PHARMACODÉPENDANCE ROMAIN ICICK. PRATICIEN HOSPITALIER. SERVICE DE PSYCHIATRIE D ADULTES DU PR JP LÉPINE, HÔPITAL FERNAND-WIDAL UNIVERSITÉ PARIS DIDEROT, PARIS UE 2.11.S3: PHARMACOLOGIE ET THÉRAPEUTIQUE
PLAN Définitions essentielles Vocabulaire Définition de la dépendance épidémiologie Prescriptions et pharmacodépendance Eléments cliniques et principes de prise en charge Présentation clinique des sujets dépendants Place des soins infirmiers Exemple de la dépendance aux opiacés
CE QUI PEUT DONNER LIEU À DÉPENDANCE Des substances addictives (SA) Tabac Cocaïne Opiacés Héroïne/morphine/codéine Alcool Cannabis Amphétamines Caféine Sédatifs Benzodiazépines et apparentées, carbamates Inhalants Hallucinogènes Des activités Jeux d argent Casino Tirage/ grattage En ligne Sexe Sport Achats Internet?
DÉFINITIONS ESSENTIELLES
UN PEU DE VOCABULAIRE Ne pas parler de toxique La javel est un toxique mais n est pas addictive!!! Ø on parle de substance addictive Sevrage Manifestations survenant immédiatement à l arrêt d une substance exogène Tolérance Nécessité d augmentation des doses pour obtenir des efets similaires à ceux du début Abstinence Maintien de l absence de consommation d une substance chez un sujet dépendant
UN PEU DE VOCABULAIRE (2) Polytoxicomane = terme désuet et flou décrivant un sujet souvent désinséré consommant plusieurs substances illégales Où est le diagnostic???????? On parle de Abus (DSM IV) ou usage nocif (CIM 10) Dépendance addiction Abus et dépendance sont des usages pathologiques. Seule la dépendance nous intéresse pour ce cours.
DÉFINITION DE LA DÉPENDANCE Persistance involontaire de l usage Fondamentalement différente de l usage non dépendant ou usage simple Le sujet non dépendant utilise une substance par intérêt et plaisir Le sujet dépendant utilise une substance par contrainte
DÉFINITION DE LA DÉPENDANCE (2) On se base sur les critères DSM IV et ceux de Goodman Usage compulsif malgré des dommages qui s accumulent après abstinence, liée au en général Sur une période d un an LES SIGNES DE SEVRAGE À L ARRÊT ET LA TOLÉRANCE NE SONT ABSOLUMENT PAS SPÉCIFIQUES DE DÉPENDANCE ET NE SONT PAS NÉCESSAIRES AU DIAGNOSTIC
EFFETS DES SA Substance addictive è effet renforçant Stimulation du circuit cérébral dopaminergique dit de «récompense» Effet positif perçu Soulagement d un mal-être ou d un inconfort Plaisir, «défonce», effet planant Effet psychotrope différent selon les substances, les individus et le moment/la durée de l usage Stimulant (cocaïne) Sédatif (opiacés) Mixte (alcool)
CONSÉQUENCES POSSIBLES DE L USAGE DE SA Quand on fait usage d une substance pouvant donner lieu à dépendance, on risque Toxicité aiguë somatique (ex: coma) psychiatrique (ex: agitation) Toxicité chronique somatique (ex: neuropathie alcoolique) psychiatrique (ex: dépression sous héroïne) Dépendance La toxicité et le potentiel addictif sont très variables selon les SA L usage est déjà une prise de risque Ne surtout pas classer les SA selon Légalité Caractère «dur» ou «doux» Car ces critères n ont aucune base scientifique
COMMENT DEVIENT- ON DÉPENDANT? À un moment donné et après un certain laps de temps Classiquement, la dépendance vient de la rencontre de L individu Vulnérabilité génétique, psychologique, psychiatrique L environnement Pairs, disponibilité du produit La substance Potentiel toxique et addictif La dépendance provoque une modification globale du fonctionnement du cerveau (mémoire, attention, émotions, prise de décision, etc.)
