BEAUVAIS CONSULTANTS non-motorisés synthèse 16 octobre 1999 1 - OBJECTIF Dans la perspective d un développement durable et plus précisément d un scénario reposant sur la dé-motorisation, on peut souhaiter entrevoir les modifications de comportement que l on peut attendre d une réduction du taux de motorisation des ménages. Un tel scénario, défendu notamment par le Professeur Heiner MONHEIM, irait radicalement à l encontre de la tendance actuelle -tant au niveau français qu au niveau mondial- puisque, dans les deux cas, le parc a triplé en une génération! Qu adviendrait-il en cas de passage de deux voitures par ménage à une seule voiture, puis d une voiture par ménage à pas de voiture du tout? Ici, la question est posée non pas au niveau global (réduction des émissions de CO ²,...), mais au niveau du comportement de chacun. Nous déplacerions-nous moins? Aurions-nous moins d échanges sociaux et fonctionnels? Comment nous organiserions-nous pour aller travailler, faire les courses, aller à la piscine,... Mettrions-nous plus de temps pour nous déplacer? Si oui, au détriment de quelles activités? La télévision ou les soins apportés aux enfants? Que ferions-nous du pouvoir d achat libéré par la réduction des dépenses liées à la voiture? Une consommation accrue de tabac ou bien de livres? 2 - METHODE L information utilisée provient de trois enquêtes quantitatives réalisées par l INSEE : «emplois du temps» de 1985-1986, «transports et communications» de 1993-1994 et ««budget de famille» de 1994-1995. Afin d isoler l effet «niveau d équipement en voiture», des effets des autres variables, les fichiers ont été retraités par l INSEE ou par le CREDOC pour éliminer l effet «revenu du ménage» et l effet «taille du ménage». A l issue de ce double tri, on obtient un échantillon dit de référence, qui fait alors l objet d un dernier tri en fonction du nombre de voitures dans le ménage (0, 1, ou 2). Les ménages n ayant pas de voiture étant rares, il a fallu prendre des tranches de revenus telles qu il y ait au moins une centaine d enquêtés dans le sous-échantillon des non-motorisés. Finalement, pour prendre l enquête sur les budgets (mais une procédure comparable a été appliquée aux deux autres), on obtient un échantillon de référence qui comporte uniquement des personnes appartenant à un ménage dont le revenu est compris entre 50.000 et 120.000 F par an et se composant de 3 ou 4 personnes. La taille des souséchantillons n a pas permis de continuer les tris en vue d éliminer les effets dus aux variables telles que la localisation ou le nombre d actifs dans le ménage.
Inversement, on a pu vérifier que les effets revenu et taille ont bien été éliminés en presque totalité: les 108 ménages non-motorisés ont un revenu moyen de 7.069 F et une taille moyenne de 3,36 personnes par ménage; les 356 ménages mono-motorisés ont un revenu moyen de 7.844 F et une taille moyenne de 3,38 personnes par ménage; les 112 ménages bi-motorisés ont un revenu moyen de 8.250 F et une taille moyenne de 3,26 personnes par ménage. L information provient aussi d une enquête qualitative effectuée auprès de 15 familles dans le quartier du Morier (commune de Joué-les-Tours, dans l agglomération de Tours) au printemps 1998. Les entretiens avec les personnes non-motorisées ont permis de savoir comment elles se sentaient perçues sans voiture, et les entretiens avec les personnes motorisés ont permis d écouter leur discours sur la manière dont elles vivraient l absence de voiture. Le terrain a été choisi comme un quartier (de 1.600 logements, principalement collectifs, construits entre 1961 et 1975) où -a priori- on pourrait presque vivre sans voiture, car relativement bien équipé (notamment en écoles et en commerces), bien desservi (par deux lignes d autobus) et situé à proximité du centre-ville (Hôtel-de-ville à 600 m du centre du Morier). Voir planches pages 7 et 8. 