CLIMAT INTERIEUR ET CONSERVATION DES MONUMENTS HISTORIQUES



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CLIMAT INTERIEUR ET CONSERVATION DES MONUMENTS HISTORIQUES Dominique Chuard, Arch. EPFZ Dario Aiulfi, Dr. Ing. Dipl. EPFL Sorane SA, Rte du Châtelard 52 CH-1018 Lausanne ABSTRACT The reassignement or transformation of old buildings require an upgrade of the interior climate (modern comfort, requirements due to the new function of the building). This new climate is often incompatible with the requirements of monuments conservation (condensation, etc.). From there on two approaches are possible : A heavy work to the building's body that make it compatible. This implies a deterioration of the building's historical value. A variable internal climate that relates to external conditions, to avoid any intervention on the body. Two examples illustrate these concepts : the transformations of Nyon's castle, Prangins museum and the wintering conditions for the Crans sur Céligny's castle. RESUME La réaffectation ou la transformation de bâtiments anciens implique souvent une redéfinition de leur climat intérieur (notions modernes de confort, exigences liées à leur nouvelle fonction). Ce nouveau climat n'est souvent pas compatible avec la conservation du Monument (condensations, etc ). Dès lors, deux attitudes sont possibles : Une intervention lourde sur l'enveloppe de ces bâtiments pour les rendre compatibles, ce qui présente une atteinte à la substance historique. Un climat intérieur flottant, en fonction des conditions extérieures, pour éviter une intervention sur le bâtiment. Deux exemples illustrent ces concepts : la transformation des châteaux de Nyon et de Prangins en musée, et les conditions d'hivernage du Château de Crans sur Céligny.

1. INTRODUCTION L'adaptation des bâtiments anciens pour les transformer en musée implique une profonde modification de leur climat intérieur d'origine. Ces monuments n'étaient soit pas chauffés (contrôle purement passif du climat) comme c'était le cas de la plupart des églises, soit partiellement chauffés (poêles, cheminées), soit non occupés dans la saison froide (résidence d'été). 2. CLIMAT D'ORIGINE OU NATUREL Les trois bâtiments qui nous intéressent sont situés sur l'arc lémanique, à quelques kilomètres l'un de l'autre, dans la région de Nyon. Le climat est tempéré, avec une influence marquée du lac, des hivers normalement doux (température moyenne journalière minimale de 5 C) et tous les 15 à 20 ans un hiver plus froid où la température atteint 15 C durant quelques semaines. Durant l'été, la température moyenne journalière se situe vers 20 C avec des pointes horaires atteignant 30 C durant quelques semaines. Les châteaux étaient, à l'origine, soit non chauffés en hiver, soit partiellement chauffés par des poêles et des cheminées (résidence d'été). Avec un chauffage, la température étant maintenue entre 15 et 20 C, l'humidité relative intérieure chute à 20 à 30 % en période froide. Sans chauffage, la température intérieure descend jusqu'à 5 à 8 C seulement (très forte inertie), l'humidité atteint 70 à 80 %. En été, la très forte inertie du bâtiment et son faible taux d'ouverture permettent de maintenir la température intérieure en dessous de 26 C. L'humidité relative est proche de celle de l'air extérieur, 60 à 70 %. 3. CLIMAT EXIGE Le climat demandé par un musée est toujours un compromis entre les exigences des objets exposés et celles des personnes (visiteurs, exploitants, gardiens). De manière générale, une variation lente des conditions de température et d'humidité relative si ce n'est pas une constance est exigée. Le tableau 1 met en parallèle les différents climats d'hiver. Si un compromis est possible sur la température entre les exigences d'un musée et celles du monument, il est beaucoup plus difficile à trouver au niveau de l'humidité relative. Un musée devra aussi offrir un très bon contrôle de l'éclairage naturel, la lumière étant une des causes majeures de la dégradation des objets. Hiver : climat intérieur Température C Humidité relative % Exigences Objets : conservation 12 16 50 60 Personnes 20 30 70 Musée : exigences habituelles 10 20 50 Climat "naturel" Origine : non chauffé chauffé Tableau 1 Climat d'hiver 8 15 16 20 70 80 20 60

