Implantation d un système de veille stratégique sur Internet. Propositions et premier retour d expérience



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Transcription:

VSST'2001 Implantation d un système de veille stratégique sur Internet. Propositions et premier retour d expérience Christophe LAFAYE christophe.lafaye@netserver.univ-lyon3.fr MODEME, Centre de recherche IAE, Université Lyon III, 15 quai Claude Bernard BP 0638 69239 LYON Cedex 02 Mots clés : Veille stratégique, Internet, mise en œuvre, outils de veille, système d information, nouvelles technologies de l information et de communication (NTIC) Keywords: Business intelligence, Internet, implementation, business intelligence tools, information system, new information and communication technologies (NICT) Palabras claves : vigilencia estrategica, Internet, sistema de informacion, puesta en practica, nuevas tecnologia de la informacion y la comunicacion (NTIC) Résumé Les nouvelles technologies de l information et de la communication jouent un rôle important dans l élaboration des stratégies d entreprise. D une part, ces technologies représentent un potentiel de développement économique, et, d autre part, elles répondent à la nécessité toujours plus importante de gérer les flux et les stocks d information afin de pouvoir réduire l incertitude et l équivoque pour pérenniser l organisation. S il est bien une technologie de l information et de communication qui cristallise l attention par ses capacités, ses potentiels et ces caractéristiques c est bien l Internet. Le commerce électronique représente une part toujours plus importante de l économie mondiale, et les flux d informations échangés et échangeables atteignent des niveaux difficilement quantifiables. Cette source plurielle et riche en information représente une réelle opportunité pour une activité de veille stratégique (accessibilité, instantanéité ). Or, l implémentation d une veille stratégique basée sur Internet ne déroge pas aux théories sur les effets des NTIC au sein d une organisation. Le but de cet article visera, sous la forme de propositions, à mettre en évidence les singularités des effets d Internet dans le cadre d une activité de veille et sur la conception de l organisation, et de les confronter partiellement à un premier retour d expérience. 200

TEXTES DES COMMUNICATIONS - Tome II 1 Introduction L information stratégique s insère dans les entreprises comme une ressource cruciale. Afin d en tirer un avantage compétitif, certaines organisations mettent en place de véritables stratégies de management de cette information dont la représentation la plus marquée est la mise en place de système de veille stratégique [1]. Leur but est de permettre aux entreprises de réduire leurs incertitudes et de pouvoir mieux agir dans un environnement changeant et concurrentiel par un «processus informationnel volontariste» mettant l organisation à «l écoute anticipative (ou prospective) des signaux précoces de son environnement» [2]. Cependant, si les systèmes d information de veille sont propres à chaque entreprise, ceux-ci doivent pouvoir aussi évoluer et s adapter aux mutations de l environnement spécifique à l information telles que les nouvelles technologies de l information et de communication (NTIC), ainsi qu aux outils disponibles afin de préserver leurs intérêts et accroître leurs avantages relatifs. C est pourquoi, l Internet semble constituer et s imposer comme une nouvelle étape dans le développement et la mise en place de système de veille [3]. Aussi, cet article visera dans un premier temps après avoir re-précisé les concepts de veille stratégique et d Internet à établir des propositions théoriques sur les effets d Internet dans une activité et un processus de veille stratégique. Ces propositions s appuieront sur les modèles conceptuels de Huber [4] et de Lesca [2]. Nous effectuerons dans une seconde étape un retour d expériences partiel à partir la phase d implantation d un système de veille basée sur l Internet au sein d une organisation moyenne confrontée à un secteur industriel traditionnel fortement concurrentiel. En somme, cet article visera à mettre en évidence les singularités d une technologie avancée particulière de l information et de la communication l Internet dans un processus de veille stratégique et sur la conception de l organisation intelligente. 2 De la veille stratégique à la veille stratégique sur Internet : concepts et propositions 2.1 La veille stratégique 2.1.1 Définition et processus Les organisations sont des systèmes sociaux ouverts, c'est-à-dire tournés vers un environnement externe, généralement soumises à de fortes contraintes de changement et d incertitude [5]. C est ainsi que, par exemple, sous l impulsion de la mondialisation, des changements de logique de développement des entreprises, de l ouverture progressive des marchés nationaux à la concurrence, du glissement du géostratégique vers le géo-économique les interconnexions, les interdépendances, les jeux d acteurs, les stratégies, etc., se complexifient rendant la lisibilité et la compréhension de l environnement plus difficile. Sous ces contraintes et sachant que l information est une «ressource abondante mais également rare [ ] si l on entend par bonne information celle qui est directement utilisable par l entreprise» [6], les organisations sont donc amenées à gérer de manière plus dynamique, structurée et stratégique la ressource informationnelle. Ainsi, le management stratégique de l information a pour vocation, d une part, l acquisition d informations concernant l environnement interne et externe de l entreprise, et d autre part, la transformation de ces informations en connaissance dont l interprétation permettra d identifier, d appréhender et d agir sur les menaces et les opportunités influant sur la pérennité de l organisation [7]. L une des conceptualisations du management stratégique de l information se définit par la notion de veille stratégique. Ce dernier se décline comme le processus délibéré par lequel l organisation collecte, traite et diffuse l information pour développer ou appuyer les décisions stratégiques. Le processus de la veille stratégique a été formalisé par H. Lesca et élargi sous le vocable d intelligence stratégique collectif, lui-même défini comme : «le processus collectif volontariste par lequel des individus unissent leurs efforts pour discerner et acquérir des informations anticipatives (notamment des IRIT - DELTA VEILLE 201

