INTÉGRER L ERGONOMIE À LA CONDUITE D UN PROJET DE CERTIFICATION ISO 9001 1



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INTÉGRER L ERGONOMIE À LA CONDUITE D UN PROJET DE CERTIFICATION ISO 9001 1 VIAU-GUAY ANABELLE, LAMONDE FERNANDE Département des relations industrielles, Université Laval, Sainte-Foy, Québec, Canada, G1K 7P RÉSUMÉ Cette communication présente une intervention ergonomique réalisée dans une PME manufacturière québécoise engagée dans un processus de certification ISO 9001 (version 2000). Les modalités d intégration de l ergonomie à un tel projet sont présentées en trois volets : 1) favoriser l insertion de l ergonomie dans un projet où, a priori, celle-ci n a pas sa place; 2) redéfinir progressivement un projet initialement pensé en dehors de l ergonomie; 3) concevoir les instructions exigées par la certification comme une aide au travail. L expérience montre que l ergonomie peut favorablement être impliquée dans ce type de projet. Elle met en évidence les mécanismes de qualité et de non-qualité de même que des critères d utilisation permettant de discriminer des choix de conception équivalents du point de vue de la certification. Plus généralement, elle remet en question la démarche de certification même en conviant l entreprise à se demander si elle veut simplement être accréditée ISO ou, plus largement, implanter un système-qualité. Mots clés : ergonomie de conception, assurance-qualité, certification ISO 9001 THE INTEGRATION OF ERGONOMICS IN ISO 9001 PROJECT MANAGEMENT ABSTRACT The integration of ergonomics in ISO 9001 project management. This communication presents an ergonomic intervention that took place in a context of ISO 9001 (2000) certification project in a small Quebec factory. Three aspects of the intervention are developed : how to start such a singular collaboration, the progressive re-definition of the project and the work instruction s conception. The study shows that ergonomics should be integrated in every phase of that kind of project. Indeed, it allowed us to highlight positive and negative quality mechanisms. In addition, it brought the utilisation criteria, used as a discrimination tool when a choice had to be made between two quality-equivalent transformations. More generally, ergonomics stresses the importance of determining the real project goal : is it only the certification itself, or is it really quality-oriented? Key words: conception ergonomics, quality management, ISO 9001 certification 1 Cette intervention a pu être réalisée grâce au support financier du Fonds pour la formation de chercheurs et d aide à la recherche (FCAR) et grâce à la collaboration de l entreprise manufacturière participante et de l Association sectorielle paritaire - secteur habillement. 1

INTRODUCTION Cette intervention s est déroulée dans une entreprise manufacturière de vêtements employant une cinquantaine de personnes et située dans la région de Québec. Cette entreprise effectue la vente et la coupe d uniformes de travail variés mais confie l assemblage à des entreprises sous-traitantes. L intervention ergonomique réalisée s inscrit dans un contexte doublement particulier. D abord, le projet de conception dans lequel elle s est insérée en était un de certification ISO (9001, version 2000) et se situe donc dans le domaine de la qualité. Or, l ergonomie de conception s est surtout développée, ces vingt dernières années, en rapport avec des projets techniques réalisés par des ingénieurs, des architectes et des informaticiens [par exemple 1, 3, 6]. En dépit du fait que l organisation du travail est depuis longtemps identifiée comme une composante des situations de travail (8), l ergonomie s est peu investie dans les projets qui, comme celui relaté ici, sont gérés par des spécialistes du management et visent à concevoir des processus administratifs d assurance-qualité. Ensuite, parmi les objets à concevoir dans le cadre d un projet ISO se trouvent les instructions de travail à insérer dans le Manuel d assurance-qualité de l entreprise. Certes, quelques publications font état d interventions ergonomiques articulées autour de la conception de procédures [par exemple 2]. Toutefois, il s agit le plus souvent de procédures de sûreté devant faciliter la conduite incidentelle et accidentelle de systèmes continus, complexes et à haut risque (ex.: les centrales nucléaires). La conception de procédures ISO est guidée par des critères et des enjeux différents. Ces particularités du contexte d intervention ont évidemment exigé leur lot d innovations et d adaptations. La présente communication vise à en formaliser quelques unes. INTÉGRER L ERGONOMIE À UN PROCESSUS DE CERTIFICATION ISO 9001 Les moyens de réaliser cette intégration relatés ici sont ceux mis en œuvre pour : 1) favoriser l insertion de l ergonomie dans un projet où, a priori, celle-ci n a pas