CHAPITRE XIII : LES ETATS DEPRESSIFS DU SUJET AGE



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CHAPITRE XIII : LES ETATS DEPRESSIFS DU SUJET AGE I- Epidémiologie II- Facteurs de risque III- Aspects sémiologiques IV- Hétérogénéité des tableaux cliniques A- La dépression masquée B- La dépression anxieuse C- Dépression et hypochondrie D- La dépression hostile E- Dépression avec altération cognitive anciennement appelée «pseudo-démentielle» F- La dépression avec symptômes psychotiques G- Syndrome de glissement V- Evaluation du patient dépressif VI- Evolution VII- Traitements A- Traitements pharmacologiques B- Elecroconvulsothérapie (ou sismothérapie ou ECT) C- Approches psychologiques VIII- Conclusion Item 63 : Objectifs terminaux Diagnostiquer un état dépressif chez une personne âgée. Argumenter l attitude thérapeutique et planifier le suivi du patient. Dernière remise à jour : mars 2007 149

CHAPITRE XIII : LES ETATS DEPRESSIFS DU SUJET AGE Les états dépressifs du sujet âgé (EDA) sont fréquents et de diagnostic difficile en raison surtout de leur hétérogénéité clinique. Une des raisons de l augmentation du taux de suicides chez les plus de 80 ans est probablement la non-reconnaissance des EDA. Les plaintes thymiques et affectives surviennent fréquemment avec l avancée en âge et sont trop souvent attribuées aux conséquences du vieillissement normal, qu accompagnent les pertes successives qui caractérisent la vieillesse. Cependant, il faut insister sur le nécessité de reconnaître l existence d un trouble thymique que l on pourra traiter car ce dernier sera à l origine, outre d une souffrance excessive mais aussi d un handicap important dans le fonctionnement quotidien du sujet. Nous allons tenter dans ce chapitre de souligner les spécificités de cette pathologie chez la personne âgée.. I- Epidémiologie Les résultats des études épidémiologiques sur la dépression varient en fonction des définitions de la dépression et des méthodes d identification et d évaluation. Il semble que le problème principal réside dans le choix des critères diagnostiques et des arguments existent en faveur de l hypothèse selon laquelle la dépression de la personne âgée peut présenter des profils symptomatiques différents de ceux observés chez les adultes jeunes. Il ne s agit pas d une maladie différente mais plutôt d une forme clinique où les différences symptomatiques peuvent représenter des sous-types de troubles liés au vieillissement du cerveau. On sait, par ailleurs, que l état de santé des personnes âgées s est globalement amélioré au cours de ces dernières années. Il faut toutefois souligner que cette observation recouvre des situations fortement hétérogènes. En effet, l état de santé d une personne institutionnalisée n a rien de commun avec celui d une personne autonome vivant à son domicile. On retrouve également cette hétérogénéité lorsqu on s intéresse à la prévalence de la dépression. C est ainsi que les auteurs s accordent pour décrire cette prévalence en fonction de la situation des sujets. Il existe des études en population générale, des études en structure de soins et d hébergement et les résultats sont forts différents. En population générale, le taux de prévalence est estimé entre 2 et 3 % pour un épisode dépressif majeur défini selon le DSMIV après 65 ans. Si on s intéresse à la dysphorie, c est-à-dire les épisodes dépressifs moins bien caractérisés, les taux peuvent s élever jusqu à 10 à 15 %. Les études réalisées en médecine générale sont dignes d intérêt car ce sont les médecins généralistes qui voient, plus que les psychiatres, des sujets âgés dépressifs, du fait de leur disponibilité et surtout du regard souvent péjoratif que les sujets âgés portent sur la psychiatrie. Environ 15 à 30 % des personnes âgées qui consultent en médecine générale, présentent des symptômes dépressifs 150

