«Les femmes portent la moitié du ciel» disait Mao, exprimant ainsi le volontarisme égalitaire du nouveau régime communiste. Celui-ci prend en effet rapidement des mesures emblématiques garantissant plus de droits aux femmes. En 1950, la réforme des lois sur le mariage interdit la vente des épouses et des concubines et légalise le divorce. De même, la tradition de bander les pieds des petites filles est officiellement bannie. Aujourd hui, dans une Chine en plein boom économique, la féminité est volontiers présentée par les media chinois comme un atout, y compris professionnel. Pourtant, au-delà de cette intégration spectaculaire à la mondialisation, l ouverture au monde peut-elle être revendiquée comme une marque de modernité par le gouvernement chinois? Quel impact socio-culturel l insolente réussite économique de la Chine a-t-elle sur ces populations? Et notamment, quelles transformations, éventuellement quelles améliorations, la place de la femme connaît-elle dans la société la plus masculine du monde (il y naît 119 garçons pour 100 filles)? Les femmes représentent 15% des chefs d entreprise chinois en 2010 (8% dans le monde). Les trois femmes les plus riches du monde sont toutes les trois chinoises, et doivent leur fortune à leur success story professionnelle. Zhang Yin, 53 ans et troisième fortune du pays, a par exemple bâti son empire dans le recyclage du papier à la tête de Nine Dragons Paper. Plus encore que ces quelques figures emblématiques, c est la proportion de femmes parmi les cadres supérieurs qui témoigne d un vrai changement de la place des chinoises dans le monde du travail : elles représentent 34% du total en 2010, contre 31% l année précédente et un peu moins de 30% en France Les femmes sont louées par les dirigeants par leurs aptitudes dans «les domaines du travail d'équipe et de la communication et pour leur facilité à gérer différentes tâches simultanément.», a déclaré Guan Liming, associé principal du cabinet d audit Grant Thornton Tianhua Jingdu situé à Hong Kong. Les signes extérieurs de la réussite sociale, directement inspirés du mode de vie occidental, deviennent les aspirations de ces femmes urbaines, qualifiées, et le plus souvent jeunes. Confort immobilier, loisirs, produits de luxe : elles se veulent porteuses d un nouvel «Chinese way of life»? La première Ferrari vendue en Chine est par exemple la propriété d une femme.
Cependant, le mariage et la famille restent la norme dans la société chinoise, traditionnellement patriarcale. Les «Dinkies» («Double Income, no kid», les couples urbains sans enfant), demeurent des exceptions. Une fois établie leur réussite professionnelle et acquise leur indépendance financière, les jeunes citadines souhaitent fonder un foyer. Pourtant, alors que les femmes à marier manquent dans les campagnes, il y a en ville un excédent de femmes célibataires aisées. Celles-ci souffrent particulièrement du décalage entre les aspirations des hommes et des femmes dans leurs critères de choix : Les femmes aspirent au mariage avec des hommes plus brillants qu elles, «les célibataires en diamant», tandis que les hommes recherchent des femmes moins fortes qu eux. Ce principe est théorisé par Li Yinhe, une sociologue spécialiste des questions sexuelles à l Académie des sciences sociales de Chine : il implique que les hommes de quatrième catégorie originaires de régions reculées et les femmes citadines de première catégorie qui ont des diplômes, de hauts revenus et des prétentions élevées sont les principales victimes de la rupture du lien social provoquée par l exode rural. «Ne plus pouvoir suivre de règles [ne pas satisfaire à l exigence sociale et familiale du mariage] est source pour [les trentenaires] de souffrances et d angoisses», explique Li Yinhe. Elles craignent de devenir une «Shengnu», une «femme en trop» ayant atteint un certain âge et condamnée au célibat. Dans ce contexte, les marchés de rencontre se multiplient en Chine. L entrée y est payante et les critères très stricts : il faut être célibataire, avoir plus de vingt ans et la volonté de former une famille. Parfois s y ajoutent des critères universitaires et sociaux. Beaucoup des personnes présentes sont des parents qui viennent proposer en mariage leurs enfants dans une certaine nostalgie de l'époque où une mariée ne découvrait le visage de son nouvel époux que le soir de ses noces. Epoque où seul le chef de famille avait le pouvoir de décider du choix d'un mari et de la date du mariage. Parallèlement, les sites de rencontre sur internet se développent également : 80% des femmes inscrites gagnent plus de 36 000 yuans par an (3 600 euros), témoignant ainsi de la difficulté des jeunes urbaines qualifiées à rencontrer un conjoint correspondant à leur statut social. Loin d être anecdotique, la situation des jeunes diplômées est révélatrice à elle seule du paradoxe de la société chinoise, tiraillée entre développement économique accéléré et sclérose politique et sociale.
