La Saline Royale invite les élèves de l UPE2A Diderot à raconter leur histoire. Les artistes Alain Keler, Olivier Jobard et la philosophe Véronique Delille les accueillent avec leurs professeurs lundi 7 et mardi 8 avril 2014. Les artistes vont durant ces deux journées animer les ateliers «Philosophie» et «Photographie» et guider les élèves dans la réalisation de leur journal. L utilisation du dessin et de la photographie viendra aux côtés des mots pour outrepasser la barrière des langues dans ce projet qui sera présenté le 7 juin lors de l inauguration de l exposition «Les Arpenteurs» (http://s343230668.onlinehome.fr/saison/spip.php?rubrique45). Voici le récit de cette merveilleuse aventure! 31 élèves sont présents ce lundi 7 avril 2014. Le groupe classe est divisé en deux. Un groupe suit l atelier de Véronique Delille, philosophe le matin et l autre groupe, l atelier du photographe Alain Keler, et l après-midi les groupes changent d atelier. Atelier philosophie Les élèves sont assis en cercle par terre. Véronique leur distribue des feuilles blanches et des crayons. Les élèves notent leur prénom sur la feuille blanche pliée en deux et la placent devant eux. Ils doivent prononcer leur prénom à haute voix. Véronique explique aux élèves que cet atelier oscillera entre le travail et le jeu. On commence par s interroger sur le mot «philosophie». Une élève souligne que ce terme vient du grec et qu il est ancien, ce que confirme Véronique en précisant que «philo» signifie amour tandis que «sophie» signifie la sagesse. Pour les élèves, les philosophes sont en général des personnes qui écrivent et qui savent beaucoup de choses. On les connaît pour ce qu ils ont écrit. Les philosophes pensent le monde. Véronique rappelle aux élèves qu ils sont là pour écrire un journal de bord. Elle leur propose de travailler sur le souvenir. Pour ce faire, on a besoin d outils : on va mettre des pensées sous forme d hypothèses. Surgit la question : qu est-ce qu une hypothèse? C est un «si», une idée qu on cherche à vérifier. Il va être question également de chercher des exemples et contre-exemples pour valider ces hypothèses. Véronique propose aux élèves à partir de la citation suivante : «Tout le monde ici porte des baskets!» de trouver des exemples et des contre-exemples. Les exemples bien entendus correspondent à tous les élèves qui portent des baskets et les contre-exemples aux filles qui portent des ballerines.
Véronique démarre la discussion en posant les questions suivantes : avez-vous des souvenirs datant d il y a un an? Ou datant d il y a six mois? Quel est le plus ancien de vos souvenirs? (Véronique précise aux élèves qu ils peuvent le dire ou le garder pour eux), estce que vous vous souvenez de quelque chose d important? Est-ce que le fait qu un événement dure longtemps justifie le fait de se souvenir? Dans les réponses des élèves survient la notion de critères. Il peut s agir d une émotion triste ou gaie, de quelque chose qu on déteste. Il est précisé aux élèves qu ils ne doivent pas hésiter à faire traduire par les copains ce qu ils n arrivent pas à dire en français. Cela peut être un souvenir de la sensation : corps fatigué, douleurs. On en vient à pratiquer la tautologie (procédé rhétorique consistant à répéter la même idée en termes différents) c est bien parce que cela fait plaisir. Cela fait plaisir parce que c est bien. Au cours de la discussion des critères sont ainsi définis : cela peut être agréable de se souvenir/cela peut être important de se souvenir. On peut se souvenir à travers l action. Si on a plus de mémoire est on la même personne? Les réflexions des élèves fusent : «on perd son identité ; on perd ses souvenirs ; on perd son savoir-faire ; on ne peut plus apprendre ; nos actions constituent notre identité (on ne sait pas tous la même chose). Contre-exemples : ce sont les pensées qui font ce que l on est. Surgissent d autres questions est-ce que je change si je n ai plus ne mémoire? Qu est-ce qui fait mon identité? Les élèves répondent : «cela passe par la famille, par l éducation ; c est l héritage de la famille». Est-ce que je reste la même personne si je change de nom? «Oui», souligne une des élèves car notre caractère ne change pas de changer elle reste elle-même. Autre question : quand on vieillit, notre visage et notre corps changent mais est-ce qu on change pour autant de personnalité? On s interroge alors sur le cerveau : «il grossit», selon un élève «il fait de la place pour autre chose». «Plus on grandit» souligne un autre élève, «plus on peut faire ce qu on a envie de faire». On augmente ses capacités, ses possibilités. Si on n a plus les mêmes parents, est-ce qu on reste les mêmes? Un élève dit que «non» tandis que l autre précise que l on change en donnant l exemple de l adoption. La discussion se termine sur le fait qu on peut être défini par ce que l on ne fait pas ou par ce que l on ne peut pas faire. Véronique demande aux élèves s ils ont repéré pendant la discussion des hypothèses, des exemples et contre-exemples, si ce moment était agréable pour eux ou désagréable et s ils avaient su déterminer les différents critères. L atelier se poursuit par l écriture des souvenirs des élèves. Véronique distribue aux élèves un extrait d un texte intitulé «je me souviens» de Georges Perec. L animatrice lit le texte à haute voix après avoir présenté l auteur en quelques mots. Les élèves lisent à leur tour à haute voix chacun un morceau du texte. On n en profite pour expliquer les mots qui posent problème aux élèves.