4. CLIMAT INTERIEUR ET ENVELOPPE DU BATIMENT L'enveloppe du bâtiment, interface entre les deux climats, va principalement subire ce nouveau climat intérieur. Les analyses et les mesures in situ ont montré que les problèmes liés au nouveau climat intérieur apparaissaient sur deux éléments critiques de l'enveloppe du bâtiment : Les interfaces minces : les vitrages, les murs d'allèges minces. Les éléments doublés à l'intérieur par des matériaux isolants thermiques et poreux : boiseries, armoires, tableaux exposés. La figure 1 illustre la problématique Embrasure: condensation de surface sur la boiserie, entre la boiserie et le mur ou entre le dormant de la fenêtre et le mur Tableau exposé contre le mur extérieur: risque de condensation derrière le tableau Mur épais: peu de risques de condensation Angle: risque de condensation derrière la boiserie Mur revêtu d une boiserie: risque de condensation derrière la boiserie Toiture et sol des combles: amélioration thermique aisée par isolation Simple vitrage: condensation de surface Une condensation continue (d une durée supérieure à 3 heures) provoque un ruissellement sur le verre. la dégradation par pourriture atteind l huisserie, les murs et boiseries situés en dessous (allège) Allège: condensation de surface et derrière la boiserie Sous-sol: peu de problèmes car amortissement des amplitudes par le terrain Fig. 1 Climat intérieur et enveloppe du bâtiment : diagnostic 5. ADAPTATION DU BATIMENT Face à ces nouvelles exigences, deux attitudes sont possibles : On "corrige" l'enveloppe du bâtiment pour qu'elle supporte les nouvelles conditions (figure 2) On laisse flotter la température intérieure pour que les conditions d'humidité intérieure, contraintes de base, soient respectées.

"Correction" de l'enveloppe Au château de Prangins (1732), antenne du musée National Suisse pour la période du XVIII ème et XIX ème siècle, c'est la première solution qui a été adoptée : Un système de chauffage (radiateur, ventilo-convecteur, ventilation) assure en hiver une température constante de 16 C. L'humidité intérieure est contrôlée entre 50 % en hiver (humidification) et 60 % en été (déshumidification) par une ventilation centralisée. Les fenêtres originales ont été restaurées et doublées par l'extérieur par une nouvelle fenêtre. Toutes les boiseries ont été déposées. Celles des embrasures de fenêtres et des allèges ont été reposées avec une isolation. Fig. 2 Correction de l'enveloppe

Pour des raisons de sécurité, toutes les fenêtres restent fermées. La protection solaire est assurée par des volets intérieurs. Le renouvellement d'air est assuré par des installations de ventilation (~ 2 volumes par heure). L'air pulsé est humidifié ou déshumidifié, chauffé en hiver (16 C/50 %) et refroidi en été (20 24 C, 60 %), car la ventilation naturelle n'est plus possible. Le bâtiment offre un climat "standard" de musée mais les conséquences, sur le bâtiment et ses installations, sont importantes. Température flottante La construction du château de Nyon date des XII ème et XIII ème siècle, avec une transformation importante et des ajouts du XVI ème siècle. Il est devenu bâtiment administratif en 1805 et partiellement musée dès les années 50. Avant sa transformation, il abritait sur deux niveaux un musée de la porcelaine visitable en été et mi-saison (non chauffé). Dès le début des études, un consensus entre les différents partenaires a été trouvé pour orienter la restauration vers une solution douce respectant le mieux possible le monument tout en offrant aux objets exposés des conditions de conservation acceptable. Fig. 3 Château de Nyon : concept de différenciation climatique par zone

Au château de Crans sur Céligny (1760), résidence d'été, c'est la température intérieure qu'on "laisse flotter" pour éviter des chutes d'humidité intérieure trop importantes par fort vent. La solution adoptée est une délimitation des zones centrales confortables et des zones extérieures où la température flotte pour garantir, en hiver, un taux d'humidité minimum. Les zones extérieures servent de tampon aux zones centrales (figure 3). Dans les zones extérieures, l'enveloppe est restaurée en l'état, dans les zones centrales elle est corrigée. Si l'on garantit, en hiver, une température de 16 C et une humidité relative de 50 % dans la zone centrale, dans les périphéries la température fluctue entre 12 et 16 C (chauffage à 12 C) et l'humidité entre 40 et 70 %. On limite ainsi, en périphérie, la différence entre les climats intérieurs et extérieurs pour ménager les interfaces. Cette consigne de température intérieure est réglée centralement en fonction de la température extérieure moyenne des 24 heures écoulées (intégration de l'inertie). On évite ainsi des chutes d'humidité relative en dessous de 40 % ce qui était le cas lorsque la consigne était fixée à 12 C. 6. CONCLUSION Un monument historique ne peut pas sans autre accepter le climat exigé par un musée. Offrir des conditions climatiques acceptables pour les objets exposés, les visiteurs, les exploitants et le bâtiment nécessitent une étude très fine des conditions climatiques "naturelles ou originales" et la solution est un compromis entre de nombreuses contraintes qui rendront l'exploitation du musée plus délicate. Cette solution est la seule qui permettra de conserver la substance historique sans une intervention lourde sur le monument. REFERENCES 1. ICOM (International Council of Museum) : L'entretien des objets de musée, Manipulation, Transport, Entreposage, ICOM-Suisse 1989. 2. Sorane SA : Château de Prangins, Musée National, Etudes de physique du bâtiment : 1. Mesure des risques de condensation derrières les boiseries, 2. Mesure du risque de condensation dans les poutres, 3. Climat estival intérieur du château, Lausanne 1988. 3. Sorane SA, M.O. Nilsson : Transformation et restauration du château de Nyon, Physique des bâtiments et climat, Phase 1 : Analyse, Phase 2 : Contribution au projet, Lausanne et Nyon 1997.