Comment survivre à son hospitalisation?



Documents pareils
L'infirmière gériatrique Ses qualités, son rôle et ses fonctions. Claire Harrisson Courtière de connaissances Secteur gestion des connaissances

Questions / Réponses. Troubles du sommeil : stop à la prescription systématique de somnifères chez les personnes âgées

SONDAGE AUPRÈS DES INFIRMIÈRES

Définition, finalités et organisation

DISTRIBUTION DU TRAITEMENT MEDICAMENTEUX PAR VOIE ORALE PAR L INFIRMIERE : RISQUE DE NON PRISE DU TRAITEMENT MEDICAMENTEUX PAR LE PATIENT

MÉMOIRE RELATIF À L ÉVALUATION DU RÉGIME GÉNÉRAL D ASSURANCE MÉDICAMENTS PRÉSENTÉ PAR LA FÉDÉRATION DES MÉDECINS SPÉCIALISTES DU QUÉBEC

L approche gériatrique multidisciplinaire des modèles et leurs spécificités

Prévention des chutes

L hôpital de jour de gériatrie

Document de travail «Conduite de l évaluation interne dans les établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes» Mars 2011

Repérage de la perte d autonomie

Présentation pour. Observatoire Vieillissement et Société

Quels sont, pour le soignant, les enjeux soulevés lorsqu il donne un soin à un allophone? Enjeu de communication

LIGNES DIRECTRICES CLINIQUES TOUT AU LONG DU CONTINUUM DE SOINS : Objectif de ce chapitre. 6.1 Introduction 86

De meilleurs soins :

Insuffisance cardiaque

Core Competencies (Learning Outcomes) for Medical Students in Canada. Canadian Geriatrics Society Société canadienne de gériatrie

Le référentiel RIFVEH La sécurité des personnes ayant des incapacités : un enjeu de concertation. Septembre 2008

Le référentiel professionnel du Diplôme d Etat d Aide Médico-Psychologique

Danielle D Amour, inf. Ph.D. IUFRS 24 février 2011

prise en charge paramédicale dans une unité de soins

«WHEN ALL IS SAID AND DONE, MUCH MORE HAS BEEN SAID THAN DONE»

ACCESSIBILITÉ INNOVATION DÉVELOPPEMENT

GUIDE DE DÉVELOPPEMENT PROFESSIONNEL EN SOINS INFIRMIERS. pour les centres d hébergement. Décembre 2007 Direction des soins infirmiers

La gestion des risques en hygiène hospitalière

Stratégie nationale en matière de cyber sécurité

Résidence MBV Les FIGUERES -Capendu-

Télé-expertise et surveillance médicale à domicile au service de la médecine générale :

les télésoins à domicile

Politique de déplacement des bénéficiaires La présente politique inclut entre autres les deux documents suivants :

L approche populationnelle : une nouvelle façon de voir et d agir en santé

d infirmières et d infirmiers Pour être admissible au répit spécialisé sur référence Des services spécialisés intégrés en

Moteur de recherche : Daniel Goutaine Page d'accueil Rubrique : contentions

Les personnes âgées et le système de santé : quelles sont les répercussions des multiples affections chroniques?

Politique et Standards Santé, Sécurité et Environnement

Évaluation du régime général d assurance-médicaments

ANNEXE I REFERENTIEL PROFESSIONNEL AUXILIAIRE DE VIE SOCIALE CONTEXTE DE L INTERVENTION

Référentiel Officine

ANNEXE I REFERENTIEL PROFESSIONNEL AUXILIAIRE DE VIE SOCIALE CONTEXTE DE L INTERVENTION

admission aux urgences

Le service public hospitalier et la vulnérabilité : Les équipes mobiles de gériatrie. Pr Nathalie Salles Pôle de Gérontologie CHU Bordeaux

Plan thérapeutique infirmier et stratégies pédagogiques

COLLABORATEURS CLINIQUES

La prévention : caractéristique du positionnement de la Mutualité Française sur l ensemble de son offre

Les ateliers de pratique réflexive lieu d intégration des données probantes, moteur de changement de la pratique

Un poste à votre mesure!

