UN PRURIT : une urticaire? un eczéma? Docteur CHARTIER Christian, dermatologue à Strasbourg. DÉFINITION Le prurit est un signe fonctionnel ; c est une sensation qui provoque le besoin de se gratter. Il concerne la peau et certaines muqueuses. Il est localisé ou généralisé. Il existe un prurit physiologique, discret, qui augmente parfois le soir ou lorsque le patient se déshabille. Il est normal de se gratter plusieurs fois par jour sans désagrément particulier. Le prurit est pathologique s il existe des lésions de grattage et/ou des signes cutanés. Le prurit peut survenir au cours de nombreuses circonstances : Maladies cutanées inflammatoires Accumulation de toxines (prurit cholestatique, urémique) Maladies générales (hémopathies, maladies endocriniennes) Prurit induit (médicaments) Prurit neuropathique ou psychogène En pratique, il existe deux grandes situations : il n y a aucune lésion spécifique, uniquement des lésions de grattage. il existe une dermatose PRURIT SANS LÉSION VISIBLE C est une situation fréquente et il ne faut pas se précipiter pour demander un bilan! Le prurit est souvent du à une sécheresse cutanée favorisée par l hygiène excessive, les conditions climatiques (le froid) et le vieillissement cutané.
Des conseils simples permettent souvent de régler le problème : utiliser un produit doux pour la toilette (un surgras liquide ou en pain) appliquer des émollients Il convient de privilégier un émollient non parfumé ; les topiques contenant 10 % d urée sont très efficaces (XERIAL 10, crème corporelle EUCERIN à 10 % d urée). S il n y a ni xérose, ni irritation, le problème est celui d un prurit de cause générale. A l examen clinique, il n existe que des lésions cutanées provoquées par le grattage. Les affections générales responsables d un prurit sont les suivantes : cholestase (intra ou extra hépatique), avec ou sans ictère insuffisance rénale chronique maladies hématologiques (lymphomes, maladie de Hodgkin, polyglobulie de Vaquez, leucémie lymphoïde chronique, anémie ferriprive) maladies endocriniennes et métaboliques (hyperthyroïdie, hypothyroïdie par le biais de la sécheresse cutanée, diabète) médicaments infections (en particulier VIH et toxocarose) Le prurit est exceptionnellement paranéoplasique et cela ne justifie pas la recherche d un cancer profond en l absence de signes cliniques d orientation. Sans orientation clinique, le bilan recommandé est le suivant : NFS, CD4/CD8 VS, CRP Urée, créatinine Bilan hépatique, LDH Glycémie à jeun, calcémie Fer sérique, ferritine TSH Electrophorèse et immunoélectrophorèse des protéines Sérologie VIH, VHA, VHB, VHC, toxocara Examen parasitologique des selles Thorax, échographie abdominale Il est INUTILE de demander une biopsie cutanée! Il n est pas nécessaire de demander un bilan allergologique. En présence d une hyperéosinophilie et en fonction du contexte, un bilan parasitologique plus étendu est indiqué.
