UN PRURIT : une urticaire? un eczéma?

Documents pareils
Unité d enseignement 4 : Perception/système nerveux/revêtement cutané

Orientation diagnostique devant une éosinophilie 1

Les eczémas: l approche au cabinet

Actualités thérapeutiques dans le VHC : les recommandations de l AFEF Vendredi 8 et samedi 9 avril 2011 à Paris

LISTE DES ACTES ET PRESTATIONS - AFFECTION DE LONGUE DURÉE HÉPATITE CHRONIQUE B

INTERET PRATIQUE DU MDRD AU CHU DE RENNES

URTICAIRE ET ANGIO-OEDEME

PROGRAMME. Qu est ce que la sélection? Médicale Non médicale. Tarification et compensation Mortalité, surmortalité Loi des grands nombres

Quoi de neuf dans la prise en charge du psoriasis?

SOIXANTE-SEPTIÈME ASSEMBLÉE MONDIALE DE LA SANTÉ A67/18 Point 13.5 de l ordre du jour provisoire 21 mars Psoriasis. Rapport du Secrétariat

Cas clinique n 1. Y-a-t-il plusieurs diagnostics possibles? Son HTA a t elle favorisé ce problème?

Suivi ambulatoire de l adulte transplanté rénal au-delà de 3 mois après transplantation

Cordarone et Thyroïde par François Boustani

Assurance Maladie Obligatoire Commission de la Transparence des médicaments. Avis 2 23 Octobre 2012

ANEMIE ET THROMBOPENIE CHEZ LES PATIENTS ATTEINTS D UN CANCER

Les tests thyroïdiens

COMMISSION DE LA TRANSPARENCE AVIS. 10 mai 2006

ÉVALUATION DE LA PERSONNE ATTEINTE D HYPERTENSION ARTÉRIELLE

Guide du parcours de soins Titre ACTES ET PRESTATIONS AFFECTION DE LONGUE DURÉE. Hépatite chronique B

DERMATOSES ECZEMATIFORMES LICHENOIDES ET ERYTHEMATO-SQUAMEUSES

Compte rendu d hospitalisation hépatite C. À partir de la IIème année MG, IIIème années MD et Pharmacie

Réintroductions alimentaires chez l enfant. M. Hofer - J.Wassenberg Immuno-allergologie Service de pédiatrie - CHUV

NOTICE : INFORMATION DE L UTILISATEUR. Delphi 0,1 % crème Acétonide de triamcinolone

Dermatologie courante du sujet âgé. Printemps Médical de Bourgogne 31 Mars 2012 Dr Claude Plassard Gériatre CHI Châtillon/Montbard

Mécanisme des réactions inflammatoires

DÉFICITS IMMUNITAIRE COMMUN VARIABLE

Bilan d Activité du Don de Plaquettes par cytaphérèse Sur une Période d une année au Service Hématologie EHS ELCC Blida.

Marseille 25 octobre 2012 Accompagnement du traitement chez les co-infectés VHC-VIH en pratique

.( /.*!0) %1 2"+ %#(3004) 05' 203 .(.*0"+ ) '!2"+ %#(30+ 0!"%) 4!%2) 3 '!%2"+ %#(30! &' 4!!% .+.*0%!!'!(!%2" !

Avis 17 octobre 2012

Bonne lecture!! et si vous souhaitez consulter le document de l AFEF dans son intégralité, c est ici

et l utilisation des traitements biologiques

LA TUBERCULOSE Docteur ALAIN BERAUD

L anémie hémolytique auto-immune

Carte de soins et d urgence

Prescription et surveillance d un traitement dermocorticoïde

Psoriasis & Sport. Pour un meilleur accès des personnes psoriasiques aux activités sportives. Qui le psoriasis touche-t-il?

Dracunculose Association Française des Enseignants de Parasitologie et Mycologie (ANOFEL)

Intérêt diagnostic du dosage de la CRP et de la leucocyte-estérase dans le liquide articulaire d une prothèse de genou infectée

Leucémies de l enfant et de l adolescent

HTA et grossesse. Dr M. Saidi-Oliver chef de clinique-assistant CHU de Nice

Spondylarthropathies : diagnostic, place des anti-tnf et surveillance par le généraliste. Pr P. Claudepierre CHU Henri Mondor - Créteil

PSORIASIS. Dr Le Duff 2010 Service de Dermatologie Hôpital Archet 2 Nice -

Le vitiligo touche 1 personne sur 50 à 100 de la population mondiale avec 10 à 30 % de formes familiales. Ce n est donc pas une maladie rare.