Le case management de transition (CMT) Une illustration de pratique avancée en soins infirmiers

Diabète de type 1 de l enfant et de l adolescent

Le bilan comparatif des médicaments (BCM): où en sommes-nous?

Énoncé de position sur les pénuries de médicaments d ordonnance au Canada

La prise en charge d un trouble dépressif récurrent ou persistant

chronique La maladie rénale Un risque pour bon nombre de vos patients Document destiné aux professionnels de santé

Faciliter la transition de la guérison à la palliation en favorisant la communication entourant le choix de soins 16 avril e congrès du Réseau

Charte nutritionnelle

Carte de soins et d urgence

Recommandez Sunrise. Un partenaire de confiance.

CHUTES DE LA PERSONNE AGEE. «Protection Escaliers motorisée»

LE PROJET QUALITE-GESTION DES RISQUES- DEVELOPPEMENT DURABLE

L évolution des rôles en soins infirmiers. Un changement à s approprier

LES SOINS D HYGIENE l hygiène bucco dentaire. Formation en Hygiène des EMS de la Somme EOH CH ABBEVILLE JUIN 2015

Coordination de la Gestion des risques. Bilan - Programme

Gestion éthique des banques de recherche

Soins infirmiers et gestion des risques

assurance collective Assurance médicaments Des solutions intégrées pour une gestion efficace

Diplôme d Etat d infirmier Référentiel de compétences

Démence et fin de vie chez la personne âgée

LA PRATIQUE MÉDICALE EN SOINS DE LONGUE DURÉE 04 /2015 GUIDE D EXERCICE

Dictionnaire de données de la Base de données du Système national d information sur l utilisation des médicaments prescrits, octobre 2013

DOSSIER DE SOINS INFIRMIERS

GUIDE D INFORMATIONS A LA PREVENTION DE L INSUFFISANCE RENALE

Algorithme d utilisation des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)

Domaine Santé. Plan d études cadre Modules complémentaires santé. HES-SO, les 5 et 6 mai PEC Modules complémentaires santé

LUTTER POUR UNE MEILLEURE SANTÉ : QUE PEUT-ON FAIRE DANS NOTRE QUARTIER?

admission directe du patient en UNV ou en USINV

Le guide du bon usage des médicaments

DOCUMENTATION CLINIQUE D UNE CHUTE D UN PATIENT

«Politique des ARS pour les seniors»

Insuffisance cardiaque et télémédecine: Exemple du Projet E care : prise en charge à domicile des insuffisants cardiaques en stade III

L hôpital de jour ( HDJ ) en Hôpital général Intérêt d une structure polyvalente? Dr O.Ille Centre hospitalier Mantes la Jolie, Yvelines

DOSSIER DE PRESSE. Une nouvelle activité vient de voir le jour. «Le BTP Gériatrique»

L ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT EN 15 QUESTIONS - RÉPONSES

N o d organisme. Rendement actuel Cible Justification de la cible

Controverse UDM télésurveillée Pour. P. Simon Association Nationale de Télémédecine

L infirmier exerce son métier dans le respect des articles R à R et R à du code de la santé publique.

Prise en charge des fractures du fémur par enclouage intra-médullaire

CAHIER DES CHARGES INFIRMIER-ÈRE DIPLÔMÉ-E

Comment la proposer et la réaliser?

I. Qu est ce qu un SSIAD?

Amélioration continue de sa compétence professionnelle

Traitement des plaies par pression négative (TPN) : des utilisations spécifiques et limitées

e-santé du transplanté rénal : la télémédecine au service du greffé

Plan. Introduction. Les Nouveaux Anticoagulants Oraux et le sujet âgé. Audit de prescription au Centre Hospitalier Geriatrique du Mont d Or

PRADO, le programme de retour à domicile. Insuffisance cardiaque

E-Health evaluation at stake

Infection par le VIH/sida et travail

Le genre féminin utilisé dans ce document désigne aussi bien les femmes que les hommes.