sa place; 2) redéfinir progressivement un projet initialement pensé en dehors de l ergonomie; 3) concevoir les instructions exigées par la certification comme une aide au travail. Démarrer une collaboration a priori singulière Au moins trois éléments de contexte ont déterminé fortement la façon dont nous nous sommes intégrée au projet au départ. Premièrement, une incertitude, partagée avec nos interlocuteurs (une chargée de projet à l interne, un consultant externe et le directeur de l entreprise), régnait en ce qui à trait à ce que l ergonomie pourrait apporter au projet de certification ISO. Il est d usage, dans des projets de conception technique, de devoir faire évoluer les représentations que nos interlocuteurs ont de la place de l ergonomie dans le projet (l étape à laquelle l intégrer, les problèmes qu elle peut résoudre, etc.). Dans notre cas, nos interlocuteurs faisaient preuve d une grande ouverture d esprit mais même le consultant externe embauché par l entreprise, qui pilotait des projets de certification depuis de nombreuses années, n avait jamais entendu parler de quelle qu intégration de l ergonomie que ce soit. En ce qui nous concerne, étant donné l absence de références dans le domaine, nous n avions qu une seule certitude : l analyse de l activité apporterait de l eau au moulin puisque la qualité est un des résultats des activités de travail individuelles et collectives et les instructions constituent une part de ce qui déterminent de telles activités. Deuxièmement, notre mandat était défini en réponse aux exigences de la certification : on nous a demandé de prendre en charge un secteur précis de l entreprise (le taillage) et de rédiger des instructions de travail pour chaque poste s y trouvant (un poste de coordonateur / marqueur 2

de patrons, un poste de coupeur et deux postes de coupeurs / marqueurs). Troisièmement, l échéancier du projet, suffisant pour la certification, s avérait serré pour nous. Ces divers éléments de contexte ont conditionné le début de notre intervention d au moins deux façons. D abord, nous avons négocié un mandat à la fois large et restreint. Ainsi, il a été convenu dès le départ que nous procéderions à des analyses d activités en vue de produire une connaissance globale des mécanismes contribuant ou faisant obstacle à la qualité, la productivité et la santé-sécurité. L entreprise serait donc être instruite de solutions : 1) pour améliorer la qualité, pouvant ne pas être exigées par le processus de certification et nécessiter d agir en marge du secteur taillage et des instructions de travail; 2) pour améliorer les situations de travail sur la base de critères autres que la qualité (la productivité et la santé-sécurité). Toutefois, compte tenu de l incertitude entourant notre rôle, nous avons décidé de considérer l échéancier serré du projet comme une contrainte ne laissant pas de marge à la négociation. En conséquence, nous avons négocié une mandat limité à l accompagnement de transformations nécessaires à l obtention de la certification ISO; les autres seraient listées sous forme de recommandations dans un rapport écrit remis ultérieurement. Nous verrons plus loin que cette partie du mandat a finalement été élargi en cours de projet. Ensuite, concernant les modalités de notre intégration à l équipe projet, nous avons choisi d assister à toutes les réunions hebdomadaires entre la chargée de projet et le consultant externe et de demander que des choix de conception relatifs au taillage soient abordés plus tôt que prévu dans l échéancier. Pourquoi resserrer ainsi nos contraintes et «perdre» ce temps précieux alors que nos analyses d activités n étaient pas finalisées et que plusieurs réunions ne portaient pas sur des problématiques relevant de notre mandat? D une part, cela nous a permis de nous familiariser rapidement avec les particularités d un projet de certification ISO et le fonctionnement général de l entreprise. D autre part, nous avons pu plus rapidement soulever et contribuer à résoudre des problèmes de qualité, ce qui a permis d acquérir une crédibilité et démontrer l apport de l analyse de l activité. Cela a contribué, on le verra plus loin, à lever les contraintes temporelles et l incertitude décrites plus tôt. Redéfinir progressivement un projet d abord structuré en dehors de l ergonomie Le rôle de l ergonomie se clarifiant au fur et à mesure du projet, nous avons pu influencer progressivement sa structuration et nous donner davantage les moyens de remplir le mandat que nous nous étions négocié. Rapidement, nous avons contribué à enrichir les objectifs du projet, comme il est d usage de le faire en ergonomie de conception (par exemple, 3). Tel que prévu, l analyse des activités au taillage a mis en évidence des composantes du processus de production qui créaient des problèmes de qualité mais dont la transformation n était pas exigée par la norme ISO 9001. Dès lors, c est l objectif de l ensemble du projet qui a été revu. Au lieu de viser la certification, il a été convenu de chercher à apporter toutes les transformations susceptibles d améliorer la qualité, y compris celles non nécessaires pour l audit. Partant, la chargée de projet a négocié un allongement substantiel du calendrier du projet, les transformations requises étant plus nombreuses que celles prévues par le consultant ISO au moment de son diagnostic qualité. Ce changement de cap au niveau de l objectif s est accompagné d autres restructurations fondamentales du projet. 3