EPIDÉMIOLOGIE DE LA DÉPENDANCE En France Pas de donnée sur abus/dépendance 73000 patients ont consulté en centres spécialisés en 2003 Environ 83000 sous buprénorphine (SUBUTEX ) et 29000 sous méthadone en 2007 Données sur l expérimentation vie entière (= au moins 1 consommation entre les âges concernés) disponibles sur les sites de l OFDT et l OEDT
EPIDÉMIOLOGIE DE LA DÉPENDANCE (2) Cannabis Antalgiques Cocaïne Anxiolytiques Hallucinogènes Stimulants Héroïne Inhalants Sédatifs Abus et dépendance actuels (année écoulée) confondus aux principales SA. Etats-Unis, milliers d individus, chiffres 2008
PRESCRIPTION ET PHARMACO- DÉPENDANCE
MÉDICAMENTS POUVANT DONNER LIEU À DÉPENDANCE Anxiolytiques/sédatifs/hypnotiques Benzodiazépines (BZD) Clonazépam, clorazépate, bromazépam, etc. Associations retirées cette année (NOCTRAN ) Carbamates Méprobamate sous toutes ses formes EQUANIL, MEPRONIZINE Hypnotiques apparentés aux BZD Zolpidem (STILNOX ) et zopiclone (IMOVANE ) IL N EXISTE PAS DE DÉPENDANCE AUX ANTIDÉPRESSEURS
MÉDICAMENTS POUVANT DONNER LIEU À DÉPENDANCE (2) Antalgiques Opiacés Pallier II Codéine sous toutes ses formes (cp, sirop, associations) Tramadol, dextropopoxyphène Pallier III Morphine Fentanyl (opiacé synthétique) Autres Méphénesine (DECONTRACTYL )
EXEMPLE DU CLONAZÉPAM (RIVOTRIL ) BZD à demi-vie longue (30-80 heures) mais avec un pic d action précoce et intense Effet renforçant important Potentiel addictif élevé Seule indication en France = épilepsie Mais il est prescrit comme Sédatif (épisode maniaque ou dépressif avec intolérance aux neuroleptiques) Anxiolytique (trouble panique) Hypnotique (de quelques dixièmes à quelques dizaines de mg selon le terrain et l âge de début)
EXEMPLE DU CLONAZÉPAM (RIVOTRIL ) (2) Effets latéraux/indésirables parfois graves Excitation psychomotrice, agressivité Épilepsie de sevrage Chutes Troubles cognitifs avec doute sur de possibles séquelles après une consommation forte et chronique Potentiel addictif élevé Doit être prescrit sur ordonnance sécurisée depuis octobre 2011
COMMENT DIMINUER LE RISQUE DE DÉPENDANCE LIÉ AUX MÉDICAMENTS? Règle n 1 = respect des modalités de prescription Indication ++++++ Posologie Durée Ex: BZD, cf. site web de l AFSSAPS Repérer les sujets à risque et proposer des alternatives Ex: consommation chronique d alcool, anxiété ou douleurs chroniques non bilantées Mettre en place le traitement curatif s il existe Ex: antidépresseurs pour dépression/trouble anxieux
CLINIQUE ET PRISE EN CHARGE AMBULATOIRE D UN PATIENT DÉPENDANT
PETIT ABRÉGÉ DE LA CLINIQUE DE LA DÉPENDANCE: COMMENT SE PRÉSENTE LE PATIENT? Parfois avec des signes d intoxication chronique Myosis pour les opiacés Signes cutanés pour l alcool Anxiété et symptômes dépressifs parfois intenses, très labiles Temps important passé à se procurer le produit Préoccupation permanente sur l approvisionnement et les occasions de consommation possible Ex du tabac en cas de trajet en train
PETIT ABRÉGÉ DE LA CLINIQUE DE LA DÉPENDANCE (2) Le patient dépendant a des «idées fausses» sur la dépendance, les substances, les traitements de la dépendance et les médicaments en général;il a tendance à rejeter les symptômes et/ou la responsabilité sur autrui Ce sont des mécanismes de défense liés à la maladie et non à la personnalité Envies impérieuses = craving en cas d abstinence Rechute ou augmentation d autres consommations en cas d abstinence