La prise en charge de votre insuffisance cardiaque

Signalement et gestion des infections respiratoires aiguës (IRA) et des gastroentérites aiguës (GEA) 19 juin 2014

Planification des soins de longue durée Lorsqu il n est plus possible de recevoir des soins à domicile

Prévention des escarres

Transcription:

Les urgences gériatriques Comment survivre à son hospitalisation? André Doiron et Annik Dupras 4 Malgré les soins qu elle a reçus à l urgence, M me Petitpas a dû être hospitalisée. C est vous qui assurez sa prise en charge.que comptez-vous faire pour réduire les risques découlant de son séjour à l hôpital? LA PERSONNE ÂGÉE présente des caractéristiques qui lui sont propres et qui contribuent à augmenter les risques d un séjour en milieu hospitalier. Nous devons donc lui prêter une attention particulière et offrir un plan de soins adapté à ses besoins afin de tout mettre en œuvre pour que son hospitalisation ne lui porte pas préjudice. En effet, certaines de nos pratiques de soins hospitaliers (Ex. : repos au lit «par défaut») ne sont plus adaptées à une clientèle de plus en plus âgée et vulnérable. En outre, l aménagement de plusieurs de nos centres hospitaliers (Ex. : salle de bain exiguë, corridors encombrés) n a pas été conçu pour accueillir des personnes à mobilité réduite ou présentant des atteintes cognitives. Quels sont les principaux risques d une hospitalisation pour la personne âgée? La personne âgée malade est particulièrement vulnérable aux complications d une hospitalisation. Le vieillissement entraîne des changements qui diminuent les réserves physiologiques et altèrent les processus pharmacocinétiques et pharmacodynamiques. À cela Le D r André Doiron, omnipraticien, pratique à l Hôtel- Dieu de Montmagny, au sein du service de gériatrie, à l urgence et à l hospitalisation. La D re Annik Dupras, internistegériatre, exerce au Centre hospitalier de l Université de Montréal et est professeure adjointe de clinique au Département de médecine de l Université de Montréal. Tableau I Principaux risques liés à l hospitalisation d une personne âgée O Déclin fonctionnel O Immobilisation O Delirium O Dénutrition et déshydratation O Réactions indésirables aux médicaments O Complications d interventions (Ex. : contentions physiques, sonde urinaire) O Infections nosocomiales s ajoutent les effets des maladies chroniques, de la polypharmacie fréquente, de même que les conséquences multisystémiques de la sédentarité, qui est très prévalente dans ce groupe d âge. Par conséquent, plusieurs aînés ont une mobilité déjà réduite au moment de leur admission, et certains présentent des atteintes cognitives préexistantes. De plus, chez la personne âgée, le tableau clinique de plusieurs problèmes de santé courants est atypique (Ex. : fréquence élevée d infarctus indolores chez les plus de 85 ans 1 ) et souvent syndromique (chute, delirium, etc.) retardant ainsi l évaluation, le diagnostic et le traitement. Le tableau I présente les principaux risques liés à une hospitalisation pour une personne âgée. Cette liste n est pas exhaustive. Nous aborderons certains aspects de l iatrogénie, Les principaux risques découlant d une hospitalisation pour la personne âgée sont : le déclin fonctionnel, l immobilisation, le delirium, la dénutrition et la déshydratation, les réactions indésirables aux médicaments, les complications d interventions et les infections nosocomiales. Repère Le Médecin du Québec, volume 44, numéro 1, janvier 2009 51