VSST'2001 signaux faibles) et pour en tirer du sens utile pour la prise de décision de nature non-répétitive et pour l action rapide au bon moment» [8]. Figure 1 : Processus d'intelligence stratégique collective [8] 2.1.2 Compléments de définition Afin de parfaire notre représentation de la veille stratégique, nous complèterons ces diverses définitions sous trois aspects. Les deux premières dimensions concernent la finalité de la veille. Si l on reprend la définition citée précédemment, l objectif de la veille est, d une part, la réduction de l incertitude, et, d autre part, l assistance à la prise de décision. La confrontation de l entreprise avec l incertitude émanant de son environnement a été mis en évidence par le «modèle de l analyse de l équilibre besoin-capacité de traitement de l information» de J. Galbraith [5]. Afin de pouvoir réduire cette incertitude, et ainsi mieux répondre aux questions qu elle se pose sur son environnement, l organisation génère une demande d information jusqu'à ce que l information marginale apportée n apporte plus une connaissance supplémentaire (sous contrainte de temps non limité). Cependant, outre l incertitude, les managers sont confrontés, du fait de leur rationalité limitée, à de multiples interprétations des signaux émis par l environnement ; ce que Daft et Lengel ont nommé par l équivoque [9]. La réduction de l équivoque passe par le traitement et l échange d information provenant de sources riches et variées. Or, lors de la phase de «ciblage», de «traque», de «sélection» et de «construction du sens» du processus de veille, le recours à des canaux d information riches est couramment utilisé. La veille, d autant plus si elle est formalisée et transversale, sert donc aussi à réduire l équivoque. Dans l acception de nombreux auteurs, la veille semble n être destinée qu aux seuls décideurs puisque comme le souligne H. Lesca elle ne servirait qu à alimenter «la prise de décision non-répétitive». D où la dénomination de «stratégique». Or, il semble, au regard de plusieurs études de terrain effectuées dans le cadre de notre recherche, que la délimitation des objectifs de la veille ne soit pas aussi clairement définie. En effet, des missions de recherche d information ou de diffusion de connaissance hors prises de décisions sont souvent commandées aux veilleurs. C est ainsi, que de nombreux acteurs de la veille sont désignés pour rechercher la dernière réglementation en vigueur dans un domaine particulier, ou encore pour effectuer un état de l art sur un sujet donné afin d alimenter une étude commanditée par le service marketing, par exemple. Et ce d autant plus qu il n existe pas de service de documentation au sein de l organisation. La troisième et dernière dimension concerne le caractère de l information recherchée et traitée. Si les signaux faibles (ou «signaux précoces») constituent une matière de prédilection de la veille [10], il n en demeure pas moins vrai que la création de sens provient aussi d une masse de données constituée de signaux forts et d informations «blanches». 202

