SOINS DE SANTE EN AFRIQUE SUB-SAHARIENNE & MUTUALISATION



Documents pareils
Appui aux mutuelles de santé en Afrique: un partenariat entre Solidarité Socialiste et les mutualités socialistes

Présenté par OUEDRAOGO Adolphe Chef de Brigade de la CIMA. DAKAR, les 3-4 et 5 novembre 2009

Analyse. Le mouvement mutualiste et les politiques nationales de santé et de protection sociale au Burkina Faso Par Esther Favre-Félix.

Couverture du risque maladie dans les pays en développement: qui doit payer? (Paris, 7 mai 2008)

TITRE DU PROJET Construction d un complexe de santé pour le compte de l ONG Education Pour la Santé et la Promotion de l Emploi (EPSPE)

Analyse des Performances Sociales de CREDI - Togo Centre de Recherche-action pour l Environnement et le Développement Intégré

Le système de protection sociale en santé en RDC

E/CN.6/2010/CRP.9. Compte-rendu de l animateur de la réunion. Distr. limitée 11 mars 2010 Français Original : anglais

Charte. pour. de la coopération décentralisée. le développement durable

Promouvoir des synergies entre la protection des enfants et la protection sociale en Afrique de l Ouest et du Centre

13 ème Forum pharmaceutique international: Problématique de l accès au médicament. CEREMONIE D OUVERTURE Intervention de la Présidente de la CIOPF

THEME 5: CONDITIONS DE VIABILITE FINANCIERE DE LA MICROFINANCE AGRICOLE

Mot d ouverture de Mamadou Lamine N DONGO Lead Results Adviser Banque Africaine de Développement Coordonnateur de AfCoP

Titre : La Mutuelle Communautaire de Santé de Yaoundé : Un mécanisme solidaire de financement collectif d accès aux soins de santé de qualité.

1 ] Droit à la santé, accès à la santé et aux soins de santé

Conférence mondiale sur les déterminants sociaux de la santé. Déclaration politique de Rio sur les déterminants sociaux de la santé

L AIDE AU DÉVELOPPEMENT FRANÇAISE

Plan d orientations stratégiques

La plateforme de micro-dons du CCFD-Terre solidaire

Mutuelles communautaires. Une initiative d appui à la Couverture médicale de base

Le point sur la couverture du risque maladie au Niger

Volet thématique «Prévention des crises et consolidation de la paix»

Déclaration des Parlementaires africains sur les Objectifs du Millénaire pour le développement et l'ordre du jour du développement post 2015

CHARLES DAN Candidat du Bénin pour le poste de Directeur général du Bureau international du Travail (BIT)

FRAIS DE GESTION des mutuelles

Plate-forme AUX MUTUELLES DE SANTÉ EN AFRIQUE

FACTSHEET HAITI DEUX ANS APRES

APPEL A COMMUNICATIONS

Connaissances et compétences requises : coordonnées géographiques, réflexion critique, recherche de documentation, rédaction, support cartographique.

Plan de l exposé L assurance maladie obligatoire pour tous: Cas particulier de la république du Rwanda

La couverture universelle des soins de santé

et à Hammamet (en Tunisie) 4, en mars Ces consultations ont été complétées par une enquête en ligne 5 amorcée en 2011.

VIIème Congrès international FATO Yamoussoukro 2013

Résumé. 1 Les chiffres du recensement général de la population et de l habitat (RGPH2) de 2009 sont en cours exploitation. Les données seront rendues

Réduire la pauvreté : comment les collectivités territoriales peuvent-elles être des catalyseurs du développement économique pro-pauvre?

au concept de «développement durable» Pour une éducation ouverte sur le monde

PLAN R E V A RETOUR VERS L AGRICULTURE

D A N S L E S PAY S F R A N C O P H O N E S

Comité monétaire et financier international

UN NOUVEAU DEPART POUR LA LMDE

La mutuelle de santé, une alternative crédible de couverture du secteur informel?

Qu est-ce que l adaptation au changement climatique?

Nations Unies Haut Commissariat aux Droits de l Homme, réf: NVebU mes 2011

ATELIER 3 Analyse des différents systèmes de protection sociale en santé en Afrique

Plan d Action de Ouagadougou contre la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants, tel qu adopté par la Conférence

7 ème Edition des Assises de la Coopération Belge au Développement

Fondation Sanofi Espoir. Charte de sélection des projets

Question 1: Informations sur la personne ou entité interrogée

Note de présentation du Projet d évaluation d un programme communautaire d hygiène et assainissement au Mali.