Tableau II Facteurs de risque de déclin fonctionnel chez la personne âgée hospitalisée 9 O Âge avancé ( 75 ans) O Présence d atteintes cognitives : préexistantes ou nouvelles (delirium) O Dénutrition O Présence de symptômes dépressifs O Troubles de l équilibre et de mobilité : antérieurs ou nouveaux l immobilisation et la dénutrition. Le delirium et la polypharmacie font l objet d autres articles dans ce numéro. Par ailleurs, les infections nosocomiales dépassent le cadre de cet article. Retenons, cependant, que les personnes âgées hospitalisées y sont particulièrement prédisposées. Le risque de contracter ce type d infection durant un séjour dans un centre de soins de courte durée serait d environ 10 % au Canada 2. Pour les raisons décrites précédemment, les risques iatrogènes et d événements indésirables durant l hospitalisation sont accrus. L événement indésirable peut se définir comme «un événement non désiré, imprévisible, susceptible de causer un préjudice et directement lié aux soins ou aux services offerts à un patient 3». C est la nature du préjudice qui en détermine la gravité. L étude de Baker et coll. a révélé qu il se produisait des événements indésirables pour 7,5 % des admissions en centre de soins de courte durée au Canada et que le risque de subir un tel événement est d environ un sur treize pour un adulte. Les décès qui y sont associés seraient d environ un sur 152 4. Dans une autre étude, l incidence de complications hospitalières atteignait 38 % chez les personnes âgées 5. Peut-on prévenir l immobilisation à l hôpital? Plusieurs études ont montré le lien entre l hospitalisation d une personne âgée et la perte d autonomie fonctionnelle. Au moment de leur congé, plus du tiers des patients présentent une certaine perte d autonomie dans les activités de la vie quotidienne (AVQ) par rapport à la période ayant précédé leur hospitalisation. La moitié de ces patients n auront toujours pas regagné toute leur autonomie trois mois après leur sortie de l hôpital. Cette situation entraîne également une augmentation du taux de réhospitalisation, d hébergement et de mortalité 6. Plusieurs auteurs ont étudié les facteurs de risque de déclin fonctionnel en centre hospitalier. Des outils de repérage ont été mis au point pour cibler les patients les plus à risque. Leur utilisation clinique est encore à l étude. Toutefois, les facteurs énumérés au tableau II, lorsqu ils sont présents, doivent faire l objet d une attention particulière et d une prise en charge ciblée lors de l élaboration du plan de soins. Ils doivent nous inciter à mettre en place des mesures adaptées visant à prévenir les complications iatrogéniques et à contrer la perte d autonomie qui en découle. Un des principaux risques découlant d une hospitalisation est sans contredit l immobilisation, dont les conséquences se font sentir sur tout l organisme et engendrent un déclin fonctionnel. Si un trouble de mobilité est déjà présent, seulement vingt-quatre heures d alitement suffisent pour que le patient âgé soit incapable de se lever du lit et de marcher seul de façon sécuritaire 7. Le déconditionnement qui découle du repos au lit ou de la réduction relative de la mobilité est probablement la cause de déclin fonctionnel la plus fréquente et la plus facilement évitable durant l hospitalisation. Le degré de l atteinte est en général proportionnel à la durée de l alitement 8. En général, on dit qu une semaine d alitement nécessite près d un mois de réentraînement. Certaines de nos pratiques de soins contribuent à précipiter ou à accentuer l immobilisme aigu, dont le repos au lit et d autres pratiques par défaut (aider systématiquement le patient dans ses AVQ, utiliser la culotte d incontinence au lieu d aider le patient à se rendre aux toilettes, etc.), le recours prématuré aux contentions physiques (y compris les ridelles de lit), l iatrogénie médicamenteuse (Ex. : 52 Pour contrer le déclin fonctionnel et l immobilisation pendant un séjour à l hôpital, un plan énergique doit être mis en place dès l admission à l urgence, car l évolution fonctionnelle en cours d hospitalisation est aussi importante que l évolution de la maladie aiguë. Comment survivre à son hospitalisation? Repère