TEXTES DES COMMUNICATIONS - Tome II 2.2 Utilité de l Internet dans un processus de veille stratégique? 2.2.1 L Internet et l entreprise Si l Internet est considéré aujourd hui comme faisant partie des nouvelles technologies de l information et de la communication (NTIC) alors qu il date officiellement de 1974, cela résulte de sa récente pénétration dans le tissu économique mondial et de l évolution constante de ses technologies propres (Web, Xhtml, poste à poste ). Il serait naïf de croire que l Internet a pénétré l intégralité du tissu économique mondial en général, et français en particulier. Cependant, le processus est irrémédiablement enclenché. Et cette technologie suscite de plus en plus d engouement. De véritables stratégies commerciales basées sur l Internet se sont développées faisant émerger rapidement la notion d Internet marchand (e-commerce, nouvelle économie ) [11]. Cette technologie n a pas seulement engendré un nouveau segment de marché mais elle s impose aussi comme un outil, un média de travail au sein même des organisations, et ceci dans la majorité des compartiments de l entreprise (marketing, gestion des ressources humaines, R&D ). Progressivement, Internet s est érigé comme un outil incontournable pour la recherche d information et la veille stratégique [12]. Une récente enquête Ipsos en mai 2001 auprès de 791 internautes actifs connectés sur leur lieu de travail a mis en évidence que 85% des internautes interrogés utilisaient Internet pour rechercher des informations professionnelles, 47% pour rechercher des informations concurrentielles et 42% utilisent le Web comme outil de veille concurrentielle. On peut donc légitiment se poser la question de savoir quelles sont les potentialités de l Internet pour faire de la veille. 2.2.2 Les opportunités de l Internet pour la veille stratégique 2.2.2.1 Les opportunités de contenu Le prisme des potentialités offert par l Internet est considérable. En effet, le Net est simultanément un ensemble d outils (moteurs de recherche, annuaires, agents intelligents ) et une source plurielle d information (sites de presse, sites commerciaux, sites universitaires, forums de discussion, bases de données ) mélangeant aussi bien l information formelle et informelle, l information récente et ancienne, l information validée et non validée Ce «nouveau» média permet de mettre en œuvre de manière ad hoc [13] ou en complément, des veilles de types : concurrentielles : quels sont les acteurs du marché? Quels sont les nouveaux entrants? Quelles sont leurs stratégies de développement? par l analyse et la mise sous surveillance des sites de presse en ligne, des sites des concurrents, etc. commerciales : quels sont les produits et les stratégies commerciales de nos concurrents? Quels sont les produits de substitution? par l analyse et la mise sous surveillance des sites de concurrents, des forums de discussion, etc. techniques et scientifiques : quelles sont les nouvelles technologies émergentes? Quelles sont les relations de développement entre les centres de recherche? par l analyse et la surveillance de bases de brevets «en ligne», des sites de laboratoires, etc. Il est à noter la possibilité sans précédent de pouvoir contacter et se constituer des réseaux d experts. 2.2.2.2 Les opportunités techniques Le management stratégique de l information est profondément bouleversé de nos jours par les capacités et les potentialités offertes par les nouvelles technologies de l information et de la communication. Ce nouveau paradigme de l information est fondé sur l échange permanent de grands volumes d information [15] et sur des sources d informations distribuées et plurielles. Internet cristallise ses opportunités techniques : La compression du temps aussi bien dans la transmission des données que dans la capacité à les traiter ; IRIT - DELTA VEILLE 203

VSST'2001 La compression de l espace en reliant des ordinateurs en réseau mondial d échange et de communication [16] ; L accessibilité et le stockage de l information grâce à la numérisation et à la compression des données ; Une «centralisation» des canaux d information. 2.2.2.3 Les réflexions soulevées Cependant, l usage de technologie de l information et de la communication se répercute sur la conception de l organisation ainsi que sur sa stratégie [14]. Aussi, on peut légitimement s interroger sur les effets que peut avoir une technologie particulière mais de plus en plus prédominante l Internet sur la conception de l organisation et de sa stratégie dans un cadre de veille stratégique. De la sorte que les questions suivantes émergent : Pourquoi passer à un système de veille sur Internet? La prise en compte de l Internet dans un système de veille génère-t-il des singularités? La représentation de l information par le prisme de l Internet diffère-t-elle? Existe-t-il une adaptation, un changement du profil de poste du veilleur travaillant sur Internet? L organisation du travail individuel et collectif est-elle influencée par l entrée de ce nouveau média? Quels sont les impacts sur l accessibilité et le traitement de l information? Quelles sont les répercussions au niveau de la prise de décision? Au niveau de l intelligence organisationnelle? En nous appuyant sur les modèles conceptuels de H. Lesca [2] et de G.P. Huber [4], nous soumettons une série de propositions qui auront pour vocation d analyser les effets de l Internet sur le processus de gestion de l information stratégique et sur la conception de l organisation. Figure 2 : Théorie conceptuelle des effets des technologies d'information avancées sur la conception et l'intelligence de l'organisation et la prise de décision (adapté de G.P. Huber [4]) 2.3 Les propositions théoriques L Internet représente par ses caractéristiques propres une nouvelle façon d aborder la relation à l information et par-là même la gestion des systèmes de veille. En effet, l appréhension de la notion d accessibilité [17] («pouvoir atteindre et collecter l information») liée à celles d espace et de temps de l information est modifiée et redistribue les «cinq forces du marché» [7]. Cependant, cette accessibilité, si elle semble évidente, est soumise à de nombreuses contraintes (techniques, humaines, méthodologique). Proposition 1 : Internet facilite l accessibilité à l information Proposition 2 : La facilité d accessibilité à l information par Internet est soumise à des variables endogènes à l entreprise Proposition 3 : Internet augmente la masse d information utile disponible dans un processus de veille 204

