Henri de Castries. Entretien avec. président d AXA MÉCÉNAT

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1 MÉCÉNAT Entretien avec Henri de Castries président d AXA Benoît Linero Héritier d une longue tradition de mécénat dans le domaine culturel, AXA est à l origine de l acquisition de nombreux trésors nationaux dans les collections publiques françaises. Entretien avec Henri de Castries, son président-directeur-général, collectionneur et passionné d art. Propos recueillis par Jeanne Faton AXA a consacré près de 50 millions d euros ces dix dernières années à la sauvegarde du patrimoine français. Êtes-vous numéro un en ce qui concerne le mécénat du patrimoine? En matière de préservation du patrimoine et de tableaux, je pense qu AXA est l un des principaux mécènes, ce qui ne veut pas dire qu il n y ait pas d autres entreprises majeures dans ce domaine. Total est également un grand mécène, notamment au Louvre ; Vinci a fait aussi des choses importantes et il y en a d autres. Cela montre que les grandes entreprises sont conscientes de l importance qu il y a à préserver le patrimoine ; cette préservation fait partie de la marque France et est utile socialement et économiquement. Parce qu avec AXA Art notre groupe est le premier assureur mondial d œuvres d art, nous avons sans doute une conscience un peu plus aiguë et plus ancienne de cette nécessité, mais nous ne sommes pas les seuls. Ne pensez-vous pas que le mécénat culturel d entreprise en France, c est d abord l engagement d un grand patron plutôt que le fruit d une tradition culturelle? Non, du moins pas dans notre groupe. Évidemment, si le dirigeant y est tout à fait hostile, c est difficile, mais chez AXA, le mécénat L hôtel de la Vaupalière vu depuis le jardin. Axa culturel s articule dans une politique tout à fait consciente, qui participe de la politique de responsabilité d entreprise du groupe et dont la conduite ne dépend pas d une décision isolée du dirigeant. C est une réflexion de l ensemble des équipes sur la légitimité des domaines dans lesquels l entreprise peut s investir au-delà de sa fonction économique. Nous sommes assureurs ; notre métier est de protéger sur le long terme, en particulier les biens et donc le patrimoine. Le fait que nous soyons le principal assureur mondial d objets d art renforce notre conscience de la nécessité de préserver le patrimoine et de l importance que ce dernier peut jouer dans l identité d une société. Claude Bébéar a joué un grand rôle dans le mécénat d AXA, notamment dans l ameublement de l hôtel de la Vaupalière. Est-ce lui qui a donné une impulsion décisive au mécénat d AXA dans le domaine du patrimoine? Ce mécénat existe depuis longtemps au sein du groupe. Jacques Friedmann à l UAP s était intéressé de très près au musée des Arts Premiers ; quand nous avons repris Winterthur en Suisse en 2006, cette compagnie avait aussi une politique assez active en matière de mécénat et d objets d art. L engagement de Claude Bébéar a naturellement été très important, avec un certain nombre d actions assez symboliques comme l hôtel de la Vaupalière qui est une 46 SEPTEMBRE 2014

2 Nicolas Poussin ( ), La Fuite en Égypte, Huile sur toile, 97 x 133 cm. Trésor national acquis pour le musée des Beaux-Arts de Lyon grâce au mécénat du groupe AXA en DR L attribution de ce tableau, peint en 1657 pour le marchand lyonnais Serisier, fut longtemps débattue : elle fut d abord considérée comme une œuvre de l école de Poussin, puis son authenticité fut reconnue grâce au travail de deux marchands, les frères Pardo. Après de nombreux rebondissements, l œuvre finit par entrer dans les collections du musée des Beaux-Arts de Lyon. formidable réussite. Mais lors d une discussion récente, quelqu un m a fait remarquer qu AXA était le principal actionnaire de la Société des manuscrits. La Société des manuscrits a été créée dans les années 1970 par les assureurs qui achetaient des manuscrits que la Bibliothèque nationale n avait pas les moyens d acquérir. Donc le mécénat n est ni une lubie des patrons, ni un engagement récent. Comment se répartit le mécénat d AXA? Vous avez beaucoup aidé le Louvre dans ses acquisitions... et moins contribué à la restauration d œuvres d art, comme le fait BNP Paribas, par exemple. Le mécénat culturel ne constitue qu une partie de notre politique de mécénat de groupe. Nous avons aussi une politique de mécénat scientifique et social. Avec le Fonds AXA pour la Recherche, nous consacrons 20 millions d euros par an à la recherche fondamentale sur des thèmes proches de nos métiers. Le mécénat social porte soit sur l éducation, soit sur les risques, soit sur les publics