Sommeil en réanimation Sleep in the intensive care unit



Documents pareils
Comment Améliorer le sommeil des patients en Réanimation?

Sommeil et sport Dr. Arnaud PRIGENT (Pneumologue à St LAURENT) sport et sommeil 01/06/2010

Groupe 1 somnovni 12/12/14

NAVA pourquoi pas. Stéphane Delisle RRT, PhD, FCCM Mohamed Ait Si M Hamed, inh. BSc.

Sommeil, fatigue au volant et jeunes conducteurs

Clinique. Un sommeil réparateur aux soins intensifs est-il possible?

Questions / Réponses. Troubles du sommeil : stop à la prescription systématique de somnifères chez les personnes âgées

Une solution simple pour vos patients complexes

Monitoring du SDRA Simple ou compliqué? Jean-Christophe M Richard, MD PhD

Diagnostic et Monitoring de la pathologie respiratoire du sommeil en Peut-on faire plus simple?

paris descartes le sommeil le 16 mars!

QUI PEUT CONTRACTER LA FA?

Orthèse Narval O.R.M. L orthèse innovante et confortable dans le traitement du SAOS

SOMMEIL ET TRAVAIL 6

Troubles de la vigilance au travail. Tests d aide à la décision d aptitude et structures de dépistage du syndrome d apnées du sommeil à Grenoble

IRBMS. Institut Régional de Biologie et de Médecine du Sport N ORD PAS- DE-CALAIS WWW. IRBMS. COM. Titre : «DECALAGE HORAIRE ET SPORT»

QUEL PROTOCOLE DE REENTRAINEMENT PROPOSER AUX PATIENTS INSUFFISANTS CARDIAQUES?

La ventilation non invasive aux soins intensifs

Test de terrain ou test de laboratoire pour la performance en endurance?

LE SOMMEIL : QUAND MORPHÉE SE FAIT ATTENDRE

Actualité sur la prise en charge de l arrêt cardiaque

Les effets nocifs du bruit sur l'homme

Or 4 victimes sur 5 qui survivent à un arrêt cardiaque ont bénéficié de ces gestes simples pratiqués par le premier témoin.

Le Test d effort. A partir d un certain âge il est conseillé de faire un test tous les 3 ou quatre ans.

Madame, Monsieur, André GILLES, Député permanent chargé de l Enseignement et de la Formation.

Traitement des troubles respiratoires du sommeil en cas d insuffisance cardiaque

Qui et quand opérer. au cours du traitement de l EI?

Ventilation des nouveau-nés SERVO-n

En cause, un rythme biologique qui ne reçoit plus l'indicateur indispensable à sa bonne synchronisation : la lumière du jour.

En quoi consistera ce jeu?

VIVAGO WELLNESS DOSSIER DE PRESSE

Voies aériennes supérieures et ventilation non invasive Upper airway and noninvasive ventilation

Syndrome d'apnées du Sommeil

A. BONNEFOND Maître de conférences en neuroscience cognitive Laboratoire d imagerie et de neuroscience cognitive Université de Strasbourg

PRINCIPE ET FONCTIONNEMENT DES DÉFIBRILLATEURS AUTOMATIQUES IMPLANTABLES (DAI)

EXEMPLE DE METHODOLOGIE POUR L ELABORATION D UN PROTOCOLE DOULEUR Marie AUBRY Infirmière référente douleur Hôpital TENON AP-HP Paris XX e SOMMAIRE

Item 169 : Évaluation thérapeutique et niveau de preuve

Diplôme Inter-Universitaire des Services de Santé et de Secours Médical des Services Départementaux d Incendie et de Secours

Insuffisance cardiaque

Formation à l utilisation du défibrillateur semi-automatique (DSA)

Le rôle des émotions et de la motivation dans la stratégie de régulation de l allure:

Contrôle difficile non prévu des voies aériennes: photographie des pratiques

Monitorage du CO 2 expiré Capnometry

DEMONSTRATION DE FONCTIONNEMENT DU DÉFIBRILLATEUR

Méthadone et Syndrome d Apnées du Sommeil

Ventilateur pulmonaire pour soins intensifs, réanimation et premier secours. 360 x 245 x 300 mm (sans moniteur) Cycle à temps et volume constant