3 - RESULTATS Le premier résultat concerne la mobilité locale (à moins de 80 km autour du domicile) un jour ouvrable. Il ressort de l enquête sur les transports de 1994 et de son retraitement que le nombre de kilomètres parcourus chaque jour augmente très sensiblement avec le niveau de motorisation ; 10 km pour les personnes appartenant à un ménage nonmotorisé, 19 km pour celles appartenant à un ménage mono-motorisé, et 26 km pour celles appartenant à un ménage bi-motorisé. Mais dans ce nombre total de kilomètres il faut faire la part des choses entre d une part ce qui tient au nombre de déplacements faits par jour et d autre part ce qui tient à la longueur de ces déplacements. Voir planche page 9. Le nombre de déplacements effectués par jour ouvrable et par personne, lui, contrairement à ce que l on pouvait croire, varie assez peu avec le niveau d équipement automobile ; 3,0 pour les personnes appartenant à un ménage non-motorisé, 3,4 pour celles appartenant à un ménage mono-motorisé, et 3,0 de nouveau pour celles appartenant à un ménage bi-motorisé. La différence est entièrement imputable à la longueur des déplacements ; 3,3 km en moyenne par déplacement pour les personnes appartenant à un ménage non-motorisé, contre 5,6 km pour les déplacements de celles appartenant à un ménage mono-motorisé, et même 8,6 km pour les déplacements de celles appartenant à un ménage bi-motorisé.
Le deuxième résultat concerne l impact sur les structures; la répartition modale, les coefficients budgétaires et enfin l importance relative des différentes tâches quotidiennes. C est la répartition modale des déplacements qui est la plus modifié lorsqu on passe d'un niveau de motorisation à l autre ; entre le cas d une personne nonmotorisée qui ne fait que 14 % de ses déplacements en voiture et celui d une personne appartenant à un ménage bi-motorisé qui en fait 76 % en voiture, l écart est donc de 62 points. De tels écarts ne se retrouve pas en ce qui concerne les coefficients budgétaires pour lesquels l écart maximum est de 18 points et encore moins pour les emplois du temps où l amplitude des variations ne dépasse pas 4 points. D où les échelles différentes retenues pour les représentations graphiques. Voir planches pages 10, 11 et 12. De manière plus détaillée, on peut distinguer deux étapes ; le passage de deux voitures à une seule voiture, puis le passage d une voiture à pas de voiture du tout. Régulièrement, c est le second qui entraîne les modifications les plus fortes. + En ce qui concerne, d abord, la répartition modale, on note que le passage de 2 à 1 voiture, se traduit par une baisse de la part de marché de la voiture de 20 points et une hausse corrélative des trois autres modes ; la marche (+11 points), des deux-roues (+5 points) et des transports collectifs (+ 4 points). Le passage de 1 à 0 voiture est encore plus radical ; la part de marché de la voiture chute (-43 points) au profit de la marche (+31 points) et des transports collectifs (+12 points). + En ce qui concerne, maintenant, les coefficients budgétaires, on note que le renoncement à la deuxième voiture se traduit par des économies sur les dépenses liées à la voiture dont la part dans le budget total perd 5 points et inversement par des dépenses supérieures pour le logement (+2 points), les meubles et articles de ménage, et les loisirs. Les autres postes ne sont pas touchés de manière significative. Le passage de 1 à 0 voiture est, là aussi, plus radical ; les dépenses liées à la voiture baissent de 13 points au profit des transferts versés à d autres ménages (dons, aides, pensions alimentaires) et de l alimentation qui gagnent tous les deux 4 points, du logement (+3 points), des transports collectifs et communications (+2 points) et de l habillement (+1 point). + En ce qui concerne, enfin, les emplois du temps, le passage de 2 à 1 voiture se traduit par une réduction du temps de travail (un peu moins de 2 points) compensé par une place plus importante accordée aux loisirs et aux activités