PRURIT ET DERMATOSES Les principales dermatoses prurigineuses sont les suivantes : Eczéma (Psoriasis) Urticaire Lichen Toxidermies (Dermatophytoses) Ectoparasitoses Maladies bulleuses Mycosis fongoïde Eczéma L eczéma se caractérise par des placards érythémato-vésiculeux d extension progressive. Il peut être secondaire à un contact avec un allergène (eczéma de contact) ou être constitutionnel (eczéma atopique). Deux formes particulières et très fréquentes sont à signaler : l eczéma dysidrosique des mains : petites vésicules dures enchâssées dans le derme, avec érythème et prurit ; fréquent chez le sujet jeune, peut être favorisé par le stress, il n est jamais de nature allergique et il n y a aucun bilan à faire l eczéma de stase des membres inférieurs : plaques d eczéma sur les jambes, avec parfois un contexte d insuffisance veineuse ; la physiopathologie est obscure... Urticaire L urticaire est caractérisée par des papules rosées, fugaces, migratrices et récidivantes. Nous y reviendrons. On enseigne souvent que le psoriasis est non prurigineux. En fait il existe un prurit chez 50 % des patients. Dans ce cas, la dermatose est remaniée par le grattage. Le lichen plan est constitué de papules violines sur la face antérieure des poignets, des avant bras, des coudes, des genoux... Il existe souvent des lésions muqueuses associées, en particulier buccales. Un avis spécialisé est indiqué avec biopsie. La gale est souvent de diagnostic difficile : prurit à recrudescence nocturne qui épargne le visage, présence de sillons scabieux. Deux situations particulières nécessitent un avis spécialisé avec biopsie : en cas de bulles, où l on suspectera une dermatose bulleuse auto-immune (pemphigoïde,
dermatite herpétiforme...) si les lésions sont infiltrées : penser à un lymphome, un mycosis fongoïde... Figure 1 : placard d eczéma, érythémovésiculeux Figure 2 : psoriasis généralisé, érythématosquameux
Figure 3 : papules de lichen Figure 4 : pemphigoïde En fonction du contexte, il faudra également évoquer une toxidermie. Les candidoses et dermatophytoses, classiquement non prurigineuses, comportent souvent un certain degré de prurit ; les atteintes sont localisées URTICAIRE CHRONIQUE C est un sujet d actualité. Il existe une nouvelle approche, à la fois sur le plan de la physiopathologie, de la classification et du traitement. On parle d urticaire chronique lorsque les lésions évoluent depuis plus de 6 semaines. Les caractéristiques cliniques sont les suivantes :
Eruption papuleuse, œdémateuse, prurigineuse, migratrice et fugace Il existe parfois un érythème périphérique ou un halo de vasoconstriction L éruption peut s accompagner d un angioedème (paupières, lèvres) plus douloureux que prurigineux, durant souvent deux ou trois jours L urticaire chronique idiopathique n existe plus. Dorénavant, il existe deux tableaux : l urticaire chronique spontanée les urticaires inductibles URTICAIRES INDUCTIBLES Les principales causes sont les suivantes : Froid Retardée à la pression Chaleur Solaire Dermographisme Vibratoire Cholinergique Aquagènique Le contexte clinique permet de suspecter le diagnostic. Il existe des tests spécifiques pour préciser le diagnostic. Ces tests sont réalisés dans les consultations d allergologie. Figure 5 : dermographisme urticarien
Figure 6 : papules urticariennes La physiopathologie s oriente actuellement vers une maladie auto-immune La cause Hyperréactivité des mastocytes cutanés Etat de préactivation favorisée par : Atopie - auto-immunité. Les mécanismes Sur ce terrain de mastocyte pré-activé, «chatouilleux», «fragiles» Des facteurs activateurs multiples induisent : * L activation mastocytaire complète * L apparition des lésions d urticaire (relargage de substances vaso-actives)
Au total l urticaire chronique spontanée est une maladie inflammatoire, probablement auto-immune c est une dermatose fréquente, NON ALLERGIQUE elle est fréquemment associée à des signes d atopie Quel bilan faut-il demander? Le plus souvent : RIEN Si plaques fixes : BIOPSIE (avis dermatologique ; suspicion de vasculite urticarienne) Bilan «de routine» : NF/VS/CRP/Ac anti thyroïde Bilan allergologique : NON Angioedème isolé : recherche des médicaments inducteurs (IEC, sartans) ; dosage complément et inhibiteur de C1 estérase dans le cadre de l angioedème héréditaire (avis dermatologique) Le bilan de routine est discutable..... La recherche d anticorps anti thyroïde est recommandée par certains auteurs en raison de la fréquence des thyroïdites auto-immunes associées. Traitement de l urticaire chronique spontanée (UCS) Il n existe aucun traitement curatif dans l UCS Le contrôle des facteurs favorisants et la prise en compte du retentissement de l UCS sur la vie quotidienne des patients sont primordiaux Dans la majorité des cas, l UCS est contrôlée par les antihistaminiques En première intention, antihistaminiques de 2ème génération en continu pendant plusieurs mois En 2ème intention, anti histaminiques de 2ème génération augmentés jusqu à 4 comprimés par jour, assez rapidement (au bout de 2 semaines), en continu Préciser sur la prescription : «Je dis bien quatre comprimés par jour» Association aux antileucotriènes? Mauvaise idée : utiliser des antihistaminiques sédatifs le soir (sommeil de mauvaise qualité) Si résistance, associer à traitement immunologique : méthotrexate, ciclosporine, anticorps monoclonaux (omalizumab)