Évaluation et traitement de l insomnie associée au cancer

GUIDE D INFORMATIONS A LA PREVENTION DE L INSUFFISANCE RENALE

Elisée 150 Manuel patient Français

Urgent- information de sécurité

informations pratiques

Notions de base Gestion du patient au bloc opératoire

PLAN. Intérêt des cellules souches exogènes (hématopoïétiques ou mésenchymateuses) dans la réparation/régénération

POLITIQUE DE SECURITE DE L EFS ou la nécessité de construire un système sûr, durable, évolutif et raisonné

Migraine et Abus de Médicaments

Association lymphome malin-traitement par Interféron-α- sarcoïdose

La recherche clinique au cœur du progrès thérapeutique

Échelle comportementale de douleur (CPOT) (Gélinas et al., AJCC 2006 ;15(4) : ) Indicateur Score (0 à 8) Description

Place de la kinésithérapie précoce dans la prise en charge des neuromyopathies acquises en réanimation

Place et conditions de réalisation de la polysomnographie et de la polygraphie respiratoire dans les troubles du sommeil

Le sommeil Des milliards de neurones en activité

Prise en charge de l embolie pulmonaire

LE Module 04 : SOMMEIL Module 04 :

Evidence-based medicine en français

Comment évaluer. la fonction contractile?

A C T I V Méningites à pneumocoque de l Enfant en 2007

ÉNONCÉ DE PRINCIPE CONJOINT DE L'AMERICAN COLLEGE OF SPORTS MEDICINE ET DE L'AMERICAN HEART ASSOCIATION

LIGNES DIRECTRICES CLINIQUES TOUT AU LONG DU CONTINUUM DE SOINS : Objectif de ce chapitre. 6.1 Introduction 86

POLITIQUE SUR LE SOMMEIL ET LA SIESTE

Validation clinique des marqueurs prédictifs le point de vue du méthodologiste. Michel Cucherat UMR CNRS Lyon

Le sevrage de la trachéotomie

Préparer un 10km en 50 minutes environ

INFORMATION À DESTINATION DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ LE DON DU VIVANT

LA LUMIERE DYNAMIQUE DESORMAIS A LA PORTEE DE TOUS

Thérapeutique anti-vhc et travail maritime. O. Farret HIA Bégin

INDICATIONS DE L AMYGDALECTOMIE CHEZ L ENFANT

Evaluation péri-opératoire de la tolérance à l effort chez le patient cancéreux. Anne FREYNET Masseur-kinésithérapeute CHU Bordeaux

Prise en charge du patient porteur d un dispositif implantable. Dr Philippe Gilbert Cardiologue CHU pavillon Enfant-Jésus

Quand le stress nous rend malade

ALTO : des outils d information sur les pathologies thromboemboliques veineuses ou artérielles et leur traitement

INNOVATION De la rééducation au sport santé. LPG crée le Neuro

Equipe de Direction : -Docteur Christine BOURDEAU Responsable médical. - Annie PAPON Cadre responsable

*smith&nephew IV3000 Pansement pour cathéters réactif à l'humidité. Le pansement idéal pour cathéters

Programme de réhabilitation respiratoire

Chapitre 3 : Principe des tests statistiques d hypothèse. José LABARERE

Migraine et céphalées de tension: diagnostic différentiel et enjeux thérapeutiques

L INSUFFISANCE CARDIAQUE

Les définitions des saignements ACS/PCI

Le monitoring réinventé

Dr Laurence FAYARD- JACQUIN Cœurs du Forez Mise à jour

Manuel des réglementeurs

INTÉRÊT DE LA MESURE DE LA LACTATEMIE APRÈS LES COMPÉTITIONS APPLICATION AU SUIVI DU RECORDMAN OLYMPIQUE DU 400 m. NAGE LIBRE 1984 T.

SYNDROME D APNÉES OBSTRUCTIVES DU SOMMEIL (SAOS) UN VRAI DANGER POUR LES CONDUCTEURS

Application des courbes ROC à l analyse des facteurs pronostiques binaires

Maladies neuromusculaires

QUALITÉ DE L APPRENTISSAGE DE L INTUBATION ORO-TRACHÉALE EN LABORATOIRE DE SIMULATION, SON INTÉRÊT POUR LES PATIENTS.