défavorisés. Notre mécénat culturel consiste ensuite essentiellement à aider un certain nombre de musées, en leur permettant de conserver ou d acquérir des œuvres qu ils ne pourraient ni conserver ni acquérir seuls. Le Louvre, même s il a fait très souvent l objet d opérations spectaculaires, n est pas le seul concerné. Nous avons contribué à l achat de La Fuite en Égypte de Poussin pour le musée des Beaux-Arts de Lyon ; du pavement de faïence du château de Polisy pour le musée d Écouen ; d une statue dogon pour le musée du Quai Branly ; du vase offert par la reine de Prusse à Joséphine pour le musée national des châteaux de Malmaison et Bois-Préau ; d un certain nombre d œuvres à Chantilly... Notre politique porte essentiellement sur l acquisition de pièces exceptionnelles classées sur les listes des trésors nationaux, et vous voyez qu il y a beaucoup d actions en faveur des musées de province. Mais nous avons aussi aidé ponctuellement à la restauration d œuvres, au musée Jacquemart-André par exemple, ou au Louvre, avec Le Christ de Pitié soutenu par saint Jean de Malouel qui a ainsi fait l objet d une restauration absolument remarquable (voir EOA n 477, p. 46). Enfin, notre filiale AXA Art finance également la recherche pour améliorer la conservation des œuvres contemporaines, comme la photographie. Quel est le budget que vous consacrez à ce mécénat culturel? Lui allouez-vous une somme définie? Nous ne nous fixons ni objectif, ni budget, puisque les trésors nationaux que nous aidons les musées à acquérir dans le cadre de notre mécénat culturel sont par définition des œuvres exceptionnelles, dont on ne peut prévoir l arrivée sur le marché. Mais comme vous l avez souligné, l engagement d AXA sur les dix dernières années atteint près de 50 millions d euros! Ce mécénat porte surtout sur l art patrimonial, classique, et très peu sur l art contemporain. Pourquoi? C est vrai que notre politique est davantage tournée vers l art patrimonial, car le métier d un assureur c est d aider à la conservation. Si certaines filiales du groupe, comme en Allemagne et aux États-Unis, ont plus investi dans l art moderne et contemporain, nous sommes moins actifs dans l art contemporain en France, même si nous avons fait quelques très belles opérations. Par exemple, au moment de la construction de la tour de l arche de la Défense, nous avons organisé un concours pour que des artistes puissent accrocher des toiles à chacun des étages. Dans ce cadre, nous avons financé des œuvres qui sont ici aujourd hui, comme un Sam Francis ou un Jean-Paul Riopelle. Ce sont des œuvres contemporaines que nous avons achetées. Et j invite vos lecteurs à Le mécénat n est ni une lubie des patrons, ni un engagement récent. SEPTEMBRE

3 passer devant la façade du siège du groupe avenue Matignon à Paris, qui accueille actuellement une œuvre de street art produite par le grapheur Kongo une fresque de 37 mètres de long! AXA est-il aussi actif pour les musées étrangers? Tout à fait. Jean-Laurent Granier, directeur de la région Méditerranée et Amérique Latine ainsi que des activités d assurance dommages, siège au conseil d administration du Prado que nous soutenons beaucoup. En Allemagne, AXA a une politique très active en faveur de l art contemporain, et nous avons des collections importantes dans ce domaine. Aux États-Unis, nous avons réalisé une opération extrêmement importante avec le Metropolitan auquel nous avons remis des tableaux de Thomas Benton, qui est le peintre majeur de la Grande Dépression des années Ces tableaux, achetés par le groupe il y a quinze ou vingt ans, sont uniques dans l histoire de la peinture américaine. Dans chacune de nos filiales, il y a des politiques très anciennes d acquisition et de conservation, en écho à notre métier d assureur. C est encore la raison pour laquelle notre filiale américaine avait récupéré des collections historiquement intéressantes pour les États-Unis, celles de la chambre de commerce de New York. On peut être fier lorsqu on dresse la liste des œuvres dont nous avons contribué au maintien dans le patrimoine français. Continuez-vous à acquérir des œuvres, comme vous l avez fait à l hôtel de la Vaupalière? Notre métier n est pas d être antiquaire ou marchand de tableaux! Nous avons restauré l hôtel parce qu on pensait que c était notre devoir de le faire. Il a été meublé avec un certain nombre d œuvres exceptionnelles, qui, si elles n avaient pas été mises là, auraient quitté la France et n y seraient jamais revenues. Certaines de ces œuvres ont été d ailleurs depuis données à des musées. Une des opérations que nous avons conclues cette année est le don à Versailles d