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Transcription:

Article «L État et les lieux de mémoire» Louise Brunelle-Lavoie et Alain Gelly Cap-aux-Diamants : la revue d'histoire du Québec, n 37, 1994, p. 10-13. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : http://id.erudit.org/iderudit/8581ac Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'uri https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'université de Montréal, l'université Laval et l'université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'érudit : info@erudit.org Document téléchargé le 28 November 2015 05:05

L'ETAT ET LES LIEUX DE MÉMOIRE Le Château de Ramezay, ancienne résidence des gouverneurs de Montréal, fut le premier monument classé en 1929. Photographe inconnu, vers 1925. (Collection initiale. Archives nationales du Québec à Québec). Certains lieux, à cause de leur valeur de symbole pour la collectivité, méritent de recevoir un traitement distinct. L'État québécois travaille en ce sens depuis 1922. par Louise Brunelle-Lavoie et Alain Gelly N CETTE PÉRIODE DE QUESTIONNEMENT SUR LE rôle de l'état, certaines réflexions donnent à penser que le gouvernement québécois n'intervient dans la vie économique et sociale de la province que depuis le début des années 1960. On oublie un peu vite les leçons d'histoire! En matière de patrimoine, entre autres, il y a maintenant plus de soixante-dix ans que l'état trace les «chemins de la mémoire». Des reliques à conserver Le Québec des années 1920 connaît un bouleversement social majeur. Au sortir de la Première jerre mondiale, on constate que le passage à une société industrielle et urbaine est nettement amorcé. Ces changements ne sont pas sa inquiéter. Des voix isolées commencent à dém eer la disparition des «reliques du passé», thème de la conservation et de la protection progresse et elles sont de plus en plus nombreuses à demander à l'état d'intervenir afin de conserver intactes les traces de «ce qui a été». pel trouve son écho au gouvernement. Le secrétaire de la province, Louis-Athanase David, dépose un projet de loi visant à conserver les monuments et les objets d'art ayant un intérêt historique ou artistique. Sanctionnée le 21 mars 1922, cette loi fait du Québec la première province canadienne à légiférer dans le domaine de la sauvegarde du patrimoine. Qsiffi.Mig'> /' &&!&'*&?* ' Une Commission Î muments ' îr" h i riq lûiîl oi de 1922 crée une Commission des monuments historiques qui devient la mandataire de l'état dans la sauvegarde du patrimoine. Les premiers commissaires décident de commencer leur CAP-AUX-DIAMANTS, Numéro 37 Printemps 1994

action par la recension des monuments commémoratifs déjà érigés, inventaire qui sera publié en 1923. En même temps, ils rassemblent toutes les illustrations disponibles sur le patrimoine immobilier et artistique du Régime français. Deux publications naîtront de cette initiative: Vieilles églises de la province de Québec en 1925 et Vieux manoirs, vieilles maisons en 1927. En fait, la Commission des années 1920 apparaît comme la gardienne de la société traditionnelle et de ses valeurs. Elle se donne un rôle de valorisation d'un passé idéal et de développement d'une fierté patriotique. En 1929, les premiers classements sont faits dans cet esprit. Ils touchent le Château de Ramezay à Montréal, la maison des Jésuites à Sillery et l'église Notre-Damedes-Victoires à Québec. Des années difficiles La récession économique qui s'installe en 1930 a des répercussions sur tous les secteurs de la société. Jusque-là, la Commission des monuments historiques avait obtenu sans problème les crédits nécessaires à ses activités. Il en sera bien autrement au cours des années 1930. Comme l'écrit Pierre-Georges Roy en août 1935: «le gouvernement doit s'occuper surtout des monuments qui parlent, c'est-à-dire des personnes à nourrir. Quant aux monuments qui ne parient pas, ils devront, malgré leur éloquence, attendre la fin de la crise». La Commission limite donc ses activités à la poursuite de son programme d'apposition de plaques historiques. Elle tente aussi de conserver les acquis de la décennie précédente en s'élevant, avec succès, contre la construction d'un tunnel sous le Château de Ramezay. La situation inquiète cependant les sociétés historiques qui amorcent un mouvement pour convaincre le gouvernement provincial «de faire son devoir à l'égard des reliques historiques». Un gouvernement central entreprenant À la fin des années 1940, plusieurs organismes profitent de la tenue d'une Commission royale d'enquête sur l'avancement des Arts, Lettres et Sciences au Canada pour rappeler l'urgence d'agir avant que l'usure du temps et les exactions des hommes n'aient raison des maisons historiques. Les recommandations de cette commission aiguillonnent l'intérêt du gouvernement provincial pour le domaine de la conservation des monuments historiques. Le premier ministre Maurice Duplessis ne veut pas courir le risque de voir le gouvernement fédéral investir ce secteur. Il confie donc à Gérard Morisset la tâche délicate de relancer les activités de la Commission des monuments historiques. Il décide également de revoir la loi de 1922. Un rajeunissement de la loi de 1922 Sanctionnée en janvier 1952, la loi relative aux monuments, sites et objets historiques ou artistiques intègre les «monuments préhistoriques» et les «paysages et sites» présentant un intérêt scientifique, artistique ou historique dans les biens susceptibles d'être classés. Tout en maintenant le mandat de la Commission des monuments historiques, la nouvelle loi stipule que les classements ne deviendront définitifs qu'après avoir été approuvés par un décret du Conseil exécutif. La Commission des monuments historiques est aussi habilitée à acquérir tout lieu ou objet présentant un caractère national au point de vue scientifique, historique ou artistique. Cette permission est cependant assortie de l'obligation d'obtenir l'autorisation préalable du Conseil exécutif. Les propriétés acquises devant être classées, cette mesure est un complément à la politique de sauvegarde. L'hôtel Chevalier situé L'hôtel Jean-Baptiste- Chevalier à Québec, première acquisition faite par la Commission des monuments historiques en 1956. Photo: Ministère des Communications du Québec, 1987. Le poste de pêche et de traite de Nantagamiou, premier site archéologique classé en 1974. CAP-AUX-DIAMANTS, Numéro 37 Printemps 1994 11