Transplantation pulmonaire et mucoviscidose. Optimiser la prise en charge médicale

Traitement des hépatites virales B et C

Évaluation du risque cardiovasculaire dans le contexte de l hypertension artérielle et de son traitement

Analyse stochastique de la CRM à ordre partiel dans le cadre des essais cliniques de phase I

Transcription:

Réanimation 16 (2007) 61 66 available at www.sciencedirect.com journal homepage: http://france.elsevier.com/direct/reaurg/ MISE AU POINT Sommeil en réanimation Sleep in the intensive care unit B. Cabello a, *, A.-W. Thille b, J. Mancebo a a Servicio de medicina intensiva, hospital Santa-Creu-i-Sant-Pau, 167, avenuda Sant-Antoni-Maria-y-Claret, CP 08025 Barcelone, Espagne b Service de réanimation médicale, APHP, faculté de médecine, université Paris-XII, hôpital Henri-Mondor, Inserm U651, Créteil, France Disponible sur internet le 31 janvier 2007 MOTS CLÉS Réanimation ; Sommeil ; Ventilation artificielle Résumé La qualité du sommeil des patients ventilés en la réanimation est très altérée par rapport au sommeil physiologique. L environnement, la gravité de la maladie et les médicaments psychotropes ou hypnotiques peuvent influencer la qualité du sommeil. Le mode ventilatoire, mais aussi ses réglages pourraient avoir un impact sur le sommeil en réanimation. La ventilation spontanée en aide inspiratoire est largement utilisée pour le sevrage de la ventilation. Cependant, un niveau d aide excessif pendant le sommeil peut favoriser la survenue d apnées centrales et d efforts inefficaces. Ces deux événements respiratoires peuvent déclencher des réveils ou des microréveils, la fragmentation du sommeil, et ainsi altérer la qualité du sommeil. Les besoins métaboliques sont réduits au repos. Un niveau d assistance adéquat pendant l éveil peut devenir excessif pendant le sommeil. L impact des altérations du sommeil sur le pronostic des patients de réanimation reste inconnu. L optimisation des réglages du ventilateur pour éviter une assistance ventilatoire excessive, pourrait améliorer la qualité du sommeil des patients ventilés en réanimation. 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Intensive care unit; Sleep; Mechanical ventilation Abstract Sleep pattern in Intensive Care Unit (ICU) patients differs largely from physiological sleep. The ICU environment, the acuity of illness, the hypnotics and the sedatives could have an influence on the sleep quality and quantity. The ventilatory mode and the ventilatory settings may influence the sleep pattern. Pressure support ventilation is a ventilatory mode largely used for weaning purposes. An excessive level of pressure support can increase the sleep fragmentation due to central apneas and to ineffective efforts. These two respiratory events can trigger arousals and awakenings, the sleep fragmentation, thus altering the sleep quality. The metabolic demand is diminished during the sleep stage, and an adequate level of ventilatory assistance during wakefulness can be excessive during sleep. The impact of sleep Belen Cabello est soutenu pour l Instituto de Salud Carlos III (expedient CM04/00096, Ministerio de Sanidad) et l Instituto de Recerca Hospital de la Santa Creu i Sant Pau. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : mcabello@santpau.es (B. Cabello). 1624-0693/$ - see front matter 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2006.12.013

