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Transcription:

DG/2004/089 Original : français ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L EDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE Discours de M. Koïchiro Matsuura Directeur général de l Organisation des Nations Unies pour l éducation, la science et la culture (UNESCO) à l occasion de la séance des Entretiens du XXI e siècle sur le thème «Peut-on maîtriser la pandémie de sida? Prospective, éducation, prévention» UNESCO, le 14 juin 2004

DG/2004/089 Page 1 Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Messieurs les professeurs, Madame Owen-Jones, Mesdames et Messieurs, C est une joie pour moi de vous accueillir ce soir dans la Maison de l UNESCO, à l occasion de cet Entretien du XXI e siècle autour d une question qui constitue à elle seule un véritable défi : «Peut-on maîtriser la pandémie de sida?». Jusqu aux siècles précédents, on voyait dans une épidémie une catastrophe naturelle voire un signe du surnaturel. Aujourd hui, si nous débattons du sida, c est que nous espérons pouvoir le maîtriser. Peut-on s en assurer? Et si oui, comment y parvenir? L ambition des Entretiens du XXI e siècle est d inviter des acteurs d horizons différents à mener une réflexion prospective dont le but est d anticiper les évolutions probables dans un univers incertain et d indiquer des pistes d action à long terme. Que savons-nous de la pandémie de sida? La froide horreur des chiffres. En 2003, 3 millions de personnes sont mortes de cette maladie et 5 millions de personnes ont été contaminées, soit près d une personne infectée toutes les 6 secondes. Depuis la découverte, il y a une vingtaine d années, du virus par le Professeur Montagnier et son équipe, le sida n a jamais cessé de se propager. Nous savons également qu il n y pas actuellement de vaccin efficace contre le sida, mais seulement des traitements qui permettent aux personnes infectées de mener une vie presque normale. Nous n avons pourtant pas encore les moyens de guérir définitivement le sida. C est pourquoi on parle de médicaments antirétroviraux, et non pas vraiment de médicaments antisida. Mais nous savons surtout que la progression de la pandémie, les carences des politiques et de la réponse éthique à la maladie renforcent les inégalités de manière criante. Les individus comme les pays ne sont pas égaux devant l épidémie. A ce jour, la planète compte 34 à 46 millions d individus vivant avec le sida. 26 millions d entre eux résident en Afrique et très peu, trop peu, de ces hommes, femmes et enfants reçoivent un traitement médical approprié. Je me suis rendu, au début de l année, en Afrique australe, accompagné par Mme Christina Owen-Jones, dans ses fonctions d ambassadrice de bonne volonté de l UNESCO pour l éducation et la prévention contre le VIH/sida. J ai pu constater quel impact terrible cette pandémie a sur les populations, et en particulier sur les femmes et les filles, qui sont les plus touchées.

DG/2004/089 Page 2 Il touche également, au Sud, les acteurs les plus dynamiques de la société, ces femmes et ces hommes encore jeunes, enseignants, fonctionnaires, entrepreneurs, médecins ou membres des professions libérales, qui sont le moteur du développement et des changements sociaux. Dans les pays les plus touchés par la pandémie, le sida déclenche une spirale destructrice. En décimant les populations et les élites, le sida détruit les structures économiques, éducatives et politiques. Autant dire que, dans ces pays, le sida sape les conditions même de la lutte contre le sida. Ce tableau est sombre. Il indique que nous en savons assez pour agir. Il n y a jamais eu autant de personnes contaminées ni de personnes affectées, touchées de près ou de loin par l épidémie. Nous ne cessons pas pour autant d espérer. La lutte contre le sida entre dans une phase charnière : l efficacité des traitements l atteste amplement. Cependant, le paradoxe est que les malades sont au Sud et traitements au Nord. En conséquence, l ONUSIDA, dont l UNESCO préside cette année le Comité des organisations cosponsors, et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ont déclaré, en septembre 2003, que l accès au traitement constituait désormais une urgence mondiale. Ils ont lancé avec leurs partenaires l initiative «3 par 5» en vue de faire accéder trois millions d habitants des pays en développement au traitement d ici la fin de l année 2005. L objectif simple, clair et impératif, c est l accès universel au traitement, quel qu en soit le prix. Le coût de cette initiative est estimé à 5,5 milliards de dollars et il peut baisser si on diminue encore le prix des médicaments. Il reste pourtant beaucoup à faire pour rendre les traitements réellement accessibles à tous. Ils le sont, désormais, en droit, ils doivent l être, dorénavant, en fait. Or c est là que se situent les difficultés. L effort de solidarité doit bien sûr unir les acteurs, dans une vaste alliance de salut public mondial entre gouvernements, ONG, secteur privé le secteur pharmaceutique au premier chef et la société civile. Cependant, pour le dire sans ambages, le traitement seul est inutile. Il est patent que, dans les pays les plus affectés, la propagation phénoménale du sida n a pas été provoquée uniquement par les pénuries et les carences des systèmes de santé. Elle l a été également parce que trop peu d individus sont correctement informés sur le sida et parce que trop peu ont modifié leurs comportements en conséquence. L épidémie s est propagée en partie parce que les mesures de prévention prises jusqu à présent ont été insuffisantes et tardives. Le succès du sida, c est donc aussi cette faillite de la prévention, aggravée, il faut le dire, par les carences de bien des systèmes éducatifs. Or la prévention est non seulement la solution la plus économique, mais c est aussi, en l absence de vaccin, la plus efficace. Il n y aura d accès universel au