domestiques. Le passage de 1 à 0 voiture, est un peu plus net ; la réduction du temps de travail et la réduction du temps passé en activités domestiques totalisent 5 points. Les postes qui prennent plus d importance sont les loisirs (+ 3 points) et le sommeil (+2 points). Quant au temps supplémentaire que la personne non-motorisée passe en trajets et attente du bus par rapport à celle qui appartient à un ménage mono-motorisé, il n est que de 8 minutes par jour (moyenne calculée sur les sept jours de la semaine). Le troisième résultat, plus qualitatif, porte sur les possibilités concrètes de se passer d une voiture. Après avoir décrits précisément les déplacements que les enquêtés
effectuaient régulièrement pour le travail, les achats et les loisirs, nos interlocuteurs ont envisagé comment ils feraient en l absence d une voiture. Notons au passage que cela ne concernait uniquement les motorisés puisque les non-motorisés, eux, n ont pas à l imaginer ; ils le vivent déjà (d ailleurs psychologiquement pas toujours très bien puisqu une personne sans voiture se sentait perçue comme «une bête curieuse»). Or, des solutions ont été trouvées pour la quasi-totalité de leurs déplacements. Pour le travail, on recourait à la marche, au vélo ou au bus. «Pour le travail, on peut s arranger (...) je continuerai avec mes collègues ou à pied ou en vélo» «Il faudrait peut-être réorganiser les horaires, ça veut dire aller négocier avec le patron, se réorganiser avec un autre mode de transport...» «Aller au travail (...) Je trouverai un autre moyen (...) C est évident, je prendrai le bus, le vélo peut-être» «Moi demain, je prends le bus, je vais bosser. Demain, j ai plus d auto, je prends le bus, Je me débrouille (...) J irai au boulot en bus, on est sur un axe (...) il suffit de prendre le bus là» Pour les achats, on changerait de destination c est-à-dire que l on irait moins loin mais plus souvent. «C est inévitable qu on irait au plus près et plus souvent à l Ecomarché (...) jamais de grosses courses. Faire les courses tous les soirs» «Pour les achats, je reviendrais à ce que je faisais avant c est-à-dire que j irais aux magasins de proximité (...) Les achats, j irais au plus près» «Pour les achats, ça ne poserait pas trop de problèmes (...) Entre le taxi, la famille et maintenant les systèmes de livraison à domicile...» «Je pourrais m en passer dans Joué sans problème (...) Tous les déplacements achats que je fais quand je la prends pour aller en ville (...) Je pourrais les faire plus souvent à pied» «Lidl, y a pas de bus. Y a pas de bus pour aller à Lidl (...) Ce serait au plus près (...) Ce serait en vélo (...) On irait quand même peut-être plus facilement à Continent parce qu il y a le bus» «Ecomarché (...) j irais au plus près (...) les achats je les ferais au plus près (...) J irais aussi au Monoprix à pied (...) Il faudrait y aller plus souvent» Enfin, pour les loisirs on y arriverait en général à pied, en vélo et en bus, «Pour les activités des filles, c est sûr on les ferait plus par les bus (...) On prendrait le bus» «Les activités sportives (...) Pour les enfants, bah on s organiserait autrement. On peut y aller à pied ou en vélo» «Maintenant, y a le gamin, ça m enquiquinerait plus au niveau du club le soir (...) et puis toutes les activités pour X. (...) C est beaucoup d activités le soir (...) Pour le gamin, ce serait le bus. Soit si c est pas loin le vélo ou même à pied. Si y a pas de bus c est à pied ou en vélo» mais dans quelques cas on serait amené à changer d activité, voire à renoncer à l activité, bien sûr à contre-cœur, car cela touche au bien-être des enfants qui est sacré et qui est fréquemment mis en avant pour justifier l acquisition et l utilisation de la voiture. «L an dernier, à cause du manque de voiture (...) j avais choisi une activité qui n était pas loin. Elle avait dû changer d activité parce que je n avais plus de voiture (...) Pour