Association lymphome malin-traitement par Interféron-α- sarcoïdose

Module transdisciplinaire 8 : Immunopathologie. Réactions inflammatoires

LIGNES DIRECTRICES CLINIQUES TOUT AU LONG DU CONTINUUM DE SOINS : Objectif de ce chapitre. 6.1 Introduction 86

Christian TREPO, MD, PhD

I - CLASSIFICATION DU DIABETE SUCRE

COMMISSION DE LA TRANSPARENCE

Item 288 : Troubles des phanères : Onyxis

COMMISSION DE LA TRANSPARENCE AVIS. 18 novembre 2009

HEPATITES VIRALES 22/09/09. Infectieux. Mme Daumas

GUIDE D INFORMATIONS A LA PREVENTION DE L INSUFFISANCE RENALE

Le psoriasis est une dermatose

FIPROTEC, PIPETTES CONTRE PUCES ET TIQUES :

L allogreffe de Cellules Souches Hématopoïétiques

Psoriasis et travail dans le BTP. Pr E. Delaporte

Laurence LEGOUT, Michel VALETTE, Henri MIGAUD, Luc DUBREUIL, Yazdan YAZDANPANAH et Eric SENNEVILLE

Symposium des Société Française d Angéiologie (SFA) et Société Francophone de Médecine Sexuelle (SFMS), Paris, Journées internationales Francophones

AMMA HOSPI-PLAN Déclaration de sinistre

L hépatite C pas compliqué! Véronique Lussier, M.D., F.R.C.P.C. Gastroentérologue Hôpital Honoré-Mercier 16 avril 2015

Psoriasis. EPU Bats CARMI Esther

Conduite à tenir devant des œdèmes chez l enfant. Véronique OYHARCABAL Centre Hospitalier de la Côte Basque

Le VIH et votre foie

Thérapeutique anti-vhc et travail maritime. O. Farret HIA Bégin

ANNEXE IIIB NOTICE : INFORMATION DE L UTILISATEUR

SYNDROME DU TUNNEL CARPIEN, EPICONDYLITE ET TRAVAIL : POINT DE VUE DU RHUMATOLOGUE

Diabète Maladies thyroïdiennes. Beat Schmid Endocrinologie Hôpital cantonal de Schaffhouse

Recommandations régionales Prise en charge des carcinomes cutanés

Innovations thérapeutiques en transplantation

GUIDE AFFECTION DE LONGUE DURÉE. Hépatite chronique B

Comprendre les lymphomes non hodgkiniens

Moyens d étude de la peau

Compliance (syn. Adhérence - Observance) IFMT-MS-Sémin.Médict.Nov.05 1

Sont considérées comme prestations qui requièrent la qualification de médecin spécialiste en dermato-vénéréologie (E) :

Lymphome non hodgkinien

Mécanismes moléculaires à l origine des maladies autoimmunes

Bulletin n Cher adhérent, cher donateur,

Stelara (ustekinumab)

L hépatite C. 50 questions et réponses. Dr. med. Daniel Lavanchy, PD Dr. med. Andrea De Gottardi, Prof. Dr. med. Andreas Cerny

La maladie de Still de l adulte

Pour un bronzage sage. Guide pour un utilisateur averti de banc solaire

Infections urinaires chez l enfant

Communiqué. Abbott présente à Santé Canada une demande d homologation d HUMIRA pour le traitement du psoriasis POUR PUBLICATION IMMÉDIATE

LE PSORIASIS ET SES CO-MORBIDITES PARTICULIEREMENT LE DIABETE

Hépatite. du dépistage au traitement. Questions et réponses. L hépatite C Dépistage, clinique, prise en charge et conseils aux patients

Le psoriasis est une maladie qui touche environ 2 à 3 % de la population et qui se

HVC CHRONIQUE MOYENS THERAPEUTIQUES ET BILAN PRE-THERAPEUTIQUE CHAKIB MARRAKCHI.

