Banque de l Etat de Fribourg contre Leu.



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Transcription:

876 Civilrechtspflege. 101. Arrêt du 47 décembre 4898, dans la cause Banque de l Etat de Fribourg contre Leu. Billet à ordre ; cautionnement ; substitution d un autre preneur, opérée postérieurement à la signature, comme caution et sans son consentement, mais précédant l émission ; libération de la caution; art. 838, 835, 837 ch. 10, 803 CO. : altération prévue par l art. 803. A. Au commencement d octobre 1896, Adrien Bongard, courtier à Fribourg, demanda à Ch. Leu, agent d affaires en dite ville, de le cautionner pour un emprunt de 5000 fr. Le 9 octobre, Bongard et Leu se rendirent ensemble au bureau de l avocat Grivet, afin d emprunter de celui-ci la somme en question. En l absence de M. Grivet, et dans l espoir qu il consentirait au prêt demandé, sa fille, M611 Grivet, libella un billet à ordre de 5000 fr., à l échéance du 15 novembre 1896, qui fut signé en sa présence par Bongard comme débiteur et par Leu comme caution solidaire. Ce billet était créé expressément à l ordre de M. Grivet, avocat. A son retour chez lui, ce dernier décida de né pas faire le prêt demandé et en avisa Bongard le même jour en lui retournant le billet. Bongard présenta alors ce billet à la Banque de l Etat de Fribourg, mais il lui fut répondu qu à teneur des règlements de l établissement la signature du débiteur devait être accompagnée de celles de deux personnes solvables. Ensuite de cette réponse, Bongard s adressa à l avocat A. Blanc, à Fribourg, qui consentit à devenir preneur du billet de 5000 fr. et à l endosser à la Banque d Etat. Le nom de M. Grivet fut en conséquence biffé dans le corps du billet et remplacé par celui de M. A. Blanc. Le billet ainsi modifié et endossé par M. Blanc fut escompté, le 9 octobre encore, à la Banque d Etat, qui remit les fonds à Bongard. Le paiement n ayant pas eu lieu à l échéance, la banque fit signifier, le 26 janvier 1897, un commandement de payer soit

V. Obligationenrecht. N 101. 877 au débiteur soit à la caution Leu. L un et l autre firent opposition. Le 19 avril suivant, la Banque d Etat introduisit contre Leu une action tendant à faire reconnaître le mal fondé de l opposition. Le défendeur conclut à libération en invoquant le moyen suivant : le cautionnement donné était destiné à valoir auprès de M. Grivet, avocat. Bongard n avait pas le droit de substituer le nom de M. Blanc à celui de M. Grivet. Le billet est donc entaché de faux en ce qui concerne le cautionnement. L instruction de la cause donna lieu à l audition, comme témoins, de Melle Marie-Louise Grivet, de l avocat Alf. Blanc et d Adrien Bongard. Mene Grivet a déclaré que le 9 octobre i 896, après la signature du billet de 5000 fr., M. Leu était revenu à l étude de M. Grivet et que celui-ci lui avait dit ne pas pouvoir accorder à Bongard l emprunt sollicité. Sur ce propos, M. Leu aurait déclaré qu il ne donnerait pas sa signature en faveur de Bongard pour emprunter ailleurs et M. Grivet lui aurait dit de réclamer le billet à Bongard. L avocat Alf. Blanc a exposé que peu de jours après la négociation du billet à la Banque d Etat, il rencontra M. Leu et lui expliqua qu il était devenu preneur du billet cautionné, par lui, et l avait endossé à la Banque d Etat ; au premier moment, M. Leu aurait paru surpris, parce que, croyait-il, le j billet se trouvait chez M. Grivet. S Le témoin Blanc a, en outre, affirmé qu'au mois de mai! 1897, il était allé plusieurs fois à la Banque d Etat pour j acquitter le billet de 5000 fr. dont ü avait pris le paiement I à sa charge par convention avec Bongard ; mais la Banque î refusa de recevoir le capital et les frais de poursuite, exigeant I en outre les frais du procès qui était engagé. ] Adrien Bongard a déclaré qu ayant revu M. Leu après la signature du billet et le refus de M. Grivet de fournir les fonds, il lui fit connaître qu il s était adressé à la Banque d Etat et que celle-ci était disposée à accepter le billet avec la signature de M. Blanc ; M. Leu aurait alors répondu :

