrielle vs utilisation fermière se répartissant respectivement en 2/3 1/3. Sur la base de ces informations et d une hypothèse d évolution de la consommation d aliments composés par les élevages et de la demande en matières premières, il est possible de proposer, selon la même clef de répartition, une évaluation de la consommation du tourteau de soja envisagée pour 2005 (tableau 2). Il ressortirait de cette nouvelle évaluation une augmentation sensible du recours au soja dans les aliments composés pour porcs (près de 100 % d augmentation, avec plus de un mil-

85 Besoins nutritionnels et alimentaires Consommation intérieure Préoccupations environnementales, traçabilité des approvisionnements Système d'élevage / filière Cheptel animal Facteurs multiplicatifs Commerce extérieur Le vée des limites en pois et tourteau de colza Limites d'incorporation Formules alimentaires Quantités de matières premières utilisées Matières premières Compétitivité des oléo-protéagineux métropolitains Colza dépelliculé, teneur en protéines et acides aminés des céréales Composition nutritionnelle Prix Marchés mondiaux Contexte productions végétales en Europe Figure 1 - Présentation des déterminants de la composition des formules alimentaires Tableau 1 - Répartition de la consommation de tourteau de soja en France par type de production (source SCEES 2001) Type de productions Utilisation industrielle Utilisation fermière Total Bovins viande 240 152 392 Génisses lait 56 71 127 Bovins lait 610 490 1 100 Porcins 390 179 569 Volailles de chair 1 196 13 1 208 Pondeuses 258 60 319 Autres 8 46 54 Total (1000 tonnes) 2 758 1 010 3 769 a MM : matières minérales, CB : cellulose brute, ADF : Acid detergent fibre, Ami : amidon ; dmov et MODv selon la méthode 1 ; EN calculée à partir des équations 4 et 5 de NOBLET et al (1994) Tableau 2 - Répartition de la consommation de tourteau de soja en France par type de production à l'horizon 2005 d'après le modèle Prospective Aliment et extrapolation à partir des données du SCEES Type de productions Utilisation industrielle Utilisation fermière Total Bovins viande 297 188 485 Génisses lait 44 56 100 Bovins lait 473 380 853 Porcins 743 341 1 084 Volailles de chair 2 304 25 2 329 Pondeuses 556 129 685 Autres 17 98 115 Total (1000 tonnes) 4 433 1 217 5 650 lion de tonnes de tourteau de soja consommé). Cette progression s expliquerait en partie par la suppression du recours aux farines d origine animale dans ces formules (même si leur consommation était moins importante que dans les aliments pour volailles) et par une hypothèse de consommation d aliments composés autour de 7,25 millions de tonnes en 2005 (contre 6,9 millions en 2000 et 7,0 millions en 2001).

86 Tableau 3 - Evolution du coût ( /q) et de la composition (%) d'un aliment porcin fabriqué à la ferme en fonction du nombre de matières premières disponibles Matières premières utilisables 4 3 2 Blé 52 % 55 % 79 % Tourteau de soja 3 % 7 % 17 % Pois 35 % 35 % - Tourteau de colza 6 % - - Minéraux 2 % 2 % 2.5 % Lysine - - 0.22 % Méthionine - 0.05 % 0.01 % Coût de l'aliment 13.8 /q 14.3 /q 17.2 /q Cette perspective renforce la nécessité d une réflexion autour de la question de la reconquête de l autonomie protéique de la filière porcine. Les facteurs présidant à la formulation des aliments et rations, décrits précédemment, constituant des leviers de cette reconquête, leur efficacité vaut d en être évaluée. 2.1. Le levier de la compétitivité «prix» 2.1.1. Le coût d approvisionnement Principaux concurrents du soja, le pois et le colza voient leur niveau d incorporation dans les aliments varier en fonction de leur compétitivité face à cette matière première. L exemple du pois sur le premier semestre de l année 2002 en est une illustration remarquable. Face à une faible disponibilité sur le marché (recul de la production en 2001/2002) et à un prix relativement élevé du fait d un débouché en alimentation humaine à l export, ses incorporations dans les formules porcs ont reculé fortement sur cette période au profit du soja. La disponibilité de ces matières premières à un prix permettant de concurrencer le soja est une condition sine qua non de la reconquête de l autonomie protéique des filières animales européennes. Ainsi, il conviendrait de favoriser les initiatives permettant aux éleveurs produisant leur aliment à la ferme de disposer aussi facilement de tourteau de colza que de tourteau de soja (en quantité, qualité et de manière régulière tout au long de l année). 