La Princesse de Montpensier Les figures paternelles
Noël Simsolo met en avant le fait qu'il y a dans l'oeuvre de Tavernier «le thème du père» qui est récurrent. -Noël Simsolo Le Cinéma dans le sang
Bertrand Tavernier apporte plusieurs éléments de réponse «C'est une récurrence à laquelle je n'avais jamais réfléchi. Ceci n'est pas prémédité.» «D'autre part, la différence d'éducation de vision, la remise en question de quelqu'un d'âgé par une personne plus jeune et vice-versa) m'ont toujours touché dans les films, les romans, les pièces. Dans la vie aussi.» Bertrand Tavernier se dit «marqué par ce que j'ai vécu dans ma famille et celle de Colo, ma première femme. La fragilité, l'irresponsabilité de ces pères brillants, séduisants, qui vous laissent ce qu'ils n'ont pas voulu affronter, des dettes, des problèmes... C'est à vous de les réparer.»
On notera chez Madame de Lafayette La Princesse de Clèves, nous propose une héroïne féminine éduquée par sa mère qui l a avertie des dangers de la passion et de la nécessité de conserver sa vertu. Dans La Princesse de Montpensier, on notera l absence de figure maternelle : ce sont les pères qui président à la destinée des enfants ce qui aboutit à une sorte de conflit de générations tel qu il apparaît aussi dans une des oeuvres dramatiques majeures du XVIIème siècle: Le Cid de Corneille, 1637.
Problématique On peut par exemple se demander comment en développant ces figures paternelles, Bertrand Tavernier exacerbe une critique que Madame de Lafayette paraît à peine esquisser
I-Des pères qui marchandent et qui négocient au bénéfice de leurs seuls intérêts 1-C est ce que nous montre clairement l auteure de la nouvelle
Les choses étaient en cet état lorsque la maison de Bourbon, qui ne pouvait voir qu avec envie celle de Guise, s apercevant de l avantage qu elle recevrait de ce mariage, se résolut de le lui ôter et de se le procurer à elle-même, en faisant épouser cette grande héritière au jeune prince de Montpellier, que l on appelait quelquefois le prince dauphin. L on travailla à cette affaire avec tant de succès que les parents, contre les paroles qu ils avaient données au cardinal de Guise se résolurent de donner leur nièce au prince de Montpellier
on voit donc le vocabulaire de la tractation: donner, procurer, ôter qui révèle l opération de marchandage Le code de l honneur se trouve aisément bafoué au profit: d avantages financiers : Mlle de Mézières est une grande héritière. d intérêts politiques : la possibilité d amoindrir la puissance et l influence des Guise
I-Des pères qui marchandent et négocient en mangeant leurs intérêts 2-Bertrand Tavernier ne fait qu amplifier ce que Madame de LF suggérait dans un style assez «économe» et classique.
Il choisit le montage alterné, l opposition extérieur/ intérieur pour insister sur la façon dont la discussion des pères préside à la destinée des enfants l effet est encore accentué par les regards fréquents que Montpellier jette par la fenêtre guettant l arrivée de son fils qu il a lui-même pris la liberté d inviter.
Guise : «Allez capon, viens prendre ta leçon»
on notera l ironie dramatique : Guise prétend donner une «leçon» à Mayenne alors que les pères sont en train de sceller le destin de leurs enfants. Le dialogue entre Mézières et Montpensier contribue largement à renforcer le thème de la négociation : on notera la trivialité du ton : Montpensier à propos des Guise : «ils vous le refilent (Mayenne) ; ils le casent» Montpensier fait un portrait peu flatteur des Guise : «des ogres, des bâfreurs, des goinfres d argent de pouvoir et d honneurs» Mais ces derniers arguments sont propres à ménager les intérêts de son interlocuteur : «je vous coderai les terres sur lesquelles nous nous querellons depuis dix ans» «je dirai un mot pour vous à la Reine-Mère»
«Maintenant, dites oui, et nous appelons les notaires»
L utilisation de plans de plus en plus resserrés englobant les deux hommes marque la progression de la tractation.
II-Des figures autoritaires dont le pouvoir s exerce jusque dans la brutalité
1-Ils exercent leur autorité sans considérer les inclinations et les aspirations de leurs enfants. Madame de LF est claire d emblée : Guise «souhaitait de l épouser» mais «la crainte du cardinal de Lorraine, son oncle, qui lui tenait lieu de père, l empêchait de se déclarer.» p 41 le même Guise essuie les «réprimandes du cardinal de Guise et du duc d Aumale»
Bertrand Tavernier crée le même effet en jouant sur l effet de contraste entre l aisance de Guise, la supériorité à l égard de son frère : il le montre décidé à ferrailler avec le jeune Montpensier dès son arrivée mais il montre aussi qu il se range finalement à ce qui a été décidé. A peine l entend-on dire à son oncle: «On n entache pas l honneur des Guise.»
Le Cardinal: «Henri!»