L'église Notre-Dame-de- Bonsecours à l'islet-sur- Mer, classée monument historique avec tout son contenu en 1957. Phcto: Inventaire des biens culturels du Québec en 1976. à Place Royale à Québec est le premier bâtiment acquis par la Commission. Il est classé le 14 mars 1956, relançant le programme de classement des monuments historiques abandonné depuis 27 ans. Une politique incitative au classement De 1956 à 1960, les commissaires poursuivent leur politique d'octroyer un statut juridique aux anciennes des effets du classement et de la procédure à suivre pour l'obtenir. À la suite de cette campagne et des demandes non sollicitées, le gouvernement classe 61 bâtiments. De ce nombre, 35 relèvent du patrimoine religieux et 22 du patrimoine résidentiel. On y retrouve également deux moulins et deux bâtiments administratifs. Malgré son intérêt pour les objets mobiliers et artistiques, la Commission hésite à classer ces biens, devant les réticences du clergé qui en est le principal propriétaire. Elle opte plutôt pour la formule «l'église et son contenu» au moment du classement des églises. Un nouveau contexte Les années 1960 marquent l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement désireux de doter le Québec d'un véritable État moderne et de l'utiliser comme outil pour l'enrichissement de la collectivité. Dans le domaine culturel, le gouvernement québécois accomplit un pas de taille en créant un ministère des Affaires culturelles. La Commission des monuments historiques, qui relevait du Secrétariat de la province, conserve ses prérogatives mais elle est maintenant rattachée au ministère récemment formé. I*-'-.*-'\,.';^"-'.V-, < ;!" ' "XT ; ". _.-, ' K" La Commission poursuit sa politique de classement en continuant sa sollicitation auprès des propriétaires d'immeubles anciens. De 1961 à 1963, le gouvernement acquiesce au classement de 40 monuments historiques. Le patrimoine résidentiel occupe toujours une part importante avec 21 classements. Le patrimoine religieux suit avec 13. C'est donc dire que la vieille architecture canadienne demeure la préoccupation principale des commissaires. Une ouverture est cependant faite au patrimoine industriel avec le classement de trois moulins et d'une ancienne centrale électrique. Enfin, deux bâtiments administratifs sont aussi classés au cours de cette période. Le Trait-carré de Charlesbourg décrété arrondissement historique en 1965. seuls monuments correspondant à la valeur architecturale et, dans une moindre mesure, historique estampillée du Régime français. La Commission restreint ainsi son champ d'intervention aux lieux d'habitation les plus anciens, soit ceux de la vallée du Saint-Laurent. Les commissaires sillonnent le Québec pour informer les propriétaires de maisons ou d'églises La protection des ensembles Depuis 1952, la loi permet le classement d'un monument historique et de son environnement immédiat. Mais les atteintes fréquentes au patrimoine architectural du Vieux-Québec illustrent avec acuité les insuffisances de cette législation. La révision législative adoptée en juillet 1963 entend combler cette lacune. Dorénavant, il sera possible de protéger tout un ensemble urbain par la création d'un arrondissement historique. Cette politique devient une réalité dès le 6 novembre 1963 alors qu'est créé l'arrondissement historique de Québec. Deux mois plus tard, le 8 janvier 1964, c'est au tour du secteur historique de Montréal d'être déclaré arrondissement historique. En février 1964, la portion du territoire 12 CAP-AUX-DIAMANTS, Numéro 37 Printemps 1994