Le mouvement coopératif et mutualiste: un réseau d entreprises et un mouvement ouvert aux autres

Uniterres. Rapprocher l aide alimentaire et les producteurs locaux

Note Simplifiée. UNION ECONOMIQUE ET MONETAIRE OUEST AFRICAINE La Commission

ACCÉLÉRER METTRE FIN À L ÉPIDÉMIE DE SIDA D ICI À 2030

Contributions françaises à la problématique internationale de la protection sociale des travailleurs informels et de leurs familles.

DONNER NAISSANCE NE DOIT PAS ÊTRE UNE QUESTION DE VIE OU DE MORT

Le rôle de la société civile

NOTE DE PRESENTATION DU PROGRAMME STATISTIQUE DE L UEMOA

Rapport 2014 sur la lutte contre la tuberculose dans le monde

POLITIQUE DE COHÉSION

SOMMAIRE PARTIE 1 : POURQUOI «DONNER DU CREDIT AUX FEMMES RURALES»?... 3 PARTIE 2 : EPARGNE/CREDIT DU SYSTEME FINANCIER INFORMEL...

POLITIQUE D ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

de plus de moitié, particulièrement dans les pays où la mortalité infantile est élevée 39.

P atients S anté T erritoires

L'extension de la sécurité sociale aux populations non couvertes

la solution AAFEX aux problèmes de financement des entreprises exportatrices du secteur agricole et agroalimentaire

Secrétariat d Etat auprès du Premier Ministre chargé des Technologies Nouvelles

Loïc Blondiaux Le Nouvel Esprit de la démocratie Actualité de la démocratie participative Le Seuil, coll. «La République des Idées», 2008

[«LA COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE: RÔLE DES MUTUELLES SOCIALES»]

Manifeste. pour l éducation au développement. Pour une autre citoyenneté ouverte aux questions de solidarité internationale

En Afrique, les opportunités d emploi offertes aux femmes proviennent à 92 % de l économie informelle (estimation). JORGEN SCHYTTE/Still Pictures

Dans ce nouveau siècle, aussi inégalitaire que le précédent mais aussi riche

Le marketing de l assainissement en pratique! Paris 16/06/2015

«Challenging social reality, inspiring experiences»

Un monde sans faim Brève présentation de l'initiative spéciale

Charte Mutuelle Existence

GRAP. dans l émergence d entreprises d économie sociale en Estrie

«La Mutualité Française ouvre de nouveaux chantiers innovants.»

Etre societaire, pour vivre la banque autrement.

Swiss Centre for International Health Les mutuelles de santé dans les districts de Karongi et de Rutsiro au Rwanda

Plan Local de Développement de l Économie Sociale et Solidaire

SIDI SOLIDARITE INTERNATIONALE POUR LE DEVELOPPEMENT ET L INVESTISSEMENT

L organisation du programme «Jeunes pousses» Rapport

Rapport final IGF-AC, edition 2013, Kinshasa

Les valeurs et les acteurs de l économie sociale et solidaire : une culture de réseaux pour développer le tiers secteur

1-Thème du chantier : LE DEVELOPPEMENT DURABLE

Partenaire de changement

UNION ECONOMIQUE ET MONETAIRE UEMOA OUEST AFRICAINE CONFERENCE DES CHEFS D ETAT ET DE GOUVERNEMENT

AgiSSONS ensemble. Soutenons la démarche communautaire pour en finir avec le VIH/sida

vendredi 17 et samedi 18 octobre 2014 niort / salle de l acclameur Rendez-vous national innover et entreprendre créer son emploi

Journal d apprentissage. Union Technique du Mali

Présenté par Jean Claude Ngbwa, Secrétaire Général de la CIMA. DAKAR, les 3-4 et 5 novembre 2009

& Melinda Gates et Gavi, qui permettra d améliorer la santé des populations des six pays ciblés et de contribuer à la sécurité sanitaire régionale.

La protection sociale obligatoire et complémentaire au cœur de notre bataille!