significatifs. C est souvent un trouble somatique qui pousse le sujet à consulter, ce qui rend le diagnostic plus difficile. Chez les sujets institutionnalisés, les auteurs parviennent à repérer un taux de prévalence atteignant les 40 %. Parmi ces sujets, certains présentent des formes de dépression chroniques et sévères (10 %) qui persistent longtemps et peuvent empêcher la résolution de problèmes somatiques concomitants. Globalement, la dépression majeure et les symptômes dépressifs sont plus fréquents chez la femme mais la fréquence de suicide est plus élevée chez l homme. La prévalence du suicide dans la dépression du sujet âgé semble être 4 fois plus élevée que chez le jeune. En effet, les sujets âgés «réussissent» leur suicide dans 54 à 79 % des cas. La dépression constitue un facteur important de mortalité dans les populations âgées institutionnalisées et constitue un facteur de risque pronostique très péjoratif en cas de pathologies associées (infarctus, AVC, fracture de hanche ). II- Facteurs de risque Les causes ou les facteurs de risque de la dépression sont schématiquement de 3 grands types : biologiques, psychologiques et sociaux. La dépression est plus fréquente chez les malades souffrant d affections somatiques graves ou chroniques, en perte d autonomie ou ayant des déficits sensoriels invalidants. Les changements de mode de vie, les séparations, les deuils, la perte des liens et des rôles sociaux et familiaux ou au contraire un rôle nouveau (comme celui qui consiste à assumer son conjoint malade) sont autant de facteurs favorisant les EDA. Les travaux épidémiologiques montrent par ailleurs que les sujets à plus faible niveau de revenu ainsi que ceux de bas niveau culturel sont plus à risque de dépression que les autres. Les études familiales et biologiques suggèrent l éventuelle implication des facteurs génétiques dans la dépression majeure. Toutefois, le terrain familial a un rôle bien moins important chez le sujet âgé par rapport à l adulte jeune. Les modifications d activité et de métabolisme des neurotransmetteurs avec l avance en âge sont également des facteurs de risque de survenue de dépression. Certains traitements peuvent déclencher ou aggraver un état dépressif. Ces formes «iatrogènes» sont parfois difficiles à reconnaître, la symptomatologie pouvant se développer quelques jours après l'initiation comme des semaines plus tard. Les corticoïdes en sont un exemple. Les changements neuroendocriniens semblent également affecter l humeur. En effet, certains travaux mettent en évidence une association positive entre l augmentation de sécrétion du cortisol et la présence d une dépression. Les dysrégulations de l axe thyréotrope peuvent également s associer à des EDA. Citons enfin, la grande fréquence des états dépressifs en péri-ménopause soulignant le rôle du déficit œstrogènique dans l apparition de ce type de symptômes. 151

En résumé, il existe de nombreux facteurs de risque mais l expérience montre que chez les sujets âgés, la dépression est particulièrement fréquente chez les femmes, les sujets célibataires ou veufs, les sujets ayant subi des deuils récents ou des évènements stressants. Il existe donc des facteurs de risque, facilement repérables si on prend la peine de les considérer à leur juste valeur. III- Aspects sémiologiques La dépression est plus difficile à reconnaître chez le sujet âgé du fait des modifications somatiques qui accompagnent le vieillissement, de l intrication fréquente avec les affections somatiques avec l idée qu une anhédonie ou manque de plaisir accompagne inéluctablement la vieillesse. De ce fait, la dépression du sujet âgé sera sous diagnostiquée dans environ 40 % des cas. Toute tristesse n est pas non plus signe de dépression. Les mouvements émotionnels sont fréquents chez le sujet âgé et peuvent être la conséquence du vieillissement physiologique ou des symptômes induits par une affection somatique ou iatrogène fréquente à cette âge. La tristesse ne devient pathologique que lorsqu elle s associe à une perte d intérêt et à un ralentissement et il y a des circonstances comme le deuil par exemple où elle doit être respectée. La perte d intérêt vécue comme désagréable doit attirer l attention, surtout lorsqu elle est disproportionnée par rapport aux aptitudes physiques et cognitives du sujet. L ensemble des signes rencontrés dans la dépression du sujet adulte peuvent se retrouver dans la clinique de la dépression du sujet âgé. Cependant, il faut souligner que la personne âgée a du mal à se reconnaître déprimée et à s en plaindre. Il faut donc s attacher à repérer, outre les symptômes centraux de la dépression qui ne seront pas exprimés, les signes tels que la perte d intérêt, l asthénie et la perte d énergie, la diminution de l appétit, les changements observés au cours du cycle éveilsommeil, le ralentissement psychomoteur et la difficulté à se concentrer, qui devront alerter le médecin. Critères de définition de la dépression majeure et mineure (selon le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders ou DSM-IV) DEPRESSION MAJEURE A- Humeur triste ou perte des intérêts ou des plaisirs depuis plus de 2 semaines Associées à au moins 4 des 7 symptômes suivants : DEPRESSION MINEURE A- Humeur triste ou perte des intérêts ou des plaisirs depuis plus de 2 semaines B- Pas d antécédent de dépression majeure - perte de poids ou perte d appétit Associées à au moins 2 (mais moins de 5) des 7 - insomnie ou hypersomnie symptômes suivants : - agitation ou ralentissement psychomoteur - perte de poids ou perte d appétit - fatigue ou perte d énergie - insomnie ou hypersomnie - sentiments de culpabilité ou d indignité - agitation ou ralentissement psychomoteur - baisse de la concentration - fatigue ou perte d énergie - idées morbides ou suicidaires - sentiments de culpabilité ou d indignité 152