62 B. Cabello et al. derangements in ICU patients outcomes is unknown. The optimization of the ventilatory settings aim to avoid an excessive ventilatory assistance could improve sleep quality in mechanically ventilated ICU patients. A deeper understanding of the sleep physiopathology could help to elucidate its impact in the patients outcomes. 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Introduction Le sommeil en réanimation a été très peu exploré jusqu à ce jour, probablement parce que les médicaments hypnotiques utilisés pour la sédation compliquent l analyse précise des étapes du sommeil. Le sommeil physiologique est un état d inconscience rapidement réversible. Au contraire, la sédation induit un état de sommeil non physiologique, qui peut aller d un état de sommeil superficiel à un coma pharmacologique si la sédation est plus profonde. La sédation ne permet cependant pas d accéder aux phases de sommeil réparateur physiologiques. Cette différence entre sommeil et sédation constitue donc un point essentiel lors de l évaluation du sommeil en réanimation. En effet, certaines études enregistrent le sommeil des patients alors qu ils sont sédatés, ce qui rend difficile l interprétation des résultats [1 3]. L autre limitation vient du fait que l analyse objective du sommeil nécessite un enregistrement par une polysomnographie qui enregistre l électroencéphalogramme (EEG), outil complexe mais applicable en réanimation. La polysomnographie est le seul moyen d analyser de façon objective et précise le sommeil. Les patients non sédatés semblent dormir alors que l analyse par polysomnographie retrouve principalement du sommeil superficiel non réparateur. En effet, la comparaison entre une analyse par polysomnographie et l impression subjective des infirmières, montre que la quantité de sommeil observée par les infirmières surestime le sommeil déterminé par la polysomnographie [4]. Sommeil physiologique La distribution normale du sommeil est répartie plusieurs phases : le sommeil paradoxal ou REM (rapid eye movement) qui représente 25 % du sommeil total, et le sommeil lent ou non-rem (Tableau 1). Le non-rem est divisé en quatre phases: Les stades 1 et 2 constituent le sommeil lent léger : le stade 1 est une phase de transition entre la veille et le sommeil (3 8 % du sommeil total) alors que le stade 2 représente 50 % du sommeil total. Le sommeil lent profond correspond aux stades 3 et 4 (20 % du sommeil total), caractérisés par des ondes lentes à l EEG. Les stades 3 et 4 et le sommeil paradoxal sont les plus réparateurs. Le sommeil Tableau 1 Pourcentage de sommeil paradoxal (REM) et des différentes phases de sommeil non paradoxal (NREM) Sommeil paradoxal REM : 20 25 % du temps du sommeil Sommeil NREM : 75 80 % du temps de sommeil Stade 1 : 3 à 8 % Stade 2 : 45 à 55 % Stade 3 : 3 à 8 % Stade 4 : 10 à 15 % paradoxal survient de façon cyclique toutes les 90 minutes. Il est caractérisé par des variations physiologiques : respiration irrégulière, variabilité du rythme cardiaque et tensionnel, altération de la thermorégulation, variations phasiques de tonus vagal et sympathique, et l apparition des rêves. Le sommeil paradoxal et les rêves surviennent plutôt en fin de nuit alors que le sommeil profond réparateur (phase 3 et 4) survient plutôt en début de nuit. Le sommeil peut être fragmenté par des épisodes de microréveils qui correspondent à des variations brutales de la fréquence à l EEG d une durée supérieure à trois secondes, et des épisodes de réveils. L horloge biologique, qui régule le cycle veille sommeil (rythme circadien), est sous la dépendance du noyau suprachiasmatique de la glande pinéale qui sécrète la mélatonine. La lumière est le plus puissant régulateur de la mélatonine. La qualité du sommeil dépend du pourcentage de chaque stade (architecture du sommeil) et du niveau de fragmentation. Le sommeil est caractérisé par : la quantité de sommeil : temps total de sommeil par rapport au temps d enregistrement ; la distribution du sommeil : répartition sur le jour et la nuit ; l architecture : pourcentage de chaque phase du sommeil, représenté au cours du temps par l hypnogramme (Fig. 1) ; la fragmentation : nombre de réveils et de microréveils au cours du sommeil. Caractéristiques du sommeil en réanimation Très peu d études ont évaluées le sommeil des patients de réanimation à l aide de la polysomnographie [5,6]. On retrouve des résultats contradictoires concernant la durée de sommeil, qui est soit diminuée [4,7], soit quasi normale [2,8]. Quelle que soit la durée, toutes les études mettent en évidence des altérations de la qualité du sommeil [2,3,7, 8]. Ces anomalies portent sur la distribution, l architecture et la fragmentation du sommeil. Il existe une fragmentation très élevée avec de nombreux microréveils, et une nette diminution du temps de sommeil réparateur (stade 3 et 4) et du temps de sommeil paradoxal. Le rythme circadien est modifié puisque près de la moitié du temps total de sommeil survient pendant la journée [2,3,8 10]. Les causes de perturbation du sommeil en réanimation sont inconnues. Freedman et al. [8] observaient que le bruit était responsable des épisodes de microéveils et réveils, que dans 25 % des cas ; de la même façon, Gabor et al. [3] montraient que le bruit et les soins donnés au patient comptaient pour moins de 30 % des épisodes de microréveils et réveils alors que la cause n était le plus sou-