878 Civilrechtspfiege, «Vous pouvez vous adresser où vous voudrez.» Bongard a reconnu en outre que pour donner son cautionnement auprès de M. Grrivet, Leu s était fait remettre en garantie un titre hypothécaire de 7400 fr. ; après le refus de M Grivet de faire l opération proposée, le titre en question fut restitué par Leu. Les circonstances dans lesquelles cette restitution a eu lieu ne sont toutefois pas établies. B. Par jugement du 2 juin 1898, le Tribunal civil de la Varine a débouté Ch. Leu de ses exceptions et admis la Banque d Etat dans les fins de sa demande. Ensuite de recours, la Cour d appel de Fribourg, par arrêt du 12 octobre 1898, a réformé le jugement de première instance et débouté la Banque d Etat de sa demande. Cet arrêt est motivé en substance comme suit : Le billet à ordre du 9 octobre 1896 contient toutes les énonciations essentielles indiquées à l art. 825 CO. et doit, en présence de l art. 838, être assimilé à un billet de change et soumis, en particulier, aux dispositions des art. 827, N 10 et 802 du dit code. D après ce dernier article, si l'une des énonciations du billet de change (somme, échéance, etc.) a été altérée postérieurement à la création et à l émission du billet, tous ceux qui l ont signé après cette altération sont tenus dans les termes du billet ainsi altéré. On doit conclure, a contrario, de cette disposition, que ceux qui ont signé avant l altération ne sont pas tenus dans les termes du billet altéré. Or le nom du créancier rentre au nombre des énonciations visées par Fart. 802 CO. A teneur de l art. 825 N 3 du même code, l indication du nom de la personne à qui ou à l ordre de qui le souscripteur promet de payer revêt le caractère d une énonciation essentielle du billet de change. L énumération de l art. 802, qui n est pas limitative, comprend évidemment toutes les énonciations qualifiées essentielles par l art. 825. La circonstance qu au moyen de l endossement le créancier du billet peut être changé au gré du porteur n est pas de nature à infirmer cette manière de voir, La circulation du billet, en vertu de la clause à ordre, a lieu en exécution de la volonté du souscripteur, et seul le porteur que

V. Obligationenrecht. N«101. 879 l ordre concerne peut valablement endosser l effet. On ne se trouve pas, dans l espèce, en présence d un cas où la caution aurait laissé au débiteur le choix du créancier. En effet, le billet sur lequel Ch. Leu a donné son cautionnement indiquait expressément l avocat Grivet comme preneur, et Leu a déclaré à ce dernier qu il ne donnerait pas sa signature à Bongard pour emprunter ailleurs. En outre, il résulte de l instruction de la cause que la substitution du nom de M. Blanc à celui de M. Grivet s est faite à l insu de la caution Leu et sans son consentement. La preuve de ce fait ressort du témoignage de MeUe Grivet, de celui de M. Blanc et de la circonstance qu après le refus de M. Grivet d accorder le prêt sollicité par Bongard, celui-ci a obtenu de M. Leu la restitution du titre qu il lui avait remis en gage. Il est vrai que M. Leu n a pas exigé en échange la restitution du billet à ordre. Mais cette omission ne saurait être interprétée comme l abandon de la condition que le cautionnement n était prêté qu en faveur de M. Grivet, ou encore comme une faute ou négligence, puisque le recourant pensait à bon droit que le billet ne pouvait être utilisé sans une altération qui détruirait la force obligatoire du cautionnement. Pour établir que Leu aurait accepté le changement de créancier, la demanderesse a invoqué le témoignage d Adrien Bongard. Mais en présence de l intérêt de ce témoin au litige, la Cour ne peut faire grand état de ses affirmations ; celles-ci ne sauraient en tout cas prévaloir contre celles des autres témoins, DeDe Grivet et M. A. Blanc, qui sont en tous points dignes de foi. Des considérations qui précèdent on doit conclure que l altération commise dans la teneur du biüet qui est à la base du litige a eu pour conséquence d annuler l engagement de la caution. C. En temps utile, la Banque de l Etat de Fribourg a déclaré recourir au Tribunal fédéral contre l arrêt qui précède et conclu à ce que cet arrêt soit réformé dans le sens de l admission de ses conclusions devant les instances cantonales. Aux débats de ce jour, le conseil de l intimé a conclu au rejet du recours.

