Pierre Deschamps: l ingénieur architecte du changement La société Unilog occupe une place enviable dans le monde des sociétés de service, comme challenger des "grandes" que sont par exemple CAP-Gemini et Atos. Créée par des ingénieurs, Unilog ne nie pas être attachée à une culture ingénieur, synonyme de sérieux et de professionnalisme. Il n est donc pas surprenant que ce soit Pierre Deschamps, Centralien, qui se trouve au niveau du Comité Exécutif responsable de tout ce qui touche aux ressources humaines. Les métiers d Unilog Q: quels sont les métiers propres d Unilog? L activité d Unilog se construit aujourd hui autour de trois métiers, qui traduisent un certain glissement du champ classique des systèmes informatiques, vers une vision plus large de l usage des technologies de l information: - le conseil en technologie de l information pour 18%; - l ingénierie informatique pour 71%; - la formation (informaticiens ou personnels en général) pour 11%. C est autour de cet équilibre que se construit la cohérence de notre société. Unilog occupe une position originale à côté du cercle des grosses SSII, et des sociétés de conseils comme PWC ou Accenture. Géographiquement la société se trouve implantée principalement en France (80%), au Royaume- Uni, en Allemagne et en Suisse, et Unilog souhaite dans les prochaines années accentuer ce caractère international. L activité de formation, qui a ses caractéristiques propres, mérite d être considérée à part. Il est clair par contre que les deux activités d ingénierie informatique et de conseil présentent de très fortes synergies. On perçoit aujourd hui dans les entreprises l implantation d un nouveau système d information comme un acte d investissement (les charges de fonctionnement existent naturellement, mais passent en arrière-plan). Lorsque la FNAC décide de repenser son système d information, pour le mettre au service de ses ventes, il s agit même d un investissement stratégique. Cette donnée éclaire l intérêt d une intervention en amont de L avenir des ingénieurs à l orée du troisième millénaire - 4 janvier, 2002 - page 78
type conseil. Celle-ci consiste à analyser le contexte, à collecter les objectifs et les besoins, à rechercher des scénarios d évolution. C est à ce stade que se prend la décision de lancer un projet. Au niveau de la mise en œuvre, on distingue trois grandes phases: - la conception; - la fabrication/réalisation; - la recette. Le propre de tout projet est de mobiliser des compétences variées qui vont du directeur de projet à l ingénieur doté d une compétence particulière, depuis l élaboration de logiciels jusqu à la supervision des questions de qualité. La tendance à l externalisation Q: Comment doit-on comprendre la tendance des entreprises utilisatrices de systèmes informatiques à en confier la mise en place à des sociétés externes? On ne peut nier la tendance historique des entreprises françaises à faire appel à des acteurs externes. La chose s explique de plusieurs façons: - le souci de ne pas se disperser et de rester bien centré sur son cœur de métier (cas du secteur bancaire); - La capitalisation par une SSII d une variété d expériences. Mais ce constat général doit être relativisé. L importance de l externalisation connaît tout d abord dans le temps des mouvements de balancier. On observe ensuite dans certains pays des situations spécifiques, où par exemple, comme aux USA et ou au Royaume- Uni, l info-gérance est beaucoup plus répandue. Néanmoins l apport externe garde des atouts sérieux, comme de permettre de mieux gérer les écarts de charge de travail liés à la mise en œuvre d un gros projet, ou d alléger sensiblement l investissement nécessaire pour maîtriser des compétences totalement nouvelles. Les perspectives Q: Peut-on aller plus loin et tenter d apprécier le besoin en services informatiques? On peut partir de deux constats Nous connaissons actuellement une tendance excellente, sachant que cette période euphorique fait suite à un palier sur les années 92-95, et qu il y a ainsi une forme de rattrapage, ce qui doit nous inciter à la modestie. L avenir des ingénieurs à l orée du troisième millénaire - 4 janvier, 2002 - page 79