Tableau III Recette gagnante pour la prévention de l immobilisation 9 O Interventions systématiques de maintien de la mobilité et de l autonomie dès l admission à l urgence O Participation active et précoce du patient, du personnel soignant (responsabilité interdisciplinaire) et de la famille O Bonne communication entre le personnel et la famille O Expertise en commun O Démédicalisation des soins pour faciliter la mobilisation (enlever les sondes, solutés, etc.) O Éviter l attitude fataliste et la stigmatisation (Ex. : «le patient manque de motivation», «le malade ne fait pas d efforts»), éviter de sousestimer les capacités du patient âgé, le maternage, etc. Tableau IV Signes vitaux gériatriques* A utonomie (mobilité et soins personnels) I ntégrité de la peau N utrition et hydratation É limination É tat cognitif et comportement S ommeil *Outil d évaluation et acronyme créés par l équipe du projet OPTIMAH du Centre hospitalier de l Université de Montréal, en 2008. Responsables du projet : Sylvie Lafrenière, inf. M. Sc., D re Annik Dupras, interniste-gériatre. Traduction et adaptation de l outil SPICES de Terry Fulmer : Fulmer T. How to try this: Fulmer SPICES. Am J Nurs 2007 ; 107 (10) : 40-8. Formation continue usage de médicaments comportant des effets sédatifs) et l attitude d abandon ou de surprotection du personnel et des proches envers la personne âgée malade. Pour contrer le déclin fonctionnel et l immobilisation pendant un séjour à l hôpital, un plan énergique doit être mis en place dès l admission à l urgence. Les ingrédients d une recette gagnante, pour un plan d intervention réussi, sont présentés dans le tableau III. Contrairement à certaines croyances, les contre-indications à la mobilisation rapide lors d une maladie aiguë sont rares. Nous n insisterons jamais assez sur l importance de favoriser la participation précoce du patient à toutes ses AVQ. Malgré la présence de certaines contraintes et d un environnement souvent mal adapté, il est possible de préparer le malade aux activités de mobilisation. Il faut le faire dans le cadre de la routine quotidienne des soins, dans les unités de soins. Le patient doit porter ses verres correcteurs (propres!!), ses prothèses auditives et dentaires, des chaussures et des vêtements sécuritaires. Il doit également recevoir une analgésie suffisante, associée à la surveillance des effets indésirables possibles, et faire l objet d adaptations techniques favorisantes au besoin (Ex. : aide technique à la mobilité, sac à la cuisse pour sonde urinaire, tubulure d oxygène assez longue, canule sodique (saline lock) plutôt que soluté pour garder la veine ouverte). Il est également nécessaire d aménager l environnement pour qu il soit sécuritaire (Ex. : marchette à portée de main, limitation des obstacles, ajustement de la hauteur du fauteuil). Malgré tous nos efforts, l immobilisation n est pas toujours évitable, mais ses conséquences néfastes peuvent être grandement atténuées par une approche énergique. Le médecin joue un rôle essentiel dans l évaluation des causes menant à l immobilité. Une réévaluation médicale devient donc indispensable lorsque l évolution du patient n est pas favorable. Le leadership médical est primordial dans l élaboration d un plan d intervention interdisciplinaire et dans le suivi. L évolution fonctionnelle en cours d hospitalisation est aussi importante que l évolution de la maladie aiguë puisque nos interventions visent ultimement à retourner la personne dans son milieu de vie et à optimiser son état fonctionnel pour lui permettre de conserver une qualité de vie 9. La préservation de la mobilité est au cœur du maintien des capacités fonctionnelles (AVQ-AVD) et cognitives du patient. La surveillance des signes vitaux gériatriques (tableau IV) permet de structurer le suivi quotidien de ces patients Les contentions physiques chez la personne âgée hospitalisée augmentent la morbidité et la mortalité. Leur application ne devrait se faire qu en dernier recours, lorsque toutes les autres solutions ont été épuisées ou ont échoué. Repère Le Médecin du Québec, volume 44, numéro 1, janvier 2009 53

Figure Décès causés par les côtés de lit Encadré 1 Mythes associés aux contentions physiques O Aide à prévenir les chutes O Permet de maîtriser l agitation, l agressivité et l errance O Protège l installation des équipements médicaux (Ex. : soluté, sonde, drain, tube endotrachéal, etc.) O Peut entraîner des représailles si un patient qui n est pas sous contention a un accident 54 Source : Parker K, Miles SH. Deaths caused by bedrails. J Am Geriatr Soc 1997 ; 45 : 797-802. Reproduction autorisée. Comment survivre à son hospitalisation? durant leur hospitalisation. Les contentions physiques réduisent-elles la morbidité et la mortalité? Malgré le fait qu aucune étude ne prouve leur efficacité ou leurs avantages, les contentions physiques demeurent d usage courant dans nos hôpitaux. Les personnes présentant des atteintes cognitives et des troubles de la mobilité sont particulièrement susceptibles d être mises sous contention. La contention se définit comme une «mesure qui consiste à empêcher ou à limiter la liberté de mouvement d une personne en utilisant la force humaine ou un moyen mécanique ou encore en la privant d une aide qu elle utilise pour pallier un handicap 10». Plusieurs mythes persistent en ce qui a trait à l utilisation des contentions physiques (encadré 1). La littérature montre qu elles augmentent le risque de chute et l agitation. Les risques liés à leur usage sont abondamment présentés dans la littérature 11. Contrairement aux croyances largement répandues, leur utilisation entraîne une augmentation de la morbidité et de la mortalité chez les personnes âgées hospitalisées. Le risque de décès en cours d hospitalisation est d environ huit fois plus grand chez les patients sous contention (figure), sans compter la multitude de complications potentielles (Ex. : isolement, stress, humiliation, dépression, traumatisme, strangulation, déshydratation, syndrome d immobilisation et toutes les complications multisystémiques qui en découlent). Les contentions physiques devraient être une mesure de dernier recours, lorsque toutes les autres solutions possibles ont été épuisées ou ont échoué 11 (encadrés 2 et 3). Elles ne devraient être appliquées que dans un contexte de dangerosité imminente du pa-