LES ONYCHOPATHIES. Mohamed Denguezli Service de Dermatologie C.H.U SOUSSE

Obésité et psoriasis Données actuelles et questions au spécialiste en nutrition

TRAITEMENT DE L ANÉMIE AU COURS DE L INSUFFISANCE RÉNALE CHRONIQUE DE L ADULTE

PROTEGER SON DOS ex. Cliniques St Luc

Diagnostic des Hépatites virales B et C. P. Trimoulet Laboratoire de Virologie, CHU de Bordeaux

Cirrhoses et étiologie des cirrhoses (228) Professeur Jean-Pierre ZARSKI Avril 2003 (Mise à jour Mars 2005)

points Les actes de biologie médicale : analyse des dépenses en 2008 et 2009

1- Parmi les affirmations suivantes, quelles sont les réponses vraies :

GENERALITES SUR LA GALE

Rôle des acides biliaires dans la régulation de l homéostasie du glucose : implication de FXR dans la cellule bêta-pancréatique

Transcription:

UN PRURIT : une urticaire? un eczéma? Docteur CHARTIER Christian, dermatologue à Strasbourg. DÉFINITION Le prurit est un signe fonctionnel ; c est une sensation qui provoque le besoin de se gratter. Il concerne la peau et certaines muqueuses. Il est localisé ou généralisé. Il existe un prurit physiologique, discret, qui augmente parfois le soir ou lorsque le patient se déshabille. Il est normal de se gratter plusieurs fois par jour sans désagrément particulier. Le prurit est pathologique s il existe des lésions de grattage et/ou des signes cutanés. Le prurit peut survenir au cours de nombreuses circonstances : Maladies cutanées inflammatoires Accumulation de toxines (prurit cholestatique, urémique) Maladies générales (hémopathies, maladies endocriniennes) Prurit induit (médicaments) Prurit neuropathique ou psychogène En pratique, il existe deux grandes situations : il n y a aucune lésion spécifique, uniquement des lésions de grattage. il existe une dermatose PRURIT SANS LÉSION VISIBLE C est une situation fréquente et il ne faut pas se précipiter pour demander un bilan! Le prurit est souvent du à une sécheresse cutanée favorisée par l hygiène excessive, les conditions climatiques (le froid) et le vieillissement cutané.

Des conseils simples permettent souvent de régler le problème : utiliser un produit doux pour la toilette (un surgras liquide ou en pain) appliquer des émollients Il convient de privilégier un émollient non parfumé ; les topiques contenant 10 % d urée sont très efficaces (XERIAL 10, crème corporelle EUCERIN à 10 % d urée). S il n y a ni xérose, ni irritation, le problème est celui d un prurit de cause générale. A l examen clinique, il n existe que des lésions cutanées provoquées par le grattage. Les affections générales responsables d un prurit sont les suivantes : cholestase (intra ou extra hépatique), avec ou sans ictère insuffisance rénale chronique maladies hématologiques (lymphomes, maladie de Hodgkin, polyglobulie de Vaquez, leucémie lymphoïde chronique, anémie ferriprive) maladies endocriniennes et métaboliques (hyperthyroïdie, hypothyroïdie par le biais de la sécheresse cutanée, diabète) médicaments infections (en particulier VIH et toxocarose) Le prurit est exceptionnellement paranéoplasique et cela ne justifie pas la recherche d un cancer profond en l absence de signes cliniques d orientation. Sans orientation clinique, le bilan recommandé est le suivant : NFS, CD4/CD8 VS, CRP Urée, créatinine Bilan hépatique, LDH Glycémie à jeun, calcémie Fer sérique, ferritine TSH Electrophorèse et immunoélectrophorèse des protéines Sérologie VIH, VHA, VHB, VHC, toxocara Examen parasitologique des selles Thorax, échographie abdominale Il est INUTILE de demander une biopsie cutanée! Il n est pas nécessaire de demander un bilan allergologique. En présence d une hyperéosinophilie et en fonction du contexte, un bilan parasitologique plus étendu est indiqué.

PRURIT ET DERMATOSES Les principales dermatoses prurigineuses sont les suivantes : Eczéma (Psoriasis) Urticaire Lichen Toxidermies (Dermatophytoses) Ectoparasitoses Maladies bulleuses Mycosis fongoïde Eczéma L eczéma se caractérise par des placards érythémato-vésiculeux d extension progressive. Il peut être secondaire à un contact avec un allergène (eczéma de contact) ou être constitutionnel (eczéma atopique). Deux formes particulières et très fréquentes sont à signaler : l eczéma dysidrosique des mains : petites vésicules dures enchâssées dans le derme, avec érythème et prurit ; fréquent chez le sujet jeune, peut être favorisé par le stress, il n est jamais de nature allergique et il n y a aucun bilan à faire l eczéma de stase des membres inférieurs : plaques d eczéma sur les jambes, avec parfois un contexte d insuffisance veineuse ; la physiopathologie est obscure... Urticaire L urticaire est caractérisée par des papules rosées, fugaces, migratrices et récidivantes. Nous y reviendrons. On enseigne souvent que le psoriasis est non prurigineux. En fait il existe un prurit chez 50 % des patients. Dans ce cas, la dermatose est remaniée par le grattage. Le lichen plan est constitué de papules violines sur la face antérieure des poignets, des avant bras, des coudes, des genoux... Il existe souvent des lésions muqueuses associées, en particulier buccales. Un avis spécialisé est indiqué avec biopsie. La gale est souvent de diagnostic difficile : prurit à recrudescence nocturne qui épargne le visage, présence de sillons scabieux. Deux situations particulières nécessitent un avis spécialisé avec biopsie : en cas de bulles, où l on suspectera une dermatose bulleuse auto-immune (pemphigoïde,