Sommeil en réanimation 63 Figure 1 Deux hypnogrammes d une durée de 18 heures (en abscisse), chez un sujet sain (en haut) et chez un patient de réanimation (en bas). L axe des ordonnées représente les différentes phases du sommeil : éveil, SP (sommeil paradoxal) et les quatre stades du sommeil (S1, S2, S3 et S4). Le sujet sain présente un rythme circadien physiologique : il dort la nuit et reste éveillé la journée. Ce rythme circadien du patient ventilé est très altéré avec un sommeil qui survient aussi bien le jour que la nuit. On observe aussi un faible pourcentage de sommeil paradoxal (REM) et du sommeil lent (stades 3 + 4). vent pas identifiée (70 % des cas). Mis à part le bruit et les soins, d autres facteurs comme les médicaments sédatifs [11], la ventilation mécanique [9] ou la maladie sousjacente [2,12] pourraient être impliqués dans la qualité du sommeil. Il a été observé que l architecture du sommeil était altérée de façon parallèle à la gravité de la maladie pour se normaliser lors la guérison [3]. Sommeil et ventilation mécanique L impact de la ventilation mécanique sur le sommeil des patients de réanimation est peu connu et difficile d interprétation lorsque la sédation y est associée. Les hypnotiques induisent un «sommeil» artificiel différent du sommeil physiologique [11,13]. Le mode ventilatoire, mais aussi les paramètres ventilatoires peuvent modifier la qualité du sommeil des patients de réanimation. Meza et al. [14] montraient qu une augmentation du niveau d aide inspiratoire provoquait des microréveils et une fragmentation du sommeil secondaire à des apnées centrales. Au cours du sommeil, les chémorécepteurs sensibles à la PCO 2 deviennent le principal stimulus de la ventilation, alors que le stimulus cortical devient minoritaire. Une diminution de PCO 2 en dessous d un certain seuil diminue la commande centrale de la respiration et favorise les apnées. Les besoins métaboliques et la demande ventilatoire sont réduits au cours du sommeil physiologique. Si la ventilation alvéolaire reste constante pendant le sommeil alors la PCO 2 peut diminuer en dessous de la valeur seuil lors du sommeil. Le niveau d assistance ventilatoire déterminé pendant la veille peut devenir excessif pendant le sommeil et provoquer une hyperventilation, favorisant les apnées centrales et la fragmentation du sommeil. Dans ce cas, la fragmentation du sommeil est secondaire à assistance ventilatoire excessive. Parthasarathy et al. [9] comparaient l effet de deux modes ventilatoires chez 11 patients de réanimation sur la fragmentation (réveils et microéveils) du sommeil. Ils observaient un sommeil plus fragmenté lors de la ventilation spontanée en aide inspiratoire (VSAI) que lors de la ventilation assistée contrôlée (VAC). La fragmentation était associée à des apnées centrales fréquentes en VSAI, alors qu elles ne peuvent survenir en VAC. L addition d un espace mort en VSAI (qui correspond à la réduction du niveau d aide) diminuait la fragmentation du sommeil à la même valeur que la VAC. Ces résultats renforcent l idée qu un niveau d aide excessif favorise les apnées liées à une hyperventilation, et altère la qualité du sommeil sous ventilation (Fig. 2). Fanfulla et al. [15] ont comparé deux réglages ventilatoires en VSAI chez neuf patients ventilés de façon chronique pour une maladie neuromusculaire. Le premier réglage était basé sur les paramètres cliniques tandis que le second réglage était ajusté avec la mesure de la pression œsophagienne (réglage physiologique), afin d optimiser l effort du patient. Le réglage physiologique permettait d améliorer la quantité et la qualité du sommeil. Cet ajustement diminuait les apnées, mais aussi au nombre d efforts inefficaces. Le niveau d aide et le niveau de PEP (pression expiratoire positive) tendaient à être diminués, ce qui réduisait la PEP intrinsèque et les asynchronies patient ventilateur. Cabello et al. ont comparé l impact de trois modalités ventilatoires sur la qualité du sommeil, chez des patients conscients et non sédatés [10]. Ces trois stratégies ventilatoires étaient randomisées de façon successive : ventilation assistée contrôlée (VAC), ventilation spontanée avec aide inspiratoire (VSAI) et l ajustement automatique de l aide inspiratoire par le système SmartCare (VSAIa). Ce système