880 Civilrechtspfiege. F# ces faits et considérant en droit : 1.... 2. La seule question que soulève le recours consiste à savoir si c est à bon droit que la Cour d appel de Fribourg a admis que la substitution d un autre preneur à celui qui était désigné dans le billet à ordre du 9 octobre 1896 au moment où Ch. Leu a donné sa signature comme caution, a pour conséquence que ce dernier n est pas obligé vis-à-vis de la Banque de l Etat de Fribourg, à laquelle le billet a été endossé par le preneur substitué. Le billet du 9 octobre 1896 ne renfermait pas les mots «de change,» mais était expressément créé à ordre et répondait d ailleurs aux diverses conditions essentielles que l art. 825 CO. exige pour le billet de change. Il doit donc être assimilé à celui-ci aux termes de l art. 838 CO. et soumis, en particulier, en vertu de l art. 827, chiffre 10, à la disposition de l art. 802 du même code. La banque recourante ne conteste pas que ce dernier article ne soit applicable en principe aux billets à ordre assimilés aux billets de change. Mais elle soutient que le changement du nom du preneur d un efiet de change ou à ordre ne rentre pas au nombre des cas d altération prévus par le dit article. Cette manière de voir est évidemment erronée. L art. 802, al. 1er porte textuellement que «si l une des énonciations de la lettre de change (somme, échéance, etc.) a été altérée postérieurement à la création et à l émission de la lettre, tous ceux qui l ont signée après cette altération (endosseurs, accepteurs, intervenants, etc.) sont tenus dans les termes de la lettre ainsi altérée.» Cette disposition vise, d une manière générale, toutes les énonciations de la lettre de change ; rien n autorise à en restreindre l application à certaines énonciations seulement. La somme et l échéance ne sont mentionnées qu à titre d exemple, ainsi que l indique le signe «etc.» qui les suit, et cette mention s explique parce que c est sur ces deux énonciations que porteront le plus souvent en fait les altérations du texte primitif d un eset de change ou à ordre.

V. Obligationenrecht. N 101. 881 3. Une autre objection, à première vue moins dénuée de fondement que la précédente, aurait pu être tirée du texte de l art. 802 et opposée à son application dans le cas particulier. Cet article parle des altérations commises «postérieurement à la création et à l émission de la lettre.» Si on devait lui reconnaître le sens qui paraît résulter d une interprétation strictement littérale de son texte, il s ensuivrait qu il ne s appliquerait pas aux altérations pratiquées avant l émission de la lettre ou du billet, c est-à-dire avant le moment où le tireur ou souscripteur s en dessaisit. Mais tel n est évidemment pas le sens vrai que le législateur a voulu donner à l art. 802. Ainsi que la Cour d appel et de cassation du canton de Berne l a déjà admis dans un arrêt du 30 mars 1895, en la cause Banque populaire contre Zwahlen et consorts (voir Zeitseh. d. berti. Jur. Ver., vol. 32, page 73 et suiv.), on doit reconnaître qu en édictant l art. 802 CO. le législateur a entendu poser le principe que celui qui appose sa signature sur un effet de change n est engagé que dans les termes de l effet au moment de la signature et que les modifications qui peuvent y être apportées dans la suite n engagent que les signataires qui les ont connues ou ont dû les connaître au moment où ils ont signé. Par modifications on ne doit naturellement entendre que les altérations d inscriptions existantes au moment de la signature, mais non le remplissage d un effet signé partiellement ou entièrement en blanc. Même si un effet en blanc est rempli contrairement aux promesses faites au signataire, celui-ci n en est pas moins tenu dans les termes du billet ou de la traite vis-à-vis des tiers. H est évident également que le tireur ou le souscripteur d un effet de change ou à ordre est libre d en modifier la teneur et de donner ainsi à sa signature l effet juridique qu il lui convient aussi longtemps que des tiers n y sont pas intéressés. Le droit du tireur d une lettre de change de modifier la teneur de celle-ci ne cesse dans la règle que par la remise de la lettre au preneur. C est ce cas normal que l art. 802 a en vue et auquel sa rédaction correspond. Mais cette rédaction est trop étroite. Il y a d autres cas où déjà avant l émis-