PRINCIPES DE PRISE EN CHARGE (PEC) Définir les objectifs et le lieu de la PEC Sevrage hospitalier Ne traite pas la dépendance Mais permet un bilan somatique et psychiatrique Peut éviter certaines complications graves PEC ambulatoire Traite la dépendance par prévention de la rechute Associe des moyens pharmacologiques, relationnels et sociaux Modalités souvent complémentaires, à combiner
PEC PHARMACOLOGIQUE: EXEMPLE DE LA DÉPENDANCE AUX OPIACÉS Méthadone Voie orale Agoniste opiacé pur Prescription initiale par un spécialiste, 14j max. Pas de détournement Risque cardiovasculaire significatif avec allongement possible de l espace QT Buprénorphine (SUBUTEX ) Voie sublinguale Agoniste/antagoniste Prescription en médecine de ville, 28 j max. Usage nasal / IV Pas de risque de surdose sauf association avec BZD/alcool
PROBLÈMES LIÉS AU TERME «SUBSTITUTION» La buprénorphine et la méthadone ne sont pas addictives car elles n entraînent pas de perte de contrôle Elles ne visent pas à remplacer un produit mais à traiter le craving lié à l addiction Ne donnent pas l effet des autres opiacés Le terme «substitution» entretient les réticences des patients et de leur entourage ainsi que les attentes inadaptées Les hormones thyroïdiennes, l insuline, certains corticoïdes, les inhaleurs/gommes/cp de nicotine, etc. sont des traitements de substitution
AUTRES MOYENS PHARMACOLOGIQUES Pour le tabac Nicotine transdermique +++ Associée aux inhaleurs/gommes/cp Bupropion (ZYBAN, antidépresseur dopaminergique) Varénicline (CHAMPIX, agoniste cholinergique) Pour l alcool Naltrexone (REVIA ) Acamprosate (AOTAL ) Pour les autres substances À l étude
PRÉVENTION/ TRAITEMENT DES COMORBIDITÉS Somatiques À traiter en priorité, simultanément avec l addiction Infectieuses VHC, VIH, dentaires, autres IST Traumatiques Psychiatriques Cardiovasculaires Diagnostic difficile ++++ Traitement simultané également. Abstinence souvent nécessaire pour stabiliser le trouble psychiatrique associé Ex: trouble bipolaire et cocaïne: donnent des symptômes similaires ET cette maladie est aggravée par l usage de cocaïne
PEC RELATIONNELLE Basée sur des principes de thérapie cognitivocomportementale, incluant l entretien motivationnel Evaluer la motivation à l arrêt, à l abstinence et aux consommations Travailler la motivation au changement Agenda des consommations et du craving Renforcer les changements positifs Empathie et fermeté, rappels à la loi et à l institution
PEC RELATIONNELLE (2) Psychothérapies basées sur d autres modalités Psychodynamique Familiale/systémique Psychomotricité, relaxation Travail en groupe Alcooliques/narcotiques anonymes Attention à l illusion de l «abstinence totale sans aucun produit» prônée par ces associations Post-cures longues/communautés thérapeutiques Si forte précarité sociale et familiale À discuter au cas par cas après amélioration initiale
PEC SOCIALE Une fois l addiction améliorée, les éléments environnementaux sont essentiels pour Maintenir l abstinence et la motivation Permettre d améliorer les symptômes somatiques et psychiatriques La PEC sociale concerne Logement Papiers/sécurité sociale Indemnités/formation/emploi