TEXTES DES COMMUNICATIONS - Tome II Aussi, si l information est maintenant accessible à tous et à des coûts réduits [18], il semble alors que les inégalités d acquisition s estompent entre les PME et les grandes organisations. Proposition 4 : L Internet nivèle les inégalités compétitives d acquisition de l information entre les organisations. Si les phases de «cible» et de «traque» sont plus rapides grâce à l automatisation et à la facilité d accessibilité il est probable que la phase de «création de sens» soit plus efficace puisque les acteurs de la veille auront plus de temps à consacrer à l analyse Proposition 5 : L utilisation de l Internet dans un processus de veille représente un gain de temps dans la collecte de l information stratégique Proposition 6 : L utilisation de l Internet dans un processus de veille représente une plus grande disponibilité du veilleur pour la phase de traitement Proposition 7 : L utilisation de l Internet dans un processus de veille stratégique permet indirectement d identifier plus efficacement les signaux faibles Aussi, si les veilleurs consacrent un temps plus important à la phase de création de sens, la qualité des informations diffusées devrait s améliorer, ainsi que les décisions en résultant. Proposition 8 : Internet permet d améliorer la qualité des informations diffusées Proposition 9 : Internet permet d améliorer la qualité des décisions prises Les notions de temps et d espace sont aplanies avec l Internet. Le veilleur doit s adapter pour appréhender et gérer ces nouvelles caractéristiques de l information. Proposition 10 : Internet modifie la perception de l information par le veilleur et in fine sa gestion Proposition 11 : Internet redéfinit les compétences et le profil de poste du veilleur Enfin, tout comme la micro-informatique a permis le développement de l informatique de l utilisateur final [15], on peut se demander dans quelle mesure l Internet associé aux micro-ordinateurs ne pourrait pas faire émerger une «veille de l utilisateur final» et augmenter l intelligence organisationnelle. Proposition 12 : Internet permet le développement d une veille individuelle, personnalisée et autonome Proposition 13 : et facilite paradoxalement l émergence d une organisation intelligente. Internet est un «facilitateur» de sensibilisation à la veille 3 Retour d expérience Le premier terrain de recherche qualifié d exploratoire s est déroulé au sein d une organisation moyenne dans un secteur industriel traditionnel très concurrentiel. L action du chercheur a pris la forme d une observation participante avant et pendant la phase d implantation d un système de veille basée sur l Internet. Il est important de noter que la volonté de la Direction de mettre en place une cellule de veille expressément dévolue à la recherche d information et à la surveillance sur Internet, a été formalisée par la mise en place d un outil ad hoc professionnel automatisé et spécialisé de collecte, de traitement et de diffusion de l information. Nous pouvons regrouper les premiers résultats partiels de notre observation sous deux axes. IRIT - DELTA VEILLE 205