D abord, le seul critère de concordance aux exigences de la norme ne permettait pas toujours de discriminer de façon efficace les différentes solutions pouvant être appliquées pour la résolution d un problème de qualité donné. En cherchant maintenant à améliorer la qualité, il est devenu d usage de rechercher des critères d utilisation formalisés grâce aux analyses de l activité pour faciliter la prise de décision par le comité. Ensuite, la recherche de la certification ISO induisait plus ou moins une analyse des problèmes de qualité et une conception des solutions «secteur par secteur», voire poste par poste. Ce mode de découpage a rapidement été remis en cause par les analyses d activité. Par exemple, certains problèmes de qualité se manifestant au taillage appelaient des transformations en amont, au niveau de la gestion des inventaires ou de la réception des commandes. Bref, les analyses d activité ont permis de démontrer que des déterminants organisationnels situés en amont du taillage avaient des conséquences au niveau de la qualité, et que l intervention ne pouvait se cantonner à ce secteur. Plus largement, il a été progressivement admis que la conception d un système de qualité exige de considérer l entreprise dans toute sa dynamique. Enfin, tant que l objectif du projet a été d obtenir rapidement la certification ISO, les instructions de travail constituaient, pour nos interlocuteurs, une façon privilégiée d améliorer la qualité. Nos analyses d activité ont contribué fortement à repenser le rôle des instructions comme mécanisme de qualité en montant qu il était possible de penser à un ensemble beaucoup plus diversifié de moyens à mettre en place. Concrètement, les mécanismes de qualité et de non-qualité qu elles ont permis d identifier ont été systématiquement soumis à la question : «Faut-il les reconduire/y faire échec en agissant directement sur les façons de faire (par le biais des instructions) ou, indirectement et en amont, sur ce qui les détermine?». Progressivement, la préférence a été accordée aux solutions transformant les autres composantes de la situation de travail (que les instructions) et ce, pour deux principales raisons. D abord, cela permettait de limiter la contrainte que représentait le respect des instructions pour les opérateurs, en particulier pour les opérateurs expérimentés pour lesquels on entrevoyait une faible utilisation de celles-ci. Ensuite, cela permettait de limiter le nombre d enregistrements à réaliser au taillage, considérés aussi comme des contraintes supplémentaires. De fait, les éléments inscrits dans les instructions ne pouvant être constatés de visu par l auditeur devaient être consignés dans des enregistrements, ce qui n est pas requis lorsque la transformation s applique uniquement à la procédure. Il a donc fallu en cours d intervention réaliser une évaluation coût-bénéfice pour chacune des transformations envisagées, les instructions devenant le moyen de dernier recours lorsque la transformation du processus était impossible ou non désirée par la direction. Au total, les actions de correction entreprises «hors instructions» se sont donc avérées plus importantes que ce qui étaient initialement anticipé; elles ont par exemple touché le système de gestion des inventaires de même que certains formulaires utilisés par les opérateurs. Concevoir les instructions comme une aide au travail Un projet de certification similaire avait été démarré, quelques années auparavant, sans toutefois se rendre à l étape de l audit. Ce projet avait donné lieu à la rédaction d instructions de travail qui décrivaient de façon très sommaire les tâches des opérateurs en situation existante. Ceux-ci avaient progressivement abandonné ces instructions qui, de leur dire même, représentaient un travail supplémentaire sans pour autant améliorer la qualité. Pour nous, il était donc évident qu il fallait concevoir des instructions du travail qui, à la fois, feraient évoluer les pratiques existantes et assisteraient les opérateurs dans leurs objectifs de qualité. De plus, ces instructions devaient rencontrer les exigences de la certification, soit être rédigées de façon à ce que l auditeur puisse évaluer leur respect par les opérateurs.