DG/2004/089 Page 3 traitement que si les personnes disposent des médicaments, mais aussi d une information fiable, culturellement adaptée et intelligible. L erreur, sur ce point, a souvent été de procéder comme si traitement et prévention étaient deux stratégies indépendantes et alternatives. Or elles ne peuvent être efficaces que si on les intègre en une stratégie unique. Pour freiner la propagation de la maladie, pour en atténuer les graves conséquences socio-économiques, nous devons tous reconnaître que l accès au médicament est une condition nécessaire de la lutte contre le sida, mais qui reste insuffisante sans information et sans éducation. D autre part, nous devons également admettre qu une culture de la prévention ne peut se réaliser que si l efficacité des traitements est par ailleurs connue et diffusée. La guerre contre le sida est une mais elle possède plusieurs visages : le traitement et la prévention doivent entrer en synergie afin que les médicaments et l information puissent parvenir au plus grand nombre de patients possibles. Pour enclencher cette dynamique, opposée à la spirale destructrice que j ai évoquée plus tôt, les stratégies globales de lutte contre le sida doivent s adapter aux réalités nationales et aux cultures locales. Il faut, en retour, que les gouvernements acceptent la réalité du sida, et mènent des politiques sanitaires transparentes. Les communautés locales doivent, elles, accepter de lutter, en leur propre sein, contre des pratiques qui, pour être traditionnelles, n en ont pas moins des effets sanitaires dramatiques, en particulier quand elles tiennent aux discriminations contre les femmes et contre les malades, qui sont souvent traités en parias. Rien de cela ne se fera sans le dialogue et la concertation, sans l éducation et l information. C est pourquoi la lutte contre le sida est un défi majeur pour l organisation que j ai l honneur de diriger. Organisation des Nations Unies pour l éducation, la science et la culture, l UNESCO, dont le mandat inclut, de surcroît, l information et la communication, est un pôle crucial de la lutte contre le sida. En effet, nos missions et notre engagement précoce dans ce combat nous mettent en position de jouer, au sein de l ONUSIDA, un rôle incontournable pour la diffusion d une culture de la prévention. De par sa nature pluridisciplinaire, elle représente également un forum de réflexion prospective où, comme ce soir, les acteurs impliqués dans la lutte peuvent dialoguer, qu ils appartiennent aux cercles de la science, de la culture, de l éducation ou de la politique. Pour conclure, je voudrais rappeler que la diversité même des situations face au sida ne doit pas être interprétée en termes purement négatifs : car elle ne reflète pas seulement les inégalités en termes de revenu ou de développement, mais aussi la diversité des politiques de prévention, d éducation, d information et de traitement. De ce fait, il n y a pas que les pays riches qui ont réussi à endiguer la pandémie. Il reste par exemple des pays où la prévalence chez l adulte est inférieure à 1 %. La diversité

DG/2004/089 Page 4 des systèmes est paradoxalement porteuse d espoir : lorsqu il existe une volonté politique, elle ne tarde pas à porter ses fruits. Au Brésil, en Thaïlande, au Sénégal, en Ouganda, les taux d infection ont diminué. Le sida n est pas le destin de l humanité : il est le miroir de ses carences. Ensemble, nous pouvons le vaincre pour peu que la communauté internationale en ait vraiment la volonté. Merci de votre attention.