VSST'2001 3.1 L impact sur le processus de veille stratégique 3.1.1 Au niveau de l accessibilité à l information (phase de «traque») De manière absolue et basique, il suffit de posséder un micro-ordinateur ou un terminal dédié, un abonnement téléphonique ainsi que les raccords, et d un fournisseur d accès à Internet (FAI) pour pouvoir se connecter à Internet et accéder ainsi à l information «en ligne» (Proposition 1). Il est nécessaire de préciser que cette condition n est vérifiée que dans les pays pourvus de l infrastructure adéquate. Cependant, si ces critères sont réunis, ce n est pas pour autant que l information en devient plus facile d accès (Proposition 2). En effet, une connaissance, une méthodologie et un savoir-faire ad hoc sont nécessaires. De la même manière de nombreuses difficultés techniques dans une activité de veille stratégique freinent l accessibilité à l information. D autant que pour accéder à certaines informations sur ce réseau des outils de collecte sont indispensables ou recommandés. Le schéma suivant met en évidence ces problèmes : Figure 3 : Les difficultés techniques d'accès à l'information dans un processus de veille La difficulté technique 1 correspond à la maîtrise de base de l informatique. A l heure actuelle le moyen le plus communément utilisé pour se brancher sur Internet passe par l ordinateur. Donc être un utilisateur averti est une condition requise ; La difficulté technique 2 correspond aux spécificités techniques propres à l Internet, c'est-àdire comment se connecter? Comment naviguer? Comment fonctionnent les différentes sphères de l Internet? etc., mais aussi à la nécessité de devoir continuellement se mettre à niveau en raison de l évolution très rapide des technologies (poste à poste, cartographie ) et du contenu de l Internet ; La difficulté technique 3 correspond aux possibles réticences techniques des responsables informatiques pour autoriser l implantation de systèmes automatisés de veille (généralement pour les petits agents intelligents) ; La difficulté technique 4 correspond à la maîtrise d outils informatiques spécifiques à la veille sur Internet. Ces outils peuvent aller du plus simple («agents intelligents») nécessitant un minimum de connaissance au plus compliqué nécessitant des formations professionnelles pointues. 3.1.2 Au niveau de la collecte et du traitement de l information (phase de «sélection» et de «création de sens») Internet représente une manne informationnelle remarquable en quantité, en qualité (sous certaines réserves) et en diversité pour un veilleur. Cependant, la contrepartie est la capacité limitée de cet acteur à sélectionner et à traiter l information ainsi disponible. Aussi, dans certaines situations de 206

TEXTES DES COMMUNICATIONS - Tome II recherche et de surveillance d information, ce dernier est amené à utiliser des outils pour faciliter ou assister ces phases. Certains outils constituent une aide a priori précieuse pour ce travail. Toutefois, les plus «avancés» ont un coût d acquisition et de fonctionnement élevé. Aussi, il semble que si les avantages compétitifs d accès à l information se nivèlent, l entreprise développe un avantage compétitif sur sa capacité technologique à collecter (mais aussi traiter) l information (Proposition 4). Deux questions restent toutefois à éclaircir : est-ce que la connaissance produite est de meilleure qualité? Et dans l affirmative est-ce que la qualité de la connaissance «produite» à la marge rentabilise l investissement consenti? L étude de cas menée au sein de l organisation a révélé une incapacité à tirer profit de manière efficace et efficiente de l information mise à disposition par les technologies Internet (Proposition 8). A cela plusieurs raisons dont la difficulté d appropriation de l outil. Les causes émergent, d une part, d une prise en main de l outil jugée trop complexe et peu ergonomique, et, d autre part, d une méconnaissance patente des décideurs sur les caractéristiques et les potentialités propres à une veille Internet. 3.2 L impact sur la conception de l organisation En fonction, de la conception de la veille Internet, les contraintes organisationnelles changent. Dans une veille «industrialisée» (c'est-à-dire avec une forte automatisation des étapes de «traque» et de «sélection») la phase d implémentation de la cellule de veille Internet nécessite des compétences spécifiques et une spécialisation des tâches à plein temps (Proposition 11). Or, la conception organisationnelle adoptée dans l entreprise étudiée a eu pour effet d émousser très rapidement la motivation. En effet, les acteurs de la veille avaient la double charge de gérer l activité de veille (tout en se mettant parallèlement à niveau d un point de vue technique et des connaissances Internet) et leur travail quotidien d étude. Ainsi, il semble bien que l intégration de l Internet dans un mécanisme de forte automatisation génère une nécessité d adaptation organisationnelle. 3.3 Validation des propositions Le processus de recherche découle d une observation participante ayant permis de faire émerger des propositions, elle-mêmes soumises à un retour de validation sur les terrains d étude. Propositions Nature de la validation Force de la validation Proposition 01 C ++ Proposition 02 C ++ Proposition 04 R + Proposition 08 R + Proposition 11 C ++ Tableau 1 : Tableau partiel de validation-réfutation des propositions théoriques C : Confirmation R : Réfutation Au cours de cette étude de cas, les premiers résultats nous permettent de confirmer les propositions 1, 2 et 11. Les propositions 4 et 8 semblent quant à elles réfutées. Concernant les autres propositions les analyses sont en cours de traitement. 4 Conclusion Il est généralement admis que les «facteurs clés de succès» de la compétitivité se résument à la maxime suivante : apprendre et évoluer plus vite que la concurrence. Dans un environnement où il semble que l information soit disponible de la même façon pour l ensemble des acteurs d un secteur [19], les organisations sont tentées de construire et de préserver un avantage concurrentiel par l adoption de technologies de l information et de la communication [20]. Aussi, les caractéristiques et le recours à l Internet comme source et outil d information stratégique peuvent s analyser d une part, comme un «coût stratégique» [7] basé sur la différenciation et IRIT - DELTA VEILLE 207