ETUDE SUR LA FISCALITÉ SUPPORTÉE PAR

Titre de la Table citoyenne Offre de soins, accès aux soins

PASSAGE Projet d'approche Solidaire en SAnté GEnésique

Nations Unies. Note d information du Secrétaire général* * * 25 juillet 2008 Français Original : anglais (F)

Votre partenaire pour construire une offre de santé adaptée aux territoires. Les services de soins et d accompagnement de la Mutualité Française

CLUB 2/3 Division jeunesse d Oxfam-Québec 1259, rue Berri, bureau 510 Montréal (Québec) H2L 4C7

Transcription:

Conférence de presse du 06/10/2010 14 heures, salle Politkovskaya (PHS 0A50) Parlement européen Bruxelles Contact : 0475.690.461 http://www.vdekeyser.be/ SOINS DE SANTE EN AFRIQUE SUB-SAHARIENNE & MUTUALISATION Rapport d'initiative de Véronique De Keyser Députée européenne Vice Présidente du groupe parlementaire Socialistes & Démocrates 1

Bruxelles, Parlement européen, 6 octobre 2010 Les problèmes de santé en Afrique sub-saharienne mettent le modèle de solidarité entre Nord et Sud à l épreuve. Que l espérance de vie entre un Africain ou un Européen puisse différer de trente ou quarante ans ne peut qu'interpeller. Cet écart traduit la difficulté de tout un continent, encore marqué au fer par son passé de colonisation, à décoller aujourd hui. La mauvaise gouvernance de certains pays, les conséquences dramatiques de la crise financière, le changement climatique, les catastrophes naturelles, la pauvreté extrême, les guerres, les paradis fiscaux qui épuisent l Afrique, l ultra capitalisme des grandes multinationales, les conflits ethniques, la convoitise suscitée par d extraordinaires ressources naturelles, les grandes épidémies comme le SIDA : tous ces facteurs mis ensemble et en interrelation créent une situation complexe. L aide d urgence prodiguée par des ONG financées par l UE et par toute la communauté internationale est une réponse bien parcellaire à cette complexité. Elle permet de parer au plus pressé, et de soigner gratuitement les plus démunis. Mais tous n ont pas cette chance et ce type d aide ne fonde pas pour l avenir un modèle durable. Au contraire, dans certaines régions, de manière paradoxale elle est un frein à une prise en charge de la santé par l Etat ou par des structures complémentaires, voire alternatives fonctionnant sur une base solidaire. Les indicateurs de santé en Afrique sont si préoccupants qu une privatisation de la santé ne pourrait qu accroître encore des inégalités criantes. C est pourquoi ce rapport appelle de ses vœux des systèmes de santé durables, même s il est peu vraisemblable, selon la Banque Mondiale, que les pays en développement puissent avant longtemps financer, sur base de recettes fiscales, leurs propres 2

systèmes nationaux. Des systèmes non lucratifs financés de manière mixtes, à la fois par les ressources de l Etat, par la solidarité internationale et par la participation des citoyens sont les mieux à même de répondre à l immense défi de la santé en Afrique sub-saharienne. En 2006 l aide internationale couvrait 0,25 à 0,5 % des budgets de santé dans cette région du monde. Mais même avec ce niveau d aide, le problème reste immense. D abord, parce que la crise financière que traverse le monde n incite pas les pays européens à remplir leurs promesses c est à dire arriver au moins à 0,7 % du PNB versés pour la coopération en 2010. Enfin parce que très traditionnellement la santé n est pas une priorité : ainsi l aide en matière de santé n'arrive qu'à la moitié du montant accordé à l éducation. Sans sous-estimer l importance de ce dernier secteur, cet écart en dit long. Ensuite parce que se pose encore et toujours le problème de l orientation du financement. Ces dernières décennies ont vu la montée en puissance des fonds de santé dits verticaux, ciblés sur des pathologies précises - SIDA, tuberculose, malaria, poliomyélite, etc. - drainant l aide internationale et les initiatives privées. Les résultats en matière de recherche, de vaccination, de prévention ont été remarquables mais l effet pervers enregistré a été un affaiblissement de l aide aux systèmes de santé de base, appelés aussi horizontaux. Ces systèmes horizontaux concernent la santé en général : l accès aux soins et aux médicaments pour toute la population sans discrimination, les défis de la mortalité infantile et maternelle, les maladies banales mais tueuses comme la dysenterie, dues souvent à la pauvreté, l absence d hygiène, l absence d eau potable etc. On peut analyser à l infini la variété des systèmes de santé existants en Afrique - ou tentant d exister. Ce terme très général implique les infrastructures de base, les acteurs de la santé, les soins prodigués, les médicaments et les firmes pharmaceutiques qui les vendent, la communauté internationale, les ONG, les églises, parfois les sectes et les simples citoyens, malades ou bien portants. Il peut paraître plus sûr et plus simple, quand on est donateur, de financer des cibles 3