Pour le reste il faut s en remettre aux prévisionnistes, dont on peut dire, qu ils est à peu près certain qu ils se trompent, quel que soit leur talent. Mais leur travail n est pas pour autant inutile, même si les résultats annoncés ne collent pratiquement jamais avec ce que l on observe après coup. On doit donc dans ces conditions accepter une vision assez empirique, en observant que la France est un peu en retard par rapport aux US, ce qui laisse la place à une marge de progression, ou en notant que la vitesse de renouvellement des technologies contraint les entreprises à s inscrire dans une dynamique d investissements. Il faut admettre en revanche qu on ne sait pas vraiment calculer un retour sur investissement informatique et l'on observe même sur un même secteur (la banque) des ratios de dépenses informatiques très différents sans impact notable sur les performances. Les besoins de compétence Q: Comment analysez-vous les besoins de compétences en rapport avec votre activité de projet? Un projet implique de concilier des savoir-faire techniques et des savoir-faire de management. Contrairement à ce que l on peut penser, les aspects techniques se maîtrisent finalement assez aisément et le point critique est la qualité de management du projet, au sens large, puisqu il s agit moins d une simple administration d un processus, que d une responsabilité large qui couvre le traitement des imprévus, le rattrapage des dérives et naturellement la motivation des équipes. Dans le contexte particulier des SSII, une dimension particulière est l impact de la définition du projet sur le fonctionnement final, et en particulier sur sa stabilité. La question se pose d autant plus que le client peut changer d avis et qu il faut à tout moment être capable d anticiper sur les effets de ces changements. Nous travaillons maintenant de plus en plus sur cette dimension, en proposant des maquettages pour permettre à l utilisateur de mieux visualiser le résultat final et de réagir en conséquence. Q: Comment assurez-vous le passage de l ingénieur de projet à une responsabilité de directeur de projet? Pour le moment il reste peu discutable que le bon directeur de projet a à la fois une éducation d ingénieur et une solide expérience technique, même si la conduite d un projet implique d autres qualités. Pour certaines dimensions moins techniques (ergonomie par exemple) nous choisissons d apporter la formation nécessaire à un ingénieur. L avenir des ingénieurs à l orée du troisième millénaire - 4 janvier, 2002 - page 80
Au niveau des débutants, nous sommes conduits depuis toujours à aller chercher des diplômés hors informatique. Les choses se passent plutôt bien, sans doute parce que nous disposons d un très bon outil de formation. Nous proposons aux jeunes que nous recrutons d acquérir ensuite une compétence projet, à partir de compétences informatiques. Notre expérience nous montre qu une culture scientifique est un plus. Q: au niveau du conseil est-ce la même chose? Il y a encore beaucoup d ingénieurs (ce qui est la marque de notre culture d entreprise) mais la démarche est différente. Intervenir comme conseil c est joue le rôle d accoucheur d idées, alors qu un ingénieur est plutôt un aboutisseur de projet. Adapter les compétences Q: Comment posez-vous le problème de la formation et de l adaptation des compétences? Il faut tout d abord rappeler que notre société est très en pointe au niveau de l effort de formation, puisque nous y affectons 8% de notre masse salariale. Schématiquement nous favorisons dans un premier stade les compléments techniques, qui sont immédiatement utiles pour l exécution des missions. Dans un second stade, nous axons notre effort sur les compétences managériales. Nous disposons d une structure propre "l Université Unilog", qui dispense un ensemble de modules qui vont du séminaire d accueil aux formations de management et de directeurs de projets. Les formateurs sont pour partie des personnes de l entreprise pour partie des intervenants extérieurs. Q: Comment se construisent les trajectoires de carrière de vos ingénieurs? Notre politique est de recruter à 80% des débutants. Nous cherchons à les faire évoluer en interne en leur confiant des responsabilités croissantes, en fonction naturellement de leurs performances. Un message conclusif Q: En définitive quel message adressez-vous aux ingénieurs? L idée de fond qui me semble devoir être mise en avant est que tout ingénieur a une responsabilité d architecte du changement ce qui lui impose des qualités particulières, en particulier une vision sur la durée et un jugement global, qui vont bien au-delà de simples compétences techniques. Parler de changement c est prendre le parti d une adaptabilité sans faille à de nouveaux contextes. Mais c est plus encore travailler en mode L avenir des ingénieurs à l orée du troisième millénaire - 4 janvier, 2002 - page 81
d anticipation, en acceptant de modifier constamment ses repères, et c est aussi par la force des choses accepter la prise de risque, compte tenu d aléas qui ne peuvent être neutralisés. Q: Un mot sur le rôle des associations? On ne peut nier l intérêt des groupements associatifs pour apporter en continu aux écoles des motifs d évolution. On peut aussi mentionner le prix des relations de camaraderie. Mais ce qui m apparaît essentiel, et qui n est pas vraiment fait, c est l opportunité pour les ingénieurs de rencontrer des leaders et de bénéficier d un effet d exemple. L avenir des ingénieurs à l orée du troisième millénaire - 4 janvier, 2002 - page 82