VSST'2001 l innovation et, d autre part, comme une opportunité pour améliorer l efficience et l efficacité du processus de veille stratégique de l organisation afin d augmenter sa capacité anticipative [21]. Les premiers résultats de cette recherche montrent que les effets de l Internet sur le management stratégique de l information, la conception de l organisation («organizational design») ainsi que sur son intelligence comportent des singularités majeures. D un point de vue du processus de la veille stratégique, on constate entre autres que l avantage apparent alloué à l Internet lors de la collecte de l information (gain de temps ) ne se semble pas se répercuter systématiquement dans les phases plus en aval du processus. L utilisation d Internet dans une activité de veille nécessite d adapter la conception de l organisation vers une plus grande spécialisation des tâches du veilleur ainsi qu une formalisation de la cellule de veille. Au regard de cette première expérience (non achevée), il ne semble pas qu Internet ait permis d augmenter la valeur ajoutée de la connaissance produite. Cependant, son recours a augmenté significativement la capacité d attention de l organisation. Ces points ainsi que les propositions précédemment citées doivent être approfondis, ce que permettront de prochaines études de cas. Bibliographie [1.] GILAD B. et GILAD T., Business intelligence : the quiet revolution, MIT, Sloan Management Review, 1986, pp. 53-61 [2.] LESCA H., BLANCO S. et CARON-FASAN M.-L., Implantation d une veille stratégique pour le management stratégique : proposition d un modèle conceptuel et premières validations, VI ième conférence de l AIMS, Montréal, Juin, Actes vol. 2, 1997, pp. 173-183 [3.] CRONIN B., OVERFELT K., FOUCHEREAUX K., MANZVANZVIKE T., CHA M. et SONA E., The Internet and Competitive Intelligence : a Survey of Current Practice, International Journal of Information Management, Vol. 14(3), 1994, pp. 204-222 [4.] HUBER G.P., A Theory of the Effects of Advanced Information Technologies on Organizational Design, Intelligence, and Decision Making, Academy of Management Review, Vol. 15, n 1, 1990, pp. 47-71 [5.] GALBRAITH J., Organizational Design, Addison-Wesley, Reading, Mass., 1977 [6.] MARTINET A.-C., Management stratégique : organisation et politique, Mc Grawhill, Paris, 1984 [7.] PORTER M. et MILLAR V.E., Pour battre vos concurrents, maîtriser mieux l information, Havard L Expansion, 1986, pp. 6-20 [8.] LESCA H. et CASTAGNOS J.C., Signaux faibles et méthode Cible : Quelques retours d expérience, IX ème conférence de l AIMS, Montpellier, Mai, 2000 [9.] DAFT R.L. et LENGEL R.M., Organization information requirements, media richness and structural design, Management Science, Vol. 52, n 5, 1986, pp. 554-571. [10.] ANSOFF I., Managing strategic surprise by response to weak signals, California Management Review, n 18, 1975, p. 21-33. [11.] AMAMI M. et THEVENOT J., L Internet marchand : Caractérisation et positionnements stratégiques, GREFIGE, Cahier de recherche n 2001-02, Université de Nancy 2, 2001 [12.] ASSADI D., Intelligence économique sur Internet : Etudes de marché et veille concurrentielle, Publi-Union, Paris, 1998 [13.] REVELLI C., Intelligence stratégique sur Internet : comment développer efficacement des activités de veille et de recherche sur les réseaux, Dunod, Paris, 1998 [14.] SCOTT MORTON M.S., L'entreprise compétitive du futur : technologies de l'information et transformation de l'organisation, Les éditions d'organisation, Paris, 1995 [15.] REIX R., Système d information et management des organisations, Vuibert, 3 ème édition, Paris, 2000 [16.] RUBIN R.S., Searching for Competitive Intelligence on the World Wide Web : a Small Business Perspective, University of Central Florida, The Small Business Institute Director's Association, February 1999 [17.] KASSLER H. S., Mining the Internet for Competitive Intelligence : How to Track and Sift for Golden Nuggets», Online, September October, pp. 34-45, 1997 208

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