64 B. Cabello et al. Figure 2 De haut en bas : électroencéphalogramme (EEG), électro-oculogramme (EOG), pression des voies aériennes (PAW) et pléthysmographie thoracoabdominale. Cette période d enregistrement (30 secondes) montre une apnée centrale survenant en aide inspiratoire (flèche noire) suivie par un microéveil (cercle vert), pendant une phase de sommeil paradoxal. automatisé permet un ajustement continu du niveau d aide inspiratoire afin de maintenir le patient dans une «zone de confort», selon la fréquence respiratoire, le volume courant et la valeur téléexpiratoire de la PCO 2 (EtCO 2 ) [16, 17]. L hypothèse était que le système automatisé pourrait améliorer la qualité du sommeil en diminuant les épisodes d éveil et de microéveils liés à l hyperventilation relative qui peut survenir au cours du sommeil. Cependant, aucune différence n a été détectée entre les trois modalités ventilatoires concernant l architecture, la fragmentation (Fig. 3) et la quantité de sommeil (Fig. 4). La moyenne du niveau d aide était similaire entre l ajustement déterminé par le clinicien et l ajustement automatique. Ainsi, l absence de différence est probablement liée au fait que la ventilation minute restait identique avec les trois modalités ventilatoires. De plus, les efforts inefficaces et les apnées centrales étaient peu fréquents dans cette étude. Ces résultats suggèrent qu un réglage ventilatoire adéquat permette d éviter les apnées et les asynchronies secondaires à l hyperventilation relative [9,18,19]. De plus, l optimisa- Figure 3 Index de fragmentation (épisodes de microréveils + réveils) au cours des trois modalités ventilatoires : ventilation assistée contrôlée (VAC), ventilation spontanée avec aide inspiratoire (VSAI) et aide inspiratoire ajusté par le système automatisé Smart Care (VSAIa). Aucune différence n a été observée entre les trois modes ventilatoires. Figure 4 Efficacité du sommeil (temps de sommeil/temps d enregistrement) au cours des trois modalités ventilatoires : ventilation assistée contrôlée (VAC), ventilation spontanée avec aide inspiratoire (VSAI) et aide inspiratoire ajusté par le système automatisé Smart Care (VSAIa). Aucune différence n a été observée entre les trois modes ventilatoires.