B- Les symptômes retentissent sur les différentes - baisse de la concentration activités sociales ou fonctionnelles - idées morbides ou suicidaires C- Les symptômes ne sont pas dus à l effet direct de C- Les symptômes retentissent sur les différentes certaines substances (drogues, médicaments) activités sociales ou fonctionnelles D- Les symptômes ne sont pas dus à l effet direct de certaines substances (drogues, médicaments) En conclusion, les présentations dépressives sont souvent atypiques: - les plaintes somatiques sont considérées comme un moyen d exprimer le vécu douloureux de la dépression. Ces plaintes sont en général plus fréquentes chez le patient âgé par rapport à l adulte jeune. - les plaintes cognitives, en raison du ralentissement idéomoteur signe de la dépression, sont souvent mises en avant par le patient. Elles constituent un double piège car elles peuvent masquer la dépression et priver le patient d'une prise en charge thérapeutique. Par ailleurs, ces plaintes peuvent être la première manifestation d'une pathologie dégénérative débutante. La dépression peut aussi s exprimer par des troubles anxieux, caractériels ou encore de l'irritabilité, ou impulsivité. Un alcoolisme compulsif récent peut également traduire une dépression débutante. IV- Hétérogénéité des tableaux cliniques Schématiquement, on peut repérer divers tableaux cliniques : A- La dépression masquée C est un tableau fréquent où l absence de l abattement habituel ne permet pas d exclure le diagnostic de dépression. Ce sont alors plutôt des symptômes physiques avec de nombreuses plaintes somatiques qui deviennent prédominantes. Dans ces formes, le déni des sentiments de dépression et une absence de tristesse gênent le diagnostic. B- La dépression anxieuse Les symptômes somatiques et psychiques de l anxiété co-existent avec la dépression. Des études suggèrent que l anxiété est 15 à 20 fois plus fréquente chez les sujets âgés dépressifs. Les rapports entre anxiété et dépression mais aussi maladies somatiques sont complexes. La maladie physique est associée à de l anxiété, l anxiété peut être à l origine des symptômes physiques, enfin, l anxiété grave peut causer un épuisement psychique. L agitation fait partie de ce tableau. Une activité augmentée, le fait de marcher de long en large, de se tordre les mains de manière incessante, ainsi que des insomnies rebelles, sont souvent retrouvées. C- Dépression et hypochondrie Les plaintes somatiques sont fréquentes. Elles sont principalement cardio-vasculaires, urinaires et gastro-intestinales. Ces idées hypocondriaques peuvent parfois prendre une allure délirante, surtout chez le sujet âgé hospitalisé. Cependant, la survenue de la dépression dans un contexte maladie 153

