L Achat Public d Innovation - N 29 - Décembre 2013 Note de synthèse éditée par Eurasanté à l attention des entreprises de la région Nord-Pas de Calais, également diffusée sur le site internet d Eurasanté : www.eurasante.com. Rédacteur : Fabien HAZERA, Chargé d affaires juridiques, Eurasanté Maquette : Olivier Teneul Photo : Ingram L utilisation et la reproduction partielle ou totale des informations de la note de synthèse sont autorisées à condition de mentionner la source. Sommaire Introduction... 1 Une exception aux règles des marchés publics... 2 Les bénéfices de la formule... 5 Conclusion... 6 L Achat Public d Innovation Introduction Lorsqu ils se comportent comme consommateurs, il paraît logique que les personnes publiques usent de prudence et se tournent vers des produits ou services connus et reconnus. Il en va de même pour leurs fournisseurs qui tendent à se recentrer sur les produits ou services classiquement favorisés par leurs clients publics, au détriment de la recherche de nouvelles solutions. De plus, l achat public est régi par les règles des marchés publics, imposant de suivre des procédures strictes pour la publicité, la mise en concurrence et la sélection des candidats. Ceci paraît antinomique avec la flexibilité et l ouverture que requièrent l innovation. Pourtant, l achat d innovation par le secteur public peut être créateur de valeur. En incitant les entreprises à innover, l acheteur public conclut un partenariat gagnant-gagnant et engage un cycle de croissance à moyen terme. Il existe des outils permettant à l acheteur public de privilégier des solutions nouvelles. La règlementation autorise la formulation du besoin en termes de résultat attendu, ouvrant la voie à des alternatives techniques (concours, procédures négociées). Ces moyens étant peu utilisés, la Commission Européenne promeut depuis quelques années d autres outils à destination des acheteurs publics et la France emprunte une route identique. L «Achat Public avant Commercialisation» (APC) (ou «Pre-Commercial Procurement» (PCP) en anglais), vise à attirer l attention des acteurs publics et des partenaires privés sur un moyen d acquérir des résultats issus d une démarche conjointe de recherche et développement (R&D), de telle manière à partager les risques et bénéfices de cette recherche.
I. Une exception aux règles des marchés publics A. Source de la proposition européenne Deux directives européennes de 2004 (2004/17 1 et 2004/18 2 ) sont la base légale pour les marchés publics. Dans la lignée des règles de l Organisation Mondiale du Commerce (OMC), ces textes imposent des procédures strictes aux acheteurs publics. Une exception à ces règles concernant les marchés de R&D existe. Cette exception notable semble peu utilisée par les acheteurs publics, en particulier en raison de la méconnaissance quant à son maniement. C est sur ce constat que, dès 2005, un groupe de travail se réunit sous l égide de la Commission Européenne et formula plusieurs recommandations. Ses réflexions se matérialisèrent sous forme d une communication en décembre 2007 3, introduisant officiellement la notion «d Achat Public avant Commercialisation». Le PCP y est définit comme : «Une approche de la passation de marchés de services de R&D, autres que ceux dont les fruits appartiennent exclusivement au pouvoir adjudicateur pour son usage dans l exercice de sa propre activité, pour autant que la prestation de services soit entièrement rémunérée par le pouvoir adjudicateur». Cette définition du PCP remplit les deux conditions nécessaires pour conserver le mécanisme au sein de l exception aux marchés publics prévue par les textes européens : Article 16 [Directive 2004/18/CE concernant les marchés publics de travaux, de fournitures et de services] «La présente directive ne s applique pas aux marchés publics de services : [ ] f) concernant des services de recherche et de développement autres que ceux dont les fruits appartiennent exclusivement au pouvoir adjudicateur pour son usage dans l exercice de sa propre activité, pour autant que la prestation du service soit entièrement rémunérée par le pouvoir adjudicateur». B. La transposition française Cette exception a en premier lieu été transposée à l identique au sein du droit français dans l article 3 du Code des marchés publics 4, puis ensuite modifiée par un décret de septembre 2011 5 : «Les dispositions de présent code [des marchés publics] ne sont pas applicables aux marchés et accord suivants [ ] : [ ] 6 Accords-cadres et marchés de services de recherche et développement pour lesquels le pouvoir adjudicateur n acquiert pas la propriété exclusive des résultats ou ne finance pas entièrement la prestation». Cette nouvelle rédaction a été confirmée par une circulaire du 14 février 2012 6. Plus claire que la formulation européenne, elle souligne mieux le fait que seuls les marchés où l acheteur acquière la totalité des résultats et assure la totalité du financement du programme de recherche sont soumis aux règles des marchés. Elle a inspiré la rédaction du projet de révision des directives sur les marchés publics 7 actuellement en discussion. Cette transposition a été enregistrée par la Commission Européenne comme conforme aux directives et permettant par conséquent la réalisation de PCP 8. Il demeure qu à l heure actuelle, contrairement à d autres pays européens (e.g. Royaume-Uni, Finlande) la France n a pas créé de labellisation spécifique, ni édité de lignes directrices distinctes, ou communiqué sur des programmes de soutien à l émergence de tels projets. Dans l attente de la publication de la version définitive du Guide pratique de l achat public innovant par le Ministère de l économie et des finances, il convient de se tourner vers la conception du PCP que la Commission Européenne propose 9. C. La conception européenne La Commission a explicité les 2+1 conditions pour l application non seulement de l exemption des règles des marchés publics mais aussi du «label PCP». La condition de l usage pour la propre activité de l acheteur n appelant pas de remarque, restent la notion de R&D, centrale, ainsi que l équilibre du partage de la prise en charge et des résultats (coûts et bénéfices), et enfin la promotion de la mise en concurrence. Article 24 [Directive 2004/17/CE concernant les marchés dans les secteurs de l eau, de l énergie, des transports et des services postaux] «La présente directive ne s applique pas aux marchés de services : [ ] e) concernant des services de recherche et de développement autres que ceux dont les fruits appartiennent exclusivement à l entité adjudicatrice pour son usage dans l exercice de sa propre activité, pour autant que la prestation du service soit entièrement rémunérée par l entité adjudicatrice». 1 - Directive sur les marchés publics de travaux, de fournitures et de services 2 - Directive sur les marchés publics en matière d eau, d énergie, de transports et services postaux 3 - Communication de la Commission du 14 décembre 2007, COM(2007)799 final 4 - et à l article 7 de l ordonnance 2005-649 relative aux marchés passés par certaines personnes non soumises au code des marchés publics 5 - Décret n 2011-1104 du 14 septembre 2011 relatif à la passation et à l exécution des marchés publics de défense ou de sécurité 6 - Circulaire relative au Guide de bonnes pratiques en matière de marchés publics, n EFIM1201512C, J.O. du 15 février 2012 7 - Proposition de directive sur la passation des marchés publics, article 13, COM/2011/0896 final 8 - Étude de la Commission sur l implémentation du PCP, avril 2011 9 - La France a exprimé son soutien aux grandes lignes de cette vision dans sa contribution au Livre Vert sur la modernisation de la politique de l Union Européenne en matière de marchés publics, avril 2011
La notion de services de R&D La R&D se définit comme une démarche de recherche de solutions à un problème donné, comportant des risques non prévisibles et non nuls d échec. Elle recouvre les activités de recherche relevant de la recherche fondamentale, de la recherche appliquée et du développement expérimental, telles que «la recherche et l élaboration de solutions, le prototypage et la mise au point initiale d une quantité limitée de produits ou services nouveaux pouvant avoir comme but d incorporer les résultats d essais et de démontrer que le produit ou service se prête à une production en masse conformément à des normes acceptables». Elle ne comprend en revanche pas les activités de développement commercial, l intégration, la personnalisation, les adaptations ou améliorations successives des produits ou de procédés existants. La fourniture de produits et les travaux de fabrication ou de construction liés à de la R&D ne sont pas inclus. La