Sommeil en réanimation 65 tion des paramètres ventilatoire paraît plus importante que le mode ventilatoire sur la qualité du sommeil. L application clinique de cette étude est que le changement de mode ventilatoire pour la nuit (passage en ventilation assistée contrôlée) n est pas indispensable et ne permet pas d améliorer la qualité du sommeil. Cependant, le réglage du ventilateur doit être adapté afin d éviter une assistance ventilatoire excessive pendant la phase du sommeil. L altération du rythme circadien peut néanmoins rendre difficile l optimisation des réglages ventilatoires puisque le patient dort la nuit comme le jour [2,3]. La lumière artificielle ou l administration de mélatonine pourraient peut-être favoriser la restauration du rythme circadien [20], et devront être étudiés dans de futures études. Mundiglier et al. ont mesuré la fluctuation circadienne d un métabolite urinaire de la mélatonine, le 6-sulfatoxymelatonin (6-SMT), chez des patients en choc septique, chez des patients sans choc septique et chez des sujets témoins [21]. Ils ont retrouvé que l augmentation physiologique du métabolite 6-SMT au cours de la nuit était réduite chez les patients atteints de choc septique, témoignant de l altération du rythme circadien. De plus, le rythme circadien se normalise lors de la guérison. Cependant, les patients en choc septique étaient ventilés et sédatés, au contraire du groupe contrôle (patients sans choc septique) ce qui rend difficile l interprétation de l influence du sepsis, de la sédation ou de la ventilation, et ainsi de conclure à la cause réelle de l altération de rythme circadien. Conséquences des altérations du sommeil Le sommeil se définit comme «un comportement physiologique spontanément et rapidement réversible, associant une inactivité dans une posture particulière et une diminution de la réactivité aux stimuli». Le sommeil s oppose à la sédation par son caractère réversible [22]. La fonction exacte du sommeil n est pas connue, mais il est indispensable puisque la privation de sommeil chez le rat conduit à la mort de l animal [23]. Dans le monde animal, le sommeil provoque un déficit d attention qui expose à un risque mortel face aux prédateurs, ce qui souligne son importance. Certaines théories impliquent le sommeil lent profond dans la régénération physique et le sommeil paradoxal dans la régénération cérébrale. Chez l homme, la privation de sommeil peut être associée à une diminution de la force et de la résistance à l effort des muscles respiratoires [24], mais aussi à une diminution des défenses immunitaires [25]. Le sommeil des patients de réanimation est très fragmenté et le nombre de microréveils est proche de celui des patients qui présentent des apnées obstructives [26], alors que ces patients ont plus de risques liés aux morbidités d origine cardiovasculaire associées [27,28]. Dans une étude portant sur des patients de réanimation en coma post-traumatique, il a été observé que la survie et la récupération fonctionnelle étaient supérieures chez ceux qui présentaient une architecture du sommeil proche de la physiologie [29]. De plus, la privation ou l altération du sommeil pourrait favoriser les états d agitation, de delirium ou de confusion chez les patients de réanimation [30,31]. Il a récemment été montré que la survenue d un état de delirium au cours de l hospitalisation en réanimation était un facteur indépendant associé à la mortalité [32]. Les altérations du sommeil pourraient donc avoir des conséquences non négligeables sur le pronostic des patients de réanimation. Conclusion Le sommeil des patients de réanimation est très altéré. La majorité des causes de fragmentation du sommeil sont inconnues. Le mode ventilatoire et les réglages ventilatoires peuvent influencer la qualité du sommeil. L objectif est d éviter une assistance ventilatoire excessive, qui peut favoriser les apnées et altérer la qualité du sommeil. Plus que le mode ventilatoire, les réglages pourraient être l élément déterminant dans l influence de la ventilation sur le sommeil. References [1] Hardin KA, Seyal M, Stewart T, Bonekat HW. Sleep in critically ill chemically paralyzed patients requiring mechanical ventilation. Chest 2006;129:1468 77. [2] Cooper AB, Thornley KS, Young GB, Slutsky AS, Stewart TE, Hanly PJ. Sleep in critically ill patients requiring mechanical ventilation. Chest 2000;117:809 18. [3] Gabor JY, Cooper AB, Crombach SA, Lee B, Kadikar N, Bettger HE, et al. Contribution of the intensive care unit environment to sleep disruption in mechanically ventilated patients and healthy subjects. Am J Respir Crit Care Med 2003;167: 708 15. [4] Aurell J, Elmqvist D. Sleep in the surgical intensive care unit: continuous polygraphic recording of sleep in nine patients receiving postoperative care. Br Med J (Clin Res Ed) 1985; 290:1029 32. [5] Parthasarathy S, Tobin MJ. Sleep in the intensive care unit. Intensive Care Med 2004;30:197 206. [6] Parthasarathy S. Sleep during mechanical ventilation. Curr Opin Pulm Med 2004;10:489 94. [7] Hilton BA. Quantity and quality of patients sleep and sleepdisturbing factors in a respiratory intensive care unit. J Adv Nurs 1976;1:453 68. [8] Freedman NS, Gazendam J, Levan L, Pack AI, Schwab RJ. Abnormal sleep/wake cycles and the effect of environmental noise on sleep disruption in the intensive care unit. Am J Respir Crit Care Med 2001;163:451 7. [9] Parthasarathy S, Tobin MJ. Effect of ventilator mode on sleep quality in critically ill patients. Am J Respir Crit Care Med 2002;166:1423 9. [10] Cabello B, Thille A, Drouot X, Galia F, Mancebo J, D Ortho M, et al. Sleep quality in mechanically ventilated patients: Comparison of three ventilatory modes. Intensive Care Med 2006 S1.32. S250.A966. [11] Bourne RS, Mills GH. Sleep disruption in critically ill patientspharmacological considerations. Anaesthesia 2004;59:374 84. [12] Parthasarathy S, Tobin M. Is sleep disruption related to severity of critical illness? Am J of Respir Crit Care Med 2003;167. [13] Sebel PS, Bovill JG, Wauquier A, Rog P. Effects of high-dose fentanyl anesthesia on the electroencephalogram. Anesthesiology 1981;55:203 11. [14] Meza S, Mendez M, Ostrowski M, Younes M. Susceptibility to periodic breathing with assisted ventilation during sleep in normal subjects. J Appl Physiol 1998;85:1929 40. [15] Fanfulla F, Delmastro M, Berardinelli A, Lupo ND, Nava S. Effects of Different Ventilator Settings on Sleep and Inspira-