Encadré 2 Principes généraux guidant l utilisation des contentions 10 O Mesure d exception, de dernier recours, dans un contexte de risque imminent O Évaluation clinique nécessaire afin d établir et de traiter les causes du comportement qui entraîne la prescription de contention de manière à en restreindre l utilisation, voire à l éviter par des mesures de rechange O Consentement libre et éclairé nécessaire, sauf en cas d urgence O Mesure temporaire qui doit être la moins contraignante possible pour la personne O Respect, dignité et sécurité du patient priment et son confort doit être assuré O Surveillance étroite exigée O Retrait périodique et réévaluation fréquente pour s assurer que les contentions sont toujours indiquées O Modification du plan de soins pour compenser la restriction imposée : mobilisation du patient, prévention des escarres de décubitus et de l incontinence, etc. Ce n est pas moins de travail! Source : Direction des communications du MSSS. Orientations ministérielles relatives à l utilisation exceptionnelles de mesures de contrôle : contentions, isolement et substances chimiques. Québec : MSSS ; 2002. Reproduction autorisée. tient pour lui-même ou pour autrui. Le manque de temps et de disponibilité du personnel est souvent invoqué pour justifier leur utilisation. Les risques inhérents à leur application étant très élevés, elles nécessitent donc une surveillance très étroite (toutes les quinze minutes). Il est également indispensable de modifier le plan de soins pour compenser les restrictions imposées (Ex. : faire marcher le patient toutes les heures le jour, prévenir l apparition d escarres de décubitus et l incontinence). Cette supervision nécessite donc au contraire une présence accrue du personnel soignant au chevet du malade. La Loi sur les services de santé et les services sociaux exige que chaque milieu se dote d une politique d application des contentions. Nous devons cependant garder à l esprit que «notre responsabilité professionnelle de cesser la mise sous contention est aussi importante que celle que l on Encadré 3 Mesures de remplacement de la contention physique O Favoriser la présence d un intervenant ou d un proche au chevet du malade O Rapprocher le patient du poste O Utiliser des détecteurs de mobilité (TABS) et de verticalité (Ambularm) O Démédicaliser les soins de façon optimale (éviter les sondes, solutés, etc.) O Mettre en place une routine préventive : horaire de marche et horaire pour aller uriner en tenant compte des habitudes antérieures du patient O Aménager l environnement : éliminer les obstacles, ajouter des objets familiers, permettre au patient de se déplacer sans but, installer un calendrier et une horloge, etc. O Occuper et distraire le patient : musique, revues, etc. O Accepter le risque de ne pas mettre le patient sous contention (acceptation de la famille) Nota : Les psychotropes ne constituent pas une solution à la contention physique. Leur utilisation comme méthode de remplacement constitue une forme de contention (contention chimique). nous donne pour les prescrire 9». Parmi les autres risques qu encourt le patient âgé hospitalisé, la dénutrition est très fréquente. Seuls quelques jours d apports insuffisants sont nécessaires pour entraîner des carences nutritionnelles et perturber le processus de récupération. Il est donc primordial de faire le suivi nutritionnel en cours d hospitalisation et d intervenir tôt. Plusieurs échelles et grilles de dépistage existent pour l évaluation diagnostique de l état nutritionnel d un patient. La pesée périodique reste un moyen simple de dépistage et de suivi. Le Mini Nutritional Assessment est une échelle adaptée aux personnes âgées qui est validée dans plusieurs pays. Les marqueurs biologiques (Ex. : albumine, préalbumine, transferrine) sont d une utilité limitée dans la phase diagnostique, mais nous permettent principalement de suivre l efficacité de nos interventions thérapeutiques. On doit stimuler l alimentation (aide au besoin), faire le bilan nutritionnel (suivi du poids et des apports), optimiser l alimentation (fibres, protéines, énergie), ajouter des suppléments nutritionnels à l alimentation ou prescrire des diètes enrichies au besoin, faire participer la famille (aide aux repas, Le Médecin du Québec, volume 44, numéro 1, janvier 2009 Formation continue 55