physique concomitante n est pas rare. Cet aspect doit pousser le médecin à la prudence afin d éviter des erreurs diagnostiques. D- La dépression hostile Les sujets âgés dépressifs sont souvent irritables et même parfois agressifs. Ils peuvent s installer dans des attitudes de refus, notamment alimentaire. E- Dépression avec altération cognitive anciennement appelée «pseudo-démentielle» Le terme de pseudo-démence désigne le patient dépressif qui présente une perte apparente de ses facultés cognitives et surtout de la mémoire. La dépression et la démence entretiennent entre-elles des rapports étroits. Il faut se souvenir qu une maladie neuro-dégénérative comme la maladie d Alzheimer, peut se révéler par un syndrome dépressif. Par ailleurs, la dépression est beaucoup plus fréquente chez des sujets âgés déments par rapport à des sujets de même âge non déments. Enfin, tout syndrome dépressif s accompagne d une altération plus ou moins importante des fonctions cognitives telles que l attention, les fonctions exécutives et surtout la mémoire. Une évaluation neuro-psychologique précise est primordiale. F- La dépression avec symptômes psychotiques La présence d idées délirantes ou d hallucinations sensorielles signe la gravité de l épisode dépressif. Ces signes psychotiques peuvent prendre le devant de la scène. A côté des thèmes de culpabilité, d auto-dépréciation ou d incurabilité, il est fréquent de retrouver des idées de type persécutoire, de jalousie ou de préjudice. Le classique syndrome de Cotard ou syndrome de négation d organes dans lequel le sujet est convaincu d un dysfonctionnement majeur de ses organes profonds, qui associe un sentiment de damnation, de nihilisme et d immortalité est fréquent chez le sujet déprimé âgé. L ensemble de ces signes réalise le tableau de mélancolie délirante qui peut s accompagner de signes confusionnels en marge des idées délirantes. Il s agit là d une urgence thérapeutique et cette situation clinique peut être une indication à l éléctro-convulsothérapie. G- Syndrome de glissement Ce tableau clinique est une présentation sémiologique sévère de dépression du sujet âgé. Le sujet âgé ne s exprime pas. On retrouve une altération franche de l état général avec asthénie majeure, perte de l appétit jusqu au refus de nourriture, amaigrissement rapide et déshydratation. Il existe un désinvestissement total de ce qui l entoure. Il n existe pas de tristesse exprimée mais le sujet semble se laisser mourir. Ici aussi, il s agit d une urgence thérapeutique. Une évaluation clinique doit être aussi physique avec un examen somatique approfondi. La réalisation d examens complémentaires peut être aussi utile dans certains cas. Les patients âgés sont extrêmement disposés à des troubles métaboliques et hydro-électrolytiques secondaires aux effets d une dépression sévère, comme par exemple une déshydratation. 154

V- Evaluation du patient dépressif A l heure actuelle, il n existe encore aucun consensus concernant les procédures à utiliser pour dépister la dépression chez le sujet âgé. Il existe un instrument très souvent utilisé qui est une échelle à 30 items destinés à l auto-évaluation et qui est peut être ramenée à 15 items sans rien perdre de sa sensibilité. Il s agit de la Geriatric Depression Scale (GDS) (Annexe 1) Certains auteurs ont suggéré l utilisation de 4 items de cette échelle afin que des médecins généralistes ou des infirmières, intervenant au domicile, puissent dépister un syndrome dépressif. Ces 4 items sont les suivants : - êtes vous fondamentalement satisfait de votre vie?, - considérez-vous que votre vie est vide?, - redoutez-vous que quelque chose de mauvais vous arrive?, - vous sentez-vous heureux la plupart du temps?. Cette échelle à 4 items constitue un bon point de départ et peut être complétée par une liste de facteurs prédisposants : le patient a-t-il des antécédents de dépression?. Le patient est-il isolé socialement?, le patient souffre t-il de problèmes de santé chroniques?, a-t-il subi récemment un deuil? L histoire clinique est l aspect le plus important de l évaluation. Il existe 7 points principaux qu il convient d envisager dans tous les cas : - anamnèse familiale : antécédents familiaux de dépression ou d autres maladies psychiatriques, - antécédents psychiatriques personnels : le patient a-t-il des antécédents documentés?, a-t-il des antécédents d alcoolisme ou de toxicomanie?, y a-t-il eu précédemment des traitements psychotropes prescrits?, dans le cadre d antécédents de dépression, quels ont été les traitements efficaces? - personnalité : comment le patient fonctionne-t-il sur le plan de la personnalité lorsqu il est non déprimé?. Des informations sur cet aspect devraient être recueillies auprès d une personne proche du patient. - antécédents sociaux : quel est le niveau de fonctionnement optimal du patient?, vit-il seul?, sort-il, bénéficie-t-il d une aide à domicile?, - suicide : le patient présente-t-il un risque de suicide?, a-t-il commis plusieurs tentatives de suicides? - troubles somatiques : le patient présente-t-il des troubles somatiques?, quels médicaments prend-il au quotidien?. - évolution du symptôme dépressif : depuis quand la symptomatologie évolue-t-elle?, quelle a été sa rapidité d installation?. 155