claires et c est une des raisons de l attractivité des Fonds verticaux. Mais les critiques de plus en plus nombreuses d experts de la santé s inquiétant du financement mal balancé entre systèmes verticaux et horizontaux sont en passe de trouver une solution : certains Fonds verticaux optent maintenant pour une politique dite «diagonale». Ils consacrent une partie de leur financement au soutien de systèmes de santé de base. C est un effort à encourager et à généraliser : ces Fonds verticaux doivent en effet soutenir des systèmes de santé complets et intégrés et non les fragiliser. Mais la faiblesse des systèmes de santé de base conduit à d autres effets pervers. Les multiples fléaux et conflits qu a connu l Afrique ont laissé se propager des soins d urgence, assurés gratuitement par des ONG ou des églises qui font un travail admirable mais peu pérenne : ces soins d urgence sont indispensables mais eux non plus ne peuvent se substituer à une politique de santé durable. Mais dans le financement partiel des systèmes de santé, il y a une composante tout à fait intéressante : la participation de la société civile et la prise en charge de la santé par les citoyens, sous des formes originales et solidaires. Depuis les années 90, on a assisté en Afrique à l émergence et à l affermissement progressif de structures mutualistes très diverses: organisations communautaires, paysannes, de jeunes, de femmes, à caractère syndical, mutualiste 1. La micro-assurance 2 a suscité un intérêt croissant et des efforts de mutualisation, poussés ou non par les gouvernements en place, ont vu le jour. Ces efforts de mutualisation réclament une gouvernance 1 COHEUR Alain (2009) Structures mutualistes en Afrique. Les mutuelles de santé, actrices de changement social, Politique, HS13, novembre 2009,27-29. 2 La micro assurance regroupe l ensemble des mécanismes de financement des soins de santé parmi lesquels les mutuelles de santé, les systèmes de prépaiement, les caisses de solidarité, les couplages crédit/santé. 4

participative car l écoute et l évaluation des besoins des populations sont au cœur du processus. Ils requièrent un cadre législatif. Ils impliquent une large sensibilisation des pouvoirs publics, corps médical, citoyens 3. Mais ils tentent, sous des formes très variées, très liées au contexte, de promouvoir l accès des soins de qualité à travers la solidarité, la non-exclusion, la démocratie et le caractère non lucratif. Les initiatives viennent tant du public que du privé : les églises, les réseaux non confessionnels philosophiques et politiques, certaines associations se lancent dans cette démarche. Mais les obstacles sont nombreux : - Pour pouvoir et vouloir financer une assurance santé, il faut que les populations bénéficient d un minimum de ressources. Les plus démunis ne peuvent y souscrire; - Il faut que les personnes aient autour d elles des infrastructures et un corps médical disponibles : à quoi bon souscrire une assurance s il n y a ni médecin, ni dispensaire, ni hôpital, ni pharmacie? Les infrastructures de santé de base sont une pré-condition à toute mutualisation. Dans les zones urbaines mais encore plus rurales, les populations qui n ont pas les moyens de se rendre dans les centres de santé font appel au guérisseur ou s approvisionnent en médicament sur les marchés ou auprès de vendeurs de médicaments ambulants. Mais même lorsque les infrastructures existent, le taux de fréquentation des districts de santé est très faible : 0,24 par an au Mali, 0,34 au Burkina Faso et 0,30 au Bénin; - Il faut aussi une stabilité politique : les conflits, les exactions et les guerres nécessitent un modèle alternatif et des infrastructures spécifiques; - Enfin il faut trouver des formes d assurance et de mutualisation qui respectent le contexte africain et ses valeurs et ne pas tenter de transposer à l Afrique un modèle occidental. Divers pays africains se sont lancés dans des initiatives prometteuses, avec l aide de la communauté internationale. Ainsi, le Burkina Faso, le Sénégal, le Burundi, la République Démocratique du Congo et le Cap vert se sont engagés dans un programme soutenu par une ONG. Ce programme ambitieux est intitulé «Droit à la santé». Il privilégie l approche communautaire et implique dans les pays cités 153 organisations communautaires. Il est de plus combiné à d autres programmes - «Travail décent, vie digne», «Sécurité et souveraineté alimentaire» - : la santé en effet ne peut être dissociée de l éradication de la pauvreté, de la lutte contre la faim et les inégalités sociales. Son idée maîtresse est un travail en réseaux ou les diverses mutuelles se soutiennent et se renforcent au niveau local, national et international. Elles peuvent ainsi, non seulement agir plus efficacement à leur niveau respectif, mais aussi influer sur les politiques de sécurité sociale et de santé publique dans les pays où elles exercent leurs activités. Au Burkina Fasso, le gouvernement a mis à l étude un projet d assurance maladie universelle. Au Burundi, le projet de mutualisation peut s appuyer sur un système très structuré, de la base au sommet. Dans ce pays, la Confédération nationale des caféiculteurs regroupe plus de 100.000 producteurs et l objectif est d y mettre en place 25 mutuelles de santé, de les structurer en 5 Unions, avec une Fédération nationale. En République Démocratique du Congo les structures de mutualisation - comme la mutuelle de santé Musaru à l Est du Congo - peinent à se maintenir avec la «concurrence» des ONG qui soignent gratuitement, en particulier dans les zones de conflit. Mais dans cette région, ce sont les églises qui sont les 3 MARIKO Lamine (2009). Burkina Faso. La mutualité, un pas vers la protection sociale. Les mutuelles de santé, actrices de changement social. Regards Nord-Sud. Politique, HS 13, novembre 2009, pp25-26. 5

