rticle de Paul Külling, Dr ès. sc. nat., biologiste chez SD Lausanne, paru dans le " ulletin de l'rpe " de Janvier 2002 La protection des sols Le suivi pédologique lors de la construction d un gazoduc de transport INTRODUTION adre légal La protection des sols est un domaine de l environnement qui a vu un fort développement cette dernière décennie. En effet, les bases légales définissant plus concrètement les exigences de la protection des sols ont été introduites en 1997 dans la Loi sur la protection de l environnement (LPE) et concrétisées dans la nouvelle Ordonnance sur les atteintes portées au sol (OSol) en 1998. ette ordonnance a remplacé alors l ancienne Ordonnance sur les polluants des sols de 1986. Des directives spécifiques ont été formulées par l OFEFP en 1996 (Manuel protection des sols et génie civil) et en 1997 pour les travaux très particuliers liés à la pose de conduites souterraines : «Directives pour la protection des sols lors de la création de conduites souterraines de transport», appelées également plus généralement «Directives pour la protection des sols». Un complément d information a été publié récemment (2001) par l OFEFP sous forme de «ommentaires concernant l Ordonnance sur les atteintes portées aux sols (Osol)». Pourquoi protéger les sols? Les sols représentent l élément de base de la vie terrestre et constituent un bien non remplaçable à l échelle humaine. La genèse des sols est lente : 30 cm de sol ont en effet besoin de 1'000 à 10'000 ans pour se former. Il est donc nécessaire de protéger ce bien essentiel pour qu il garde sa fertilité, son pouvoir filtrant face aux polluants (protection des eaux), son rôle de substrat pour les plantes, ses qualités comme milieu de vie pour certains invertébrés, crustacés, bactéries et champignons. Qu est-ce qui menace le sol? Lors des travaux, le sol peut être compacté (changements des capacités drainantes, asphyxie, pertes des qualités en tant que substrats pour les racines et comme milieu de vie), déstructuré, pollué (hydrocarbures, déchets, etc.) ou tout simplement perdu (lors de transports, de remise en place inadéquate, par glissement, par érosion éolienne et hydraulique). Les objectifs de la protection des sols visent donc à éviter, par des mesures appropriées, les différents dommages que pourrait subir le sol. LE S PRTIULIER DES ONDUITES SOUTERRINES L intérêt porté à ces installations particulières n est pas étonnant : des surfaces très importantes sont en effet concernées lors de la mise en terre des conduites. Le sol, remis en culture après la réalisation de l installation, doit conserver ses caractéristiques biologiques et structurelles originelles. e sont donc des projets qui méritent des mesures rigoureuses de protection du sol afin d éviter des pertes de sol et de garantir une réutilisation (champs, prairies, pâturages, etc.) sans entraves par la suite. Quelques aspects pratiques de la mise en œuvre de la protection du sol lors de la construction du gazoduc de transport Transitgas 3 (TRG3), réalisé entre 2000 et 2001(finition de la remise en culture en 2002) sont présentés ci-dessous.
rticle de Paul Külling, Dr ès. sc. nat., biologiste chez SD Lausanne, paru dans le " ulletin de l'rpe " de Janvier 2002 LE PROJET TRG3 La conduite de gaz de Transitgas est la plus importante conduite pour le transport de gaz naturel en Suisse. Elle a été réalisée au début des années 70, traversant la Suisse du nord (Wallbach, G, frontière germano-suisse) au sud (Grieshorn, VS, frontière italo-suisse). La consommation accrue de gaz naturel (aussi bien en Suisse qu en Italie) a nécessité le renforcement de la capacité de cette première conduite par la mise en place d une nouvelle conduite. et ouvrage, commencé au milieu des années 90 par un premier tronçon (Grieshorn Grimsel), continué par un deuxième dès 1999 (Grimsel Rothorn Entlebuch) est en train d être finalisé par un dernier tronçon entre l Entlebuch et le pied du Jura. Le projet TRG3 concerne un tronçon de 55 km, dont 4.7 km en tunnels/galeries, complétant cet ouvrage par une nouvelle liaison entre la frontière franco-suisse (Rodersdorf, SO) à travers la chaîne du Jura jusqu au plateau (Lostorf, SO) où il rejoint la conduite existante. Le tronçon TRG3 se caractérise par les données techniques suivantes : Diamètre de la conduite : 90 cm, épaisseur des parois en acier : 12.3 18.2 mm, pression maximale (concession) : 85 bars. Le chantier du gazoduc se distingue par sa forme longiligne d une largeur de 30 m. En forêt, cette largeur est diminuée à 15 m pour limiter les défrichements ; ceci pose néanmoins des problèmes importants d organisation (place insuffisante pour les dépôts, difficultés de séparer les différentes couches de sol, etc.) et n est possible que sur des distances limitées. Les surfaces suivantes sont concernées par le projet TRG3: Longueur Surface chantier En forêt 3 km 4.5 ha Zone agricole 47.3 km 141.9 ha TOTL 50.3 km 146.4 ha Les surfaces de sols concernées par les différents travaux de pose sont donc très importantes ; on en déduit que la protection du sol prend une importance toute particulière. Pose du gazoduc à l aide de sidebooms (pose-tubes), machines spéciales pour la pose des gazoducs
rticle de Paul Külling, Dr ès. sc. nat., biologiste chez SD Lausanne, paru dans le " ulletin de l'rpe " de Janvier 2002 EXEMPLE PRTIQUE : LE HNTIER TRG3 Etudes préliminaires Le projet TRG3 a fait l objet d une étude d impact où le chapitre «Sol» relevait d une importance particulière : le sol a été cartographié, décrit en détail et des cartes ont été éditées (échelle 1 :10'000). es cartes comprennent, entre autres, les informations nécessaires au suivi pédologique des travaux : type de sol, teneur en squelette et argile des horizons et, granulométrie, structure, sensibilité du sol à la compaction (selon catégories proposées en annexe 4 des Directives pour la protection des sols), facilité la remise en état, etc. Des indications précises concernant les mesures de protection à respecter pendant le chantier sont proposées : surfaces à décaper avant le passage des machines, surfaces à protéger par des mesures adéquates de répartition des charges, séparation de l horizon en 1 et 2 si nécessaire, etc. es informations de base fournissent un outil important pour le suivi pédologique, permettent aux entreprises d apprécier la situation et de tenir compte, dans l organisation du chantier, des mesures de protection à respecter. Le suivi pédologique Le suivi pédologique a pour but d appliquer sur le chantier les exigences légales et de garantir la mise en œuvre des mesures de protection et de compensation prévues par le rapport d impact sur l environnement. Il doit en plus permettre : de faciliter la réalisation des différents travaux tout en respectant les directives, d éviter les dommages aux sols pendant les travaux de construction afin de garantir la meilleure remise en état possible (principe de prévention), de limiter les coûts de la remise en état et la durée des paiements de compensation aux agriculteurs. Sur le chantier TRG3, le suivi pédologique est garanti par une équipe de pédologues, présente en permanence (1 à 3 personnes, selon les activités de construction). Les activités principales se répartissent comme suit : évaluation journalière du programme de travail et autorisation ou interdiction des travaux prévus selon les critères prédéfinis (situation météorologique, force de succion du sol, caractéristiques du sol, évaluations sur place : essais à la pelle, à la tarière, par sondage, etc.) contrôle du respect de la protection des sols lors des activités de construction et suivi de la remise en état constats d éventuels problèmes (compaction du sol par le non-respect des mesures proposées ou par accident, perte d humus ou d horizon par éboulements, pollution accidentelle du sol, etc.) et propositions de mesures de correction appropriées (mesures lors de la remise en état, remplacement de sols perdus, non récupérables ou pollués, etc.) définition des mesures de protection spécifiques pendant l hiver (dépôts, surfaces non remises en état final) et des mesures remise en état final conseils pratiques et information aux entreprises, à la direction des travaux, aux machinistes coordination et concertation avec le maître de l ouvrage, les services cantonaux, la direction des travaux, les entreprises et les agriculteurs Le suivi pédologique d un chantier de gazoduc requiert un investissement très important en temps, personnel et argent. Les règles strictes concernant la protection du sol influencent directement le déroulement des travaux : certains travaux ne sont pas possibles lors de conditions météorologiques défavorables et la mise en œuvre de certaines mesures de protection est longue et coûteuse.