un très rare tapis de la Savonnerie. De temps en temps, quand on vient nous présenter une pièce exceptionnelle, et que nous pensons pouvoir l acquérir, nous le faisons. Parfois aussi, de façon plus anecdotique, nous récupérons des objets qui ont été volés à des clients, comme un très beau petit cheval en bronze de la Renaissance ; le client avait été indemnisé et n a pas voulu le récupérer ; nous avons ainsi hérité d un Géricault, que nous vendrons peut-être un jour... Que pensez-vous de la fiscalité française en faveur du mécénat par rapport aux autres pays européens? C est un secteur dans lequel la fiscalité française est très positive, en particulier les dispositions mises en place pour l acquisition des trésors nationaux. Pensez-vous néanmoins que cette fiscalité pourrait être améliorée? On a l impression qu en France le mécénat diminue et que les entreprises y sont moins enclines que dans d autres pays. En France, la meilleure chose, c est la stabilité. À son niveau actuel, la fiscalité en faveur du mécénat est intelligente. Mais il est évident que si les entreprises sont écrasées de charges et d impôts, elles ont moins de ressources. Ce n est pas une question de mentalités, c est une question de conjoncture : comme les charges sur les entreprises ont augmenté significativement depuis quelques années, il n est pas surprenant qu elles aient moins d argent à consacrer au mécénat. Vous êtes collectionneur. Vous investissez-vous personnellement dans les choix de mécénat culturel faits par AXA? La réponse est oui! Il est normal que le patron du groupe s investisse dans le mécénat. Mais je ne le fais ni plus ni moins que dans d autres domaines... Ce n est pas parce que je collectionne et m intéresse à l art que mes goûts personnels influencent la poli- Antoine ou Louis Le Nain, Le Reniement de saint Pierre, Huile sur toile, 92 x 118 cm. Trésor national acquis pour le Louvre grâce au mécénat du groupe AXA en DR Cette œuvre possède un parcours rocambolesque : offerte à Mazarin en 1656 par l Académie royale de Peinture et de Sculpture, elle est retrouvée dans un grenier de Lunéville et mise en vente en Estimée francs, elle est vendue 9,2 millions de francs, pour être finalement classée trésor national. La représentation émouvante du triple reniement de saint Pierre est servie par une lumière caravagesque. 48 SEPTEMBRE 2014

4 Jean Malouel (attribué à), Le Christ de Pitié soutenu par saint Jean l Evangéliste en présence de la Vierge et de deux anges, vers Huile sur bois, 102,5 x 68,3 cm. Trésor national acquis pour le Louvre en 2012 grâce au mécénat du Groupe AXA. RMN-GP (musée du Louvre) / Adrien Didierjean. Jean Malouel devint en 1397 le peintre officiel du duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, dont le musée du Louvre possédait déjà une grande Piéta ronde (vers 1400). Les similarités stylistiques entre cette Piéta et le Christ de Pitié permirent d attribuer ce dernier à Malouel. La rareté des peintures illustrant le gothique international en France ainsi que la qualité de ce panneau en font une œuvre exceptionnelle. tique d AXA en matière de mécénat. Je m y investis parce que je pense que c est important et intéressant. Je suis administrateur du Louvre bien que mon mandat arrive à terme et évidemment, la politique culturelle ne m est pas indifférente. Vous terminez votre deuxième mandat au conseil d administration du Louvre. Que retenez-vous de cette mission? J ai beaucoup d admiration pour les personnes qui travaillent pour les musées français. Les conservateurs et les patrons de musées sont des gens formidables ; ils jouent un rôle essentiel pour l image de la France aujourd hui, les musées sont des atouts excellents pour notre pays. C est aussi un secteur où l on voit à quel point coexistent à la fois cette richesse absolument magnifique qu est ce patrimoine unique qu il faut essayer de préserver, des moyens qui sont limités par rapport à ceux de beaucoup d autres institutions étrangères (étant le premier assureur mondial d œuvres d art, nous avons beaucoup d exemples de comparaison à l étranger) et des rigidités incroyables dans la gestion. Que pensez-vous justement du système français dans ce domaine? Il a des points d excellence incontestables. Ce qu a fait le Louvre, qui est le plus grand musée du monde, avec plus de 10 millions de visiteurs, avec le projet d Abu Dhabi et la réalisation du Louvre Lens, montre qu il y a un savoir-faire et des équipes que j admire énormément, capables de faire des choses exceptionnelles malgré des contraintes imposées par la tutelle. Quels sont vos goûts personnels? Ils sont multiples. J aime la peinture française