les activités de ma fille je réduirais» «Pour les trajets qu on ne peut pas faire à pied ni en bus (...) ça pourrait vouloir dire supprimer» Et puis, ce n est pas parce que des solutions ont été généralement trouvées, que l on renoncerait volontairement au confort que la voiture apporte, non seulement lorsqu on a des horaires très spéciaux, des paquets à transporter, des activités à enchaîner.. mais aussi pour accompagner les enfants à l école : «hors de question qu il fasse du vélo parce que c est très dangereux (...) Y a beaucoup de circulation, c est très dangereux» «Les petits, je les accompagne encore à l école parce que la traversée de la rue des Martyrs est très dangereuse. Je suis obligée de l emmener en voiture. Dès lors que l on a des enfants, on ne peut pas se passer d une voiture (...) C est indispensable!!» et tout simplement parce que la voiture est «la paresse du XXème siècle» pour reprendre l expression d un de nos interlocuteurs «C est de savoir qu elle est là (...) Elle est garée devant, on sait qu à tous moments, on peut la prendre, quand on veut (...) Y a la voiture donc moi, je prends la voiture» «C est de la fainéantise de ma part (...) mais elle est là (...) C est vrai que c est la facilité de l avoir devant» «C est vraiment par réflexe (...) J ai le réflexe voiture» «C est la culture, on est habitué aux voitures, c est tout. On aime bien avoir une bagnole, savoir qu on en a une (...) j y vais en voiture, bah oui puisque j ai la voiture (...) puisque j ai la voiture» «J ai toujours le derrière dans ma voiture (...) Bon c est la voiture. C est la voiture, c est la voiture» 4 - CONCLUSION On retiendra, qu à revenu et taille du ménage comparables, les familles non-motorisées ne font pas moins de déplacement par jour ouvrable que les familles bi-motorisées ; 3 déplacements par personne dans les deux cas. La différence tient à la part de marché de la marche dans l ensemble des déplacements ; elle atteint 60 % pour les non-motorisées contre 18 % seulement pour les bi-motorisées. Ainsi, les non-motorisées ne sont pas défavorisées en termes d activités par rapport aux bi-motorisées (pour prendre les cas extrêmes), mais se livrent à ces activités à proximité participant ainsi à humaniser et à sécuriser le quartier. On retiendra aussi que les familles bi-motorisées, toujours dans cette tranche de revenu avoisinant 8.000 F par mois en 1995 et toujours avec un ou deux enfants, consacrent en moyenne 19 % de leur budget à la voiture contre 1 % pour les familles non-motorisées, et que ces dernières utilisent l argent ainsi économisé en dépenses supplémentaires essentiellement pour le logement (qui passe de 27 % à 32 % du budget, soit + 5 points), pour l alimentation (+ 4 points), et pour les transports et communications (+ 2 points), ainsi qu en transferts versés à d autres ménages (+ 4 points). Peut-on en conclure d une part que les familles non-motorisées sont plus solidaires, et que d'autre part en cas de dé-motorisation, les secteurs à même de bénéficier de ce déplacement de pouvoir d achat seraient les secteurs du logement, de l alimentation, des transports et des communications? On sait par ailleurs, que la rénovation des logements et le transport
sont des activités à plus haute teneur en main-d œuvre que l automobile (cf. travaux de Jean-Pierre ORFEUIL sur les bilans énergie et emploi dans le transport de voyageurs) et donc cette évolution serait favorable à l emploi. On retiendra enfin que ces mêmes familles bi-motorisées consacrent plus de temps au travail et à accessoirement aux activités de bricolage, de jardinage et d entretien de la voiture (respectivement 60 minutes et 25 minutes de plus par jour) que les familles nonmotorisées, au détriment du temps de loisir et accessoirement de sommeil (respectivement 54 minutes et 21 minutes par jour en moins). Si bien qu on peut se demander où est le progrès ; la voiture apporte-t-elle plus de liberté ou bien oblige-t-elle à travailler toujours plus?