Yves Héroux : un parcours atypique (Entretien de Jacques Hamelin avec Yves Héroux)

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1 Yves Héroux : un parcours atypique (Entretien de Jacques Hamelin avec Yves Héroux) Votre lieu de naissance? Mascouche, non loin de Terrebonne en banlieue Nord-Est de Montréal. Mes parents y ont toujours habité et ils sont toujours là. Mon frère Alain y est retourné et habite le même coin depuis 28 ans. Même chose pour ma sœur. A quel moment avez-vous commencé à patiner? Je me souviens qu'à l'âge de 4-5 ans mon père avait aménagé une patinoire derrière chez-moi. Puis ce fut à l'école, notamment à l'école St-Louis qu il y avait une patinoire extérieurs et lorsque j'ai joint une petite ligue locale, mon père nous amenait à l'assomption aux petites heures du matin. Il faisait encore noir. L'aréna de Terrebonne a finalement été inauguré alors que j'avais 7 ou 8 ans. Vous aviez d'autres loisirs? Pratiquiez d'autres sports? Je jouais au baseball durant l'été mais je recommençais le hockey dès le mois d'août. J'ai cessé de jouer au baseball vers l'âge de 14 ans pour me consacrer au hockey bien que je jouais parfois au tennis et au golf Vous aviez un bon support de vos parents? Mon père était un homme assez occupé mais il nous supportait et nous transportait à gauche et à droite quand il le fallait. Mais il m'a aussi initié au golf et au tennis. Vos activités sportives, c'était une affaire de chums ou si c'est rapidement devenu une affaire d'équipes? Au début le sport était surtout une activité entre amis, le golf entre autres. Nous partions à bicyclette avec nos sacs pour aller jouer de l'autre côté de la rivière (des Milles Iles), on jouait au tennis aussi.

2 Aucun problème de concilier études et sports? Non. J'ai fait mon primaire à l'école St-Louis puis mon secondaire au collège (privé) Saint-Sacrement dans le Vieux-Terrebonne. A quel moment avez-vous été «accroché» au hockey? A l'âge de ans, tous les jeunes jouent au hockey et tu ne penses pas vraiment à autre chose que jouer. Évidemment, il arrivait à tout le monde de penser un peu plus loin mais on n y pensait pas trop. Vers l âge de 14 ans, tu te mets à évaluer les performances de l'un et de l'autre et tu te dis que peut-être que celui-ci ou celui-là aurait le talent ou des chances d'être éventuellement repêché c'est sûr que tu rêves toujours de jouer dans la LNH, moi je ne faisais pas exception tous mes chums c'était pareil. J'aimais beaucoup le sport. Parfois, après une pratique, il m'arrivait de revenir chez moi et de retourner patiner. Vers l âge de 15 ans, je jouais Midget 3 et là, Oups, je me fais repêcher au Junior. Parfois ça vient vite Il faut dire aussi qu'à l'époque, la question du repêchage n'était pas aussi structurée que maintenant tout à coup, tu arrivais au «draf»' sans trop savoir ce qui se passerait ensuite Est quand même venu un moment où vous avec choisi le hockey plutôt que d'être comptable ou ingénieur Ça s'est passé au moment où mon frère Alain est allé jouer à Chicoutimi. La rumeur voulait qu'il passe dans les grosses ligues. Moi je jouais Midget 3 et là je me suis mis à penser plus loin et finalement je me suis retrouvé au Junior. Avant ça, tu en rêve sans y penser à tous les jours mais vient un moment où tu y songe sérieusement Deux aspirants pros dans la même famille, c'est une bonne moyenne D'où venaient les supports et encouragements? Coach? Famille? Mon premier coach a été mon père. Quand tu commences un sport, il est important de bien apprendre, de la bonne manière et c'est lui qui m'a donné les bases pour bien jouer. Les techniques au début, le respect des règlements. C'est à ce moment-là que tu formes ton caractère. Puis quand je suis passé au Bantam ce sont mes coachs qui ont continué. J'ai eu d'assez bons instructeurs quand j'étais à Terrebonne. Au Junior, c'était bien aussi. Certains étaient selon moi moins bons. Au professionnel, j'en ai connu de tous les genres