2.1.2. Capacité et coût de stockage Au-delà de cette disponibilité sur le marché, l augmentation des capacités de stockage à la ferme, en élargissant la variété des matières premières qui peuvent être incorporées dans les aliments porcs, permettrait de réduire les utilisations de soja (tableau 3). Il ressort de la comparaison de ces trois formules qu une baisse de plus de 50 % des quantités de soja utilisées serait possible par le recours au pois, une combinaison pois colza permettant même de réduire la place du soja à moins de 5 % de la ration, pour une efficacité économique améliorée. On évitera cependant les raccourcis simplistes issus d un raisonnement basé uniquement sur la formulation. Au-delà du coût d approvisionnement, la compétitivité d une matière première passe aussi par la question du coût du stockage (investissement) et plus largement par un raisonnement global de sa place dans l exploitation agricole (complexification du travail ). Le levier prix ne suffira peut-être pas, à lui seul, à limiter le recours au soja, cette matière première présentant suffisamment d atouts nutritionnels (densité protéique et profil équilibré en acides aminés) et une capacité importante de résistance aux baisses de prix de ses concurrents. 2.2. Le levier de la qualité des matières premières 2.2.1. Les limites d incorporation des matières premières Avant d envisager une amélioration qualitative des matières premières concurrentes du soja, une réflexion sur la valorisation optimale de ces matières premières n est pas superflue. Ainsi, les limites d incorporation du pois et du colza couramment retenues (35 % maximum pour le pois, 6 % pour le tourteau de colza (LAPIERRE et PRESSENDA, 2001) pourraient être repoussées. Le handicap consistant à réduire la place du tourteau de soja sans pouvoir s en défaire totalement (ce qui peut décider l éleveur à n utiliser finalement, pour des raisons de praticité, que le soja) pourrait alors être surmonté. Ainsi, les exemples de formules suivants répondent aux mêmes exigences nutritionnelles que les formules précédentes, tout en ne recourant plus au tourteau de soja (tableau 4). Tableau 4 - Exemples de formulations sans soja rendues possibles par un élargissement des limites d'incorporation en pois et/ou tourteau de colza Matières premières Niveaux d'incorporation Blé 52 % 53 % Pois 45 % 35 % Tourteau de colza - 9 % Autres 3.3 % 2 % Lysine 0.08 % 0.05 % Méthionine 0.08 % 0.03 % Une communication auprès des utilisateurs (qu ils appartiennent au secteur des industries de l alimentation animale ou à

87 celui des éleveurs fabriquant eux-mêmes leurs mélanges alimentaires), qui les convaincrait de la faisabilité de ce type de formules se répercuteraient directement sur les niveaux moyens d utilisation des protéagineux et oléagineux métropolitains et, par conséquence, se traduiraient par une réduction significative des utilisations de tourteau de soja. 2.2.2. La qualité nutritionnelle des matières premières Des progrès en terme de densité nutritionnelle, par voie technologique ou voie génétique, des protéagineux et oléagineux métropolitains, viendraient aussi renforcer l intérêt de ces matières premières dans l alimentation des porcs. Ces améliorations, tout en portant sur la teneur en protéines, ne devront pas se faire aux dépens de la densité énergétique qui reste la contrainte la mieux valorisée par le marché. Ainsi, les voies d amélioration qui sont plus ciblées sur l augmentation de la valeur énergétique des tourteaux n ont pas connu, jusqu à maintenant, de réel développement. Qu il s agisse des techniques de dépelliculage (80 000 tonnes de soja économisables pour une utilisation de 176 000 tonnes de colza dépelliculé dans les aliments composés pour porcs) et de décorticage ou qu il s agisse des pratiques qui conduiraient à la production de tourteaux plus riches en