Montpensier: «L inclination d une fille se redresse en trois mots»
Tavernier distingue les pères de Ca commence aujourd'hui de ceux de la P de M qu'il caractérise comme des «brutes avides» p 155 «L'absence de ces relations me touche aussi, comme dans La P de M. On voit qu'il n'y a pas eu de rapport entre Marie et ses parents, ni entre Philippe de Montpensier et son père, un monstre d'égoïsme, un mufle égoïste au point d'en être ingénu. C'est la version sombre de ce que j'aime dans la vie.» 156
2-Bertrand Tavernier exacerbe la violence des pères que le texte se contente de suggérer p 41 Mlle de Mézières est «tourmentée» par ses parents. La phrase a marqué le cinéaste et on sait tout le parti qu il en tire dans une scène où Mézières qui est apparu posé face à Montpensier et qui a semblé craindre le «désastre» encouru pour faillir à sa parole face aux Guise révèle toute sa violence.
«Cette alliance me convient : je la veux»
«Vous devez me cédez; je suis votre père; votre devoir est de m obéir. cédez!»
3-Et cette domination apparaît parfaitement légitimée Elle est le fruit de conventions sociales qui sont mises en avant par les étapes du mariage que le cinéaste retranscrit: la cérémonie du mariage dont les pères satisfaits sont les témoins le banquet la nuit de noces pendant laquelle ils jouent aux échecs avant de se voir présenter le drap taché. enfin Tavernier met en relation l autorité des pères avec l autorité politique en général: durant la tractation on aperçoit le portrait de la femme de Charles IX peinte par Clouet.
III-Toutefois, cette supériorité se voit contrebalancée par la tonalité comique et satirique dont les pères font finalement les frais dans le film de Tavernier
1-Ils sont liés à des conversations triviales Durant le banquet, Mézières s appesantit sur les anguilles et les lamproies «Il paraît que les Grecs ou les Romains, enfin, je ne sais plus trop, un peuple d Italie nourrissaient les lamproies comme mon cuisinier le fait avec les anguilles» et Montpensier de répondre: «On leur donne à manger des hommes à vos anguilles» Il développe la nourriture qu on leur donne: «Celles que je vous donne aujourd hui pèsent neuf livres» Et suit la recette
Le jeune couple pendant l énoncé de la recette des anguilles
2-Ils apparaissent totalement dénués de sentiments Lors de la nuit de noces, ils se congratulent sans considération pour la contrainte qu ils infligent. Cf Bertrand Tavernier parlant d ingénuité
Montpensier apparaît en «veuf joyeux» discutant chiffon avec Monsieur Patient, son tailleur: la scène n est pas loin de rappeler Molière ( Dom Juan et Monsieur Dimanche ou Monsieur Jourdain). Tavernier exploite toute la verve de l acteur qu il a choisi pour incarner Montpensier, Michel Vuillermoz de la Comédie Française.
Et puis c est assez d être triste, au moins soyons beau
«Nous patienterons pour la vivacité de l écarlate et du cramoisi.»
3-Enfin peut-être faut-il chercher dans le texte d autres figures paternelles Chabannes, une figure paternelle? Or, c est bien lui qui conseille Montpensier pour que sa femme lui demeure moins inconnue. C est aussi lui qui se sacrifie pour préserver Madame de Montpensier. «il se résolut, par une générosité sans exemple, de s exposer pour sauver une maîtresse ingrate et un rival aimé» mais la phrase de Mme de LF suggère ici qu il faut le voir davantage comme une figure d amant parfait.
Et quid du Roi? il apparaît dans la nouvelle comme une figure d autorité ( scène où il marque sa défaveur à Guise à qui il tourne le dos) mais aussi une figure de duplicité : p 70 le roi «pour les mieux tromper éloigna de lui tous les princes de la maison de Bourbon et tous ceux de la maison de Guise» en prévision de ce que Mme de LF nomme «cet horrible dessein qu on exécuta le jour de la Saint-Barthélémy» Le film de Tavernier met plus à mal encore l autorité de Charles IX: présence fantomatique reléguée derrière un paravent, malade et laissant semble-t-il à sa mère le soin de régner et de régler les affaires du royaume.
Conclusion Les figures paternelles sont représentatives de l autorité et du fonctionnement de la société du XVIème siècle mais aussi de celle de madame de LF Toutefois, cette autorité ne naît pas de ce que les pères représentent une autorité morale ; au contraire, ils sont la proie de leurs ambitions et de leur avidité et se servent de leurs enfants comme d instruments propices à satisfaire leur orgueil et leurs passions. L adaptation de Tavernier amplifie et clarifie la brutalité de ces pères que madame de LF ne fait que suggérer. Mais c est sans doute dû également au fait que cette brutalité est plus choquante pour le spectateur contemporain En outre, les registres employés contribuent à décrédibiliser ces pères qui font l objet d une satire sans doute inspirée par la comédie classique. Il y a en somme une défaillance de l autorité de même qu il y a défaillance de l autorité au niveau politique dans le film mais aussi peut-être dans la nouvelle qui suggère la duplicité et les insuffisances du pouvoir politique manoeuvrant la réconciliation par le mariage de Marguerite de Valois tout en orchestrant la St Barthélémy. Mais cette lecture est possible si l on lit entre les lignes puisqu il n y a pas de critique explicite.