3 Donc vers 15 ou 16 ans, vous avez commencé à voir le potentiel d'une carrière... Bien quand mon frère jouait Junior et était sur le point de se faire repêcher, les agents commencent à se pointer à la maison. Tu te dis que ça devient possible. J'ai dit à mon père que moi je n'étais pas pressé mais mon frère rencontraient des agents. Il était sur le point d'avoir 18 ans, moi 17. On jouait tous les deux Juniors et lui semblait être sur le point d'être repêché alors là c'est devenu plus sérieux pour moi aussi. C'est là que tu regardes les autres jouer et tu te mets à évaluer leur jeu pour voir lesquels auraient le plus de chances. Puis, sans qu'on le sache, il y a des éclaireurs qui viennent à chacune des parties. Votre entraînement était structuré? En 1983, c'était très différent d'aujourd'hui. Tu devais t'occuper de ton propre entraînement. A Montréal, un type me conseillait pour le genre d'équipements et on pouvait jouer avec des gars professionnels tous les jours si on voulait pendant quelques semaines. Puis j'allais m'entraîner au Nautilus, je faisais du jogging, montait des côtes ou des estrades à la course, des sprints de secondes comme au hockey Ça prenait beaucoup d'autodiscipline Ce n'est plus pareil aujourd'hui mais à l'époque tu étais «on your own». Quand je suis arrivé à Québec, j'ai passé des tests. Les vétérans eux arrivaient souvent plus ou moins en «shape». Moi je faisais beaucoup de vélo au Nautilus et je voulais me renforcir pour être prêt. Les choses ont alors commencé à bouger Tu as droit de jouer Junior jusqu'à l âge de 20 ans. Moi j'ai été repêché à 18 ans par les Nordiques. A 20 ans, comme je n'avais pas joint la Ligne nationale, je pouvais joindre la ligue américaine. Je dois dire que quelques semaines après avoir été repêché par Québec, ils ont découvert que j'avais une mononucléose. J'ai donc interrompu mon entraînement pendant quelques semaines et je suis ensuite retourné à Chicoutimi. Mais je n'ai jamais joué avec les Nordiques. Il y avait alors les Peter Statsny, Michel Goulet, Dale Hunter, Mario Marois, Bergeron était l'entraîneur Les Nordiques étaient alors très solides et c'était difficile de percer. Peu de recrues ont été capables de joindre l'enlignement.

4 Un peu de frustrations? Un peu par moments. Quand je suis allé à Fredericton, on cohabitait avec les Canucks de Vancouver, on était presqu'une trentaine et moi je ne jouais pas. Le coach avait comme des préférences et bien que je venais tout juste d'être coupé de la Ligne nationale et que je pouvais donc prétendre être un assez bon joueur, ça ne passait pas. A ma 3 e année professionnelle ils m'ont envoyé à Baltimore. Je ne m'entendais pas vraiment avec le coach. Il m'a dit OK, on va racheter ton contrat tu peux retourner à la maison. J'ai donc pris un genre de 6 mois sabbatique pour réévaluer ma situation. Ça n'allait pas à mon goût. Soit je ne jouais pas, soit je jouais sur la 4 e ligne. Quand je jouais, ça n'allait pas trop mal mais là, Oups! Je retournais sur la 3 e ou 4 e ligne. Bref, après un moment, j'ai décidé de prendre un «break» et j'envisageais de laisser tomber. C'est là que j'ai rencontré quelqu'un Don Waddell lors du mariage d'un ami aux États- Unis. C'est là que l'option ligue internationale m'a été présentée. Après un peu d'hésitation, j'y suis allé et c'est là que j'ai connu l'une de mes meilleures saisons. J'ai repris goût au jeu. Cela a comme redémarré ma carrière. J'avais 22 ans. L'année suivante j'ai joué pour Équipe Canada et à 24 ans, j'ai signé avec St-Louis dans les ligues mineures puis à Dallas et j'ai fait de très bonnes années. Avec une moyenne de buts par année, j'avais toujours espoir d'aller plus loin mais ce n'est jamais arrivé. Alors à ans, j'ai profité du fait que mon épouse soit retournée aux études pour jouer une dernière année aux États-Unis (Atlanta) avec l'intention d'aller ensuite travailler en Europe. Je savais que mes chances de faire la Ligne nationale à 30 ans étaient assez minces et ma décision a été d'aller jouer en Europe pour 5 ans. A votre âge, certains auraient peut-être décidé d'accrocher leurs patins de faire autre chose J'aurais pu mais l'idée de travailler en Europe me semblait intéressante et j'y pensais depuis un moment. Ton revenu est net d'impôt, on te fournit un appartement, une auto, le salaire est très intéressant et je n'avais jamais vraiment songé à faire autre chose que de jouer au hockey, du moins pour les 5 années suivantes. A mon retour aux États-Unis, j'aurais sans doute pu revenir dans les ligues mineures mais à 35 ans, les voyages en autobus peuvent être pénibles, surtout quand tu dois dormir dans ton siège pour te déplacer et jouer le lendemain dans une autre ville. Nous venions aussi d'avoir une petite fille.