882 Civilrechtspflege, sion de 1 effet le tireur ou souscripteur n est plus libre d en modifier les termes. Il en est ainsi notamment lorsque des codébiteurs, cautions, etc., ont donné leur signature avant l émission. Dès ce moment, la traite ou le billet ne peut plus être modifié, ou du moins, s il l est, les modifications sont sans effet à l égard de ceux qui l ont déjà signé, à moins qu ils n y aient donné leur consentement. L art. 802 CO. est donc applicable aussi bien lorsqu un effet de change a été altéré avant son émission que lorsqu il a été altéré après. 4. Or, dans le cas particulier, il est constaté en fait que lorsque Ch. Leu a apposé sa signature comme caution sur le billet du 9 octobre 1896, ce billet était libellé à l ordre de l avocat Grivet. C'est seulement après que ce dernier eut refusé de faire le prêt sollicité que son nom fut remplacé par celui de l avocat Blanc. B est également constaté par le jugement dont est recours que cette substitution de nom a eu lieu à l insu et sans le consentement de Ch. Leu. Cette constatation est à la vérité en contradiction avec le témoignage du sieur Bongard ; mais la Cour cantonale a estimé que ce témoignage ne pouvait prévaloir contre celui d autres témoins. Cette appréciation est souveraine et échappe au contrôle du Tribunal fédéral. En vertu de l art. 802 CO., Ch. Leu n est donc pas lié par le changement du nom du preneur du billet du 9 octobre 1896 opéré postérieurement au moment ou il a donné sa signature et sans son consentement. Il avait cautionné un billet libellé à l ordre de M, Grivet, qui dès lors pouvait seul, vis-à-vis de lui, en devenir valablement le preneur et le transmettre par voie d endossement à un tiers. En fait l avocat Grivet n a pas accepté la qualité de preneur, mais c est l avocat Blanc qui lui a été substitué et qui a endossé le billet à la Banque de l Etat de Fribourg. Cet établissement est donc devenu porteur du dit billet par l effet d actes qui n obligent pas Ch. Leu. 5. Ce dernier a évidemment commis une négligence en ne se faisant pas restituer le billet signé par lui ou en ne

V. Obligationenrecht. N 102. 888 s'assurant pas de sa destruction après le refus de M. Grivet d accorder l emprunt demandé et alors que lui, Leu, restituait à Bongard le titre hypothécaire que celui-ci lui avait remis en garantie de son cautionnement. Mais cette négligence n aurait pu lui nuire que si Grivet, après avoir refusé le prêt' demandé, avait lui-même endossé le billet à un tiers ; vis-àvis d un porteur de bonne foi du billet non altéré, Leu n aurait eu aucun moyen de s opposer à une demande de paiement. Par ces motifs, Le Tribunal fédéral prononce :. Le recours est écarté comme mal fondé et l arrêt de la Cour d'appel de Fribourg, du 12 octobre 1898, est confirmé. 102. U r te il vom 24. D ezem ber 1898 in S ach en M ip s gegen K o n k u rs m a s s e W ipf. A rt. 219, IV. Klasse, Scfmldbetr.- u. Konk.-Ges. Privilegierter Teil des Frauengutes nach zürcherischem ehelichem Güterrecht.» Verwaltung» des Ehemannes. Begriff eidgenössischen Rechtes? Gehören Liegenschaften der Frau nach zürcherischem Recht in die Verwaltung des Ehemannes? Berechnungsweise nach A rt. 219, IV. Klasse, Abs. 3 Schuldbetr.- u. Konk.-Ges. A. Durch Urteil vom 10. November 1898 hat die Appellationskammer des Obergerichtes des K antons Zürich erkannt: D er Rekurs wird abgewiesen. B. Gegen dieses Urteil hat die Klägerin die Berufung an das Bundesgericht erklärt, und den Antrag gestellt, es sei in Abänderung desselben der Klägerin ein privilegierter Betrag von 35,302 F r. 85 C ts., statt, wie dies im Kollokationsplane geschehen, von bloß 26,352 F r. 85 Cts. zuzuteilen. Z u der heutigen Hauptverhandlung vor Bundesgericht ist von den Parteien Niemand erschienen.