dermatite herpétiforme...) si les lésions sont infiltrées : penser à un lymphome, un mycosis fongoïde... Figure 1 : placard d eczéma, érythémovésiculeux Figure 2 : psoriasis généralisé, érythématosquameux

Figure 3 : papules de lichen Figure 4 : pemphigoïde En fonction du contexte, il faudra également évoquer une toxidermie. Les candidoses et dermatophytoses, classiquement non prurigineuses, comportent souvent un certain degré de prurit ; les atteintes sont localisées URTICAIRE CHRONIQUE C est un sujet d actualité. Il existe une nouvelle approche, à la fois sur le plan de la physiopathologie, de la classification et du traitement. On parle d urticaire chronique lorsque les lésions évoluent depuis plus de 6 semaines. Les caractéristiques cliniques sont les suivantes :

Eruption papuleuse, œdémateuse, prurigineuse, migratrice et fugace Il existe parfois un érythème périphérique ou un halo de vasoconstriction L éruption peut s accompagner d un angioedème (paupières, lèvres) plus douloureux que prurigineux, durant souvent deux ou trois jours L urticaire chronique idiopathique n existe plus. Dorénavant, il existe deux tableaux : l urticaire chronique spontanée les urticaires inductibles URTICAIRES INDUCTIBLES Les principales causes sont les suivantes : Froid Retardée à la pression Chaleur Solaire Dermographisme Vibratoire Cholinergique Aquagènique Le contexte clinique permet de suspecter le diagnostic. Il existe des tests spécifiques pour préciser le diagnostic. Ces tests sont réalisés dans les consultations d allergologie. Figure 5 : dermographisme urticarien

Figure 6 : papules urticariennes La physiopathologie s oriente actuellement vers une maladie auto-immune La cause Hyperréactivité des mastocytes cutanés Etat de préactivation favorisée par : Atopie - auto-immunité. Les mécanismes Sur ce terrain de mastocyte pré-activé, «chatouilleux», «fragiles» Des facteurs activateurs multiples induisent : * L activation mastocytaire complète * L apparition des lésions d urticaire (relargage de substances vaso-actives)

Au total l urticaire chronique spontanée est une maladie inflammatoire, probablement auto-immune c est une dermatose fréquente, NON ALLERGIQUE elle est fréquemment associée à des signes d atopie Quel bilan faut-il demander? Le plus souvent : RIEN Si plaques fixes : BIOPSIE (avis dermatologique ; suspicion de vasculite urticarienne) Bilan «de routine» : NF/VS/CRP/Ac anti thyroïde Bilan allergologique : NON Angioedème isolé : recherche des médicaments inducteurs (IEC, sartans) ; dosage complément et inhibiteur de C1 estérase dans le cadre de l angioedème héréditaire (avis dermatologique) Le bilan de routine est discutable..... La recherche d anticorps anti thyroïde est recommandée par certains auteurs en raison de la fréquence des thyroïdites auto-immunes associées. Traitement de l urticaire chronique spontanée (UCS) Il n existe aucun traitement curatif dans l UCS Le contrôle des facteurs favorisants et la prise en compte du retentissement de l UCS sur la vie quotidienne des patients sont primordiaux Dans la majorité des cas, l UCS est contrôlée par les antihistaminiques En première intention, antihistaminiques de 2ème génération en continu pendant plusieurs mois En 2ème intention, anti histaminiques de 2ème génération augmentés jusqu à 4 comprimés par jour, assez rapidement (au bout de 2 semaines), en continu Préciser sur la prescription : «Je dis bien quatre comprimés par jour» Association aux antileucotriènes? Mauvaise idée : utiliser des antihistaminiques sédatifs le soir (sommeil de mauvaise qualité) Si résistance, associer à traitement immunologique : méthotrexate, ciclosporine, anticorps monoclonaux (omalizumab)