UN EXAMEN COMPLÉMENTAIRE INDISPENSABLE: LE DOSAGE DES DROGUES URINAIRES (DU) Résultat exprimé de façon Qualitative: drogue présente ou absente Semi-quantitative: drogue absente ou +/- présente Permet de suivre l évolution des consommations et donc l état du patient de façon objective, notamment pour les substances associées Doit être répété dans le temps, à l inverse du contrôle de police qui cherche à sanctionner C est une évaluation de la qualité de la PEC
ÉVOLUTION DE LA MALADIE Mortalité importante et nombreuses complications des dépendances non traitées Tabac, alcool ++ Surdoses d héroïne Complications du mode de consommation infections locales ou généralisées Maladie chronique Sur plusieurs dizaines d années en général Alterne des périodes d améliorations et de rechutes La rechute est la règle
DURÉE DE LA PRISE EN CHARGE À vie dans l idéal Poursuivre les traitements spécifiques au moins plusieurs années Espacer le suivi spécialisé, garder un lien avec le médecin-traitant Surveillance et prévention de la rechute +++ Ne pas oublier l éducation du patient effet des substances et des traitements prodromes de rechute
PLACE DES SOINS INFIRMIERS Délivrance des traitements et réalisation des DU Soutien relationnel Entretiens motivationnels Éducation du patient sur l addiction Réduction des risques Techniques propres de consommation Soins somatiques Gestion de l agressivité/de l agitation
EXEMPLE DE PEC D UN PATIENT DÉPENDANT DES OPIACÉS Patient de 43 ans, consommateur d héroïne depuis 11 ans et dépendant depuis 8 ans Utilise la voie sniffée, s est injecté 5-6 fois, consomme actuellement 1,5 G/J Revend du cannabis pour s acheter l héroïne, fume quelques joints/an Consomme du tabac depuis l âge de 14 ans; trente cig./j depuis l âge de 18 ans A eu des problèmes légaux intermittents liés à l alcool (bagarres, agitation) Prend du RIVOTRIL (BZD) pour les descentes d héroïne
EXEMPLE DE PEC D UN PATIENT DÉPENDANT DES OPIACÉS (2) On fait d abord un diagnostic addictologique Dépendance au tabac Dépendance aux opiacés Usage de cannabis En attente pour alcool et BZD On évalue les conséquences de sa consommation Sérologies, bilan hépatique Idées de suicide, dépression, anxiété, irritabilité On recherche un diagnostic psychiatrique
EXEMPLE DE PEC D UN PATIENT DÉPENDANT DES OPIACÉS (3) On propose un traitement spécifique Buprénorphine, par exemple plus pratique à prescrire et à prendre, moins d interactions En s assurant que le patient a bien compris les objectifs et la durée minimum Augmentation progressive de la posologie d environ 1 à 2 mg/semaine jusqu à Équilibre parfait sur au moins 24 heures Diminution et arrêt de la consommation, puis du craving Délivrance quotidienne avec prise sur place du traitement, DU hebdomadaire
EXEMPLE DE PEC D UN PATIENT DÉPENDANT DES OPIACÉS (4) On augmente également le traitement si Augmentation des autres consommations Persistance de symptômes anxieux et/ou dépressifs Selon la tolérance On associe la PEC relationnelle et sociale Puis on peut espacer la délivrance et les rdv après 1 à 3 mois d amélioration
BIBLIOGRAPHIE Ouvrages conseillés Abrégé d addictologie (Masson, 2009) Soins infirmiers - Module 3 de psychiatrie - Tome 2 (Heures de France, collection IFSI, 2005) Site web Observatoires Européen et Français des Drogues et des Toxicomanies: http://www.(oedt ou ofdt).fr/ Formation DU de soins infirmiers en addictologie (université de Lille 2)
DES QUESTIONS? Envoi groupé en un seul mail à romain.icick@lrb.aphp.fr Pas de réponse aux mails suivants. Merci.