5 En Europe, nous avions un «beat» très relaxe. D'abord il y avait beaucoup moins de joutes au calendrier. Dans certaines équipes, tu jouais le mardi et le samedi. Pas de virée épuisante de 10 jours. Si tu jouais ailleurs, tu revenais ensuite chez-toi et avais du temps libre. La qualité de vie était meilleure. Ici aux US, tu jouais parfois trois parties en trois soirs... Mais en Europe aussi vous avez beaucoup déménagé J'ai d'abord joué en Autriche. Je ne connaissais rien de l'europe. Je ne connaissais que deux autres joueurs. Nous étions 5 canadiens là-bas et ça facilitait la transition. J'ai ensuite joué en Allemagne dans deux villes différentes dont une dans la Forêt Noire. Une superbe expérience. On était 14 canadiens dans ce club. De retour en Autriche, nous avons rencontré un pépin. Le président du Club avait fait de mauvais investissements si bien que le club a fait faillite. J'ai terminé cette saison en Slovénie, non loin de là. J'ai beaucoup aimé cette région-là. La dernière année, j'ai été joué non loin de Glasgow, en Ecosse, un paradis pour les golfeurs. L'année suivante, mon agent m'a proposé la Suisse mais finalement, il y avait trop d'étrangers dans la liste alors je suis revenu au New Jersey d'où est originaire mon épouse. Justement, il devait être beaucoup plus facile en Europe de gérer une vie de famille Beaucoup. Beaucoup. Souvent on ne jouait que deux soirs par semaine. Les déplacements ne dépassaient jamais les 24 heures. On pratiquait le matin et le reste de la journée était libre. Presque tous les jours nous allions faire le marché car les frigos étaient minuscules. L'ambiance dans un stade de la Forêt Noire devait sans doute être très différente que lors d'une joute à Chicoutimi? Rien à voir. J'ai des vidéos montrant bien que durant les joutes, c'est la fête de bout en bout. Ça chante sans arrêt, ça danse, ça joue du tambour. Des amis sont venus me voir et n'en revenaient pas. On voit ça aussi au soccer. C'est très festif. Surtout en Allemagne. Et ça se passe dans des arénas qui ont entre 5000 et sièges. Il y a beaucoup de ligues en Europe? Chaque pays a la sienne. En Allemagne c'était la DEL (Deutch Elite League) et c'était selon moi la meilleure ligne après la LNH. Beaucoup de Nord-Américains préféraient aller jouer là que dans les mineures aux US. Les joueurs gagnaient entre 150 et 250,000$ et préféraient ça aux ,000 payés aux États-Unis. Et la ligue

6 allemande n'avait pas de quotas de nationalités. Dans mon ca,s les choses étaient facilitées du fait que mon épouse a un passeport Irlandais (de ses grands-parents) et qu'après un an j'étais devenu un joueur «européen». Je n'étais plus un «importé». Jamais le ''mal du pays''? Pas vraiment, sauf vers la fin. Lorsqu'on venait ici, on passait du temps à notre condo à Terrebonne mais aussi au New Jersey. Et lorsque mon épouse a complété sa maitrise, ça se passait plus souvent au NJ où je commençais à faire des affaires. Et j'aime bien la région de Middletown (Une heure de NY) Vous aviez un Plan B à votre retour? Pas du tout. Lorsque je suis revenu, je suis allé travailler au terrain de golf qui m'embauchait tous les étés lorsque nous étions en Europe. J'ai été travaillé à NY pendant un an comme représentant pour une compagnie d'imprimerie mais les heures étaient longues, les déplacements vers la ville laborieux et je n'aimais pas tellement la job. C'est alors que j'ai donné suite aux demandes répétées d'un propriétaire d'aréna à Middletown qui m'offrait d'animer ses installations, de les rentabiliser en quelque sorte. Donc le retour s'est fait en douce et sans regrets? La première année a été plus difficile. Je manquais l'esprit-de-corps et de famille qui règne dans une équipe. Les retrouver le matin pour l'entraînement était bien. Luncher avec eux ou sortir avec eux et leurs compagnes le soir m'a manqué un peu. Et je ne retournais pas avec mes chums à Terrebonne mais bien dans le milieu familial et social de mon épouse. Et vos activités principales depuis votre retour? On m'a offert un poste de directeur de hockey ici, un poste que j'occupe depuis 12 ans. Je suis en charge des programmes d'entraînement et des horaires. Quand j'ai débuté, j'avais huit équipes à superviser. J'en ai maintenant 18! Je n'ai plus assez de temps de glace que faire mieux. Je suis aussi le coach de 3 clubs qu'ils appellent «travel teams» et mon fils fait partie d'une de ces équipes. Je dois superviser le travail des employés de l'aréna: paperasse, schedules, booking les tournois, les hôtels c'est beaucoup de travail. Je n'arrête pas. Je donne aussi des cours privés, presque tous les jours Quand on a des «try-out», ça aussi c'est du sport. Cette année, nous avions 360 joueurs. Je les connais tous et il faut aussi entrer en relation avec leurs parents Bref, j'ai intérêt à me faire des mémos pour ne rien oublier.