D une manière générale, la question de l éducation et de l accès à l emploi résume la condition des femmes en Chine. Il est admis par tous que les ouvriers s échinant 11 heures par jour 7 jours sur 7 dans les ateliers produisant pour l Occident ne peuvent être que des ouvrières. Le cas de l entreprise «Computime» située à Shenzen payant ses 3 000 ouvrières 230 yuans (soit presque trois fois moins que le salaire minimum légal) est là pour rappeler si besoin en était que l égalité des sexes dans le monde du travail en Chine reste plus que théorique. Et si la grève, qui leur permet en 2004 d obtenir une hausse de salaire de 170 %au bout de seulement un jour et demi d arrêt de travail, trouve écho dans Libération, c est bien que ce type de mouvements demeure exceptionnel. Même les plus diplômées continuent de souffrir de discriminations sexuelles à l embauche. Selon une étude, près de 70 % des étudiantes estiment actuellement ne pas avoir les mêmes chances que les hommes dans leur recherche d emploi. Et plus de 40 % d entre elles considèrent que les organismes gouvernementaux et les établissements de service public euxmêmes pratiquent une politique sexiste. En outre, le déséquilibre fille/garçon dans l accès à l éducation se retrouve quelque soient l âge et le niveau d étude. Si 44% des diplômés d université sont désormais des filles, 70% des 100 millions d analphabètes chinois sont des femmes. Ce décalage est particulièrement marqué dans les campagnes. Si 25% de la population globale accède au lycée, seulement 12% des garçons ruraux et 9% des filles atteignent ce niveau d éducation. En effet, les frais de scolarité représentent souvent 40% des revenus des familles rurales, et ce dès le primaire. Le Journal de Ma Yan découvert par Pierre Haski qui était à l'époque correspondant de Libération à Pékin, a été publié en France puis dans de nombreux pays. La jeune fille originaire du Ningxia, région musulmane de Chine intérieure, y raconte son combat pour poursuivre sa scolarité, alors que ses parents avaient fait le choix de privilégier celle de ses deux jeunes frères. Dans les campagnes chinoises en effet, «élever une fille, c est cultiver le jardin d un autre» car ce sont les garçons qui s occupent de leurs parents devenus âgés. «Une fille mariée c est comme de l eau jetée» : une fois mariée, la fille n appartient littéralement plus à sa famille. La Loi sur la Protection des Droits et Intérêts de la Femme élaborée en 1992 et remaniée en 2005 aboutit pourtant à l indépendance économique des femmes : les droits de propriété de la femme sont renforcés, les paysannes peuvent
signer un contrat, acheter, et posséder une terre arable à l instar des hommes. Le statut des filles n en reste pas moins dévalorisé dès la naissance. Le déséquilibre des naissances y est un des plus élevés au monde (y compris devant les pays musulmans et l Inde). L échographie, généralisée depuis 1985 a eu pour conséquence l avortement sélectif : le déséquilibre du ratio hommes-femmes dans l'île de Hainan, au Sud du pays, atteint 135,6%. Les petites filles sont couramment prénommées «Pandi» («En espérant un garçon») ou «Laidi» («Un garçon suivra»). Ce mépris des filles a des répercussions dramatiques. 56% des suicides dans le monde sont des suicides de femmes chinoises. La Chine est un des rares pays où les femmes se suicident plus que les hommes, surtout à la campagne. Les femmes y restent soumises à leur père ou leur mari, cantonnées à des tâches domestiques ingrates et 90 millions d entre elles vivent seules en raison du déséquilibre de sexe chez les migrants. Face à cette situation, les autorités politiques oscillent entre volontarisme et déni. En 1966, la Révolution culturelle jugeait la question des genres «bourgeoise». En 2004, une campagne est lancée sur le thème «Chérir les filles», allocations vieillesse à l appui pour les parents malheureux de filles, avec la volonté affichée d élever le niveau d éducation des filles et de rétablir l équilibre filles/garçons. Une association est même fondée en 1995 pour défendre les droits des femmes. Le Centre de recherche et d assistance juridique aux femmes (CRAJF) était inséré dans l université Beida de Pékin. 70 000 femmes ont été conseillées et 3 000 dossiers portés en justice. Mais en 2010, l association est dissoute, a priori parce qu elle recevait des aides de l étranger. BIBLIOGRAPHIE : La Chine nouvelle, «être riche et glorieux» : Cyrille J.-D JAVARY et Alain WANG, Petite encyclopédie Larousse, 2006. Atlas de la Chine, «Les mutations accélérées» : Thierry SANJUAN, Editions Autrement, 2007. Cinq ans en Chine, «Chronique d une Chine en ébullition» : Pierre HASKI, Les Arènes, 2006.
Le journal de Ma Yan, Ma Yan, Livre de poche, 2005. En espérant un fils, «la masculinisation de la société chinoise»: Isabelle ATTANÉ, Editions de l INED, 1990. Très nombreux articles dans Courrier International.