56 Tableau V Guide de survie de la personne âgée hospitalisée O Démédicaliser rapidement O Appliquer des protocoles d orientation cognitive O Favoriser le sommeil nocturne (approches non pharmacologiques) O Mobiliser précocement et pour toutes les activités O Favoriser l autonomie et la participation du patient O Prévenir l incontinence O Restreindre l utilisation de contentions O Adapter l environnement et les aides techniques pour la mobilisation O Faire le suivi nutritionnel pour éviter la dénutrition et la déshydratation O Assurer une vigilance pharmacologique et médicamenteuse O Informer et faire participer les familles O Assurer une orientation appropriée du patient au congé plats préparés) et assurer une hydratation adéquate. Tous les patients atteints de dysphagie doivent faire l objet d une évaluation systématique de la déglutition par une équipe interdisciplinaire. En cette ère de médecine à la fine pointe de la technologie, il est facile d oublier qu il existe des interventions simples et efficaces pour contrecarrer les effets néfastes possibles d une hospitalisation. Plusieurs études ont signalé l efficacité de programmes propres aux personnes âgées vulnérables hospitalisées (Ex. : HELP 12,ACE 13,Yale Geriatric Care program 14,15 ) à des coûts comparables aux programmes courants. Nous savons cependant que certaines interventions doivent être orientées vers les patients les plus à risque. Même s il n existe pas d outil de repérage «parfait», les éléments cités dans le tableau II permettent de repérer le groupe cible le plus à risque afin de prioriser une prise en charge spécifique dans nos centres hospitaliers. Le tableau V résume les principes de cette prise en charge adaptée aux patients susceptibles de souffrir d un déclin fonctionnel en cours d hospitalisation. LE VIEILLISSEMENT de la clientèle hospitalisée nous oblige à revoir nos pratiques de soins. Il est utopique de croire que les unités de soins gériatriques de courte durée pourront accueillir tous les patients âgés Comment survivre à son hospitalisation? vulnérables hospitalisés. Les perspectives d avenir nécessitent une volonté de nous adapter à cette réalité. Il est évident que le statu quo en regard de nos pratiques hospitalières (urgence et unités de soins) n est pas une avenue envisageable. La prévention des complications iatrogéniques doit être au cœur de la prise en charge de ces patients. La formation du personnel médical et paramédical sur les besoins de cette clientèle et une approche de soins adaptée sont essentielles. Il faut briser les mythes et sensibiliser les différents intervenants aux particularités de ces patients et à l importance de notre rôle pour leur assurer une évolution favorable. Le médecin est au cœur de la prise en charge de cette clientèle à l hôpital. Il doit exercer son leadership médical et jouer un rôle actif dans l élaboration du plan de soins et dans le suivi non seulement de la maladie aiguë, mais aussi de la récupération fonctionnelle. Ainsi M me Petitpas verra son état évoluer favorablement et vous en sera très reconnaissante. 9 Date de réception : 27 juin 2008 Date d acceptation : 20 août 2008 Mots clés : iatrogénie, hospitalisation, déclin fonctionnel, immobilisation Les D rs André Doiron et Annik Dupras n ont déclaré aucun intérêt conflictuel. Bibliographie 1. Hébert R, Tessier D. Perte d autonomie. Dans : Arcand M, Hébert R, rédacteurs. Précis pratique de gériatrie.3 e éd. Acton Vale : Edisem Maloine ; 2007. p. 181. 2. Institut canadien d information sur la santé. Les soins de santé au Canada 2007. Ottawa : L Institut ; 2007. Site Internet : http://secure. cihi.ca/cihiweb/products/hcic2007_f.pdf (Date de consultation : le 12 mars 2008). 3. Centre hospitalier de l Université de Montréal. Glossaire canadien sur la prestation sécuritaire des soins et services au patient. Montréal: CHUM; 2004. Site Internet : http://crmcc.medical.org/publications/glossaire SecuriteDesPatients_f.pdf (Date de consultation : le 15 mai 2008). 4. Baker GR, Norton PG, Flintoft V et coll. The Canadian adverse events study: the incidence of adverse events among hospital patients in Canada. CMAJ 2004 ; 170 (11) : 1678-86. 5. Becker PM, McVey LS, Saltz CC et coll. Hospital-acquired complications in a randomized controlled clinical trial of a geriatric consultation team. Arch Intern Med 2007 ; 167 : 1406-13. 6. Sager MA, Franke T, Inouye SK et coll. Functional outcomes of acute medical illness and hospitalization in older persons. Arch Intern Med 1996 ; 156 : 645-52. 7. Hirsch CH, Sommers L, Olsen A. The natural history of functional