éléments moteurs qui poussent à des formes de mutualisation, églises qui agissent à travers un réseau très bien implanté et efficace. Des questions essentielles sous-tendent le débat mutuelliste en Afrique. Quelle est la place des mutuelles par rapport aux efforts des Etats qui tentent de mettre sur pied des structures de santé? Quelle est la place des mutuelles par rapport aux ONG assurant toute la chaîne des soins de manière gratuite? Dans quelle mesure les mutuelles africaines, dont les modèles se chiffrent par centaines, peuvent-elles être autre chose qu un repli corporatif, religieux, voire ethnique et émerger comme mouvement social? Comment la communauté internationale peut-elle jouer un rôle de support, voire d initiative tout en laissant les structures africaines s autonomiser et se prendre en charge? Le modèle des mutuelles est un modèle alternatif aux efforts étatiques mais qui fait appel à la solidarité des adhérents. Des adhérents fortunés aussi? Un règlement supranational sur les mutuelles de santé a été récemment adopté au niveau de l Union économique et monétaire des pays d Afrique de l Ouest et plusieurs pays tentent de mettre sur place un régime d assurance maladie obligatoire. Va-t-il préserver les valeurs de solidarité, le dynamisme, la flexibilité qui devraient guider les mutuelles africaines, lesquelles se développent dans des contextes très complexes? Il semble qu on soit aujourd hui à la croisée des chemins. Un modèle mutualiste durable devrait posséder différentes qualités. Il devrait reposer sur la solidarité - solidarité Nord/Sud et entre ses adhérents - mais viser à long terme son autonomisation et son autofinancement. Il devrait être flexible et s ajuster à différents contextes. Il devrait viser l égalité, non pas dans la contribution de chacun à sa survie économique, mais dans l accès aux soins qu il garantit. Il devrait être participatif et porteur d une dynamique sociale, pour pouvoir influencer voire piloter des politiques de santé et faire pression sur les gouvernements. Il ne devrait donc pas dépendre directement du gouvernement en place, faute de quoi on pourrait commettre 6

les mêmes erreurs voire se rendre coupable des mêmes défaillances. Enfin il devrait lier les acteurs de terrain et les associer dans la démarche de santé. Economiquement viable à terme, solidaire, flexible, dynamique et participatif. C est beaucoup lui demander mais les initiatives évoquées plus haut s inscrivent dans cette direction. L Union européenne a un rôle à jouer dans la mise en place de structures de santé solidaires. D abord en œuvrant pour que les pré-conditions à des systèmes mutualistes soient remplies : en conseillant, guidant, finançant des systèmes de santé de base et l accès à des médicaments sans lesquels aucun système d assurance santé ne peut se développer. En assurant aux pays de l'afrique sub-saharienne un financement transparent basé sur des indicateurs de santé dérivés des besoins de la population. Ensuite en soutenant des programmes de sensibilisation de la population à la prévention et au diagnostic précoce des maladies : la faible fréquence des visites de centres de santé là où ils existent témoigne de l existence d un problème qui est sans nul doute plus large que financier. Enfin, en soutenant des programmes internationaux de solidarité qui créent des initiatives et des échanges permettant de structurer des réseaux mutualistes porteurs d une transformation sociale. La non marchandisation de la santé, réclamée par l Europe, devrait être la règle également en Afrique. 7