7 Et vous dites être associés à un aréna privé? Exact. Différent de ce qu'on retrouve au Canada. Ici, un homme d'affaires a fait l'acquisition d'un édifice qui appartenait à l'armée. Il a été aménagé en aréna et c'est magnifique. Une petite et une grande patinoire peuvent être utilisées. C'est douze mois par année, sept jours par semaine. Vous avez travaillé au Canada et aux US. Avez-vous noté des différences culturelles fondamentales entre les joueurs Canadiens et Américains? Pour donner un exemple, mon fils vient de participer à un tournoi à Edmonton qui rassemble des équipes du Canada et des États-Unis. La plus grosse différence que j'ai vue c'est que les jeunes joueurs canadiens sont plus «hockey savy». Leur façon de cerner le jeu est plus «sharp». Ça semble plus naturel pour eux. Au Canada, même au milieu de l'été, quand tu regardes RDS ou TSN, il y aura toujours une référence au hockey. Ici, ce sera le football, le basketball et le baseball presque «non-stop». Alors leur façon d'aborder le jeu est un peu différente. Ils ont du talent, c'est certain. Mais l'apprentissage ne se fait pas aussi rapidement. Les Canadiens sont nés avec ce jeu. Et les meilleurs athlètes, c'est au hockey qu'ils se distinguent. Dans le Journal de Montréal, tu as 5-6 pages sur le hockey, même durant l'été. Pas ici. Qu'en est-il des équipements? Les ligues universitaires préconisent plus de «protection» par exemple. Au final, y a-t-il des différences dans le jeu? Les équipements sont à peu près les mêmes. Je sais qu'au Québec il y a un protège-cou. Ici ce n'est pas obligatoire. C'est vrai que les universitaires portent une grille. Mais pour le reste, en fait d'équipements de protection, ce n'est pas tellement différent. Qu'en est-il de l'avenir du hockey aux États-Unis? Ce ne sera jamais aussi populaire que le football. Ça c'est sacré. Les jours de Super Bowl, tu peux circuler à peu près partout dans les villes américaines et c'est aussi tranquille que le matin de Noël. Je dois en tenir compte dans la préparation de mes horaires à l'aréna. Le hockey sera toujours le 4 e sport en importance aux États-Unis. Tu as 50 états qui jouent au football, 50 états qui jouent au baseball, 50 États qui jouent au basketball. Tant qu'il n'y aura que quelques états qui joueront au hockey, ce sera comme ça. Puis c'est certain que la température y est pour quelque chose. A Phoenix par exemple, il fait parfois degrés Par contre, de plus en plus de jeunes joueurs sortent de la Californie, de la Floride, du New Jersey alors qu'auparavant, c'était à peu près seulement du Minnesota, Wisconsin, Michigan, ou du Massachusetts.

8 Avant que je m'entretienne avec lui, pourriez-vous me parler de votre frère Alain? Si Alain et moi étions repêchés aujourd'hui, on nous offrirait toutes les chances de nous qualifier pour la Ligne nationale. Question de rentabiliser l'investissement. A l'époque, il y a 30 ans, les investissements n'étaient pas aussi importants. Les vétérans jouaient avant les recrues et à moins d'être une recrue «super hot», tu attendais ton tour et le plus souvent, ça ne venait pas. Après que mon frère se soit fait repêcher par Irving Grundman du Canadien, Serge Savard est arrivé il a tout changé le système d'entraînement et de dépisteurs, comme s'il voulait recommencer à neuf et repartir avec des joueurs que LUI avait repêché. Une année, les choses n'ont pas très bien été pour Alain et on a alors décidé qu'il serait préférable qu'il aille jouer ailleurs. Il s'est retrouvé à Pittsburg au camp d'entraînement et il n'a pas beaucoup aimé comment les choses se passaient. Et si tu penses aux joueurs qui s'étaient fait repêcher avec Alain, il n'y en a pas beaucoup qui ont fait la Ligne nationale. On lui a donc offert une job de représentant et aujourd'hui il travaille pour une compagnie de portes et fenêtres et il est très heureux....