de Sillery qui compte de grands domaines est à son tour déclarée arrondissement historique. En mai 1964, ce sont le cœur historique de Beauport et le tissu urbain du Vieux-Trois-Rivières qui reçoivent cette protection légale. Enfin, le Trait- Carré de Charlesbourg est à son tour protégé en devenant arrondissement historique en novembre 1965. Soulignons également que le village historique Jacques-de-Chambîy est déclaré arrondissement historique en juin 1964. Ce statut sera accordé à nouveau le 11 mars 1970 alors que l'île d'orléans deviendra le plus grand arrondissement historique au Québec. Les années 1970 marquent aussi le début de la protection des sites archéologiques avec le classement du poste de pêche et de traite de Nantagamiou sur la Basse-Côte-Nord et la création des arrondissements naturels de Percé en 1973 et de l'archipel de Mingan en 1978. Des œuvres d'art, des archives et des collections ethnologiques sont également identifiées et protégées au moyen d'un statut juridique. Le rythme des classements se poursuit de 1979 à 1985. Le patrimoine résidentiel est toujours le plus touché, suivi du patrimoine religieux. On constate cependant une certaine ouverture au classement de bâtiments administratifs, surtout dans le domaine scolaire, et de bâtiments commerciaux et industriels. Malgré cet accent mis sur la protection des ensembles, les classements «individuels» se poursuivent. De 1964 à 1971, le gouvernement accorde un statut de monument historique à 85 bâtiments. Cette mesure touche principalement le patrimoine résidentiel, 62 cas, et dans une moindre mesure, le patrimoine religieux avec 14 monuments. Ces interventions portent massivement sur les régions de Québec, Trois- Rivières et Montréal, là où l'on trouve le plus de témoins de la vieille architecture canadienne. La Loi sur les biens culturels Depuis vingt ans, la Loi sur les biens culturels adoptée en 1972 définit le cadre d'intervention de l'état dans l'identification et la protection des lieux chargés d'histoire. L'éventail des biens considérés et des niveaux de protection possibles s'est élargi considérablement. Ainsi, on trouve maintenant des arrondissements historiques et des arrondissements naturels. Un monument historique et un site archéologique peuvent être dotés d'une aire de protection. De plus, les biens visés par la loi peuvent être classés ou reconnus. Au cours des années 1970, l'attribution de statuts juridiques apparaît liée aux impératifs des urgences quotidiennes, une quantité considérable d'habitations anciennes étant menacées pour faire place à des édifices à bureaux ou à de nouveaux axes routiers. Cette tendance poursuit la politique des années 1960 en sauvegardant de manière prioritaire les éléments du patrimoine résidentiel. La région de Montréal est particulièrement touchée avec 78 monuments et 6 sites, de 1973 à 1978, alors que le reste de la province compte 53 monuments et 6 sites de plus au cours de la même période. Depuis 1985, l'état québécois partage avec les municipalités le pouvoir d'identifier et de protéger son patrimoine immobilier. Il a aussi tendance, depuis les dernières années, à faire un usage beaucoup plus restreint de son pouvoir d'attribution d'un statut juridique tout en favorisant une plus grande diversification thématique et géographique. À ce jour, l'état québécois a classé 445 monuments historiques et en a reconnu 80. Il a également créé 9 arrondissements historiques et 3 arrondissements naturels. Il a aussi protégé 44 sites historiques et 15 sites archéologiques. À tous ces lieux chargés d'histoire, s'ajoutent 4 747 biens historiques classés, 209 biens historiques reconnus, 952 œuvres d'art classées et reconnues. À sa façon, l'état a identifié et protégé de nombreux lieux de mémoire. Louise Brunelle-Lavoie est vice-présidente de la culturels du Québec. Alain Gelly est historien. L'ancienne usine hydroélectrique Les Cèdres, classée en 1984. CAP-AUX-DIAMANTS, Numéro 37 Printemps 1994 13