Summary Surviving hospitalization. Elderly people are more at risk during hospitalization. Furthermore, many of our care practices are not adapted to the aging of hospitalized population. Delirium, immobility, undernutrition and iatrogenic complications are the main hazards related to their hospitalization. To counter functional decline and immobility, a dynamic interdisciplinary plan must be put in place as soon as the emergency admission. Contrary to some beliefs, counter indications to precocious mobilization are rare. Physicians are at the core of the evaluation of factors leading to immobilization and their leadership is indispensable in the elaboration of an intervention plan. Functional evolution during hospitalization is equally important as the evolution of the acute illness. In this era of high-tech medicine, it is easy to forget that there are simple and efficient measures to prevent the harmful effects of hospitalization. Aging in hospitalized clients must lead physicians towards a revision of care practices and research of a successful intervention plan. Formation continue Keywords: iatrogenicity (iatrogenic), hospitalization, functional decline, immobility morbidity in hospitalized older patients. J Am Geriatr Soc 1990 ; 38 (12) : 1296-303. 8. Hébert R, Roy PM. Syndrome d immobilisation. Dans : Arcand M, Hebert R, rédacteurs. Précis pratique de gériatrie.3 e éd. ActonVale : Edisem Maloine ; 2007. p. 479. 9. Dupras A. Les dangers d une hospitalisation pour la personne âgée. Conférence prononcée au congrès de la FMOQ sur la gériatrie ; 16 mars 2007. 10. Direction des communications du MSSS. Orientations ministérielles relatives à l utilisation exceptionnelle de mesures de contrôle : contentions, isolement et substances chimiques. Québec : MSSS ; 2002. p.14. 11. Giroux MT, Maheux C, Chevalier M. Pour une approche bienfaisante de la contention. Le Médecin du Québec 2005 ; 40 (1) : 83-91. 12. Inouye SK, Bogardus ST, Baker DI et coll. The Hospital Elder Life Program: A model of care to prevent cognitive and functional decline in older hospitalized patients. J Am Geriatr Soc 2000 ; 48 (12) : 1697-706. 13. Counsell SR, Holder CM, Liebnauer LL et coll. Effects of a multicomponent intervention on functional outcomes and process of care in hospitalized older patients: a randomized controlled trial of acute care for elders (ACE) in a community hospital. J Am Geriatr Soc 2000 ; 48 (12) : 1572-81. 14. Inouye SK, Acampora D, Miller RL et coll. The Yale Geriatric Care Program: A model of care to prevent functional decline in hospitalized elderly patients. J Am Geriatr Soc 1993 ; 41 : 1345-52. 15. Inouye SK, Wagner RD, Acampora D et coll. A controlled trial of a nursingcentered intervention in hospitalized elderly medical patients: The Yale Geriatric Care Program. J Am Geriatr Soc 1993 ; 41 : 1353-60. Pour en savoir plus O O Acute Care Geriatric Nurse Network : www.acgnn.ca Institut universitaire de gériatrie de Montréal : www.iugm.qc.ca Le Médecin du Québec, volume 44, numéro 1, janvier 2009 57