L évaluation cognitive, même si elle va être fortement perturbée par la symptomatologie dépressive, doit être réalisée et ce avec des instruments simples. Pour cela, pourra être utilisé le «Mini-Mental State Examination» (MMSE) qui donnera un point de repère avant de débuter le traitement antidépresseur. S il existe une altération cognitive, celle-ci devra s améliorer avec le traitement si le sujet ne présente pas de pathologie neuro-dégénérative. Par ailleurs, il faut savoir qu un sujet âgé présentant des signes d altération cognitive aura 4 fois plus de risque de présenter une maladie d Alzheimer quelques années après comparé à un sujet âgé déprimé chez qui les fonctions cognitives sont préservées. VI- Evolution La fragilité du sujet âgé déprimé est sans conteste. Même après la résolution de l épisode dépressif, ces sujets restent à risque soit de rechute, soit de complications somatiques. Le taux de mortalité a été évalué à 15 %. La mortalité peut déprendre des complications immédiates des épisodes dépressifs (décubitus, dénutrition) mais survient également plusieurs années après du fait du mauvais état physique des sujets. Le pronostic de la dépression dépend de la sévérité du trouble. L évolution peut se faire vers sa guérison complète sans rechute, mais un taux important de patients présente des rechutes de la maladie et ce, au cours de la première année. Une proportion non négligeable de déprimés (environ 10 %), présenteront une évolution chronique avec persistance d une symptomatologie dépressive invalidante. Enfin, soulignons que la dépression du sujet âgé en elle-même reste un facteur de risque de démence non négligeable. VII- Traitements La prise en charge du sujet âgé déprimé est en premier lieu une prise en charge globale. Elle doit s intéresser aux facteurs environnementaux ayant favorisés le syndrome dépressif mais aussi aux pathologies somatiques associées ainsi qu à la personnalité antérieure du sujet. Outre les thérapeutiques pharmacologiques représentées par la prescription des psychotropes, notamment des médicaments antidépresseurs, il ne faut pas oublier que les sujet âgé répond à la psychothérapie et que l âge n est pas en lui-même une contre-indication. A- Traitements pharmacologiques Les sujets âgés sont de grands consommateurs de psychotropes. La consommation moyenne en institution est plus élevée qu à domicile. Les benzodiazépines seront plus prescrites en ambulatoire alors que c est le neuroleptique qui arrive en tête des prescriptions dans les structures médicales. Dans une étude récente réalisée dans les maisons de retraite en France, sur 2510 patients, les auteurs ont relevé que 69 % des résidents prenaient un traitement psychotrope. Les indications sont parfois mal 156

respectées ainsi que les contre-indications et malgré la tolérance meilleure des nouveaux antidépresseurs par rapport aux tricycliques, la dépression du sujet âgé est encore sous-traitée. Le vieillissement s accompagne d une modification de la pharmacocinétique des médicaments par une résorption digestive parfois réduite, par un effet de premier passage hépatique, par une réduction de l excrétion hépatique, de l élimination rénale ou de la fixation protéique. Ces remarques générales doivent susciter un comportement de prudence chez le prescripteur et il faut se souvenir que dans la plupart des cas, les posologies doivent être diminuées ainsi que fractionnées dans la prise. La polypathologie entraînant la polymédicamentation est un facteur limitant dans la prescription de psychotropes et le patient risque souvent des interactions médicamenteuses. Le taux des effets secondaires serait aussi plus important chez le sujet âgé. Les iatrogénies les plus souvent rencontrées sont : -la confusion -le déclin cognitif du fait des effets des psychotropes sur les fonctions cognitives, -le syndrome parkinsonien retrouvé avec la prescription de neuroleptiques mais aussi avec les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine qui peuvent être à l origine d un syndrome extra-pyramidal, -les chutes, -l hypotension, -les effets cardio-vasculaires avec les troubles de la conduction, et enfin, -les hyponatrémies car il existe un risque de survenue d un syndrome de sécrétion inappropriée de l hormone anti-diurétique lors de la prise d un inhibiteur de la recapture de la sérotonine. Toute prescription d un traitement pharmacologique repose bien évidemment sur l établissement d un diagnostic clinique fiable. Par ailleurs, la compliance médicamenteuse des personnes âgées est un problème très fréquent. Ce dernier oblige à une information médicale du patient et de son entourage sur sa dépression et son traitement qui reste une condition indispensable à la réussite du traitement. Une fois que le traitement antidépresseur est prescrit, la durée du traitement est en fait liée à la prévention des récurrence lorsqu il a été efficace sur des épisodes aigus. Il a été montré que la poursuite des antidépresseurs permettrait une prévention significativement plus grande contre les récurrences que le placebo. En règle générale, le traitement doit être maintenu 6 mois après guérison du premier épisode et 12 mois à 2 ans après le second. Il faut souligner que l adage «start low, go slow» «débuter à petite dose, augmenter lentement» est particulièrement adapté à la conduite d un traitement antidépresseur chez le sujet âgé. Ces précautions permettent, en débutant à des posologies basses, d éviter les effets secondaires rencontrés en début de traitement et en augmentant par de petits paliers, permet d éviter des modifications trop brutales de taux sériques responsables très souvent de iatrogénies. 157