et italienne des XVI e, XVII e et XVIII e siècles mais cela ne veut pas dire que je n aime pas d autres époques, le mobilier XVIII e, les arts africains et quelques artistes contemporains, mais pas beaucoup. Je viens d acheter deux dessins espagnols chez Éric Coatalem, qui fait parfois des expositions contemporaines. Et j aime également l art chinois! Quelles sont les actions de mécénat dont vous êtes le plus fier au sein d AXA? Aucune en particulier et toutes en général. Je pense qu on a fait des choses formidables. Si vous regardez le musée imaginaire qui représente les actions d AXA en faveur des musées français, c est objectivement extraordinaire. C est évidemment le choix des conservateurs qui sont venus nous demander de les aider, mais je pense que si AXA n avait pas été là, beaucoup d acquisitions ne seraient pas réalisées. On peut être fier lorsqu on dresse la liste des œuvres dont nous avons contribué au maintien dans le patrimoine français, qu il s agisse du tapis de Versailles dont je vous parlais, du portrait du duc d Orléans par Ingres pour le Louvre, du Christ de Pitié de Malouel retrouvé dans le Centre de la France et qui est probablement un des premiers tableaux français, du Reniement de saint Pierre des frères Le Nain... La liste est exceptionnelle! Mais si vous deviez garder une œuvre parmi toutes celles-ci? C est une question très personnelle. J hésiterais entre Le Reniement de saint Pierre et le Christ de Malouel. Et je crois qu à la fin je prendrais le Malouel, car c est à mon avis le tableau le plus fort et le plus spirituel. SEPTEMBRE

5 L HÔTEL DE LA VAUPALIÈRE, UN ÉCRIN DU GOÛT FRANÇAIS En 1765, Louis-Marie Colignon, architecte-entrepreneur du roi, achète le terrain puis fait construire un hôtel entre cour et jardin, allant du faubourg Saint-Honoré à l avenue des Champs-Élysées et l actuelle avenue Montaigne, annonçant le néoclassicisme. Les travaux s achèvent en L hôtel est immédiatement loué à vie le 16 février 1769 à Pierre Maignart, marquis de la Vaupalière (premier sous-lieutenant de la première compagnie des mousquetaires du roi), qui enrichit considérablement son décor, en se fournissant chez d illustres artisans, comme l ébéniste Oeben ou le bronzier Caffieri. L hôtel passe alors pour la maison la plus agréable de Paris. La Révolution met fin à une période de faste : en 1790, la famille La Vaupalière s exile ; le contenu de l hôtel est vendu aux enchères en 1795, et l hôtel confisqué comme bien d émigré. Les héritiers de Louis-Marie Colignon ne le récupèrent qu en 1799, puis il passe entre les mains de plusieurs propriétaires, dont Pierre-Louis Roederer sous l Empire, qui le restaure et le remeuble, le comte Molé sous la Monarchie de Juillet qui y fait faire des travaux importants par l architecte Visconti, et sous le Second Empire, Stephens LyneStephens, le roturier le plus riche d Angleterre, qui aménage aussi les salons à son goût. Les dernières propriétaires au XIXe siècle en furent les héritiers du peintre François Gérard. Classé monument historique en 1945, l hôtel est vendu en 1947 à une filiale de l Union des Assurances de Paris (UAP). Entre 1979 et 1998, il abrite entre autres le journal Le Figaro. Il est finalement acquis par Claude Bébéar pour AXA dont le siège se trouve dans l immeuble voisin du L Antichambre Dugourc. Jacques Pépion Elle tire son nom des grands panneaux décoratifs de Jean Démosthène Dugourc insérés dans les boiseries figurant les quatre éléments ainsi que deux allégories, Vénus ou la coquetterie et Mars et la Guerre. 23 avenue Matignon. Claude Bébéar charge alors l architecte catalan Ricardo Bofill d intégrer l édifice du XVIIIe avec les immeubles de bureaux environnants datant des années C est ainsi qu une grande structure de verre enchâsse l hôtel. Le décorateur intérieur François-Joseph Graf en réhabilite les décors dont les éléments conservés sont essentiellement XIXe, tandis que peu à peu l hôtel est remeublé avec un exceptionnel mobilier XVIIIe. Le Grand Salon. Jacques Pépion. Les boiseries datent du Second Empire, le mobilier déploie un somptueux ensemble de Nicolas Heurtaut, composé d un canapé et de huit fauteuils provenant du château de la Roche-Guyon et dont l autre partie est conservée au musée du Louvre, et un meuble à écrire debout attribué à Joseph Baumhauer. Page de droite. Le bureau du président. Jacques Pépion. Dans ce bureau se trouvent rassemblés un impressionnant mobilier de Boulle, une exceptionnelle pendule au rhinocéros par Saint-Germain vers 1750 et une paire de fauteuils à la reine par Jean-Baptiste Tilliard. 50 SEPTEMBRE 2014

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