rticle de Paul Külling, Dr ès. sc. nat. iologiste chez SD Lausanne, paru dans le " ulletin de l'rpe " de Janvier 2002 perçu des différentes phases de travail lors de la pose d un gazoduc HORIZON PISTE DE HNTIER HORIZON HORIZON HORIZON 1. Préparation de la fouille avec une pelle rétro (décapage de l horizon et ) 2. Mise en place des mesures de répartition des charges (selon caractéristiques du sol) 3. Mise en place des tubes 4. Soudure du gazoduc 5. Excavation de la tranchée 6. Pose du gazoduc HORIZON HORIZON HORIZON 7. Evacuation des matériaux excédentaires (horizon ), remblayage de la tranchée et mise en place de l horizon 8. Remise en place de l humus et enlèvement de la piste de chantier 9. Remise en état final et ensemencement
rticle de Paul Külling, Dr ès. sc. nat. iologiste chez SD Lausanne, paru dans le " ulletin de l'rpe " de Janvier 2002 Les mesures de protection du sol lors des différentes phases de la pose du gazoduc Différentes mesures de protection du sol sont utilisées lors de la construction du gazoduc TRG3. Le tableau ci-dessous résume les principaux types de mesures selon les différentes phases de travail et les objectifs recherchés. * voir figure sur la page précédente Phase Mesure * 1 Installation d un réseau de tensiomètres permettant de mesurer la force de succion du sol (en cbar) Séparation des différents types de matériaux (horizon et ) Végétalisation des dépôts des horizons et 2 Installation d une piste de chantier en gravier, copeaux, matériaux d excavation (voir cidessous) ou traverses en bois 3 Utilisation exclusivement des pistes de chantier pour la mise en place des tubes 4 Utilisation de produits de sablage non chargés de polluants Enlèvement des produits après utilisation 5 Séparation des dépôts de matériaux d excavation Excavation exclusivement à partir de l horizon 6+7+8 Utilisation des pistes par les machines de chantier (posestubes, camions, pelles, etc.) Utilisation limitée du sol naturel pour le passage des machines de chantier (voir phase 1) 9 Labourage profond, scarification Utilisation limitée du sol après remise en état : pendant 3 ans uniquement prairie de fauche extensive ; pas de pâture ni de culture intensive Objectifs de protection Disposer d une information concrète sur l humidité du sol et de sa sensibilité à la compaction Evaluer les possibilités d utiliser les machines de chantier sur le sol naturel selon leur pression au sol (calculé selon la formule : limite en cbar = poids total (t) x pression au sol (bar) x 1.25 ; voir Directives pour la protection du sol (utilisé dans toutes les phases du chantier et de la remise en état) Permettre la remise en état en tenant compte des différentes couches Eviter le mélange des différents horizons Maintenir l activité biologique du sol pendant le stockage temporaire Eviter les pertes de sol par érosion (éolienne et hydraulique) Limiter la compaction du sol par la répartition de la charge, Protéger le sol contre le malaxage (mélange et déstructuration horizons et ) Faciliter l organisation du chantier (dépendance moindre par rapport à la météorologie) Eviter la compaction du sol par le poids très important des machines et tubes Eviter la pollution des sols Permettre la remise en état en tenant compte des différentes couches Eviter la compaction du sol à l extérieur de la tranchée Eviter la compaction du sol par le passage des camions et machines de chantier Limiter le nombre de passage des machines de chantier sur le sol naturel Passage uniquement lors de conditions favorables meublir le sol après les travaux (sous la piste de chantier, sous les surfaces utilisées pour les dépôts) ; mesure non adaptée pour tous les types de sols. Garantir une période de récupération pour le sol et un recouvrement complet de la fertilité du sol.
rticle de Paul Külling, Dr ès. sc. nat. iologiste chez SD Lausanne, paru dans le " ulletin de l'rpe " de Janvier 2002 Exemple d une mesure de protection : Les pistes de chantier Les pistes de chantier représentent une des mesures de protection du sol les plus efficaces, tout en réduisant la dépendance des travaux de la situation météorologique (les pistes, pour autant qu elles remplissent leur fonction de répartition des charges, peuvent être utilisées par tout temps et également par des véhicules à pneus, qui sont en principe interdits sur le chantier). Trois différents types de pistes ont été utilisés : 1. La piste en gravier (env. 14.4 km ou 30% des pistes). Les pistes en graviers sont stables et nécessitent relativement peu d entretien. Le transport et la mise en place d environ1 250 m 3 de graviers/km (hauteur minimale de la piste : 50 cm, largeur : env. 2.5 m) est néanmoins nécessaire (env. 18'000 m 3 en tout), ce qui implique des coûts (matériaux et transport) et des distances de transport importantes aussi bien pour la construction que pour la deconstruction ; le bilan environnemental est de ce fait moins favorable que pour les deux autres solutions énumérées ci-dessous. Paramètres contrôlés par le pédologue pour ce type de piste: granulométrie du gravier (ou de la roche concassée provenant des galeries et tunnels, taille maximale des éléments : 1/3 de l épaisseur de la piste ou env. 16 cm de Ø), contrôle de la force de succion pendant la mise en place (> 6 cbar), contrôle permanent de l épaisseur de la piste (minimum 50 cm). 