huile, elles ont toujours paru peu rentables aux huiliers. Il est possible que dans des filières de valorisation non alimentaire où les tourteaux trouveraient un débouché sur place, les rapports de prix entre tourteau et huile deviennent plus favorables à la mise en œuvre de ces technologies. Au-delà de la substitution du soja par des matières premières riches en protéines, cette démarche qualité peut également concerner les céréales qui ont vu leur incorporation augmenter sensiblement depuis la réforme de la PAC en 1992. Plus qu une amélioration de la teneur en protéines (les préoccupations environnementales conduisant à limiter la quantité d azote totale de l aliment), c est le profil en acides aminés qui peut être valorisé dans les aliments porcs, le soja devenant alors moins indispensable pour équilibrer les besoins de l animal en ces nutriments. Le triticale, moins riche en protéine que le blé ou l orge, mais plus riche en lysine et en cystine permettrait de réduire le recours au soja dans les aliments composés pour porcs de près de 100 000 tonnes (pour une utilisation de plus de un million de tonnes de triticale en substitution d une quantité quasi équivalente d orge). Enfin, le recours aux acides aminés de synthèse pour répondre aux besoins des porcs pourrait favoriser une réduction du recours au soja. Sur la base de nos simulations, il ressort qu une incorporation de thréonine de synthèse à un prix de marché de 3000 euro/t se traduirait, par exemple, par une baisse de l utilisation du tourteau de soja dans les aliments composés pour porcs (-190 000 t) et une hausse du recours au pois (+160 000 t). 2.3. Le levier de la révision des systèmes de production Toutes les pistes que nous venons d explorer s inscrivaient dans un paysage, de systèmes d élevage et pratiques de production, inchangé. La compétitivité économique du soja et les handicaps relatifs de ses concurrents (densité nutritionnelle, disponibilité, image qualitative qu en ont les utilisateurs (LAPIERRE, 2001) ) expliquent aisément la dépendance au tourteau de soja. Une réorientation partielle des pratiques d élevage et de formulation (LAPIERRE, 1999), favorisée par la demande du consommateur vis-à-vis de la qualité du produit, des conditions d élevage et de leurs conséquences environnementales, sont autant d éléments qui peuvent inciter la filière porcine à imaginer un avenir laissant plus de place aux productions végétales métropolitaines. Ainsi, les contraintes mises en place pour limiter les rejets azotés et phosphorés des élevages et qui se sont développées au cours des dernières années (aliment biphase) apparaissent, a priori, peu favorables au soja (forte teneur en MAT et faible disponibilité du phosphore). Mais si les exigences nutritionnelles des animaux ne sont pas revues à la baisse, le soja, du fait de sa densité nutritionnelle, de son profil en acides aminés et de sa compétitivité, restera présent dans les aliments porcins. CONCLUSION Les productions porcines ont un rôle à jouer dans cette reconquête de l autonomie protéique des filières animales françaises et européennes. Que ce soit au niveau de l éleveur dans le cas de l aliment fabriqué à la ferme ou de l industriel produisant des aliments composés, des pistes existent afin de mieux valoriser les matières premières métropolitaines susceptibles de concurrencer le tourteau de soja. Ces voies passent par une communication sur la qualité des produits en terme de potentiel d incorporation dans les aliments, mais également sur leurs avantages agronomiques et écologiques, à l heure d une réflexion de plus en plus globale sur la place de l élevage au sein des exploitations agricoles (traçabilité des matières premières, contraintes environnementales ). RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES DELPLANCKE D., LAPIERRE O., 1998, OCL, 5 (4), 255-261. LAPIERRE O., HUARD M., 1996. OCL, 3 (5), 327 331. LAPIERRE O., HUARD M., 1997. GRAIN LEGUMES (18) 4 th quarter 1997, pp. 24-26. LAPIERRE O., 1999. Technologie et alimentation. CRITT VALICENTRE, 75-79. LAPIERRE O., PRESSENDA F., 2001. Valoriscop., 14-17. LAPIERRE O., 2001. Valoriscop., 18-21. SCEES, 2001. Document interne.