L atelier de Véronique se termine par un travail d écriture. Chaque élève raconte ses souvenirs sur le modèle du texte de Georges Perec. L atelier d Alain Keler qui vient du photojournalisme commence par un court exposé sur qu est-ce que faire des photos? Alain Keler s adresse aux élèves : «Lorsque l on photographie un portrait avec un décor, la Saline Royale par exemple, les gens qui observent votre photo doivent voir que vous êtes allés dans un cadre particulier». Il note l importance des cadrages. Il existe une vision propre aux photographes, le contexte d une photo a son importance, c est un point de vue qui fonctionne avec la sensibilité de chacun. Alain Keler décide de montrer des photographies qu il a réalisées en Tchétchénie, au Kosovo, en Irak pour montrer aux élèves l importance du cadrage et comment raconter une histoire à travers les photos que l on fait. Il montre un exemple de journal dans lequel on trouve pour chaque jour une photo avec un texte qui vient compléter cette photo même si la photo demeure plus importante pour le photographe. Il montre ensuite des photos aux élèves et explique pourquoi il les a faites. Le photographe a sa manière de voir. Il faut un contenu dans le cadre, c est cela qui devient l univers du photographe. Une photo doit donner des informations. Les élèves partent ensuite à l extérieur avec les appareils photo par groupe de cinq ou de quatre élèves. Il réalise un certain nombre de photographies en tenant compte des observations faites en début d après-midi. Les photos sont ensuite récupérées sur l ordinateur pour le journal.
Le mardi 8 avril 2014, les élèves regardent des courts métrages sur le thème de l immigration. Puis les groupes se dirigent chacun vers l atelier de philosophie de Véronique Delille et vers l atelier d Olivier Jobard, journaliste photographe. Véronique procède de la même façon que la veille. Le thème des désirs remplace celui des souvenirs. Après un bref rappel des règles de communication : écouter les autres, ne pas couper la parole, parler à l ensemble du groupe. On démarre la discussion. La discussion se clôture comme hier sur le repérage des hypothèses, exemples, contre-exemples et critères. La seconde étape consiste à lire un texte de Georges Perec «Cinquante choses que je voudrais faire». Lecture à haute voix du texte par Véronique puis chaque élève lit quelques phrases du texte. On éclaircit le vocabulaire qui pose problème. Les élèves passent au travail d écriture. Il s agit d écrire «le journal de vos envies», sur le modèle de Perec. Cela peut être les choses qu on veut faire et qu on ne fera jamais ou quelque chose qu on veut faire et qu on fera certainement. Il est question de faire trois exercices différents comme indiqué au tableau : je voudrais (+ infinitif)/j ai fait (+ nom), je fais, je ferai, j ai voulu, j ai cru /Un jour, j ai, Aujourd hui, je, Un jour, je (+futur).
L atelier d olivier Jobard démarre par la présentation du photographe qui travaille pour la même agence de presse qu Alain Keler. Cela fait 20 ans qu il exerce ce métier. Il a commencé à 20 ans. Il a choisi ce métier par goût des voyages, des rencontres, pour vivre autre chose. Il explique aux élèves qu il a fréquenté beaucoup de pays dans lesquels il y avait des crises. Il montre aux élèves des photos réalisées en Bosnie, en Tchéchénie, en Afghanistan, au Soudan. Cela interpelle les élèves qui lui demandent s il n avait pas peur et comment il faisait pour obtenir la complicité des gens qui acceptaient de l accompagner. Il dit qu il faut être prudent, respecter les gens qui nous accueillent. Il s en sort en s imposant un certain détachement. Les histoires humaines le touchent mais il doit rester objectif, c est une nécessité professionnelle. Et puis quand il est fatigué, il peut rentrer en France. Lorsque le photographe entreprend de montrer le voyage périlleux d un jeune camerounais de 20 ans. Il a reproduit de tête une carte de tous les pays qu il aurait à traverser pour parvenir jusqu en France. Le photographe va tenir un journal de bord avec photos et commentaires au jour le jour. Il arrive beaucoup d aventures douloureuses et dangereuses au cours de ce périple. Le journaliste explique qu il partage toutes ses difficultés avec le jeune. Mais un élève irakien ne comprend pas son attitude. Pourquoi ne n implique-t-il pas davantage? Ce jeune n est-il pas devenu son ami? Pourquoi ne l aide-t-il pas? Pourquoi ne lui donne-t-il pas d argent? Le journaliste se retranche derrière les obligations déontologiques du journaliste. Il est là pour raconter une histoire qui se reproduit au quotidien pour beaucoup de gens qui sont dans la situation de ce jeune. Il doit rendre compte de la vérité. Le seul service qu il a rendu au jeune, c est de garder l argent du jeune qui se faisait sans cesse racketter aux frontières des pays traversés. Il parvient à entrer en France. A ce moment, Olivier l aide, et ce jeune a à présent du travail et il peut aider sa famille restée au Cameroun. Olivier propose ensuite aux élèves de visionner les photos qu ils ont faites lundi matin et d en choisir une vingtaine seulement pour mettre dans le journal. Les élèves ont du mal à se décider. 51 photos sont sélectionnées. On renouvelle l opération pour qu il n en reste plus que 20. Le groupe du matin en a également choisi 20. Ensuite 10 photos de chaque groupe seront gardées pour le journal. Les élèves apprennent qu ils pourront conserver les autres photos pour leur plaisir personnel.