R&D est ce qui différencie radicalement le PCP du PPI, deuxième approche promue concomitamment par la Commission. Lorsque l achat public ne concerne pas la R&D mais des solutions innovantes, il n est plus possible de conclure un PCP. La seule voie possible reste alors le PPI («Achat public de solutions innovantes» (APSI) ou «Public Procurement of Innovative solutions» (PPI) en anglais). Le PPI se concentre sur l apport de solutions innovantes mais émergentes à un acheteur public qui agira comme consommateur primaire. Ces solutions issues de la R&D (interne, partenariale ou découlant d un PCP), prêtes à être lancées sur le marché, ne sont disponibles qu en faibles quantités. Elles n ont, en tout état de cause, pas encore atteint un seuil critique (de qualité ou de prix raisonnable) et cela en raison du faible manque d utilisateurs publics (moins de 5%). Ne correspondant pas aux critères de l exception, le PPI demeure soumis aux règles des marchés publics. Domaines de recherche Le PCP est utilisé à travers l Europe dans tous les domaines où des produits ou services innovants peuvent être développés : environnement / énergie, TIC / digital / informatique de masse, santé / alimentation / bien-être / vieillissement actif / médecine personnalisée / culture / loisirs / transports / sécurité. Tout particulièrement dans la santé, plusieurs exemples impliquant l institut national de santé anglais (NIH) et ayant abouti à des produits de santé innovants peuvent être cités : environnement d entraînement des praticiens sur des veines virtuelles, porte-seringue à une main, salle d isolement en hôpital, cathéter à usage unique pour le traitement des varices, dispositif de mesure du glucose des diabétiques au seul contact de la peau.
Le partage des coûts et bénéfices Dans un PCP, l acheteur et le prestataire supportent chacun une part du risque inhérent à la R&D. Les bénéfices sont répartis de manière à ce que les deux parties aient un intérêt à répandre de manière large les nouvelles solutions développées. L acheteur public, à la différence des marchés classiques, ne réservera pas les résultats issus de la R&D à son seul usage. Dans l approche PCP, l acheteur (ou d autres acheteurs publics) et l entreprise peuvent utiliser conjointement les résultats. Cela se traduit en pratique par une diminution du prix par rapport à un marché où l acheteur acquiert la totalité des résultats, là où le prix était auparavant majoré en raison d une exclusivité d exploitation. La Commission alerte l acheteur public sur la nécessité d un partage des bénéfices et des risques selon des conditions normales de marché, sauf à ce que la relation financière entre le partenaire privé et la personne publique soit assimilée à une aide d État, qui est prohibée. Pour négocier les conditions du partenariat, l acheteur pourra s inspirer du cahier des clauses administratives générales (CCAG) applicable aux marchés publics 10, qui prévoit des mécanismes de fixation des prix, de compensation financière et de partage des résultats. Le développement concurrentiel Pour la Commission, la relation instaurée entre l acheteur public et le partenaire privé par le biais du PCP ne signifie pas qu elle sera exclusive et hors de toute concurrence, malgré l exclusion des règles des marchés publics. D une part, il est rappelé qu une fois la R&D terminée, et donc le PCP achevé, les règles des marchés publics reprennent le dessus : le fait d avoir conclu un PCP ne doit pas garantir au partenaire privé qu il commercialisera l innovation auprès de l acheteur public. Cette séparation ne peut en aucun cas être remise en cause, en raison des règles nationales, européennes et internationales 11 de l OMC sur les marchés publics. Figure 1 : Séparation des activités de R&D et de commercialisation R&D Hors marchés publics PCP-like Innovation Commercialisation Marchés publics PPI-like 10 - Arrêté du 16 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de prestations intellectuelles (CCAG-PI) 11 - Article XV e) de l Accord sur les marchés publics