Devant l existence de modifications importantes dans la pharmacocinétique, ainsi que l existence d une poly-médicamentation une autre règle est celle de la surveillance du taux sérique des antidépresseurs qui doit être de pratique plus répandue chez le sujet âgé. Devant l inefficacité d un traitement bien conduit, cette pratique permettra d expliquer la plupart des situations par la découverte d un taux sérique trop bas, mais elle permettra d expliquer aussi l apparition d effets secondaires inattendus dans les cas d accumulation du produit. Les stratégies thérapeutiques sont guidées par la tolérance des produits disponibles. En premier lieu, il s agira de prescrire les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine qui sont en règle générale bien tolérés et souvent efficaces sur les symptômes dépressifs. L effet ne sera pas immédiat et est souvent retardé par rapport aux délais retrouvés chez l adulte. Il faudrait donc savoir patienter au moins un mois avant de juger un traitement inefficace et d augmenter la posologie. Les changements de molécule pour inefficacité doivent être guidés par un raisonnement clinique cohérent et attentif en essayant d éliminer toutes les causes d inefficacité comme la non observance avant de déclarer le trouble résistant à la molécule. Les antidépresseurs imipraminiques sont prescrits en deuxième intention, du fait de leurs effets secondaires non négligeables. Ils seraient pour certaines auteurs plus efficaces dans les dépressions résistantes que les antidépresseurs sérotoninergiques. B- Elecroconvulsothérapie (ou sismothérapie ou ECT) L ECT est un traitement auquel il faut avoir recours dans la dépression du sujet âgé résistante. Les modes d action restent inconnu mais leur efficacité demeure sans conteste. Les indications chez le sujet âgé sont le syndrome dépressif avec troubles délirants, les formes «pseudodémentielles» et la présence de contre-indications aux antidépresseurs ou la mauvaise tolérance à ces derniers. Les effets secondaires restent très modérés et les contre-indications se limiteraient à celles de l anesthésie. Cette technique supporte encore une image très négative tant de l opinion publique que chez les médecins, pourtant le taux de mortalité serait compris entre 1 cas sur 10 000 ou 50 000, ce qui en ferait un des traitements médicaux sous anesthésie les plus sûrs. C- Approches psychologiques La sollicitation du patient à une plus grande participation familiale et sociale n est pas à négliger (activité physique, club de troisième âge ). La psychothérapie (thérapie de soutien, thérapie cognitive) peut jouer un rôle important dans la prise en charge de la dépression. Toutefois, l expérience montre que cette approche est rarement mise en place chez le sujet âgé. 158

VIII- Conclusion La personne âgée peut se déprimer. Le reconnaître cliniquement n est pas chose aisée du fait d une symptomatologie souvent spécifique mais aussi parce que tristesse et ralentissement psychomoteur sont trop souvent compris comme simple conséquence de l avancée en âge. La dépression du sujet peut être une situation médicale grave qui engage le pronostic vital du sujet et un traitement adapté doit toujours être discuté, parfois en hospitalisation. Au traitement pharmacologiquee doit s associer une prise en charge globale, psychothérapeutique et sociale. 159

Annexe 1 : La Geriatric Depression Scale ou GDS 1. Etes-vous satisfait de votre vie? / NON 2. Avez-vous renoncé à un grand nombre d'activités? OUI / 3. Vous ennuyez-vous souvent? OUI / 4. Etes-vous de bonne humeur la plupart du temps? / NON 5. Avez-vous peur que quelques chose de mauvais vous arrive? OUI / 6. Etes-vous heureux la plupart du temps? / NON 7. Avez-vous le sentiment d'être désormais faible? OUI / 8. Préférez-vous rester seul dans votre chambre, plûtot que de sortir? OUI / 9. Pensez-vous que votre mémoire est plus mauvaise que celle de la plupart des gens? OUI / 10. Pensez-vous qu'il est merveilleux de vivre à notre époque? / NON 11. Vous sentez-vous une personne sans valeur actuellement? OUI / 12. Avez-vous beaucoup d'énergie? / NON 13. Pensez-vous que votre situation actuelle est désespérée? OUI / 14. Pensez-vous que la situation des autres est meilleure que la votre? OUI / SCORE:. / 15 (1 point pour les caractères en gras) Normal: 3 + 2 Moyennement déprimé: 7 + 3 Très déprimé: 12 + 2 160