L analyse de l activité a doublement facilité l atteinte de ces objectifs. D abord, nous l avons dit, elle a permis de circonscrire les mécanismes de qualité et de non-qualité respectivement à reconduire ou à éliminer par la conception d instructions de travail formalisant ou cherchant à modifier les façons de travailler existantes. Ensuite, elle a conduit à penser le découpage des instructions par fonction, par opposition à un découpage basé sur les postes de travail et les descriptions de tâches. Les diverses significations accordées par l ensemble des opérateurs du taillage à leurs actions sont en fait devenues les principales rubriques couvertes par les instructions de travail. En prolongement, les résultats de l analyse de l activité ont servis à rédiger des instructions faciles d utilisation, supportant la prise de décisions et minimisant l effet «contrainte supplémentaire» pour les opérateurs (, 9). CONCLUSION En conclusion, l accréditation ISO étant de plus en plus exigée par les clients des entreprises, il est fort à parier que ce type de projet connaîtra une croissance au cours des prochaines années, d où l intérêt d une réflexion quant à la façon d y articuler l ergonomie. En effet, la démarche d accréditation ISO, tout comme les autres projets d assurance-qualité, peut être vue comme une occasion pour l organisation de revoir entièrement son processus de production et d apporter des changements dans les situations de travail à tous les niveaux : les espaces, les équipements matériels et immatériels, l organisation du travail et la formation; cette dernière fait d ailleurs partie des items que la norme ISO 9001 exige de couvrir (7). Bref, dans ces projets, les déterminants de l activité peuvent être transformés dans un délai très court, souvent par des consultants externes peu au fait du travail réel. Dans l expérience relatée ici, l intégration de l ergonomie a eu des impacts positifs sur le projet de certification ISO. Les plus importants sont l élargissement de l objectif de certification vers un objectif de qualité, l utilisation du critère d utilisation comme élément permettant de discriminer des transformations équivalentes du point de vue des exigences de la norme ISO 9001 et enfin, la conception d instructions de travail représentant une aide au travail et une composante parmi d autres d un ensemble de situations de travail à concevoir de manière intégrée pour favoriser la qualité. RÉFÉRENCES (1) Daniellou F. 1996. Questions épistémologiques soulevées par l ergonomie de conception. In : F. Daniellou (s/d), L ergonomie en quête de ses principes. Débats épistémologiques, Toulouse : Octarès. (2) Jeffroy F, Theureau J, Vermersch P. 1997. Quel guidage des opérateurs en situation incidentelle accidentelle? Analyse ergonomique de l activité de conduite avec procédures, Paris : rapport IPSN-CNRS. (3) Ledoux É. 2000. Du bâtiment au projet : la contribution des ergonomes à l instruction des choix, Thèse d ergonomie, Paris : CNAM. () Mazeau M. 1998. Procédures : recommandations minimales de réalisation et d utilisation. Performances humaines et techniques, juillet-août, no 95, p. 8-13. (5) Organisation internationale de normalisation. 2000. ISO 9001 :Systèmes de management de la qualité Exigences, Troisième édition. 5

(6) Theureau J., Jeffroy F. (Coord.). 199. Ergonomie des situations informatisées. La conception centrée sur le cours d action des utilisateurs, Toulouse : Octarès. (7) Todorov, B. 199. ISO 9000 : un passeport mondial pour le management de la qualité. Montréal : Gaëtan Morin éditeur (8) Toulouse G., Savoie M. 2000. Ergonomes et managers : coopérer efficacement de quelle façon? L ergonome et ses partenaires : des territoires partagés, Journées de la pratique, Association canadienne d ergonomie/québec. (9) Veyrac H. 1998. Repères pour évaluer le caractère d aide de consignes. Performances humaines et techniques, mai-juin, no 9, p.16-23. 6