D autre part, la Commission promeut la mise en concurrence même lors de la phase de R&D, conformément aux règles OMC qui demandent à ce que l exception ne soit pas utilisée «en vue de ramener la concurrence en-deçà du maximum possible». Ce mécanisme n est pas adapté à une démarche spontanée initiée par une entreprise alors même que la législation française semble le permettre (marché de gré à gré), et nécessite au contraire un appel à projets innovants. Pour la Commission, cette concurrence s exprimera en plusieurs phases : recherche de solution, prototypage, essais expérimentaux. La mise en compétition de plusieurs entreprises, avec une sélection en entonnoir des candidats, devrait permettre d aboutir à la solution innovante la plus adaptée à l acheteur public. Les principes suivants sous-tendent cette démarche : Un groupe d acheteurs publics lance la réflexion pour exprimer un besoin communément partagé et attirer suffisamment de partenaires privés ; Un appel à projets ouvert et transparent est lancé, définissant clairement le problème à résoudre ; La comparaison entre solutions alternatives et leur sélection après chaque phase, afin d orienter la R&D vers les solutions répondant aux besoins ; L incitation à construire des solutions interopérables, voire interchangeables, évitant ainsi à l acheteur primaire de se retrouver dans un écosystème fermé ; Maintenir la compétition jusqu à la dernière phase, dans l optique de conserver une concurrence pour la phase de commercialisation. II. Les bénéfices de la formule Les parties prenantes ont plusieurs avantages à mettre en œuvre la formule préconisée par la Commission. Ainsi, l acheteur public : Modèle les développements industriels aux besoins de l intérêt public ; Bénéficie de produits de meilleure qualité à un prix moindre ; Obtient le degré d interopérabilité voulu ; Permet de réduire les risques d erreurs pour les marchés suivants à large échelle ; Évite la dépendance à un seul fournisseur ; Favorise la mise en commun d expérience avec les autres acheteurs publics. De même, l industrie : Acquière l opportunité de devenir un leader du marché par le biais d une technologie nouvelle ; Réduit significativement le temps de commercialisation ; Aura un marché de taille suffisante pour amorcer plus rapidement des économies d échelle ; Enfin, la société civile : Améliore la qualité de ses services publics ; Renforce l environnement de l innovation ; Attire les investissements extérieurs ; Voit l argent public utilisé de manière efficiente. Figure 2 : Mise en concurrence lors de la phase de R&D Entreprise A Entreprise A Entreprise A Entreprise B Entreprise C Entreprise D Entreprise B Entreprise C Entreprise B Commercialisation Marchés publics Entreprise A, B, C, D, E ou X Entreprise E Recherche de solution Prototypage Mise au point
Bio Santé Info Conclusion État des lieux des projets nationaux Plusieurs pays ont lancé des initiatives nationales visant à encourager les projets PCP. Si les vingt-sept ont, à l instar de la France, intégré un mécanisme PCP-compatible à leur droit national, il demeure que plusieurs pays n avaient, lors de la dernière enquête, mis en œuvre aucune initiative ou réflexion spécifique dans ce sens (France, Allemagne, Luxembourg, Roumanie, Malte, Chypre, Grèce, Portugal, Lettonie, République Tchèque). Le Royaume-Uni est, au contraire, à la pointe sur le sujet. Ainsi, les projets compatibles sont dans la mesure du possible labellisés PCP. Quarante-huit appels ont été lancés depuis avril 2009 par le Technology Strategy Board, aboutissant à la signature de cinq cents contrats, incluant 85% de PME, pour une valeur globale de 36 M. En résumé, le PCP permet aux acheteurs publics et entreprises innovantes de travailler ensemble à des solutions innovantes, sans les contraintes du marché public. Ce mécanisme reste euro-compatible tant il n avantage pas de manière indue le partenaire privé. Dans un contexte de diminution des dépenses publiques et de besoin de compétitivité, cette méthode d innovation semble présenter une alternative intéressante aux marchés publics traditionnels pour les pouvoirs publics en quête de connaissances et d amélioration de leurs services. La région flamande, en Belgique, a identifié dix projets existants pouvant conduire à des PCP. Elle a publié au Journal Officiel de l UE un appel à rejoindre des plateformes d innovation. En Finlande, l agence nationale de l innovation a présenté un schéma de cofinancement des acheteurs publics à hauteur de 50%. Treize projets ont d ores et déjà été reçus. Des exemples similaires existent aux Pays-Bas, en Hongrie et au Danemark. Cette action est cofinancée par l Union européenne