66 B. Cabello et al. tory Effort in Patients with Neuromuscular disease. Am J Respir Crit Care Med 2005;172:619 24. [16] Dojat M, Harf A, Touchard D, Lemaire F, Brochard L. Clinical evaluation of a computer-controlled pressure support mode. Am J Respir Crit Care Med 2000;161:1161 6. [17] Lellouche F, Mancebo J, Jolliet P, Roeseler J, Schortgen F, Dojat M, et al. A multicenter randomized trial of computerdriven protocolized weaning from mechanical ventilation. Am J Respir Crit Care Med 2006;174:894 900. [18] Thille AW, Rodriguez P, Cabello B, Lellouche F, Brochard L. Patient-ventilator asynchrony during assisted mechanical ventilation. Intensive Care Med 2006;32:1515 22. [19] Chao DC, Scheinhorn DJ, Stearn-Hassenpflug M. Patientventilator trigger asynchrony in prolonged mechanical ventilation. Chest 1997;112:1592 9. [20] Bourne RS, Mills GH. Melatonin: possible implications for the postoperative and critically ill patient. Intensive Care Med 2006;32:371 9. [21] Mundigler G, Delle-Karth G, Koreny M, Zehetgruber M, Steindl-Munda P, Marktl W, et al. Impaired circadian rhythm of melatonin secretion in sedated critically ill patients with severe sepsis. Crit Care Med 2002;30:536 40. [22] Weinhouse GL, Schwab RJ. Sleep in the critically ill patient. Sleep 2006;29:707 16. [23] Rechtschaffen A, Gilliland MA, Bergmann BM, Winter JB. Physiological correlates of prolonged sleep deprivation in rats. Science 1983;221:182 4. [24] Chen HI, Tang YR. Sleep loss impairs inspiratory muscle endurance. Am Rev Respir Dis 1989;140:907 9. [25] Bryant PA, Trinder J, Curtis N. Sick and tired: Does sleep have a vital role in the immune system? Nat Rev Immunol 2004;4: 457 67. [26] Guilleminault C, Partinen M, Quera-Salva MA, Hayes B, Dement WC, Nino-Murcia G. Determinants of daytime sleepiness in obstructive sleep apnea. Chest 1988;94:32 7. [27] Trinder J, Merson R, Rosenberg JI, Fitzgerald F, Kleiman J, Douglas Bradley T. Pathophysiological interactions of ventilation, arousals, and blood pressure oscillations during cheynestokes respiration in patients with heart failure. Am J Respir Crit Care Med 2000;162:808 13. [28] Leung RS, Bradley TD. Sleep apnea and cardiovascular disease. Am J Respir Crit Care Med 2001;164:2147 65. [29] Valente M, Placidi F, Oliveira AJ, Bigagli A, Morghen I, Proietti R, et al. Sleep organization pattern as a prognostic marker at the subacute stage of post-traumatic coma. Clin Neurophysiol 2002;113:1798 805. [30] Helton MC, Gordon SH, Nunnery SL. The correlation between sleep deprivation and the intensive care unit syndrome. Heart Lung 1980;9:464 8. [31] Trompeo A, Vidi Y, Locane D, Braghiroli A, Bonneto C, Ranieri M. Relationship between sleep abnormalities and delirium occurrence in ICU. Am J Respir Crit Care Med 2006;3(A639). [32] Ely EW, Shintani A, Truman B, Speroff T, Gordon SM, Harrell Jr. FE, et al. Delirium as a predictor of mortality in mechanically ventilated patients in the intensive care unit. JAMA 2004;291:1753 62.