2. Matériaux d excavation (env. 22 km ou 50%). Lors de la construction du gazoduc TRG3 on essayait, pour autant que possible, d utiliser les matériaux d excavation («horizon») pour la construction de la piste. e procédé a plusieurs avantages : pas de transport induit (ou seulement pour l évacuation des matériaux excédentaires), utilisation de la surface de la piste comme piste et dépôt, coûts nettement inférieurs par rapport à la piste de gravier. e type de piste ne peut néanmoins pas être utilisé partout : la qualité des matériaux d excavation doit correspondre à certaines critères (riche en squelette ou roche). En plus, l entretien s avère souvent plus important (comparé à la piste en gravier), et les risques de pertes de sol sont augmentés (éboulements des bords de la tranchée liés à l excavation avant la mise en place et la soudure du gazoduc). Paramètres contrôlés par le pédologue pour ce type de piste: qualité des matériaux d excavation, contrôle de la force de succion pendant la mise en place (> 6 cbar), contrôle permanent de l épaisseur de la piste (minimum 50 cm). 3. opeaux de bois (env. 8.5 km ou 20%). Un nouveau type de piste a été testé et utilisé pour le chantier de TRG3 : la piste en copeaux de bois. e type de piste a plusieurs avantages : matériaux disponibles partout (bois provenant de l ouragan «Lothar») donc acheminement facilité, poids moindre par rapport au gravier permettant de transporter de plus grands volumes par camion (30 m 3 au lieu de 10 m 3 pour le gravier), matériaux pouvant être laissés en forêt sur place, réutilisation des copeaux après déconstruction (chauffage, compost). Des essais in situ ont été effectués avant l acceptation de ce type de piste par les services cantonaux (aménagement de pistes test avec des capteurs de compression, passages de machines utilisées sur le chantier) ; les résultats de ces essais ont été très positifs et montraient une répartition de la charge équivalente et même meilleure que le gravier. En plus, le poids moindre des copeaux limite la compaction du sol par la piste même. Paramètres contrôlés par le pédologue pour ce type de piste: qualité des copeaux (exclusivement bois frais, max. 10 % d écorce, pas de bois peint, laqué, d ébénisterie), contrôle de la force de succion pendant la mise en place (> 6 cbar), contrôle permanent de l épaisseur de la piste (minimum 50 cm).
rticle de Paul Külling, Dr ès. sc. nat. iologiste chez SD Lausanne, paru dans le " ulletin de l'rpe " de Janvier 2002 Mise en place d une piste de chantier en graviers (hauteur minimale : 50 cm) sur sol naturel : protection de la surface du sol par un géotextile pour éviter un mélange des matériaux de piste avec le sol naturel, répartition des graviers à l aide d une pelle rétro. Les machines ne se déplacent jamais sur le sol naturel. ONLUSIONS Le suivi pédologique lors de la pose d un gazoduc est d une importance capitale pour permettre de protéger le sol et de retrouver, après la remise en culture, ses qualités et sa fertilité initiales. Le travail de suivi doit être fait par des personnes expérimentées, connaissant aussi bien la pédologie théorique, les mesures de protection utiles, les machines de chantier, les différentes possibilités de mise en œuvre des divers travaux que les contraintes liées à l organisation d un grand chantier. En effet, le pédologue chargé du suivi est situé dans une position délicate entre les entreprises, la direction des travaux, le maître de l ouvrage, les agriculteurs et les services cantonaux et fédéraux, entités qui ne poursuivent pas toujours les mêmes intérêts et qui peuvent avoir une appréciation divergente en ce qui concerne la protection du sol. part la surveillance de l application des mesures de protection, le pédologue chargé du suivi doit donc gérer les situations conflictuelles entre les différents acteurs sur le chantier et permettre, tout en respectant les directives pour la protection du sol, le déroulement efficace des travaux. Les expériences faites par l auteur, engagé depuis trois ans sur des chantiers de poses de gazoduc, montrent, que l application des directives sur la protection du sol est possible mais requiert un effort considérable des différentes parties engagées, ceci aussi bien d un point de vue financier que personnel. Les mauvaises expériences faites lors de la pose du premier gazoduc dans les années 70 (dommages au sol par endroit encore visibles aujourd hui) ne seront pas répétées : les premiers résultats de remises en cultures (actuellement vieilles de 1 à deux ans) sont très encourageants et on peut admettre que le tracé du gazoduc TRG3 pourra rapidement être rendu à l agriculture proche de son état initial.